Marianne Moore

Voici, pour ceux que ma pratique du langage intéresse, deux traductions de poèmes de Marianne Moore (le texte anglais les accompagne).

 

 

Neuf Nectarines

	Par paires comme on fait des pêches
espacées que leurs fruits soient vifs —
	huit en plus d’une, sur ramures
	crues de l’an dernier — elles semblent
un dérivatif;
	quoique le contraire aussi bien
	se rencontre fréquemment —
neuf pêches au nectarinier.
	Sans duvet, sous svelte feuillée
	en croissant bleus ou bien
		verts, ou l’un et l’autre
		dans le style chinois, ces quatre

	paires lunulées par placages
foliolants au soleil rosissent
	du ton puce American Beauty,
	piqué, qu’applique au gris cireux
l’art sans grand-malice
	des reliures mercantiles.
	Comme la pêche Yu, pêche
à bajoue rouge, sans objet
	pour les morts, qui à point mangée
	aide à prévenir la mort,
		pavie d’Italie,
		prune persane sur pâlis

	enclose aux remparts d’Ispahan,
la nectarine se rencontra 
	à l’état spontané, sauvage,
	(sauvage, est-ce sûr? De Candolle,
prudent, se taira)
	d’abord en Chine. On ne perçoit
	pas une imperfection
dans la neuvaine emblématique,
	au vantail feuillu que ne pique
	nul curculio, sur ce plat
		où on l’a dépeinte
		jadis, restauré depuis maintes

	fois, non plus que dans la justesse
de l’orignal sans andouiller,
	(cheval d’Islande? ou âne?), assoupi
	contre le vieil arbre touffu
aux branches pliées,
	et dont la robe est de la teinte
	brûnatre de la fleur
de l’arbuste.

		.	.	.	.	.

		Un Chinois «comprend
l’esprit des étendues sans bornes» 
	et, sous son allure de poney
	amateur de nectarines, 
le kylin — licorne
	à queue longue ou sans queue, petite,
	au poil de chameau commun,
sans cornes, d’un brun de cannelle
	monté sur pattes de gazelle.
	Cette pièce émaillée est un
		chef d’œuvre qu’on doit
		à la chimère d’un Chinois.

 

Nine Nectarines

	Arranged by two’s as peaches are,
at intervals that all may live —
	eight and a single one, on twigs that
	grew the year before — they look like
a derivative;
	although not uncommonly
the opposite is seen —
nine peaches on a nectarine.
	Fuzzless through slender crescent leaves
		of green or blue or
		both in the Chinese style, the four

	pair’s half-moon leaf-mosaic turns
out to the sun the sprinkled blush
	of puce-American-Beauty pink
	applied to beeswax gray by the
uninquiring brush
	of mercantile bookbinding.
Like the peach Yu, the red-
cheeked peach that cannot aid the dead,
	but eaten in time prevents death,
		the Italian
		peach nut, Persian plum, Ispahan

	secluded wall-grown nectarine,
as wild spontaneous fruit was
	found in China first. But was it wild?
	Prudent de Candolle would not say.
One perceives no flaws
	in this emblematic group
of nine, with leaf window
unquilted by curculio
	which someone once depicted on
		this much-mended plate
		or in the also accurate

	unantlered moose or Iceland horse
or ass asleep against the old
	thick, low-leaning nectarine that is the
	color of the shrub-tree’s brownish
flower.

	.	.	.	.	.

	A Chinese «understands
the spirit of the wilderness»
	and the nectarine-loving kylin
	of pony appearance — the long-
tailed or the tailless
	small cinnamon-brown, common
camel-haired unicorn
with antelope feet and no horn
	here enameled on porcelain.
		It was a Chinese
		who imagined this masterpiece.

 

Poissons

en rade
au sein d’un noir de jade.
	Des coques bleu-corbeau des moules, l’un insiste
	à redistribuer les cendreux kystes,
		qui s’éploie et se plie

ainsi qu’
un éventail caduc.
	Les arapèdes incrustés au flanc du flot
	ne s’y peuvent cacher: les dards qu’en l’eau
		va plongeant le soleil,

filés
comme verre soufflé,
	se déplacent avec la prestesse d’un spot
	qui se faufile jusqu’au creux des grottes —
		allant, venant, cuisant

la mer
turquine de ces chairs.
	L’eau visse un coin d’acier dans l’acier du rebord
	des falaises; et étoiles alors,
		comme grains de riz roses,

méduses
d’un pâté d’encre infuses,
	crabes tels des lis verts et bolets sous-marins,
	de coulisser l’un contre l’autre. Maint
		indice d’un abus

externe
à l’évidence cerne
	l’édifice dans son défi — toutes les marques
	physiques de l’empire du hasard — que
		ce soit corniche absente,

scissures
dynamitées, brûlures
	et attaques à coups de cognée, tout y saille
	fortement; la face de cette faille
		est morte. Il a été

prouvé
par faits non controuvés
	qu’il lui est donné de vivre sur, en effet, ce
	qui ne peut restituer sa jeunesse
		La mer, elle, y vieillit.

 

The Fish

wade
through the black jade.
	Of the crow-blue mussel shells, one keeps
	adjusting the ash-heaps;
		opening and shutting itself like

an
injured fan.
	The barnacles which encrust the side
	of the wave, cannot hide
		there for the submerged shafts of the

sun
split like spun
	glass, move themselves with spotlight swiftness
	into the crevices —
		in and out, illuminating

the
turquoise sea
	of bodies. The water drives a wedge
	of iron through the iron edge
		of the cliff; whereupon the stars

pink
rice-grains, ink-
	bespattered jellyfish, crabs like green
	lilies, and submarine
		toadstools, slide each on the other.

All
external
	marks of abuse are present in the
	defiant edifice —
		all the physical features of

ac-
cident — lack
	of cornice, dynamite grooves, burns, and
	hatchet strokes, these things stand
		out on it; the chasm side is

dead.
Repeated
	evidence has proved that it can live
	on what can no revive
		its youth. The sea grows old in it.
 
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