Introduction :
L'économie politique classique aurait pu naître en France avec des précurseurs tels que Vauban ou Boisguilbert, mais elle a trouvé un climat plus favorable en Angleterre avec le puritanisme. Elle s'ordonne autour de la production et de la séquence :
valeur---> répartition---> prix.
1) On peut faire remonter la pensée classique à Vauban ( dont notre collège s'honore de porter le nom...). Sébastien le Prestre, Seigneur de Vauban ( 1633- 1707), Maréchal de France, écrivit une foule d'écrits sur les fortifications, la guerre, la marine, les finances publiques, la religion, la monnaie, l'agriculture et la colonisation. En 1698, il met en place un recensement de la population et surtout élabore en 1707 un projet d'impôt dit de "dîme royale" et son "testament politique": afin de simplifier les impôts ( nombreux, compliqués et inefficaces), il propose un impôt unique sur le revenu, pouvant être de différents taux mais dont le maximum serait de 10 %.... proposition qui compromettra sa position de favori au près de Louis XIV. Il est conscient que l'impôt touche l'organisme économique au coeur.
Afin de justifier ce projet ( que l'on retrouvera chez Mirabeau et plus tard chez....Allais), Vauban argumente avec tous les faits possibles, usant, à la manière de Petty, de faits, poids et mesures. Non seulement il sera réputé comme créateur de la statistique mais comme utilisateur de celle- ci aux fins de son argumentation.
" C'est ce qui fait de lui un économiste classique, au sens apologétique du mot, et un précurseur des tendances modernes, bien qu'il n'ait pas contribué à l'appareil théorique moderne de la science économique" ( Schumpeter, HEA, pp.203 passim).
La pensée de Vauban et celles de nombreux intellectuels français se retrouve tiraillée entre la volonté de réformes et une résistance conservatrice très forte. La résolution de cette tension n'interviendra qu'un siècle plus tard. De ce fait, la pensée classique trouvera plutôt son inspiration dans l'extraordinaire révolution anglaise.
- 2- L'éthique protestante (Cf. le débat de Max Weber à Tawney) ne constitue pas une entité globale. Il existe dans l'Angleterre du XVII° siècle une multitude de formes d'esprit issues de la Réforme. Celle ci liée à l'origine au problème matrimonial de Henri VIII fait de l'église une institution dont le pouvoir économique et politique sera considérablement réduit; avec en particulier la dissolution des monastères et la disparition des abbés de la chambre des Lords. La Réforme a eu en Angleterre un caractère irréversible. Jamais la religion de Rome ne pourra rétablir son autorité. Tous les souverains qui se compromettront avec Rome y trouveront leur perte, en particulier Charles I° et Charles II. Elle fournit une approche du monde adaptée à la nouvelle idéologie. En insistant sur la différence entre la connaissance surnaturelle et la connaissance naturelle, elle donne à cette dernière les moyens de son émancipation. Cette idée se trouvait déjà chez Calvin dans sa doctrine de la foi active, avec la dissociation entre la hiérarchie céleste et la hiérarchie terrestre, entre causes principales et causes secondaires. Mais l'idéologie de Calvin renferme aussi l'idée du contrôle direct de Dieu sur ses créatures. Aussi, le rôle de Calvin deviendra de plus en plus diffus dans la religion réformée anglaise Celle- ci minimise le domaine où intervient la puissance divine pour proclamer le rôle de la nature. A la façon de John Preston, célèbre prédicateur puritain (Cf. Ch Hill,1958): "Dieu n'altère pas la loi de la nature". Les sermons de John Preston ,comme d'autres, ont lieu dans des centres contestataires. Chassés de Cambridge avant la révolution, ils prêchent à Lincoln's Inn ou Gray's Inn où se retrouvent des puritains éclairés. La doctrine prêchée est celle de la convention : Dieu est omnipotent mais il peut passer une convention avec son serviteur pour limiter son pouvoir et dès lors ses actions deviennent prévisibles et compréhensibles. Les "lecturers" , payés par les marchands, seront persécutés par l'archevêque Laud jusqu'à la révolution; payés par leurs ouailles, ils peuvent proclamer l'après midi, l'exact opposé de ce qu'a pu dire le matin le clergé officiel.
La tolérance des pays protestants est souvent opposée à l'intolérance qui régnait au XVI/XVII° siècle dans les pays catholiques. Ainsi la tolérance anglaise pouvait être opposée à l'intolérance qui régnait en France. Néanmoins, la tolérance en Angleterre n'atteignait pas le niveau de celle qui régnait en Hollande ; un centre tel que celui de Leydes accueillera de nombreux jeunes anglais épris de nouvelles techniques et de discussions théologiques. Jacques II se préoccupera des mauvaises influences acquises par la jeunesse anglaise dans "un endroit aussi infect que l'université de Leydes.." (cité dans Hill, 1972). La révolution de 1640 fera aboutir, sur la tolérance, les conceptions de Hobbes, Harrington avec de multiples conséquences idéologiques. La religion perd définitivement l'importance qu'elle avait auparavant. La pensée devient autonome. La réflexion économique peut s'affranchir de la morale et s' appuyer sur le seul calcul des avantages et désavantages pour la richesse de l'individu et de la nation. Le nouvel esprit intellectuel et le nouvel esprit religieux peuvent coïncider. La nouvelle religion fondée sur l'individualisme permet la méthode expérimentale. La religion elle- même, représente un terrain d'expérimentation où l'usage de l' autorité diminue au profit des "soul experiments". Enfin la tolérance religieuse favorise la productivité: on connaît les calculs de Petty dans ce domaine, montrant comment la tolérance accroît la productivité de 50% ...
- 3- Plus généralement la pensée classique, sur les fondements socio- politiques du XVII° siècle, analyse la production, les causes et l'évolution de la richesse. Elle pose de l'équation pono- physiocratique en partant de l'agriculture ( Physiocrates- Smith- Malthus) et en terminant par le travail ( Ricardo- Marx).
Elle ne reste pas à la superficie ou aux évidences, en développant des lois contre- intuitives telle l'analyse ricardienne de la rente, ou les analyses (Smith, Ricardo) de la valeur. D'où l'idée ( Marx) qu'elle est susceptible d'une critique logique. Elle se différencie ainsi du sensualisme de Condillac (1776, Le commerce et le gouvernement considérés relativement l'un à l'autre) et de ce qui sera plus tard le positivisme de Comte ( 1852, le Catéchisme...). Elle est centrée sur la production, l'offre mais aussi les contradictions sociales. Certes la demande peut intervenir, résultant de l' expansion démographique ou de l'évolution du pouvoir d'achat ou encore du comportement des classes dépensières. Mais, elle prend ainsi un aspect secondaire ou exogène.
L' équation ponophysiocratique caractérise la pensée des premiers classiques ( Petty, 1660; et Cantillon, 1755 ). Prenons l'expression qu'en donne Cantillon dans les premières phrases de son " Essai sur la nature du commerce en général":
" La terre est la source ou la matière d'où l'on tire la richesse; le travail est la forme qui la produit.."
Cette expression aura de nombreuses versions ( terre mère/travail père) dans l'analyse de la richesse classique. Une partie des classiques ( physiocrates, Smith, Malthus) insistera plutôt sur la terre, la seule à même de produire plus qu'elle ne coûte. Une autre considérera plutôt le travail et le capital ( Ricardo, Marx, Sraffa). Dans ce dernier cas intervient un problème systématique qui correspond à la séquence de pensée valeur/répartition/prix.
-4- L'influence de la pensée classique reste majeure; elle fournit les deux extrêmes de la pensée économique:
L'idéalisme le plus radical avec l'utilitarisme, l'hédonisme et l'individualisme ; l'éthique économique classique accompagne une foi extrême dans les valeurs du marché jusqu'à la crise actuelle.
L'abstraction la plus contre- intuitive dans la recherche
de solutions existentielles à la valeur, jusqu'à réduire
l'économie à des relations entre les marchandises.