DECAMPS

 

Alexandre Gabriel Decamps fut un peintre célèbre. Le critique Thoré écrira de lui, à l'occasion du salon de 1846 : " Nous qui demandons à l'art une valeur morale, nous déclarons que les tableaux de Decamps nous ont toujours fait aimer les hommes et la nature...". Quant à Pierre Larousse, il écrira plus tard : " Peu de peintres ont suscité plus d'imitateurs : on ne s'est pas contenté de chercher à lui dérober ses procédés, on a pris ses sujets, on a vu la nature pas ses yeux. N'est-ce pas là la meilleure preuve de sa supériorité ? ".

Alors qu'il s'était installé pour 3 ans, en 1852, au Veyrier, aux environs de Monflanquin (à 50 km au nord d'Agen), Decamps écrivit une longue lettre autobiographique au docteur Véron qui la publia dans ses " Mémoires d'un bourgeois de Paris " et dont voici le début.

Decamps ( Alexandre-Gabriel ) naquit le troisième jour du troisième mois de la troisième année de ce siècle [ 3.3.1803 à Paris ] et, j'ai honte de le dire, aucun prodige ne signala sa naissance. Présenté à la municipalité le jour même, le petit Decamps fut accusé tout d'une voix ( vu le volume exorbitant de sa personne ) d'avoir enfreint je ne sais qu'elle loi ou ordonnance qui enjoint aux parents d'avoir à faire inscrire les nouveaux-nés dans un délai prescrit. Je paraissais déjà vieux vraisemblablement ( je peux bien, ce me semble, employer par-ci par-là la première personne ); tant il y a que j'étais excessivement volumineux pour mon âge ; ce qui ne m'a pas empêché d'être depuis assez chétif et souffreteux. Faites donc après cela des conjectures sur les dispositions précoces... Ce qui eut cours en mes premières années sont choses connues à tous. L'enfant montra d'abord d'assez mauvaises dispositions ; il était violent et brutal, bousculant ses frères ; on n'en augurait rien de bon. Il atteignit l'âge où son père ( homme de sens pourtant ) jugea à propos d'envoyer ses enfants au fond d'une vallée presque déserte de la Picardie, pour leur faire connaître de bonne heure, disait-il, la dure vie des champs. Je ne sais ce que mes frères y apprirent. Quant à moi, j'oubliai bientôt et mes parents et Paris, et ce que notre bonne mère avait pris tant de soin de nous montrer de lecture et d'écritures. Je devins, en revanche, habile à dénicher les nids, ardent à dérober les pommes. Je mis la persistance la plus opiniâtre à faire l'école buissonnière, car il y avait une école en ce pays-là, et si le magister a rarement vu ma figure, il n'en saurait dire autant de mes talons. J'errais alors à l'aventure, parcourant les bois, barbotant dans les mares. C'est là sans doute que j'aurai contracté ce grain de sauvagerie qu'on m'a tant reproché depuis, et dont le frottement civilisateur auquel les hommes d'aujourd'hui, bon gré mal gré, sont soumis n'a pu me dépouiller totalement. Je ne prendrais pas la peine de coucher sur le papier de pareilles puérilités si je ne savais de reste combien les moindres particularités intéressent dans la vie des hommes célèbres. Je reviens à mon sujet. Ayant vu faire à de petits paysans d'informes figures à la craie, j'en taillais moi-même volontiers ; mais, dans ces ouvrages, le croirait-on ? je me soumis aux règles reçues. Le génie ne se révèle pas : l'esprit d'innovation ne m'avait pas encore apparemment soufflé son venin. Après 3 années environ de cet apprentissage rustique, roussi par le soleil, suffisamment aguerri à aller nu-tête et parlant un patois inintelligible, je fus ramené à Paris, dont je n'avais nulle idée. J'y fis longtemps la figure que fait un petit renard attaché par le col au pied d'un meuble. Ma pauvre mère, à qui ce mode d'éducation déplaisait horriblement, parvint enfin à m'apprivoiser et décrasser un peu, et je fus livré à l'inexorable latin. Durant des années, les bois, les "lavrils", les "courtils" (mots patois : friches, herbages) se présentaient à ma mémoire avec un charme inexprimable ; parfois les larmes m'en venaient aux yeux. Peu à peu le goût du barbouillage s'empara de moi et il ne m'a plus quitté depuis."

Decamps entre en 1816 dans l'atelier d'Etienne Bouhot où il apprend un peu de géométrie, d'architecture et de perspective. Puis il va dans l'atelier d'Abel de Pujol, un disciple de David. " Le dégoût me vint et je quittai l'atelier. J'essayai chez moi quelques petits tableaux ; on me les acheta, et dès lors mon éducation de peintre fut manquée. Toutefois je dus beaucoup à un amateur né avec une imagination et une ardeur d'artiste : M. le baron d'Ivry, par ses bons avis et sa verve chaleureuse, me tira plus d'une fois de l'apathie et du dégoût, ou plutôt du découragement où je tombais de temps en temps."

En 1824, il fait un voyage en Suisse et fin 1827, il part en Asie Mineure, en compagnie du peintre Garneray, pour un long séjour qui aura une influence déterminante sur son style. La "Maison Turque" et la "Ronde du Cadji-bey de Smyrne" obtiennent un très grand succès, et la médaille de 2° classe, au Salon de 1831 ( où Delacroix exposait "La Liberté"). Au Salon de 1833, il expose "Intérieur d'atelier" (musée du Louvre) et une "Chasse au héron" comparable aux plus beaux Van der Meulen. Théophile Gautier écrira : " Decamps est à la couleur ce que M. Ingres est au dessin ".

Decamps se tourne alors vers des sujets de l'Ancien Testament : "Joseph vendu par ses frères" (1835) sera acquit par le docteur Véron à la vente de la duchesse d'Orléans pour 37 000 F. Le 27 juin 1939, il est nommé chevalier de la Légion d'honneur. Après un voyage en Provence et en Italie, il compose l'"Histoire de Samson" suite de 9 dessins au fusain, rehaussés de lavis, d'aquarelle et de pastel ( exposés au Salon de 1845, à l'Exposition Universelle de 1855 et conservés au musée des Arts Décoratifs ). Il travaille aussi pour les princes de la maison d'Orléans ce qui lui vaut d'être tenu à l'écart après la révolution de 1848, mais le 2 mai 1851 il est promu au grade d'officier de la Légion d'honneur.

Un jour, voulant suivre la chasse impériale, il choisit un cheval dans l'écurie de son ami Fau. Dans la forêt le cheval prend peur et, partant tel un trait, va tout droit, passe sous une branche basse horizontale qui atteint Decamps à l'estomac et le renverse. Trois heures plus tard, ce 22 août 1860, Alexandre-Gabriel s'éteint dans d'atroces souffrances à l'âge de 57 ans.

Voulant lui rendre hommage, la Ville de Paris donna son nom à une rue des nouveaux quartiers que l'on venait d'annexer. L'ancienne rue de la Croix, allant du carrefour de la rue de la Tour et de la rue de la Pompe au rond-point de Longchamp (aujourd'hui place de México) change de nom et s'appelle désormais rue Decamps, juste à côté de la rue Greuze.

© Hubert DEMORY

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