Prince Ellak

Extraits du roman de Grigori TOMSKI, Les amis d’Attila, Editions du JIPTO, 2005, 360 p.
ISBN : 2–35175–003–9

Le prince Ellak invite son professeur Onégèse et les Romains à s’asseoir autour de la grande table ronde dans une pièce du palais de Kere-ko. A treize ans, le prince, tout bronzé, a déjà l’allure d’un homme courageux et énergique.

Oreste demande :

- Nous somme étonnés d’apprendre que tous les peuples de la Grande steppe du Danube à la Chine parlent des langues proches et ont presque le même mode de vie.

Onégèse jette un coup d’oeil sur les Romains puis regarde Ellak :

- Le prince Ellak aime les légendes et les récits historiques. Demandons-lui de répondre à votre question. Il comprend le latin assez bien mais ne parle pas encore couramment. Je l’aiderai à traduire.

Les yeux d’Ellak se remplissent d’étincelles :

- Excusez-moi, mais je préfère effectivement écouter les épopées héroïques et les légendes que d’étudier les oeuvres des auteur grecs et latins.

Il regarde Onégèse en souriant :

- J’aime la chasse et les longs voyages. Nos ancêtres disaient que la force des Huns vient de leur fidélité aux traditions.

Oreste demande :

- On connaît les légendes sur Romulus, fondateur de Rome. En avez-vous de pareilles sur vos ancêtres ?

Ellak commence avec une certaine solennité dans la voix :

- Je vais vous parler de Modoun, premier empereur des Huns. Il a vécu il y a six siècles. C’est un récit authentique, les Chinois et les Sogdiens aussi s’en souviennent très bien. Leurs marchands visitent souvent notre pays.

Onégèse commente brièvement :

- C’était l’époque des guerres puniques, au début de la puissance de Rome. A la même époque, loin à l’est, les Huns, eux-aussi, ont jeté les bases de leur puissance.

Ellak continue :

- Modun était fils d’un roi hun. Sa mère est morte quand il était petit. Son père épouse alors une femme qui lui donne encore un garçon. La belle-mère, qui désire que le futur roi des Huns soit son fils, décide de se débarrasser de Modun. Elle convainc le roi d’envoyer Modun comme otage à un peuple voisin. Puis elle réussit à provoquer la guerre avec ce peuple condamnant ainsi le petit prince à mort. Mais cette combinaison sordide ne réussit pas. Le garçon montre un grand courage, réussit à s’enfuir et rentre chez les Huns. Son père lui donne alors une armée de dix mille cavaliers. Modun entreprend des réformes inconnues jusqu’alors dans la Grande steppe. Le jeune prince divise son armée en détachements de mille, cent et dix guerriers, introduit une discipline de fer. Les soldats, vêtus en uniformes, avaient le même nombre de flèches.

Salvien remarque :

- A cette époque, d’abord Camille ensuite Marius ont introduit une discipline de fer dans l’armée, grâce à quoi la petite Rome a conquis l’Italie, puis tous les pays et peuples voisin.

Caustique, Onégèse intervient :

- Il reste très peu de cette discipline ! Maintenant les légionnaires n’aiment pas porter de cuirasse. Déjà, il y a trois siècles, ils ont commencé à trouver insupportable la lourdeur de leur armure, qu’ils ont portée de moins en moins, puis ils ont obtenu l’autorisation de ne plus porter casques et cuirasses. Le lourd armement de leurs ancêtres est devenu insupportable pour leurs faibles mains. Les Goths et les Alains, sans parler des Huns plus guerriers, sentent les avantages des cuirasses, ils battent facilement les soldats romains presque nus dont les têtes et les poitrines sont ouvertes.

Oreste exprime son accord :

- Malheureusement, c’est vrai. Maintenant, la jeunesse italienne tremble au son de la trompette.

Salvien le regarde avec désapprobation. Bien sûr, c’est vrai, mais pourquoi en parler aux étrangers.

Ellak continue après une pause :

- Un jour, Modoun, pour vérifier la discipline de son armée, donne l’ordre de tirer sur sa femme aimée.

Oreste s’exclame terrifié :

- Sur sa femme aimée !

Salvien, qui n’est pas encore marié, reste plus calme et demande :

- Quel âge avait alors Modoun ?

- Environ seize ans.

Le visage d’Ellak devient maintenant sévère, presque féroce :

- Les guerriers tirent sur l’ordre, la jeune femme tombe, percée de flêches comme un hérisson. Les officiers inspectent le nombre de flêches de leurs guerriers bien rangés. Ceux, qui par pitié pour une femme, n’ont pas respecté leur devoir de soumission militaire inconditionnelle, sont retirés des rangs et décapités.

Oreste fronce les sourcils et Salvien serre les dents. Ellak continue son récit :

- Depuis, les armées hunes respectent une discipline de fer, sont divisées en divisions de dix mille guerriers, de régiments de mille guerriers et de détachements de cent et de dix guerriers. Bientôt Modun avec ses guerriers éloigne du pouvoir son père et élimine sa belle-mère. Les Huns le proclament leur roi. Il réorganise toute l’armée hune, promulgue des lois strictes et justes, vainc tous les peuples voisins et l’Empire chinois qui reconnaît l’Empire des Huns comme une puissance égale et commence à lui payer un tribu.

Onégèse confirme :

- Les lois de Modun sont devenues des coutumes et sont toujours respectées. Les Huns pensent que Modoun khan est devenu la divinité de la destinée après sa mort.

Oreste demande :

- C’est étonnant ! Quelle personnalité exceptionnelle ! Mais pourquoi les Huns sont-ils venus sur les bords de la Volga ?

Ellak explique comme un professeur d’histoire :

- La soie et l’or de la Chine corrompaient les Huns et diminuaient progressivement leurs forces. Il y a quatre siècles l’Empire hun s’est divisé en l’Empire hun d’Orient et l’Empire hun d’Occident.

Onégèse remarque :

- Comme l’Empire romain divisé actuellement en l’Empire romain d’Orient et l’Empire romain d’Occident !

Surpris, Oreste et Salvien s’exclament involontairement. Content de l’effet de son récit, Ellak continue sa leçon d’histoire de la Grande steppe :

- Puis l’Empire hun d’Orient se disloque en l’Union du Nord et l’Union du Sud. L’anarchie s’installe. C’est pourquoi, ces unions ne meritent pas le terme «états».

Onégèse continue ses commentaires :

- Nous verrons, ou nos enfants verront, lequel des deux empires romains se disloquera en Etat du Nord et Etat du Sud.

Salvien ne retient plus son indignation :

- Pourquoi dites-vous cela avec une telle satisfaction, n’étiez vous pas vous-même un citoyen romain avant de venir chez les Huns !

Onégèse répond brutalement :

- J’ai été secrétaire mais pas citoyen romain, j’étais un esclave ! Ici, je suis chancelier du khan Attila et professeur du prince.

Oreste dit avec un ton conciliant :

- Merci, prince, pour cette leçon si intéressante. Je ne savais pas qu’il existe de telles parallèles entre l’histoire des Romains et celle des Huns. Nous avons appris des chose si intéressantes en trois jours ! Nous devons digérer tout cela. Vous pouvez écrire l’histoire de votre peuple.

- Peut-être, mais je préfère l’épopée héroïque et les légendes, même si j’ai appris notre écriture runique. La ville m’étouffe, je veux toujours être parmi l’océan des steppes. Après la Fête du Soleil, j’irai à la rencontre de mon père qui revient d’un long voyage.

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