Larmée des Wisigoths
quitte lItalie pour sen aller disputer lEspagne
aux Suèves. Le comte Ricimer, général dorigine
suève, commandant des troupes, principalement barbares,
stationnés en Italie, détruit sur la côte
de Corse une flotte de Vandales, composée de soixante
galères. Il revient à Rome triomphant avec le surnom
de libérateur de lItalie et, le 16 novembre 456,
profitant de labsence des Wisigoths, il contraint Avitus
dabdiquer. Lempereur déchu fuit vers son Auvergne
natale mais meurt en chemin dans des circonstances obscures.
Fin de 457. Le comte Majorien, ami de Ricimer, est reconnu officiellement
empereur romain. Oreste apprend cette nouvelle avec amertume :
- Une marionnette dun général suève
remplace sur le trône une marionnette du roi des Wisigoths !
Mais, après quelques mois, progressivement il commence
à changer dopinion :
- Ce Majorien tente de trouver des moyens efficaces pour faire
sortir lEmpire de la crise économique. Lamnistie
générale pour les dettes aux fisc est un geste,
à mon avis, très sage comme tous ses autres nouveaux
règlements. Il semble intelligent ce jeune empereur qui
na pas encore trente ans !
Julia note :
- Il a ordonné de cesser la destruction des anciens édifices
de Rome, considérés maintenant par les habitants
comme une mine de matériaux.
- Les coupables payent une amende de cinquante livres dor
et sont parfois punis par le châtiment du fouet et lamputation
des deux mains.
- Majorien est juste mais parfois brutal. Regarde ses lois sur
la punition des adultères, sur le remariage obligatoire
des veuves quelques années après la mort de leur
mari.
Oreste sourit :
- Il essaye assidûment de faire renaître les vertus
romaines.
***
Début 459. Julia annonce
à Oreste qui entre dans sa chambre :
- Ma cousine de Rome nous a envoyé un nouveau panégyrique.
- Un panégyrique de Majorien ?
- Oui, devine qui est son auteur.
- Peut être un beau frère de lempereur.
- Pourquoi le penses-tu ?
Oreste rit :
- Un panégyrique dAvitus a été écrit
par son beau-fils. Majorien est jeune et na pas de beau-fils.
Mais un mauvais exemple est contagieux et ce panégyrique
est probablement écrit par un des parents du jeune empereur.
- Pas du tout ! Lauteur est Sidoine Apollinaire.
- Incroyable ! Comment a-t-il pu écrire un panégyrique
à un des responsables de la mort de son beau-père !
- Je ne sais pas.
Oreste, sinstalle près de sa femme :
- Probablement cette fois les flatteries de Sidoine doivent être
encore plus démesurées pour se faire pardonner
car au début la Gaule était contre Majorien. Lis-moi
quelque morceaux amusants.
Julia commence à déclamer :
« Auprès de lui, Alexandre le Grand, qui tourmentera
pourtant la gloire de son père, ne fait que sommeiller. »
- Soit ! Quelles sont-elles daprès Sidoine
les grandes victoires de Majorien plus éclatante que celles
dAlexandre ?
« Le farouche Alaman avait gravi les Alpes :
progressant à travers les vastes solitudes, il avait surgi
de la chaîne Rhétique, ravageant le territoire romain,
et dans les plaines auxquels Canus donna jadis son nom, avait
envoyé à la maraude une bande de neuf cents ennemis. »
- Neuf cents ennemis ! Cest ridicule pour quelquun
qui, daprès lauteur, est plus grand quAlexandre.
Mais maintenant Majorien commence à réunir une
assez grande armée. Il me propose de venir le rejoindre
avec quelques détachements huns.
- Mais pourquoi ne mastu pas annoncé cette
nouvelle ?
- Justement, je suis venu dans ta chambre pour te raconter cette
proposition.
- Que veux-tu faire ?
- Je veux aider ce jeune empereur, plein de projets ambitieux
et de vertus incontestables. Je demande ta permission.
Julia regarde son mari :
- Si notre fils nétait pas mort encore bébé
il devrait avoir maintenant lâge de Majorien.
Oreste tressaillit :
- Tu sais, moi aussi, jéprouve pour Majorien des
sentiments presque paternels. Jai peur que Ricimer, ce
jeune loup, ne supportera pas longtemps le prestige grandissant
de lempereur. Peut-on espérer que ce général
dorigine suève aspire sérieusement à
la « pax germano-romana » ? Je veux
essayer daider Majorien à sauver lEmpire et
voir qui est en réalité Ricimer, ce faiseur dempereurs.
Julia met sa tête sur lépaule dOreste.
Ils ne parlent pas quelque temps. On nentend que le crépitement
du feu dans la cheminée et le gémissement du vent
dehors. Les gros flocons de neige se brisent contre les fenêtres
givrées. Julia se redresse :
- Mon cher, tu as presque soixante ans et jaurai dans quelques
années cinquante. Je te demande de rentrer rapidement
à la maison, à ce nid que nous avons aménagé
avec tant damour pendant ces dernières années.
Dailleurs, même les jeunes guerriers suivent Majorien
difficilement.
Julia recommence à lire :
« Nous suivons un jeune homme attaché sans
fin à la peine. Les plus braves, quels quils soient,
rois ou peuples, sont enfermés aujourdhui dans le
camp ou même reposent sous la tente, au soleil. Nous, nous
bouleversons lemploi des saisons ; les ordres de Majorien
seront pour la nature la loi. Rien ne le détourne de ses
entreprises, et il pense quil se ferait du tort à
redouter la colère des éléments, même
sil ne peut les affronter quà ses dépens.
Dans quelle nation dirai-je quest né cet homme qui
lasse lendurance dun Scythe comme moi ? »
Etonnée, Oreste sexclame :
- Ce guerrier est un Hun !
Julia continue :
« Voici quil rallie au sommet de la côte
ses escadrons transis et il se rit du froid car chez lui seul
la chaleur du cur lemporte. »
- Excellent ! Quelle belle expression : « seul
la chaleur du cur lemporte » ! Je commence
à apprécier lart poétique de ce Sidoine
Apollinaire.
- Oui, cest excellent ! Continuons : « Quand
je suivais les trompettes du roi du Nord
»
Très ému, Oreste linterrompt :
- Roi du Nord, cest Attila ! Un poète romain
décrit les propos dun ancien soldat dAttila,
peut-être, de mon armée !
Julia aussi est émue, après un moment de silence
rempli de souvenirs, elle reprend sa lecture :
« Quand je suivais les trompettes du roi du Nord,
on me disais que les armées de lempereur romain
et la maison des Césars étaient à jamais
endormies dans la mollesse. »
- Exact ! Cest pourquoi, je commence à apprécier
tant Majorien si différent de ses prédécesseurs :
Honorius, Valentinien, Pétrone et Avitus.
***
Lété 460.
Le port de Carthagène en Espagne. Majorien commence à
ressembler ici une armée dinvasion pour détruire
le royaume des Vandales en Afrique. Oreste arrive à la
tête de quelques milliers de Huns recrutés par lui
sur les bords du Danube. Majorien le rencontre les bras ouverts :
- Je vous salue, Oreste et vos braves cavaliers dont les sabots
ont ébranlé le monde ! Vous ne sauriez croire
combien je suis heureux et fier de vous serrer la main. Maintenant
je suis sûr de la victoire définitive sur les Vandales.
Nous vengerons bientôt le sac de Rome.
- Je vous salue, votre Auguste Majesté ! Ces cavaliers
sont en majorité les anciens soldats de mon armée.
Certains ont servi en Gaule comme les mercenaires sous lordre
dAetius. Il y a quelques officiers et soldats qui vous
connaissent.
Lempereur se réjouit :
- Cétaient mes premières campagnes. Je noublierai
jamais ces charges victorieuses avec les Huns contre le Franc
Clodion ! Je suis heureux de revoir ces anciens camarades
dans notre armée. Je repasserai demain afin de parler
avec eux. Maintenant je tinvite à assister à
la réunion de notre conseil que nous avons interrompu
pour te rencontrer.
Oreste entre, avec les collaborateurs de Majorien, dans le tente
impériale. Un jeune officier lui apporte un bocal de boisson
rafraîchissante. Lempereur parle :
- Ainsi jai rencontré Genséric à Carthage
sous le nom de mon ambassadeur. Jai vu par mes propres
yeux quil a peur de nos préparatifs et cest
pourquoi ses propositions de paix sont maintenant plus soumises
et sincères.
Stupéfié, Oreste sexclame involontairement :
- Vous êtes allé, vous-même, à Carthage !
Majorien sourit :
- Oui, jy ai été déguisé en
ambassadeur.
- Incroyable ! Mais vous avez couru un grand danger au cas
où quelquun vous reconnaisse.
- Jai changé la couleur de mes cheveux pour être
méconnaissable.
Impressionné, Oreste se tait et pense : « Si
Valentinien était comme cet empereur vraiment héroïque,
il pouvait trouver laccord avec Attila, sauver ainsi lEmpire
et changer la face du monde ». Majorien continue :
- Dois-je signer laccord de paix avec lui ? Que pense
le général Népotanius, maître de milice ?
- Votre Majesté, nous sommes maintenant forts de lalliance
des Wisigoths, chaque jour nous voyons arriver des nouveaux détachements,
notre flotte est composée de trois cents galères
et des grands nombre des bâtiments de transport. Mon frère
Marcellin, gouverneur de la Sicile, attend votre signal pour
attaquer lAfrique avec son armée, fidèle
et entraînée. Je ne doute point de la victoire.
Lempereur se tourne vers lautre membre du conseil :
- Ecoutons Aegidius, maître général de la
Gaule.
- Sire, larmée de la Gaule, forte de lalliance
des Francs et de la soumission des Burgondes, est pour la destruction
du royaume des Vandales.
***
Les préparatifs au débarquement
en Afrique continuent. On apprend que le roi Genséric
regrette davoir laissé échapper lempereur
déguisé, que les Vandales brûlent les villages
et empoisonnent les eaux pour rendre plus difficiles les opérations
de larmée romaine en Afrique. Oreste noue des relations
amicales avec le général Népotanius qui
lui présente son jeune fils Julius qui laccompagne.
Le garçon est curieux, il visite souvent Oreste et pose
beaucoup des questions sur sa vie remplie dévènements
intéressants. Il semble que rien ne peut plus sauver le
royaume des Vandales de la destruction. Mais Genséric
réussit un coup désespéré. Il attaque
par surprise et détruit une partie de la flotte dans la
baie de Carthagène. Le moment choisi permet de soupçonner
une trahison. Conscient que cest un succès accidentel,
le roi des Vandales renouvèle ses propositions de paix.
Majorien accepte cette fois. Oreste est convaincu que pour lempereur
ce nest quune suspension provisoire darmes
afin de rétablir la flotte. En effet, Majorien lautorise
à repartir avec ses Huns mais lui demande de se tenir
prêt pour une mobilisation rapide. |