Majorien

Extraits du roman de Grigori TOMSKI, Les amis d’Attila, Editions du JIPTO, 2005, 360 p.
ISBN : 2–35175–003–9

L’armée des Wisigoths quitte l’Italie pour s’en aller disputer l’Espagne aux Suèves. Le comte Ricimer, général d’origine suève, commandant des troupes, principalement barbares, stationnés en Italie, détruit sur la côte de Corse une flotte de Vandales, composée de soixante galères. Il revient à Rome triomphant avec le surnom de libérateur de l’Italie et, le 16 novembre 456, profitant de l’absence des Wisigoths, il contraint Avitus d’abdiquer. L’empereur déchu fuit vers son Auvergne natale mais meurt en chemin dans des circonstances obscures.
Fin de 457. Le comte Majorien, ami de Ricimer, est reconnu officiellement empereur romain. Oreste apprend cette nouvelle avec amertume :
- Une marionnette d’un général suève remplace sur le trône une marionnette du roi des Wisigoths !
Mais, après quelques mois, progressivement il commence à changer d’opinion :
- Ce Majorien tente de trouver des moyens efficaces pour faire sortir l’Empire de la crise économique. L’amnistie générale pour les dettes aux fisc est un geste, à mon avis, très sage comme tous ses autres nouveaux règlements. Il semble intelligent ce jeune empereur qui n’a pas encore trente ans !
Julia note :
- Il a ordonné de cesser la destruction des anciens édifices de Rome, considérés maintenant par les habitants comme une mine de matériaux.
- Les coupables payent une amende de cinquante livres d’or et sont parfois punis par le châtiment du fouet et l’amputation des deux mains.
- Majorien est juste mais parfois brutal. Regarde ses lois sur la punition des adultères, sur le remariage obligatoire des veuves quelques années après la mort de leur mari.
Oreste sourit :
- Il essaye assidûment de faire renaître les vertus romaines.

***

Début 459. Julia annonce à Oreste qui entre dans sa chambre :
- Ma cousine de Rome nous a envoyé un nouveau panégyrique.
- Un panégyrique de Majorien ?
- Oui, devine qui est son auteur.
- Peut être un beau frère de l’empereur.
- Pourquoi le penses-tu ?
Oreste rit :
- Un panégyrique d’Avitus a été écrit par son beau-fils. Majorien est jeune et n’a pas de beau-fils. Mais un mauvais exemple est contagieux et ce panégyrique est probablement écrit par un des parents du jeune empereur. - Pas du tout ! L’auteur est Sidoine Apollinaire.
- Incroyable ! Comment a-t-il pu écrire un panégyrique à un des responsables de la mort de son beau-père !
- Je ne sais pas.
Oreste, s’installe près de sa femme :
- Probablement cette fois les flatteries de Sidoine doivent être encore plus démesurées pour se faire pardonner car au début la Gaule était contre Majorien. Lis-moi quelque morceaux amusants.
Julia commence à déclamer :
« Auprès de lui, Alexandre le Grand, qui tourmentera pourtant la gloire de son père, ne fait que sommeiller. »
- Soit ! Quelles sont-elles d’après Sidoine les grandes victoires de Majorien plus éclatante que celles d’Alexandre ?
« Le farouche Alaman avait gravi les Alpes : progressant à travers les vastes solitudes, il avait surgi de la chaîne Rhétique, ravageant le territoire romain, et dans les plaines auxquels Canus donna jadis son nom, avait envoyé à la maraude une bande de neuf cents ennemis. »
- Neuf cents ennemis ! C’est ridicule pour quelqu’un qui, d’après l’auteur, est plus grand qu’Alexandre. Mais maintenant Majorien commence à réunir une assez grande armée. Il me propose de venir le rejoindre avec quelques détachements huns.
- Mais pourquoi ne m’as’tu pas annoncé cette nouvelle ?
- Justement, je suis venu dans ta chambre pour te raconter cette proposition.
- Que veux-tu faire ?
- Je veux aider ce jeune empereur, plein de projets ambitieux et de vertus incontestables. Je demande ta permission.
Julia regarde son mari :
- Si notre fils n’était pas mort encore bébé il devrait avoir maintenant l’âge de Majorien.
Oreste tressaillit :
- Tu sais, moi aussi, j’éprouve pour Majorien des sentiments presque paternels. J’ai peur que Ricimer, ce jeune loup, ne supportera pas longtemps le prestige grandissant de l’empereur. Peut-on espérer que ce général d’origine suève aspire sérieusement à la « pax germano-romana » ? Je veux essayer d’aider Majorien à sauver l’Empire et voir qui est en réalité Ricimer, ce faiseur d’empereurs.
Julia met sa tête sur l’épaule d’Oreste. Ils ne parlent pas quelque temps. On n’entend que le crépitement du feu dans la cheminée et le gémissement du vent dehors. Les gros flocons de neige se brisent contre les fenêtres givrées. Julia se redresse :
- Mon cher, tu as presque soixante ans et j’aurai dans quelques années cinquante. Je te demande de rentrer rapidement à la maison, à ce nid que nous avons aménagé avec tant d’amour pendant ces dernières années. D’ailleurs, même les jeunes guerriers suivent Majorien difficilement.
Julia recommence à lire :
« Nous suivons un jeune homme attaché sans fin à la peine. Les plus braves, quels qu’ils soient, rois ou peuples, sont enfermés aujourd’hui dans le camp ou même reposent sous la tente, au soleil. Nous, nous bouleversons l’emploi des saisons ; les ordres de Majorien seront pour la nature la loi. Rien ne le détourne de ses entreprises, et il pense qu’il se ferait du tort à redouter la colère des éléments, même s’il ne peut les affronter qu’à ses dépens. Dans quelle nation dirai-je qu’est né cet homme qui lasse l’endurance d’un Scythe comme moi ? »
Etonnée, Oreste s’exclame :
- Ce guerrier est un Hun !
Julia continue :
« Voici qu’il rallie au sommet de la côte ses escadrons transis et il se rit du froid car chez lui seul la chaleur du cœur l’emporte. »
- Excellent ! Quelle belle expression : « seul la chaleur du cœur l’emporte » ! Je commence à apprécier l’art poétique de ce Sidoine Apollinaire.
- Oui, c’est excellent ! Continuons : « Quand je suivais les trompettes du roi du Nord … »
Très ému, Oreste l’interrompt :
- Roi du Nord, c’est Attila ! Un poète romain décrit les propos d’un ancien soldat d’Attila, peut-être, de mon armée !
Julia aussi est émue, après un moment de silence rempli de souvenirs, elle reprend sa lecture :
« Quand je suivais les trompettes du roi du Nord, on me disais que les armées de l’empereur romain et la maison des Césars étaient à jamais endormies dans la mollesse. »
- Exact ! C’est pourquoi, je commence à apprécier tant Majorien si différent de ses prédécesseurs : Honorius, Valentinien, Pétrone et Avitus.

***

L’été 460. Le port de Carthagène en Espagne. Majorien commence à ressembler ici une armée d’invasion pour détruire le royaume des Vandales en Afrique. Oreste arrive à la tête de quelques milliers de Huns recrutés par lui sur les bords du Danube. Majorien le rencontre les bras ouverts :
- Je vous salue, Oreste et vos braves cavaliers dont les sabots ont ébranlé le monde ! Vous ne sauriez croire combien je suis heureux et fier de vous serrer la main. Maintenant je suis sûr de la victoire définitive sur les Vandales. Nous vengerons bientôt le sac de Rome.
- Je vous salue, votre Auguste Majesté ! Ces cavaliers sont en majorité les anciens soldats de mon armée. Certains ont servi en Gaule comme les mercenaires sous l’ordre d’Aetius. Il y a quelques officiers et soldats qui vous connaissent.
L’empereur se réjouit :
- C’étaient mes premières campagnes. Je n’oublierai jamais ces charges victorieuses avec les Huns contre le Franc Clodion ! Je suis heureux de revoir ces anciens camarades dans notre armée. Je repasserai demain afin de parler avec eux. Maintenant je t’invite à assister à la réunion de notre conseil que nous avons interrompu pour te rencontrer.
Oreste entre, avec les collaborateurs de Majorien, dans le tente impériale. Un jeune officier lui apporte un bocal de boisson rafraîchissante. L’empereur parle :
- Ainsi j’ai rencontré Genséric à Carthage sous le nom de mon ambassadeur. J’ai vu par mes propres yeux qu’il a peur de nos préparatifs et c’est pourquoi ses propositions de paix sont maintenant plus soumises et sincères.
Stupéfié, Oreste s’exclame involontairement :
- Vous êtes allé, vous-même, à Carthage !
Majorien sourit :
- Oui, j’y ai été déguisé en ambassadeur.
- Incroyable ! Mais vous avez couru un grand danger au cas où quelqu’un vous reconnaisse.
- J’ai changé la couleur de mes cheveux pour être méconnaissable.
Impressionné, Oreste se tait et pense : « Si Valentinien était comme cet empereur vraiment héroïque, il pouvait trouver l’accord avec Attila, sauver ainsi l’Empire et changer la face du monde ». Majorien continue :
- Dois-je signer l’accord de paix avec lui ? Que pense le général Népotanius, maître de milice ?
- Votre Majesté, nous sommes maintenant forts de l’alliance des Wisigoths, chaque jour nous voyons arriver des nouveaux détachements, notre flotte est composée de trois cents galères et des grands nombre des bâtiments de transport. Mon frère Marcellin, gouverneur de la Sicile, attend votre signal pour attaquer l’Afrique avec son armée, fidèle et entraînée. Je ne doute point de la victoire.
L’empereur se tourne vers l’autre membre du conseil :
- Ecoutons Aegidius, maître général de la Gaule.
- Sire, l’armée de la Gaule, forte de l’alliance des Francs et de la soumission des Burgondes, est pour la destruction du royaume des Vandales.

***

Les préparatifs au débarquement en Afrique continuent. On apprend que le roi Genséric regrette d’avoir laissé échapper l’empereur déguisé, que les Vandales brûlent les villages et empoisonnent les eaux pour rendre plus difficiles les opérations de l’armée romaine en Afrique. Oreste noue des relations amicales avec le général Népotanius qui lui présente son jeune fils Julius qui l’accompagne. Le garçon est curieux, il visite souvent Oreste et pose beaucoup des questions sur sa vie remplie d’évènements intéressants. Il semble que rien ne peut plus sauver le royaume des Vandales de la destruction. Mais Genséric réussit un coup désespéré. Il attaque par surprise et détruit une partie de la flotte dans la baie de Carthagène. Le moment choisi permet de soupçonner une trahison. Conscient que c’est un succès accidentel, le roi des Vandales renouvèle ses propositions de paix. Majorien accepte cette fois. Oreste est convaincu que pour l’empereur ce n’est qu’une suspension provisoire d’armes afin de rétablir la flotte. En effet, Majorien l’autorise à repartir avec ses Huns mais lui demande de se tenir prêt pour une mobilisation rapide.

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