Le matin suivant, curieux,
Priscos va se promener en ville. Il traverse quelques quartiers
et rencontre un homme richement habillé qui le salue en
grec. Priscos s'arrête :
- Vous parlez parfaitement grec !
L'inconnu, portant les vêtements huns, sourit :
- En fait, je suis Grec. J'était commerçant dans
la ville de Viminacium, marié à une femme riche,
et j'étais content de ma vie. Mais la guerre a commencé.
Les Huns ont pris la ville. J'ai été donné
à Onégèse avec ma richesse. Étant
mobilisé dans son armée, je participais d'abord
à la guerre contre les Romains, ensuite à un raid
à l'est. J'ai racheté ma liberté avec mes
butins. Maintenant je suis devenu tout à fait Hun. Je
me suis marié avec une femme hune, nous avons de beaux
enfants, je suis devenu un ami d'Onégèse. Je ne
regrette rien. Ma situation actuelle est meilleure que mon ancienne
vie de commerçant romain.
Priscos est très frappé par ces propos :
- Ce n'est pas vrai ! Pourquoi pensez-vous comme ça ?
L'inconnu explique :
- Je mène maintenant une vie sans soucis. La bureaucratie
pesante qui vous dérange à chaque pas n'existe
pas ici. La guerre pour les Huns est une activité intéressante,
tandis que les Romains modernes ont désappris à
faire la guerre et leur généraux sont peureux et
malhabiles. Pour les Romains, la vie en temps de paix est devenue
même plus insupportable que pendant la guerre avec tous
les impôts, les exactions, le paiement des tributs aux
vainqueurs, les excès des percepteurs d'impôts,
le joug des puissants de ce monde. Comment peut-il en être
autrement quand les lois ne sont pas les mêmes pour tous
? Les riches et les influents contournent facilement les lois.
Les pauvres ou les faibles, qui ne savent pas les finesses des
lois et les formalités ne peuvent même pas éviter
une punition injuste. Beaucoup d'entre eux meurent de désespoir,
ruinés par des procès judiciaires sans fin. Je
suis particulièrement indigné du fait, qu'il faut
payer même au cas où vous avez parfaitement raison
selon la loi. Quel que soit le crime fait contre vous, vous ne
pouvez pas obtenir justice sans avoir payé les juges et
toute la clique des juristes.
Priscos commence à prouver l'inverse :
- Je trouve au contraire, que le droit romain est bien fait et
il protége tout le monde, et pas seulement les riches.
Même un esclave peut s'adresser aux juges. C'est normal
qu'il faille payer le travail des juges et des avocats. La lenteur
de la procédure est presque toujours justifiée.
Acceptez, qu'il vaille mieux attendre un arrêt juste, que
subir une punition incorrecte ou perdre une affaire à
cause de la hâte et de l'inattention des juges...
Le jeune diplomate se montre tellement éloquent, que son
interlocuteur ému tombe presque d'accord avec lui. Un
serviteur d'Onégèse vient annoncer à Priscos
que son maître est arrivé. Le jeune diplomate prend
précipitamment congé de son interlocuteur et revient
à la résidence de l'ambassade apporter une importante
nouvelle à Maximin.
***
Ayta a montré à
Onégèse les cadeaux des Romains et a expliqué
que l'ambassadeur Maximin l'attend avec impatience, pour parler
d'urgence d'un message personnel de l'empereur Théodose.
Intrigué, Onégèse vient lui-même voir
les Romains. Le comte Maximin lui expose en termes très
diplomatiques la proposition étrange de Théodose
qu'Onégèse devienne l'arbitre de la paix entre
l'Empire des Huns et L'Empire romain d'Orient. Priscos est étonné
par la vitesse et la brutalité de la réaction du
ministre hun d'origine grecque :
- Je ne peux pas être un arbitre neutre. Est-ce que votre
empereur espère, que je trahirai Attila à cause
de mes origines ou pour de l'argent ! Non, on ne peut pas tout
acheter et vendre, comme il le pense. Je suis devenu depuis longtemps
un Hun, ma femme et mes enfants sont des Huns. Pour rien au monde
je ne pourrai négliger les intérêts de mon
souverain qui m'a donné une si grande confiance pendant
toutes ces années !
Les Romains sont déçus. Priscos pense : "Peut
être, tout simplement, Onégèse a-t-il peur
de manifester sa sympathie pour nous ? C'est bien étrange,
car ne vaudrait-il pas mieux pour ce Grec d'aider ses compatriotes
à ce moment difficile afin de revenir ensuite avec honneur
à Constantinople que de passer tout le reste de sa vie
avec ces Barbares ? Comment ce Grec si éduqué,
un représentant de la grande civilisation ancienne, peut-il
trouver intéressant de vivre chez les Huns avec des coutumes
si différentes des nôtres ?"
***
Priscos remet à Kere-ko
les cadeaux de la part de l'empereur Théodose. Malade,
elle ne parle pas beaucoup, mais invite aimablement les Romains
à venir dîner le lendemain. Les femmes et les jeunes
fille de sa suite, assises sur des tapis autour de l'impératrice,
sont occupées à broder des parures, s'arrêtent
seulement pour de courts instants. Le Grec voit, qu'elles se
sont bien habitués aux visites des ambassadeurs et à
leurs cadeaux.
En sortant du beau palais de l'impératrice, Priscos remarque
la foule à côté de l'entrée du palais
principal et voit qu'Attila et Onégèse tiennent
un tribunal en plein air et jugent les affaires importantes.
Il voit dans la foule Rustique qui lui a annoncé son entrée
en fonction à l'appareil du gouvernement hun. Priscos
s'en réjouit sincèrement, en espérant que
le Gaulois pourra leur donner d'utiles renseignements. Ils commencent
à regarder ensemble ce qui se passe et Rustique remarque
:
- Les empereurs romains consacraient avant beaucoup de temps
aux procès et jugements. Maintenant tout est codifié
et confié aux préfets et aux évêques.
Priscos confirme :
- L'empereur Auguste se passionnait souvent des affaires et jugeait
du matin à l'arrivée de la nuit. Claude commençait
avant l'aube, par contre, il sommeillait parfois pendant les
débats, malgré la conscience aigue de sa responsabilité.
Il jugeait même les jours du mariage de ses enfants ! Plusieurs
empereurs déjeunaient, sans interrompre les procès,
pour ne pas perdre de temps. L'empereur philosophe Marc Aurèle
jugeait jusque tard dans la nuit. On exécutait souvent
les arrêts sur le champ. C'est pourquoi, les empereurs
romains préféraient, eux-aussi, juger en plein
air, même sur les places et dans les jardins.
Bientôt Attila entre dans son palais, pour commencer la
réception dans la salle du trône des khans, princes
et autres importantes personnes de l'Empire hun, des ambassadeurs
étrangers et des autres délégations. Dans
la foule, devant le palais, Priscos remarque les diplomates de
Ravenne. On échange des nouvelles qui sont décevantes
pour les deux ambassades. Le comte Romulus dit tristement :
- Attila ne veut rien entendre. Il demande la satisfaction de
ses revendications et continue à menacer de guerre dans
le cas contraire.
Priscos s'exclame :
- La guerre à cause d'une telle affaire insignifiante
!
Le comte soupire :
- Attila est si gâté par le destin ! Il a toujours
eu tellement de chance, qu'il est devenu sourd à n'importe
quels arguments. Il veut que tout se passe selon son désir.
Il faut reconnaître, que personne n'a jamais obtenu de
si grands succès en si peu du temps. Il est devenu le
maître de toutes les anciennes steppes scythes, a forcé
les deux Empires romains à lui payer des tributs. On dit
qu'il veut maintenant conquérir la Perse.
Ces mots du beau-père d'Oreste, influent et informé,
provoque un échange animé d'opinions entre les
diplomates romains :
- Ce serait bien pour les Romains, si les Huns commençaient
effectivement une guerre contre la Perse ! Nous aurions alors
un répit.
- Rien du tout ! Les Huns vaincront facilement et rapidement
les Perses et s'occuperont ensuite de nous, restant alors leurs
seuls adversaires.
Vient un messager d'Onégèse qui appelle Priscos.
Le jeune Grec, le coeur battant, entre dans le cabinet du ministre,
pour apprendre la première réaction d'Attila à
la lettre de son empereur. Onégèse le stupéfie
:
- Attila n'acceptera plus aucun ambassadeur romain, dont le rang
est plus bas que consulaire ! Quant à Constantinople,
il n'existe que trois personnes avec qui Attila est d'accord
de parler : le patrice Anatolius et encore deux anciens consuls
influents.
Confus, Priscos marmotte :
- La désignation des ambassadeurs de telle façon
peut les rendre suspects aux yeux de notre empereur.
Onégèse dit sèchement :
- Si cette condition n'est pas satisfaite, vous aurez de nouveau
la guerre!
Cette nouvelle frappe Maximin. Le triste échange d'opinions
est bientôt interrompu par l'arrivée de Tatulle,
le père d'Oreste qui annonce que les ambassadeurs romains
Romulus et Maximin, lui et Priscos sont invités au banquet
d'Attila.
***
La banquet commence à
trois heures de l'après-midi. Chaque visiteur, selon la
coutume hune, reçoit la permission d'entrer dans la salle
seulement après avoir bu une coupe de vin à la
santé et à la prospérité d'Attila.
La table de l'empereur et son divan sont disposés sur
une estrade élevée au milieu de la salle où
l'on montait par plusieurs degrés. Derrière, sur
la même estrade, il y a encore une table et un divan pour
les convives les plus distingués. Les tables sont couvertes
de nappes blanches et les divans par des tapis et des fourrures.
Le khan Ellak est assis à côté de son père
avec le regard respectueusement baissé.
Sur deux côtés sont rangés de petites tables
rondes destinées chacune pour trois ou quatre invités.
Les Romains sont placés sur la partie gauche, moins honorable
à leur avis. Maximin proteste contre la violation de l'étiquette
diplomatique, voyant que ce n'est pas lui qui occupe la place
honorable de leur table, mais le général hun Berik.
Mais les responsables de banquet ne l'écoutent pas.
Après la cérémonie obligatoire de la nourriture
de l'esprit du feu, le banquet commence. Chaque table est servie
par un échanson et une serveuse. La vaisselle est en or
et en argent. Seul, Attila mange et boit dans de la vaisselle
en bois. En plus, il mange principalement de la viande cuite,
tandis que l'on couvre la table trois fois pour les invités
et toujours avec des plats les plus différents. Le protocole
interdit de toucher aux plats éloignés et Priscos
regrette en silence de n'avoir pu déguster certains mets
curieux qui éveillaient ses désirs.
Attila lève sa coupe et propose un toast pour son convive
le plus honorable, qui se lève à son tour et exprime
ses vux les plus respectueux à l'empereur. Après
quelques toasts, l'atmosphère devient plus gaie, la conversation
autour de toutes les tables s'animent. Seulement Attila garde
l'air sérieux et ne sourit pas. Lui et Ellak ne parlent
pas beaucoup, probablement tristes à cause de la maladie
de Kere-ko.
Le soir, on allume des flambeaux et des lampes. Viennent deux
conteurs qui exécutent des fragments de la poésie
épique héroïque et des poèmes en l'honneur
des victoires d'Attila. Dans la salle s'installe un silence profond.
Les Huns écoutent avec les yeux brillants et seulement
parfois accompagnent l'exécution par des exclamations
d'approbation. Priscos croit voir que les vieillards pleurent
de la douleur de ne plus pouvoir partager la gloire et les dangers
des batailles et les jeunes guerriers se chargent d'énergie
pour leurs exploits futurs.
Une telle réaction orageuse produit une forte impression
sur les Romains. Attila conserve son inflexible gravité,
il est majestueux et un peu triste. Quand les conteurs sortent,
entre un vieux guerrier tenant dans ses mains Er-Nak, un petit
fils d'Attila. L'empereur se transforme, il prend avec un sourire
tendre son enfant, l'embrasse et caresse tendrement ses joues.
Étonné par un tel changement brusque de la conduite
d'Attila, le jeune Grec demande à un Hun assis à
côté et qui parle assez bien latin :
- L'empereur semble assez froid avec ses fils ainés, ici
présents. Pourquoi est-il tellement tendre pour Er-Nak
?
Le Hun lui chuchote :
- Ne parlez à personne ce que je vous dis. Un grand chaman
a prédit que les fils aînés d'Attila n'auront
pas de descendance régnante. Ce ne sont que les descendants
d'Er-Nak qui continueront dignement ses actions. C'est pourquoi
il aime tellement ce garçon.
Quand les Romains remarquent que les bouffons entrent pour leur
représentation, ils décident de quitter poliment
le banquet.
***
Le dîner de Kere-ko se
distingue du banquet officiel impérial par la gaieté
des participants. Les Romains oublient rapidement qu'elle est
mortellement malade. Tout est magnifique : la décoration
de la salle, la vaisselle, les plats sélectionnés
et les vins délicats. Salvien voit que l'impératrice,
qui a maintenant près de cinquante ans, est toujours gaie
et bienveillante comme dans sa jeunesse. Les Romains cèdent
à son charme et tous participent à la fin de la
soirée au jeu amusant, où il faut prononcer un
toast pour sa voisine et l'embrasser. Les belles voisines de
Priscos sont jeunes concubines de l'empereur.
***
C'était bien, mais Attila
ne reçoit pas les ambassadeurs romains et ne donne pas
de réponse aux lettres des empereurs. Seulement une fois,
pendant un dîner, Attila parle avec le comte Maximin d'un
sujet inattendu. Il lui rappelle la promesse de l'empereur Théodose
de marier Constance, un de ses conseillers-secrétaires,
à une fiancée riche. Mais cette fiancée
au dernier moment était enlevée par le général
Zenon. Attila demande que l'empereur romain d'Orient tienne sa
promesse. Maximin essaye de lui prouver, que Théodose
n'est pas coupable dans cet incident.
A la fin de mars, Attila annonce qu'il permet à l'ambassadeur
Maximin de rentrer à Constantinople accompagné
par Berik, qui transportera la lettre de l'empereur hun avec
les conditions de paix qu'il dictait à l'empereur Théodose.
Attila refuse de recevoir Maximin et Priscos avant leur départ,
mais leur envoie des cadeaux de valeur : des chevaux, des tapis,
des fourrures, des ceintures et des bijoux. Mais la pression
psychologique sur les Romains se prolonge en route : Berik et
ses guerriers sont très grossiers, on exécute devant
leurs yeux des espions et des fugitifs romains. Sur la frontière
les Romains rencontrent Vigilas, joyeux, revenant de Constantinople. |