Mort
de Stilicon
Ravenne. Le palais de Stilicon.
Une salle décorée de trophées et de cartes.
Le général les yeux rougis par l'insomnie embrasse
sa fille Thermantia, répudiée par l'empereur Honorius,
qui vient le rejoindre:
- Notre cher Honorius est devenu maintenant notre ennemi ! s'exclame
Stilicon. - Ne pleure pas ma fille, je te prie. Tu a épousé
Honorius sous la pression de ta mère. J'ai été
contre votre mariage car je savais que tu ne l'aimais pas.
- Comment pouvais-je aimer cet homme, faible et privé
de vertus ! Mais Honorius n'était jamais méchant
et il te respectait sincèrement. L'empereur est tombé
dans le piège tendu par ses courtisans qui veulent t'éliminer
du pouvoir. Pardonne-moi mon père ! Je n'étais
pas assez vigilante.
- Comment pouvais-tu penser qu'Honorius, qui a grandi avec toi,
chouchouté par ta mère Sérène, aimé
et protégé par moi, aurait pu nous trahir ! Si
le monde est comme ça, alors pourquoi vivre ? Je veux
aller voir Honorius, me rendre à son jugement, être
puni injustement, mourir comme un traître. Peu importe
! Mais je demanderai qu'on épargne la vie d'Echerius.
Je ne crois pas qu'Honorius se déshonorerait en acceptant
la mort de Sérène, sa tante.
Eucherius objecte :
- Père ! Les accusations d'Olympius et de ses amis contre
nous sont fausses. Par peur de la vérité, ils ne
voudront pas nous garder en vie. Nous sommes obligés de
lutter car il est impossible de compter sur les promesses de
l'empereur dans ces conditions.
Stilicon réfléchit :
- Je suis fatigué et bouleversé. Malheureusement
tu as raison, complètement raison ! Que me conseilles-tu
faire !
- Je pense à ma mère. Je veux aller à Rome
avec une partie de tes soldats la voir. Peut-être reviendrai-je
avec elle, après on verra.
- Je te laisse agir comme tu veux. Je serai content de voir ma
chère Sérène avant de mourir.
Le général s'adresse à son adjoint :
- Quelle est la situation ?
L'officier rapporte :
- Les troupes barbares du camp de Bologne sont dispersées
en petits détachements. Certains sont venus à Ravenne
et ont rejoint nos forces, les autres vont chercher leurs familles
dans les différentes villes d'Italie. Sarus est aussi
venu à Ravenne.
- Chercher la récompense pour sa trahison ! s'indigne
Stilicon.
Puis il donne l'ordre à son adjoint de s'occuper de l'escorte
d'Eucherius.
***
Le palais de l'empereur. En
regardant par la fenêtre les mouvements des troupes, Attila
dit à Aetius :
- Mon oncle, le khan Oros m'a défendu formellement de
me mêler des affaires des Romains. Mais il m'a recommandé
d'essayer de les comprendre. J'avoue que les évènements,
qui se passent actuellement, sont difficiles à suivre.
- Nous n'avons pas assez d'informations pour les comprendre.
Je suis très content d'être chargé de ta
sécurité et d'éviter ainsi la participation
active à cette confrontation.
- Penses-tu qu'il existe un danger pour moi ?
- Oui, je le pense.
- De qui ?
- Des Romains qui se sont révoltés contre les Barbares,
mais aussi de ceux des Barbares qui veulent provoquer l'intervention
de khan Oros pour se venger des Romains.
- Se venger de quoi ?
- Les villes ont fermé leurs portes aux détachements
barbares qui sont venus chercher leur familles et leurs effets
précieux déposés. Maintenant leurs femmes
et leurs enfants sont détenus comme otages et ne peuvent
pas quitter ces villes.
- A ton avis, Stilicon est perdu ?
- Ses partisans peuvent aussi tenter de t'enlever afin d'avoir
un otage et de susciter l'intervention hune.
- Regarde, Olympius donne deux lettres au comte Héraclien
et lui explique quelque chose.
***
Le 28 août. Les légions
de Pavie entrent en ville acclamées par la population.
Stilicon se retire avec le peu de soldats qui restent après
le départ d'Eucherius dans une église. Bientôt,
l'église est encerclée par les légionnaires
commandés par le comte Héraclien. Sans aucune hostilité
visible et sans arme, Héraclien s'approche de l'église.
Ses soldats ne bougent pas. Stilicon le rencontre près
de la porte entrouverte. Le comte le salue respectueusement,
sourit et lui remet une lettre :
- L'empereur Honorius vous propose de se rendre à sa justice.
Le général prend la lettre et lit silencieusement,
puis il s'adresse à Héraclien :
- L'empereur me garantit une enquête sous son contrôle
et l'exil avec une rente confortable dans le cas de ma culpabilité.
Mais comment pourrais-je être sûr que ce n'est pas
un piège ?
La sourire disparaît du beau visage du comte qui s'exclame
avec indignation :
- Vos paroles sont passibles du crime de lèse-majesté
! J'ai l'ordre de l'empereur de vous garder et d'assurer votre
protection.
Stilicon le regarde attentivement : le visage du comte garde
une expression aimable mais indéchiffrable, ses yeux froids
n'exprime aucun sentiment. Le général jette un
coup d'il sur les soldats qui se tiennent calmes :
- Pouvez-vous jurer solennellement que vous n'avez pas reçu
l'ordre de me tuer. L'évêque est ici.
- Oui, je le peux.
- Entrez !
Héraclien entre dans l'église. Devant l'évêque
et sous les regards méfiants des soldats et des domestiques
de Stilicon, le comte jure qu'il n'a point ordre de tuer le général
mais seulement de le garder. Stilicon, récemment tout
puissant, qui n'a pas encore cinquante ans et qui est encore
plein de vie et force, décide de se confier à Héraclien.
Le général commence à espérer que
le jeune empereur contrôle maintenant la situation. Il
est habitué à agir vite et sans beaucoup d'hésitation.
Stilicon et Héraclien sortent de l'église et se
dirigent vers les légionnaires qui les laissent passer,
puis les encerclent. Un officier tend à Héraclien
une lettre que le comte lit de haute voix :
- L'empereur Honorius ordonne d'exécuter le général
Stilicon, coupable de complot contre l'Etat et sa personne.
Les deux légionnaires géants se jettent sur le
général et le saisissent par les mains. Stilicon
voit le comte Héraclien souriant et satisfait, il se souvient
des mots de Thermantia : " Honorius n'était jamais
méchant et il te respectait sincèrement. "
Ecuré et indigné, le général
ne résiste pas : " Pourquoi lutter et vivre dans
ce monde si bas et si ingrat ! " Stilicon voit un soldat
s'approcher de lui avec une grande et lourde épée.
Il tend son cou. |