REPRÉSENTATION DE LA GUERRE (1870) ET CONSTRUCTION 

DE LA MÉMOIRE

Copyrigth © 2001

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Septembre 2001 - Avertissement : exception faite de les dernières cartouches, l’article qui suit a été écrit sans que les tableaux originaux aient pu être vus, seulement des reproductions ; quelle que soit la qualité de ces dernières, il y a toujours un peu de pertes ou des déformations entre l’œuvre et ses copies et il est donc possible que certaines appréciations exprimées ici soient faussées ou contestables. D’éventuelles erreurs de jugements conduiront donc peut-être à l'expression de révisions ou de nuances sous la forme d’annexes ultérieures. C'est pourquoi certaines conclusions sont présentées sous forme interrogative, par simple précaution ; que le lecteur nous pardonne cette marque d’incertitude. Toutefois, sachant que le but principal de cet article est de mesurer l’impact d’une peinture sur une génération de Français qui n’en eut connaissance qu’à travers des reproductions (de qualité très certainement moins bonnes que celles que j’ai pu utiliser), les conclusions sur ce thème précis ne devraient pas en être affectées. 

La réflexion qui suit s'inscrit dans l'étude de la mémoire de 1870 à laquelle je me consacre depuis près de 3 ans, maintenant ; il prolonge plus particulièrement les analyses élaborées pour tenter d'expliquer le consentement de la génération de 1914 à la Grande Guerre. Copyright - septembre 2001.


Le désastre militaire de 1870 fut si terrible qu’il marqua profondément la mémoire collective des Français. Peintres et dessinateurs de l’époque n’ont pas échappé au traumatisme qui justifia, aux yeux de toute une génération, l’engagement de la Patrie dans une guerre de Revanche. L’écriture des « souvenirs » a entretenu la flamme patriotique, déréalisant souvent la guerre au point de rendre celle-ci acceptable par ceux qui auraient à y sacrifier leur vie[1]. Mais quelle image en ont donné les artistes ? Le pinceau a-t-il produit les mêmes déformations que la plume ? A l’instar du texte qui ne trouve pas toujours les mots pour dire la réalité, l’image a-t-elle triché et déformé le réel ? Et, si elle l’a effectivement recomposé, dans quel sens l’a-t-elle fait ? Les peintres ont-ils participé à l’œuvre de déréalisation de la guerre et aidé ainsi au « consentement »[2] de celle de 1914 ou furent-ils les hérauts impuissants d’une volonté opposée ? Décuplée par les armes nouvelles entrées en service (mitrailleuses, nouvelle génération d’obus), la violence d’une guerre dite « d’extermination » par ceux qui en furent les témoins, a-t-elle donné lieu à une représentation susceptible de servir les mouvements pacifistes de l’époque ? Et pourquoi ces images de la « boucherie » n’ont-elles pas été suffisantes pour dissuader les jeunes gens de 1914 ? Ces représentations étaient-elles d’une diffusion si limitée qu’elles ne pouvaient atteindre leurs cibles ou les artistes n’ont-ils pas su donner l’horreur à voir ? N’ont-ils « pas su » ou « pas voulu » ?

Pour trouver réponses à ces questions, il faut analyser ce que les œuvres donnent (ou non) à voir ; il faut tenter également de mesurer leur impact par référence à leur destinée : où étaient-elles exposées, qui pouvait les voir, dans quel contexte ? Faut-il encore recenser les tableaux susceptibles de permettre une telle étude. Dans le cadre de la peinture militaire, qui est un genre en soi ayant eu ses spécialistes, ses salons et ses commandes, on pourrait craindre d’être débordé par une masse trop grande d’œuvres. La volonté de fonder la réflexion sur des tableaux (et non des dessins) figurant des moments de combat, des vues du champs de bataille pendant l’action, réduit vite, cependant, ce nombre. En effet, si la peinture militaire des années 1871-1914 fut prolixe, les thèmes qu’elle s’est choisie furent plus souvent relatifs à la vie quotidienne du soldat et aux parades qu’à la figuration des combats eux-mêmes.

Dans la mesure où elle a vocation à mesurer un impact collectif, l’analyse s’appuiera en outre sur les œuvres les plus connues, celles susceptibles d’avoir été assez réputées pour toucher des franges étendues de la population, produites par des artistes dont le travail a été largement diffusé par les médias de l'époque (journaux, brochures, manuels scolaires... etc.) [3]. Dans ces limites strictes, une vingtaine d’œuvres s’imposent : 

                          

- la charge de Mosbronn       et

 

la mort du commandant Berbégier... mort de bergebier.JPG (107767 octets)

...d’Édouard Detaille

 

- la ligne de feu, 16 août 1870 de Georges Jeanniot, 

 

- la charge de Reichshoffen par Aimé Morot, 

 

- Les oeuvres d'Alphonse de Neuville, à savoir (dans l'ordre ci-dessous): 

le cimetière de Saint-Privat, les dernières cartouches, l'attaque dans une rue en plein soleil, la défense de la porte de Longboyau 

attaque dans une rue en plein soleil.jpg (19832 octets)

mais aussi : le combat sur la voie ferrée, l'attaque par le feu d’une maison barricadée et crénelée, les deux scènes de combat dans une église, En avant ! 

 

- la charge d’Elsashausen de Robiquet

 et Froeschwiller de Moreau de Tours, 

et l

L’entrée de Déroulède à Belfort 

par Delahaye

L’attaque de l’infanterie de marine à Bazeilles

 

par Pierre Sergent. 

D’autres œuvres ont marqué les esprits : 

Le panorama de la bataille de Champigny, par exemple  

ou celui de Rezonville (oeuvres communes de Detaille et Neuville), le Bourget et le parlementaire de Neuville ; nous les mettrons à part, cependant, dans la mesure où elles ne représentent pas le combat lui-même, seulement le champ de bataille quand celle-ci est achevée, instant d’apaisement après la tempête qui évite par définition toute mise en scène directe de la violence elle-même. 

 

La violence à l’image

 

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L’asepsie de la violence  

 

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Analyse comparée : Detaille / Wirth

Lorsqu’on jette un œil sur les oeuvres d’Albertus Wirth[19] après avoir étudié les tableaux des peintres français, la différence saute aux yeux et mérite qu’on s’y attarde.

            

Wurtembourgeois_a_Villiers_-_Wirth.jpg (137497 octets)

charge_de_cavalerie_wurtembergoise_-_Wirth.jpg (101142 octets)

attaque_de_Montmesly_-_Wirth.jpg (85145 octets)

NB : Je n'ai pu trouver de reproduction couleur des quelques exemples présentés ci-contre. Pour voir ces couleurs,  se reporter à l'ouvrage dont je donne les références en ressources bibliographiques (conservés à la Bibliothèque de la Ville de Paris).

Comparons la manière de représenter les soldats. Dans les tableaux peint par des Français, les soldats (français, en l'occurrence) sont le plus souvent représentés de face, visages identifiables. Chez Wirth, c’est le contraire : les soldats (allemands, cette fois) sont presque toujours de dos, au mieux de profil. 

 

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Influences d’une peinture et ses limites

 

L’asepsie de la violence peut paraître surprenante. Elle se comprend pourtant aisément. 

 

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En matière de conclusions  

S’intéressant aux souvenirs d’anciens combattants (du Vietnam, notamment), Daniel L. Schacter écrit : « créer des images visuelles peut nous conduire à croire que nous nous souvenons d’un événement même si celui-ci n’est jamais arrivé. En réalisant que les expériences subjectives du souvenir sont renforcées par la présence d’images mentales, nous pouvons mieux comprendre les épisodes où des personnes rappellent des événements horribles qui ne sont jamais survenus » [29]. Cette observation nous conduit à poser la question suivante : ces images mentales « inventées » par des individus choqués peuvent-elles être d’autant mieux "fabriquées" que des illustrateurs offrent à travers leurs œuvres un support concret autour duquel l'invention peut se structurer ? 

 

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[1] Voir Août 1870 : retrouver l’autre guerre. Réflexions faites à partir de 14-18, retrouver la guerre de Stéphane Audoin-Rouzeau et d’Annette Becker (à paraître) et  La préparation des esprits et le moral des Français en 1870.

[2] Nous reprenons ce mot à Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker qui se posaient la question des origines de ce « consentement », in 14-18, retrouver la guerre, Paris 1999.

[3] François Robichon précise : « Si leurs tableaux créent souvent l’événement au Salon, ils ne font pas l’unanimité. Certains esprits regrettent que les pinceaux français mettent sous les yeux du public des scènes qui rappellent les revers les plus douloureux. Pourtant, tous sont obligés de reconnaître que la foule se presse devant les tableaux de Detaille, de Neuville et de Berne-Bellecour. La presse populaire leur accorde une place privilégiée et reproduit les oeuvres qui ont été plébiscitées », in l’armée française vue par les peintres, 1870-1914,Herscher, Paris 1998 ; p.21.

[4] Dans l’attaque d’un convoi par des cuirassiers prussiens, tableau que nous n’avons pas pris dans notre échantillon de départ, Édouard Detaille choisit de représenter l’assaut en se plaçant sur le côté de la scène. Sa position conduit à voir les Prussiens qu’il peint en premier plan, de flanc voire de ¾ arrière. Ce sont ainsi – et encore ! – les Français, bien qu’ils ne soient plus sujet principal de l’œuvre, qui sont montrés de face.

[5] On la retrouve dans la mort du commandant Bergebier et aussi dans les tirailleurs de la Seine à la Malmaison de Berne-Bellecour, tableau non retenu dans notre sélection parce que le peintre ou spectateur est placé de telle manière (derrière la ligne des soldats) que  le champ de bataille n’est pas visible. Dans sa conception générale, nous n’en avons pas moins là une œuvre très différente des autres.

[6] Dans une première esquisse, Detaille n’avait pas figuré de barrière au premier plan ; l’effet de nasse s’en trouvait amoindri. Une échappatoire semblait possible en avant des cavaliers. Mais, si l’idée du piège était moins nette, la violence du combat s’en trouvait renforcée. Detaille avait en effet pu placer trois cadavres au 1er plan et joué davantage sur les refus des premiers chevaux. Au niveau de la représentation de la violence, l’esquisse semble ainsi avoir plus de force que la réalisation finale.

 

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[19] cf. Die Wurtemberger vor paris, 1870 ; bilder und Episoden aus der ersten und zweiten Schlacht bei Villiers und dem Gefechht bei Mont Mesly, Stuttgart, Emile Müller, s.d.

 

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[29] A la recherche de la mémoire, Le passé, l’esprit et le cerveau. De Boeck université, Paris 1999 ; p.39.

 

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Un internaute, Jean-Marc Largeaud, m'a écrit (février 2002). Je l'en remercie vivement. Ses commentaires et mes réponses.

 

JML : Sur le corpus, il manque les Zouaves pontificaux (Loigny, par Castellani).

 

Certes; et il manque d'autres oeuvres encore. Mais j'ai voulu concentrer ma réflexion sur la seule représentation des grandes batailles de l'été 1870, moment les plus violents et meurtriers, les plus décisifs aussi. A l'occasion, je ferai peut-être un article complémentaire sur les représentations de l'autre guerre, celle qui commence après la chute de Metz !

 

JML : Sur l'analyse des peintures, il faudrait sans doute accorder plus de place à la représentation - ou à l'absence de représentation - des aspects tactiques de la bataille .

 

Peut-être ; je pense toutefois que les artistes n'avaient pas ce souci et que ce qui est, précisément, conforme à la réalité, c'est le fait que les combattants n'avaient aucune vision de la tactique en cours (pour autant que, dans certains cas, il y ait pu en avoir une). Deux raisons à mon propos : 1/ tous les témoins le disent : dans le combat, ils ne voient pas grand chose. Ils ont un objectif, mais ils savent rarement pourquoi ils doivent l'atteindre. Ils ne se posent d'ailleurs pas la question. 2/ Que ce soit à chaud ou dans leurs souvenirs, les combattants disent assez souvent (entre les combats) ne pas comprendre les mouvements qui leur sont imposés. A ce titre, je pense donc que les tableaux sont assez réalistes.

Maintenant, je vous l'accorde, on pourrait très bien envisager d'illustrer un présentation de la bataille par ces oeuvres et tenter de montrer où se situe l'épisode mis en scène. C'est une idée, pour une nouvelle page du site. Je vais y réfléchir.

 

JML : A mon sens , il n'y a pas de représentation d'épisode sans référence précise à la bataille. Quant au réalisme...

il faudrait sans doute indiquer plus fortement que la peinture donne à voir non "l'image" de la guerre de 1870, mais des images seulement. Autrement dit, à l'exception des "Dernières cartouches" et à un moindre degré des cuirassiers de Reichshoffen, quelles sont les images dominantes de la guerre de 1870 ?

 

A brûle pourpoint, je dirai : une guerre meurtrière et "d'extermination" ; un désastre.

Une guerre de mouvements, d'ordres, contre-ordres et désordres; mal dirigée, mal préparée.

Une guerre de "jambes" pour reprendre une expression utilisée lors de l'expédition du Mexique.

 


 

 

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