Mythes
et phantasmes au coeur de l’intervention française au Mexique
(1862-1867)
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1990 - cet article a été écrit dans le cadre d'une réflexion collective sur "l'imaginaire politique en Amérique ibérique entre 1700 et 1914", réflexion présidée par le Professeur Frédéric Mauro.
En 1862, La France engagea son armée au Mexique. Cette malheureuse expédition eut la particularité d’entretenir des fictions qui trahissent ses lubies et aident à mieux cerner sa personnalité : la légende dune richesse mexicaine précipita l’intervention ; mais la France renouait là avec le vieux mythe de l’El dorado qui anime les peuples fascinés par leur propre succès. Elle s’effraya aussi d’une menace américaine sur - estimée, obsession typique d’une nation qui, doutant de son propre droit, exaspère ses phantasmes. Elle s’enlisa enfin, au nom du Progrès, dans une politique indigéniste déplacée. Autant de phantasmes propres a la modernité positiviste du XIX ème siècle.
En 1862, Napoléon III engageait I’armée française dans une intervention lointaine qu’il espérait fructueuse. Chargé d’annoncer au Corps législatif la mise en oeuvre de l’expédition, le ministre Rouher la présenta même comme la grande pensée du règne. L’affaire du Mexique s’inscrivait en effet dans le cadre d’un projet géo-stratégique si judicieux qu’elle méritait sans doute une telle qualification. Ayant eu à observer l’expansion nord-américaine sur le continent et ayant fait siennes les analyses de Tocqueville qui prophétisait la future primauté internationale des États-Unis, Napoléon III s’était convaincu des nécessités de constituer en Amérique latine une puissance (dont la France serait le principal pivot) capable de faire contrepoids aux intérêts anglo-saxons dans le monde. S’il acceptait donc de risquer au Mexique l’honneur de la Nation, ce n’était pas pour répondre aux vœux de quelques exilés venus solliciter son aide. L’enjeu consistait davantage à prendre pied dans cette tête de pont commerciale sur /a route de l’ extrême orient (1) qui, ouverte sur deux océans et située à proximité des isthmes clés de Tehuantepec et Panama, occupait une position stratégique incontournable. L’expédition fut pourtant un fiasco. Entre l’idée d’un empire pan latiniste et sa réalisation s’interposèrent des obstacles techniques, financiers, diplomatiques, militaires et politiques que la France fut incapable de surmonter. Mais l’affaire eut aussi la particularité d’entretenir toutes sortes de fictions qui accompagnèrent le désastre quand elles ne le précipitèrent pas. Certaines illustrent même les phantasmes que les Européens, et les Français en particulier, pouvaient entretenir sur eux mêmes ou le monde environnant. Au delà de l’événement, l'intervention ne manque donc pas d’intérêt dans la mesure où elle peut être le miroir d’un imaginaire collectif à travers lequel on pourra mieux cerner la personnalité de la France impériale.
La légende de l’EI dorado
Contrairement
à ce que dirent nombre de contemporains qui avaient peu d’estime pour lui,
l’empereur ne s'engagea pas dans l’expédition mexicaine sur un coup de tête.
La France profitait d’une opportunité internationale (les États-Unis étaient
en pleine Guerre de Sécession) et elle s’associait à l’Angleterre et à
l’Espagne pour défendre une cause qui avait l’agrément de Rome comme de
Vienne, puissances que Napoléon III n’entendait pas contrarier. Les risques
d’échec apparaissaient donc mineurs et l’investissement promettait
d’importants profits : acquisition de droits ou concessions sur les mines
du Sonora, contrôle du
commerce du coton au moment où la production américaine se ralentissait pour
cause de guerre civile, ouverture de nouveaux marchés quand ceux de l’Europe
se réduisaient, exploitation de nouvelles matières premières, etc.
Ceci
étant, les Français se faisaient une idée de la richesse mexicaine qui
Cette
légende
d’une richesse mexicaine n’émanait
pas de la génération spontanée.
Elle était la rançon
des
promesses faites par une multitude de
voyageurs et
savants (6) qui,
pendant près d’un demi-siècle, s’étaient
évertués à dresser un tableau onirique du pays. S’inspirant du
témoignage d'Alexandre de Humboldt, mais en
l’expurgeant de tout ce qui y était négatif, ils contribuèrent à l'élaboration
d’un véritable mythe. Fascinés par le potentiel agricole ou minier du territoire mexicain, ils
omirent de rappeler les famines, les ravages des
pluies, les méfaits des maladies, l’absence de voies d’eau. l’inexistence
des routes, la misère, que le
savant allemand
s’était efforcé de
souligner. Dès lors le leurre fut complet. Certes Clément
Duvemois ne
voyait
aucun
intérêt qui justifie notre intervention
(7) ;
André Cochut tentade dénoncer ce
rêve d’enfant qui laisse croire qu’on puisse
improviser
la
richesse dans un pays ou
n’existent ni
population, ni route,
ni
capitaux,
ni énergie industrielle
(8) ;
souvent
il réitéra ses avertissements pour dissiper ce
nuage légendaire où le Mexique
apparaiî comme une espèce d’El dorado
(9). Mais
tous ces efforts furent vains : l’illusion collective de l’El dorado mexicain étouffait ces voix
pessimistes.
Ainsi
la France renouait-elle avec le vieux mythe dont le Mexique avait déjà été
l’horizon privilégié. Le jeune État indépendant redevenait le point
d’ancrage d’un rêve de fortune
qui s’affirme dans toute société dépassée par son propre succès,
Car
le mythe de l’Eldorado se développe davantage dans une société qui triomphe
sans être capable d’offrir à tous ses membres la réussite qu’elle propose
en modèle que dans un univers en crise; cette fascination pour une fantasmagorie
est plus souvent te lot d’une communauté capable de lancer ses
trop pleins d’énergie à la conquête de nouvelles richesses que celui d’un
peuple accablé, elle est plus sûrement le rêve de l’Espagne conquérante du
XVlème siècle que celle décadente du XVlIIème. En pleine révolution
industrielle, la France de Napoléon III fantasma de même sur l'el dorado
mexicain dans la mesure où le mythe répondait à ses ambitions matérielles et
stratégiques autant qu’à ses besoins oniriques d’expansion.
Le
phantasme
de la menace extérieure
Puissance
mondiale, la France avait les moyens des plus folles conquêtes, elle était en
mesure aussi de profiter de sa force pour satisfaire des appétits toujours plus
grands. Elle avait encore beaucoup à gagner ou à prendre, ne serait-ce que pour
consolider ses positions. Mais elle avait surtout beaucoup à perdre : des intérêts
économiques, ses colonies antillaises, une image de marque, des amitiés, la
primauté internationale... Face à des concurrents impitoyables, prêts à tout
pour la supplanter, elle ne pouvait pas considérer ses voisins comme de simples
partenaires avec lesquels échanger : ils étaient des ennemis potentiels dont
elle devait se méfier. Les États-Unis étaient de ceux-là et l’opinion en
France se laissa envahir par le jeu des peurs exagérées, de ces craintes que
nourrissent ceux dont la richesse prête à l’envie.
Ainsi
Napoléon III et ses compatriotes acceptèrent “l’aventure” mexicaine;
mais ce ne fut pas pour secourir ces Français d’outre-mer que les juaristes
avaient dépossédés de leurs biens. La
grande
pensée de
l’empereur était de contenir l’expansionnisme américain. Dans ses
instructions au général Forey, Napoléon IIIdisait clairement vouloir opposer une
digue infranchissable aux empiétements des Etats-Unis afin de maintenir l’indépendance
de nos colonies aux Antilles.(10). Quelques
raids américains suffirent à entretenir une telle crainte. La France
s’engagea donc parce qu’elle s’estimait menacée. Son inquiétude était
d’ailleurs générale et assez répandue pour qu’on en retrouve la trace
dans la correspondance de nombreux soldats: pauvres
sots qui ne comprennent pas que lorsque nous
Certes
une telle peur n’était pas dénuée de fondements. La jeune nation américaine
était une puissance en gestation qui s’étendait territorialement autant
qu’elle se développait économiquement. Mais évitons de juger du bien fondé des peurs françaises et de nous extasier
de la lucidité des soldats de Napoléon III par référence à ce que nous
savons des États-Unis d’aujourd’hui. Il est certain que l’Union a accompli
ce que craignaient les sujets de l’Empereur Mais rien ne se passa comme
ceux-ci le redoutaient : les
Américains ne sont pas intervenus militairement au Mexique après 1867, ils
n’ont pas mangé
leur
voisin, ni ne l’ont
exproprié,
ou
fait
disparaître.
Si,
à la base de la peur française, il y avait une part de clairvoyance, celle-ci
ne sut pas se contenir dans les limites du raisonnable. Car les intérêts
directs de la France ne furent jamais aussi menacés qu’il fut prétendu. Occupés
par leur guerre civile les Etats-Unis n’étaient pas en mesure d’intervenir où
que ce soit ; c’était même l’une des raisons pour laquelle Napoléon III
avait accepté d’engager son armée. La menace n’était donc pas aussi
fomidable que supposé. Mieux : rédacteur en chef de l’Ère
nouvelle, journal
français
de Mexico, puis du Courrier
de New-York,
Etienne
Masseras rapporte que
l’opinion américaine était favorable à l’intervention française en 1863
dans la mesure où l’instabilité
mexicaine entravait toute possibilité d’affaires commerciales.(13). Les
Américains avaient même négocié, en mars 1864, un emprunt en faveur de
Maximilien (14). Bien sûr, Washington soutenait Juarez :
le
général Grant voulait intervenir et la tension fut vive en 1864-1865. Mais
tout en connaissant les préférences républicaines de Washington, Paris savait
de sources sûres que celles-ci seraient toujours supplantées si Mexico
connaissait un régime stable avec lequel les États-Unis pourraient entretenir
des relations de bon voisinage. Tout en invitant Napoléon III à abandonner la
partie mexicaine, Seward faisait le nécessaire pour rassurer la France sur ses
intentions (15), écartant même des affaires les partisans de la
guerre (16). Si donc, l’intervention américaine a toujours été de
l’ordre du plausible, elle était trop risquée pour être vraiment engagée
et, dans les chancelleries, tout le monde le savait.
A
partir de 1866, la menace américaine provoqua un curieux mais significatif
renversement de l’opinion française non seulement il était de moins en moins
question d’intervenir au Mexique pour contenir les USA, mais il fallait, au
contraire, abandonner Maximilien pour éviter l’affrontement. Autrement dit la
même cause suscitait une conséquence
inverse.
Certes la Guerre de Sécession était terminée, Napoléon III ne pouvait plus
compter sur les confédérés et Seward se faisait plus pressant pour que la
France se retire. Pourtant là encore, la peur d’un conflit était surfaite :
Les États-Unis n’avaient aucun intérêt à déclencher une guerre coûteuse
quand ils se relevaient à peine d’une autre. Ils savaient, par ailleurs que
Napoléon III était décidé à rapatrier ses troupes, que ce n’était
qu’une question de temps et d’honneur. Comme le soulignait d’autre part
Henri Loizillon, les
Américains savent bien qu’en France l’opinion publique est toute entière
contre
la
guerre du Mexique
(17).
Pourquoi,
en ce cas, se seraient-ils empêtrés dans un conflit dommageable pour tous ?
Dans
ses instructions à son ambassadeur à Paris, Seward était formel : les
États-Unis
désirent cultiver des relations d’amitié avec la France
(18).
Certes,
celles-ci supposaient des conditions, mais pour prouver ses bonnes Intentions Seward n’hésita pas à faire réduire le
budget militaire américain et à démobiliser bien avant qu’elles ne fussent
remplies. De son côté, le ministre des Affaires étrangères français, Drouyn
de Lhuys, était convaincu que les États-Unis étaient prêts à reconnaître Maximilien si l’armée française se retirait. Il avait sans doute raison :
l’instabilité politique mexicaine et l’expression nationaliste de la république
libérale n’avaient pas forcément la sympathie de Washington. Du moment
qu’ils y trouvaient leur compte, les Américains étaient prêts à accepter
le régime mexicain, quel qu’il fut.
Peu
à peu, tout risque de conflit s’estompa : Napoléon III avait tranché et
promis une évacuation pour l’été. Les deux nations ne s‘affronteraient
pas. Pourtant, la peur de l’expansion américaine ne se dissipait pas. Les
partisans de l’intervention se mobilisèrent au contraire pour décrier le lâche
retrait qui ferait la puissance américaine aux dépens de l’Europe et de la
France. Après avoir tant fait pour accréditer la légende de la richesse
mexicaine, Michel Chevalier reprit la plume pour en appeler à l’union européenne
face à la menace. Paru dans la Revue
des deux mondes en
juillet 1866, son plaidoyer peut paraître étonnant de mauvaise foi. Pour
appuyer son idée, il avançait quatre arguments : en
1900, prévenait-il.
les États-Unis compteraient cent millions d’hommes soit autant que l’Europe;
pour la formation de la richesse, ajoutait-il,
pour
l’activité pour l’initiative en tous genres, la moyenne de l’Amérique
est au moins égale à celle de l’Europe. A ces divers titres, cent millions
d’Américains représenteraient un nombre plus grand d’Européens. Un
calcul curieux et bien aléatoire
Était-il
bien de l’intérêt français de
laisser se développer de l’autre côté de l’Atlantique, une immense
association républicaine dont les éléments (...)
se transformaient au contact de la race anglo-saxonne, jusqu’à en prendre
l’esprit, se
demandait le général du Barail. [Napoléon III] voyait
dans les contingences futures et dans l’hypothèse d’un conflit entre la
France et la Grande-Bretagne, une marine formidable se précipitant au secours
de l’Angleterre, à laquelle ses marins seraient unis par une fraternité
atavique. Il voyait le continent du nord, débarrassé des rivalités qui
entravent les nations européennes, appliquer les bras et les cerveaux de ses
millions d’habitants à une lutte économique dans laquelle la vieille Europe
finirait par être vaincue.(20).
En
dépit d’une certaine lucidité dont pouvait faire preuve cet officier, il
exprimait lui aussi une crainte du phantasme anglophobe, lequel se doublait
d’un complexe d’intériorité qui aurait affecté nombre de Français de
l’époque : ces derniers ne s’apitoyaient-ils pas sur leur inaptitude à
coloniser comme les Britanniques (21) ou sur l’incapacité française
à l’expansion par le fait d’un caractère casanier propre aux races latines
?
Parallèlement
(et paradoxalement ?),
l’opposition métropolitaine s’ingéniait à
exposer toutes les raisons qui poussaient les Américains à entretenir une
animosité belliqueuse, ceci en vue de favoriser le développement d’un
courant d’opinion hostile à l’intervention. La peur, là encore, servait de
faire-valoir politique. Mais cette inquiétude si malléable fut-elle fabriquée
de toutes pièces pour les besoins des différentes causes en jeu ? C’est
possible, bien que ce soit peu probable. On peut penser en effet que
l’intervention favorisa l’expression d’une angoisse à la limite de la
paranoïa et que celle-ci fut savamment entretenue pour servir divers
Le
mythe du Progrès
L’intervention se développa à la faveur d’une légende, elle favorisa l’expression d’inquiétudes profondes elle fut encore l’occasion d’une illusion indigéniste très révélatrice. En débarquant, les Français furent flattés de se voir acclamés par les populations indiennes du pays. Celles-ci adhérèrent à la cause impériale et beaucoup d’Indiens furent parmi les alliés les plus sûrs de la France. Les trois-quarts de ceux qui s’engagèrent activement le firent au service de l’empire?(25) Les Français décidèrent alors de développer une politique indigéniste qu’encourageait l’indiomanie de Maximilien d’une part, la survivance du mythe du Prince blond qu’ils découvrirent sur place d’autre part. Il ne fait pas de doute que la population indienne approuva l’intervention, laquelle leur offrait leur meilleure opportunité depuis 1521 (26). Et les soldats du corps expéditionnaire se prirent d’une sympathie pour les indigènes qui n’avait d’égale que leur mexicanophobie. Ainsi le général Brincourt s’étonnait-il de la familiarité qui marquait les relations de ses hommes avec les Indiens (27).
Cette
adhésion indienne au nouveau régime avait de bonnes raisons : l'intervention était
une occasion de se venger d’une élite mexicaine peu soucieuse des intérêts
des communautés, méprisante et, d’une certaine façon, ethnocidaire ; elle était
un moyen de briser la loi Lerdo de désamortisation des terres. Mais l’adhésion
répondait aussi aux espérances entretenues par la mythologie indienne : vieille
résurgence du mythe de Quetzalcoatl, la reconnaissance du
Prince
blond rédempteur
en la personne
Mais la généreuse ambition n’était qu’un rêve
que les philanthropes
Ce
qui
est intéressant ici c’est de voir comment, dans le
temps de l’intervention, les Français ont parcouru tout le cycle des
illusions positivistes
: découvrant l’indien, ils se sont d’abord laissés envahir par la générosité
du mythe du bon sauvage, envisageant de prendre l’homme dans son état de
nature et d’en pétrir la pâte pour régénérer le Mexique ; ils faisaient
alors du ‘racisme de degré” (33) lequel constate des niveaux différents d’évolution
mais qui n’ont rien d’irréversibles. Mais déçus par la “passïvïté”
indienne et incapables de comprendre ce que souhaitait cette minorité, les Français furent gagnés par l’outrance du “racisme de
nature”. Cette évolution est à la mesure des désillusions rencontrées mais
aussi des
prétentions d’une nation pénétrée du mythe du Progrès et qui s‘impose un devoir civilisationniste. C’est là le phantasme
d’une communauté d’hommes
qui ont rompu avec le passé et qui, forts de la Vérité qu’ils ont conquise,
se définissent une mission apostolique et universaliste. Nous étions nous-mêmes si infatués de notre science et de notre prétendue
Mais
le drame en cette affaire résidait surtout dans la rencontre frustrante entre
cette suffisance oecuménique et l’attente messianique des Indiens, cette
rencontre et alliance entre deux rêves qui ne pouvaient pas s’ajuster, entre
deux fantasmagories qui faisant ou nourrissant l’événement, ne pouvaient
ouvrir que sur un triste échec.
Légende
de l’El dorado, phantasme de la menace extérieure, mythe du Progrès,
l’intervention française a favorisé l’expression de véritables lubies
collectives. Elles furent peut-être sans grandes conséquences historiques
— sinon de précipiter la France dans une guerre qu’elle a perdu —
mais elles témoignent de la personnalité momentanée d’une nation. Toutes
ces idées fausses auxquelles celle-ci s’attacha n’étaient pas seulement le
fruit d’une mégalomanie napoléonienne ; elles étaient l’héritage d’une
puissance poussée par le Progrès à conquérir toujours de nouvelles
frontières donc à se répandre (en suscitant la motivation adéquate) et
à convenir ou à éliminer les séquelles du passé ; à craindre, parallèlement,
tout ce qui pourrait retarder ou détourner la Mère-Patrie de son Apothéose.
La France de Napoléon III au Mexique ne fit jamais qu’entretenir les
phantasmes propres à la modernité positiviste, lesquels l’aveuglèrent
jusqu’au fiasco final. Napoléon III commit l’erreur de l’intervention non
seulement parce qu'il fut trompé par son entourage et sous estima les difficultés
techniques d’une telle entreprise, mais aussi parce que les préjugés de ses
contemporains l’y conduisaient naturellement.
Pour
terminer, signalons que l’intervention suscita d’autres mythes qui s’épanouirent
au delà d’elle-même. Dans le contexte nationaliste et revanchard de 1890, de
nombreux soldats publièrent leurs souvenirs pour réhabiliter l’honneur perdu
d’une armée qui n’avait pas démérité. Là encore, la légende
s’inscrit en lettres d’or dans la mémoire collective. Car si le corps expéditionnaire
sut tenir son rang, la campagne mexicaine ne fut l’occasion d’aucune
bataille digne des plus grands panégyriques. A contrario de ceux-ci, les
correspondances de l’époque témoignent : l’ennui
est général, chacun voudrait voir la fin de cette triste expédition qui n a
pour les officiers que des désillusions de tous genres, pour les soldats que
des fatigues sans gloire, écrivait
par exemple le capitaine Ledémé (35) ; entre la réalité du moment et les récits
apologétiques ultérieurs s’ouvre toute la profondeur du mythe.
De
même, emportés par un élan nationaliste, les historiographes mexicains firent
de l’intervention un des moments-clés de la construction de la Nation, soulignant (entre autres choses) la levée
en masse du peuple pour chasser l’armée étrangère. Ici resurgit le mythe de
la cohésion populaire, celui des soldats de l’An II unis dans un grand élan
généreux et fraternel pour fonder l’unité nationale On nage en plein
Jean-François Lecaillon
NOTES
(1) Valori, prince Henry de, L'expédition
du Mexique réhabilitée du triple point de vue religieux, politique et
commercial. Paris, Dentu. 1864, p. 21.
(2) Chevalier, Michel, Le Mexique
ancien et moderne. Paris, Hachette, 1662. cité par Quirarte, Historiografia
sobre el imperio de
Maximiliano. UNAM, Mexico, 1970. 1ère
partie.
(3)
Frelaut. capitaine, Lettres... in carnet
de la Sabretache, 5e série, n°392, Paris, 1938,
lettre du 25 septembre 1862.
(4)
Wallon, Émile, Souvenirs d’un
officier
belge au Mexique, 1864-1866,
Paris, Tanera, 1868, notes du 25 novembre 1864.
(5) Valori. Ibid., p. 22
(6)
Citons pour mémoire les noms de Isidore Löewenstern, Emmanuel Domenech,
Jean-Jacques Ampère, Matthieu de Fossey, Edgar Quinet, Charles Lemprière,
Eugène Lefèvre, Désiré Charnay, le baron de Bazancourt. Voir Quirarte, Ibid.
(7)
in Le Temps du 3 septembre 1863
(8)
in Le Temps des 28 et 29
octobre 1863, Cochut dénonce la légende de la richesse mexicaine.
(9) in Le Temps du 28 janvier 1865. Voir aussi l’article du 5juin 1865.
(10) Archives de l’année à
Vincennes, carton G7 07
(11)
Loizilon, Henri : Lettres
sur l’expédition du Mexique, Paris, 1890. Lettre du 27avril 1865.
(12) Walton, Ibid. notes du
28 août
1866.
(13) Masseras, Etienne, Un
essai d’empire. Paris, 1879.
(14)
La lettre de Dayton à Seward authentifiant cet emprunt est citée dans l’Ère
nouvelle du 1er février 1866.
(15) Le 6 décembre
1865, Seward admettait auprès de Montholon que les États-Unis ne se sentent pas
appelés à faire une guerre de propagande dans le monde (...) pour
la cause républicaine; document cité par L'ère
nouvelle,
le 1er février 1866.
(16) Hanna, Alfred J. et Kathryn, A., Napoléon III and Mexico, american triumph over monarchy, Chapel Hill, 1971. Voir le chapitre 21.
(17) Loizillon, Henri. Ibid., Lettre du 6 février1966.
(18) Lettre du 16 décembre 1865, citée par l’Ère nouvelle du 1er février 1866.
(19)
l’Ère
nouvelle du 27 juin 1866.
(20) Barail, général François
du : Mes
souvenirs, Paris, Pion, 1913. p. 290.
(21)
Suckau. Henri de : Deux
interventions en Amérique Mexique et Honduras, Paris,
Dentu, 1869, p. 2.
(22)
Propos tenus par Monsieur de Saint-Marc Girardin dans
le Journal des débats, cité par ‘lEre nouvelle
du 17 février 1866.
(23)
Martray, générai du : Lettres du Mexique, carnet de la Sabretache, 3e série, Paris, 1922.
Lettre du 28 décembre 1866.
(24)
Mismer, Charles : Souvenirs de la Martinique et du Mexique.., Paris, Hachette. 1890,
p. 226.
(25)
Lecaillon Jean-François : Les Indiens face à l’intervention française, thèse, Paris-Sorbonne,
1984.
(26) Dabbs,
Jack Autrey, The french army
in Mexiko. 1861-1867,
The Hague, 1963, p. 114.
(27) Rapport de décembre 1862, Archives de Vincennes, carton G7 11.
(28)
Suckau, ibid., p. 189.
(29) Loizillon.
Ibid. p. 169.
(30)
Ledémé, Philippe, Lettre à
sa famille..., Montligeon
(Orne), 1905. Lettre du 1er mars 1865.
(31)
Pimentel Francisco, Memoria sobre
las causas que han
organizado la
situacion actual de la
raza indigena
de Mexico,
Mexico,
1864, p. 200.
(32)
Haviland. John de : Le Mexigue sous la Maison de
Habsbourg, Vienne, 1663, pp.
(33)
Terminologie empruntée à Grigorieff, Vladimir : Les mythologies du monde enter, Paris, Marabout, Al!eur, 1987, pp..
345-350.
(34)
Du Barail : Ibid., p. 289.
(35)
Lédémé, lbid.
: Lettre du 5 septembre 1865.
(36)
Ruiz, Eduardo : Historia de la guerra de
intervencion en Michoacan, Mexico, 1896.