|
|
Galilée et les poissons rouges
Jai raconté deux fois la vie dEinstein. Je lui ai
aussi consacré une petite dramatique radiophonique,
diffusée sur France-Culture.
Quand on fréquente Einstein, on rencontre forcément Galilée.
En effet, le mot relativité a été inventé
par Poincaré pour décrire la théorie du mouvement
de Galilée. Einstein a modifié un peu cette théorie
dans un article intitulé Électrodynamique des corps
en mouvement. Max Planck, qui a publié larticle, trouvait
le titre fastidieux à prononcer (surtout en allemand). Il disait
plus volontiers la relativité dEinstein en référence
à celle de Galilée. Einstein lui-même trouvait lusage
du mot relativité mal adapté à sa théorie.
Il aurait préféré lexpression principe
dinvariance.
Bref, jai rencontré Galilée et je lai trouvé
intéressant et sympathique. Jai décidé de mieux
le connaître et jai fini par raconter sa vie.
Livre publié par Le Pommier en mai 2010.
180 pages.
|
|
Que viennent faire des poissons rouges dans le titre?
Copernic avait tiré de loubli une hypothèse connue
dès lantiquité grecque: ce nest pas le soleil
qui tourne, cest la terre. Quand Galilée a regardé
le ciel à travers une lunette en 1609, il a découvert que
la planète Vénus avait des phases comme la lune, ce qui
saccordait bien avec lhypothèse de Copernic. Encore
fallait-il répondre à une objection déjà formulée
par Aristote: si la terre tournait vraiment à plus de 1000 km/h
(trente mille kilomètres environ, à la latitude de Florence,
en vingt-quatre heures), nous aurions du mal à rester debout et
les feuilles tomberaient à dix kilomètres des arbres, etc.
Galilée donne lexemple suivant pour montrer que le mouvement
est toujours relatif, cest-à-dire que le mouvement dun
bateau ou de la terre ne nous affecte pas.
Enfermez-vous avec quelques amis dans une cabine sous le pont dun
grand navire. Vous y aurez placé un aquarium rempli deau
où nagent quelques poissons, une grande cage contenant des papillons
et des petits oiseaux, un petit seau suspendu au plafond dont leau
coule goutte à goutte dans une bouteille. Quand le navire est immobile,
observez comment les oisillons volent dans toutes les directions avec
la même vitesse, comment les poissons nagent indifféremment
dans un sens et dans lautre, comment les gouttes tombent toutes
dans le vase. Si vous jetez une balle à votre ami, leffort
est le même où quil soit placé. Si vous sautez
à pieds joints, vous franchirez le même espace dans une direction
que dans une autre. Ensuite, demandez au capitaine de mouvoir le navire
à nimporte quelle vitesse, à condition que le déplacement
soit uniforme, sans balancement, et suive une ligne droite. Vous ne constaterez
aucun changement dans les effets observés auparavant. Aucune observation
ne vous permet de savoir si le navire est immobile ou se meut.
Aujourdhui on imaginerait plutôt un voyage en avion ou en
TGV. Nous marchons aussi facilement vers lavant que vers larrière
du train. Nous ne sentons pas quil avance à 300 km/h.
|
|
Lexemple des poissons rouges qui ne perçoivent pas le mouvement
du bateau montre que la terre peut bouger tout en nous paraissant immobile.
Pour expliquer comment une chose aussi étrange est possible, Galilée
doit réinventer le mouvement.
Selon Aristote (dont la pensée a encore force de loi au temps de
Galilée), les objets sont paresseux et ne souhaitent quune
chose: limmobilité. Ils bougent seulement quand une force
extérieure les pousse. Par exemple, le boulet de la catapulte monte
parce que la nacelle le soulève.
Merveille de la technologie moderne: approchez la souris de la catapulte
et maintenez-la dans le cadre pour animer l'image. [J’ai dit souris: cette animation ne fonctionne pas bien sur une tablette. Idem pour les suivantes.]
Aristote voit bien que le boulet continue à bouger quand la nacelle
cesse de le propulser. Cest quil déplace des particules
dair, dit-il, qui veulent revenir à leur place pour se reposer.
Ce faisant, elles poussent le boulet. Il va déranger dautres
particules, qui le poussent à leur tour, et ainsi de suite.
Dès le Moyen-Âge, des petits malins remarquent que les particules
dair peuvent pousser un boulet dodu, mais quon les imagine
mal poussant un javelot pointu en ses deux extrémités.
Galilée inverse lhypothèse dAristote. Pour lui,
la paresse des objets les empêche de modifier leur comportement.
Quand ils bougent, ils continuent à bouger. Quand ils sont immobiles,
ils restent immobiles. Cette paresse des objets porte aujourdhui
un nom technique: linertie.
Soulevé par la nacelle, le boulet acquiert ce quon appelle
une quantité de mouvement". Quand la nacelle cesse de
le propulser, il conserve cette quantité de mouvement. On nomme
principe dinertie cette conservation. Le boulet ralentit
parce que les molécules dair, loin de laider à
avancer, le freinent peu à peu.
Imaginons une catapulte sur la lune, où il ny a pas dair.
Selon Aristote, en labsence de particules dair pour pousser
le boulet, il tombe à la verticale dès que la nacelle le
relâche. Selon Galilée, il va beaucoup plus vite et plus
loin dans le vide que dans lair. Il finit par tomber au sol à
cause de la pesanteur, comme sur terre.
|
|
Les textes dAristote étaient à peu près aussi
sacrés que les Évangiles. Si cétait écrit
dans Aristote, cétait forcément vrai. Galilée
na pas peur de sattaquer aux dogmes. Comment décider
si un objet en mouvement préfère continuer à bouger
ou sarrêter pour se reposer? Il suffit dessayer,
dit Galilée. Il invente la méthode expérimentale.
L'image ci-contre illustre lune de ses expériences, qui utilise
deux plans inclinés. Les virtuoses du skateboard font des acrobaties
sur des dispositifs analogues.
La boule remonte presque à sa hauteur initiale. La différence
est due au frottement des plans inclinés, qui la ralentit un peu.
Si on abaisse le second plan incliné, la boule remonte toujours
à la même hauteur, donc elle parcourt une distance plus grande.
Quand le second plan devient horizontal, la boule va au bout du monde
ou plutôt, irait au bout du monde si le frottement ne finissait
par larrêter. Approchez la souris et maintenez-la dans le
cadre pour voir une animation représentant lensemble de lexpérience.
Galilée prouve ainsi le principle dinertie: la boule conserve
sa quantité de mouvement et continue indéfiniment à
bouger.
|
|
Encore une histoire de bateau.
Pour les gens qui suivent Aristote à la lettre, la chaussure cesse
dêtre poussée horizontalement quand elle quitte le
pied du marin. Elle navance plus alors que le marin continue davancer.
Résultat, elle ne tombe pas au pied du mât, comme elle le
ferait si le bateau était immobile, mais loin derrière.
Cest ce qui se passe si vous approchez la souris de limage
du haut.
Galilée se moque des imbéciles qui prétendent que
la chaussure tombe dans la mer. Avez-vous essayé?" leur
demande-t-il. La chaussure a acquis une certaine quantité de mouvement
horizontal. Quand elle quitte le pied du marin, elle conserve cette quantité
de mouvement (selon le principe dinertie et continue à avancer
à lhorizontale en même temps que le bateau. Elle tombe
donc le long du mât et sarrête au pied du mât.
Passez la souris sur limage du bas pour voir ce qui se passe en
réalité.
La réalisation de cette expérience est une autre manière
de prouver le principe dinertie.
|
|
Lillustration ci-contre illustre un sujet qui na pas de rapport
avec le mouvement de la terre: la pesanteur. La Bible nen parle
pas, donc Galilée noffense pas lÉglise en labordant.
Il commet tout de même un nouveau crime de lèse-majesté
puisquil sattaque une fois de plus à Aristote.
Pour le philosophe grec, les objets lourds tombent plus vite que les objets
légers. Un objet deux fois plus lourd quun autre tombe deux
fois plus vite.
Galilée pense et démontre que tous les objets
tombent à la même vitesse. Cest très facile:
il suffit de monter en haut de la tour de Pise et de laisser tomber un
boulet de canon et une balle darquebuse. Selon Aristote, si on suppose
le boulet dix fois plus lourd que la balle, celle-ci na pas le temps
de parcourir un étage que déjà le boulet touche le
sol.
Approchez la souris et maintenez-la dans le cadre pour voir ce qui pourrait
se passer si Aristote avait raison.
Le dernier élève et premier biographe de Galilée
a raconté que son maître était monté sur la
tour pour réaliser cette expérience. Les biographes daujourdhui
doutent quil ait pris la peine de monter là-haut. Il sest
contenté dune démonstration théorique: si on
coupe le boulet en deux moitiés attachées par une ficelle,
descendra-t-il deux fois moins vite? Et si on enlève la ficelle?
|
|
|