- Juillet 98.
- Verneuil-Sur-Seine. Ce trajet de
la petite gare de banlieue au Lycée forteresse, ces artères mortes bordées de
pavillons gris, cette référence que nous deux pouvons comprendre, elle pour la
décrier, la réduire, moi pour la stigmatiser, l'augmenter, j'aime encore y
faire fausse route dans ce legs qui n'est pour elle qu'un ridicule moment
d'attachement.
-
- Auteuil. Sa longue chevelure noire retenue en
une natte assez floue. Un haut de survêtement vert. Les bras tendus, en planeur,
qui fendent l'air cicatrice du début de l'été.
-
- 12.09.98 Difficile de mener à terme un travail
de groupe. Toujours travailler l'espoir pour les autres, être perpétuellement
en état de victoire imminente malgré le formidable égoïsme des uns et la consternante
apathie des autres.
-
- 27.11.98. Un spartiate de la vessie. J'ai beau
ingurgiter deux litres de thé à l'étage de ce rade, pas le goût d'aller me
soulager car comme le confirme Frédéric qui revient des toilettes: difficile de
pisser sans choper des maladies. A t-on déjà eu l'idée de réaliser un guide
Michelin des lieux de concert? Ce soir: nourriture dégueulasse, poisson surgelé
et riz gluant, petit discours d'un des organisateurs façon inspecteur de
baccalauréat après distribution des copies, qui se conclue naturellement par un
enthousiasmant "Allez, bon concert, et merde à tout le monde".
- Les deux groupes qui nous précèdent n'ont rien à
voir et semble-t-il pas de grandes accointances avec nous, si bien que j'ai un
peu de peine pour la poignée de fidèles qui nous a suivi sur ce coup,
facilement reperable dans la salle vide, alors je descends des loges et leur
offre tout ce que je peux offrir, un énième CD, du Coca Cola rescapé de
l'indigent catering, et ce au désavantage du bar de la salle. Cela me rappelle
comment en première année de fac je m'étais fais mettre à la porte de l'Unef ID
en moins d'une semaine parce que parachuté à la permanence et en charge de la
vente des boissons et autres barres chocolatées, incapable par nature de vendre
quoique ce soit, j'offrais Bounty et Raider aux jolies filles. C'est une
espionne d'ailleurs, une étudiante qui s'était fait passée pour une jolie fille
et avec laquelle j'avais du être un tant soit peu prodigue, qui me dénonça dans
la minute et causa mon renvoi à tout jamais de ce syndicat pugnace mais plutôt
accueillant que je pris dès le départ pour un club de rencontres.
- Le concert, sur scène, ne s'est pas trop mal
passé, à l'exception qu'en salle on ne captait rien aux paroles, et que la
batterie installée sur les lieux ressemblait plutôt à une épave aux peaux
trouées - et encore après attaque de la baleine - , j'ai d'ailleurs fait une
petite allusion à ce sujet au micro, pendant le set, ce dont je me suis voulu
par la suite, car je crois qu'elle a fait de la peine aux organisateurs qui se
prennent pour des gens compétents.
-
- 29.11.98 Au Coolin, concert Irish et Jazzy de
mon ami Paddy Sherlock. Epatant. Faune d'habitués, admirable et passionnée
devant laquelle Paddy se déhanche, trombone au bec, très cool, les yeux fermés
et souriant. Un trombone et des nez en trompette. Une serveuse sublime, grande
blonde au T-shirt moulant à l'effigie du Coolin, une véritable bombe sexuelle.
Elle s'appelle Dora, me souffle Paddy, est originaire d'Allemagne, du sud de
Dresde. Evidemment il est assez difficile, voire ridicule, de brancher une
serveuse en lui proposant de venir ou d'aller boire un verre.
-
- aDorable Dora,
- Moi qui voulait du râble,
- Ou une liaison durable,
- Elle m'a posé un lapin.
-
- 06/02/99 Au Hard Rock Café, le groupe Vendetta
particulièrement sympathique. Enfin une fille et des garçons concentrés,
charmants, et dynamiques qui rompent avec l'image pack de Kro pour post
adolescents attardés sur un concept. Je suis content que nous nous retrouvions
en mars sur la sélection Pop des polysonies. Même le manager et le staff
technique sont prévenants et courtois ce qui change un peu des connards
arrivistes, hautains et méprisants qui entourent parfois mal à propos des
artistes qui laissent faire. Dans la série les serveuses exquises qui me tapent
dans l'oeil pendant que la musique me débauche les oreilles, aDORAble Dora ou
voir quelques paragraphes plus haut si j'y suis encore, au Hard Rock Café :
Juliette, une anglaise, ce qui n'est déjà pas pour me déplaire chargé comme je
suis depuis l'adolescence de poncifs Birkinien, sublime anglaise aux longues
jambes à peine tenues en respect sous sa jupette de serveuse américaine, ayant
perdu les commandes du sourire depuis qu'elle prend des commandes de
CHEESEburgers et autres douceurs étouffantes. Altière, lasse et rapide, star
apathique pour jeunes cadres dynamiques, dans ce morceau de choix c'est la moue
que je préfère. Une petite moue anglaise. Que cela en devient inhumain de la
rappeler à vous pour commander un dessert.
-
- 13.02.99 Cette jeune fille que j'ai croisé hier
dans le quartier des foyers d'étudiantes, ma gêne musarde et la rencontre par
deux fois de nos regards pendant que nous avancions l'un vers l'autre puis nous
croisions, ont installé une complicité de quelques secondes qui m'a fait
abominablement rougir. Il y a des jours où traverser simplement ce quartier où
j'ai vécu cinq ans, de 19 à 24 ans, m'est intolérable et produit toujours sur
moi son effet mélancolique et déchirant. Pourtant je n'ai pas le temps pour la
bile noire si précieuse soit elle quand il me faut regorger d'efforts et
d'idées pour faire émerger ce groupe qui m'accapare totalement, et renverser
sur leur propre terrain tous ceux qui nous traitent avec indifférence, patience
hautaine ou circonspection molle.
-
- Personne, de mémoire, n'a jamais eu le mot
juste, espéré dans les moments de doute. Cette déception m'est connue et ne
m'atteint plus, c'est un truc de fils unique. Mais encore faudrait il qu'à
défaut d'avoir le mot juste suite à un moment difficile, certains proches qui
se croient quand même obligé d'ouvrir leur gueule (il y a des commentateurs
nés) n'aient pas le systématisme du mot de travers. Comme si le silence était
trop fin pour accepter d'absorber leur fâcheuse balourdise.
-
- 22.02.99 Une semaine de bonheur vient de
s'achever. Consécutivement nous avons sans doute donné les cinq meilleurs
concerts de notre existence. D'un jour sur l'autre la salle n'a pas désempli,
le son n'a jamais été aussi loyal, les professionnels n'ont jamais autant
défilés et nous passions souvent l'entracte à nous faire benoîtement
congratuler. Une ambiance excellente grâce aux Matchboxx disponibles, drôles et
attentionnés. Le dernier soir Claire m'a embrassé sur la bouche, sur scène
d'abord à la stupéfaction des jeunes gens entassés dans la salle, puis plus
tard dans les loges. Je dois dire qu'elle a très bon goût (dans tous les sens
du terme).
-
- 21.03.99. Auteuil. Elle court sous la pluie
battante, un bob au tissu militaire, oublié depuis des siècles dans le coffre
d'une auto, et trop grand sur sa tête en guise de protection.
-
- 27.03.99. Au bar du Sentier des Halles, puis au
restaurant Le Tambour en marge de la table d'Olympic, discussions avec Mathieu
Chédid qu'il est toujours exquis de retrouver, amical, bienveillant, me parlant
du travail sur son deuxième album, du son imaginé, pensé, qu'il a finit par
trouver avec exactitude dans son studio à la campagne. Il affirme avec chaleur
entendre beaucoup parler de nous, et nous encourage avec force et sincérité.
-
- Une boutique de vêtements stylisée qui porte le
nom d'Anne, le logo sur la vitre est d'une parfaite épure, le prénom en deux
- An
- Ne
- dans la rue Keller.
-
- 29.03.99.
-
- Le texte que Sophie m'avait demandé pour l'édito
Quai de Scène n'a pas été retenu. Il faut dire que bien qu'écrits la plupart du
temps dans l'enthousiasme de la commande, mes textes restent souvent sur le
carreau. Mes essais de chroniques plutôt marrantes pour le fanzine de La Clé
St-Germain sont passés à la trappe dans l'indifférence générale, de même le
texte que j'avais écrit pour une présentation des Matchboxx au Sentier des
Halles qui lui aussi s'est trouvé sans emploi; l'apothéose restant peut-être à
ce jour un texte de chanson très correct et plutôt malin pour ce jeune chanteur,
Rémi Bienvenu, qui m'avait sollicité, puis m'avait laissé sans réponse jusqu'à
ce que S. me relate que rencontrant Rémi Bienvenu dans une rue du quatorzième
arrondissement, celui-çi lui aurait déclaré: "J'avais demandé un texte à
Jérôme Attal pour qu'on écrive une chanson ensemble, et il m'a envoyé un texte
très ironique dans lequel il se fout de ma gueule!". Historique.
- Alors maintenant lorsqu'on me demande d'écrire
quelque chose, peu importe la fièvre qu'on y met, j'essaye toujours de
temporiser: "oui, oui, on verra...si vous ne trouvez vraiment personne
d'autre."
-
- Dimanche après-midi à St-Germain en Laye sous un
soleil à courants d'air nous nous promenons David et moi quand nous apercevons
sur le trottoir d'en face Claire en grande discussion avec sa mère.
Enthousiasme de David : ouah! C'est la chanteuse des Matchboxx! Terrible!
- - Oui, j'ajoute, et en plus elle a un nom
exquis: Deligny. Comme la piscine.
- -Terrible, s'époumone David, tu as raison ça lui
va bien, elle le porte comme un charme...
- Puis après un long moment de réflexion, il
conclue:
- - Comme Christine Deviers-Joncour!
-
- 07.04.99. Hier soir, notre concert expo. Dès
l'entrée où étaient présentées les premières oeuvres j'avais mis un poste radio
diffusant des monologues de marguerite Duras sur son enfance, l'Indochine etc.
Et les types de la sécurité, qui évidemment se tenaient à la porte, ont
littéralement pété les plombs. Ont fini par se poster dehors, de plus en plus
loin de l'entrée, vers le parking, à la rencontre des gens qui arrivaient. Les
armoires à glace de la sécurité complètement désorientées, affaiblies, puis
chassées par Duras qui parlait d'une voix inaltérable de l'Indochine, de son
enfance. Un des grands moments de l'expo d'hier soir.
-
- 23.04.99 Pour la série de concerts au Sentier
des Halles nous avons été prévenu il y a quinze jours, nous jouons donc en
remplacement d'un groupe qui s'est désisté, nous ne sommes pas payés, j'ai pris
à mes frais tout ce qui était tracts, affiches etc, pour la promotion nous nous
sommes démenés comme des diables avec la participation active, bénévole et
rodée du groupe Vendetta, et hier cependant le Sentier des Halles a téléphoné
pour clamer son inquiétude devant le nombre zéro de réservations alors que nous
jouons à partir de mardi et ce pendant quatre soirs. Outre la petite dose de
stress et de découragement qu'une telle nouvelle occasionne, zéro réservation
(ça sonne comme du Beth Orton) et malgré les diverses consolations de
l'entourage: "Vous n'avez pas un public qui a l'habitude de réserver",
"Ils sont gonflés au Sentier! C'est tout à fait normal étant donné que
vous n'avez pas de cd dans le commerce!", j'ai essayé de décliner ce zéro
réservation d'une manière différente à chaque personne que j'ai eue ce soir au
téléphone, ce qui a donné entre autres: ce n'est pas avec zéro réservation
qu'on va être nominé aux victoires de la musique, ce n'est pas avec zéro
réservation qu'on va cet été partager une galette saucisse avec PJ Harvey dans
le village VIP de La Route Du Rock.
-
- 30.04.99. Coup de fil de Christian, d'Oslo, qui
me relate ses déboires amoureux avec une norvégienne très inspirée, puisque
pour couper court à l'une de ses pressantes invitations à dîner, la jeune fille
à prétexté qu'elle devait le soir même participer à une course de relai!
-
- 09.05.99. Solitude souveraine dans le carnaval
des possibles. Sa beauté m'a frappé comme une exhibition de lancers de poids
dans la classe affaires du concorde.
- Je lui envoyais des lettres enflammées mais pas
tout le temps. Parfois simplement brûlantes.
-
- 02.06.99. Aller-retour Paris Trouville où je
conduis ma mère et une de mes tantes qui vont y passer quelques jours en
villégiature. Tandis que je porte les bagages dans le hall de l'hôtel Mercure,
face au casino, je suis le mouvement, me dirige vers la réception, et tombe sur
la jeune femme hôtesse d'accueil, brune et souple derrière son contoir, à la
beauté d'un faon pris au piège d'un léger costume de fonction et d'une
récitation un peu stupide concernant les modalités et options du séjour, et là,
pendant qu'elle fait son job sans conviction démesurée, je rêve
incorrigiblement de distractions miraculeuses et de vies parallèles.
- Le souvenir de sa beauté encore frais dans ma
mémoire; fraîcheur qui me protège de la chaleur orageuse pesée dans la voiture
sur l'autoroute du retour.
-
- 09.06.99. Rendez-vous François et moi dans un
café de Saint-Paul avec la comédienne mannequin pressentie pour figurer sur la
pochette du cd que nous préparons pour Septembre. Comme nous sommes en avance:
je conviens d'un code avec François, si elle ne me plaît pas je parlerais de
Lara Fabian, et en cas contraire, si j'estime qu'elle fait l'affaire, je
glisserais habilement une référence à Pascal Obispo dans la conversation.
Julie, 24 ans, arrive. Après cinq, dix minutes qui me paraissent interminables,
et fausses parce que je ne suis pas vraiment emballé et ne sais pas vers où
conduire la conversation, nous prenons congé, François et moi, et gagnons le
café La Chaise au Plafond. Ce n'est pas qu'elle n'est pas jolie, et
sympathique, mais pour moi elle n'a pas ce charme déterminant, fatal, oblique
et transperçant que je recherche pour la pochette. François m'épargne le
difficile, se charge de la rappeler, lui dire qu'elle ne correspond pas.
-
- Au café, un très vieil homme au dos entièrement
voûté, tout recroquevillé sur une petite table carrée face à une jeune fille
qui parle péniblement le français et arrive du foyer d'étudiantes qui
l'héberge, à côté des jardins du Luxembourg. Les liens qui les unissent restent
flous. Une sorte de parrainage me paraît le plus probable. La jeune fille
vouvoie le vieux monsieur. Il lui demande ce qu'elle veut boire. Un coca. Il
est plus bienveillant qu'un ange, dit:"Tu vas me trouver indiscret mais
vous avez bien mangé à midi? Vous faites la cuisine là-bas? Ca ne doit pas être
très commode." La jeune fille répond d'une voix faible, dans un français
approximatif. Le vieil homme fait des efforts titanesques, les mêmes qu'il a dû
faire pour se traîner jusqu'au café, pour tendre l'oreille au plus près de son
interlocutrice. "Tu n'as pas dû bien manger à midi, tranche-t-il, tu ne
veux pas une tartine avec du jambon?". La jeune fille dit qu'elle veut
bien, le remercie trois fois, remercie trois fois la serveuse qui lui apporte
la tartine de pain poilâne. Le vieil homme prend plaisir à la regarder dévorer
la tartine coupée en deux. Il est trois heures de l'après-midi. Il lui donne
discrètement, d'une main douce qui suit l'arête du bord de la table, plusieurs
billets de cent francs, sans aucune pliures, propres et neufs. Elle remercie
encore. En l'appelant par son prénom et en le vouvoyant. Un prénom d'enfant
d'un autre siècle. Il est trois heures de l'après-midi, cette scène à laquelle
j'assiste de la table mitoyenne me bouleverse. Je voudrais être Batman ou rien.
-
- 14.06.99. Les gens me questionnent souvent sur
mes rapports avec le groupe, comment nous nous y prenons pour pondre notre
musique. La réponse est simple: nous sommes tellement différents sur le reste,
aux antipodes en ce qui concerne notre façon d'être, de réagir au monde, de
penser, de prendre position ou d'envisager les choses et les êtres, que seule
la musique nous donne la chance de nous retrouver ensemble, et devient la chose
la plus crédible et la plus performante, la plus aboutie que nous puissions
faire tous les cinq dans cette configuration.
-
- 18.06.99. Tous les jours, dans la cour, elle
marche sur les eaux. Avec son haut marin, son pull bleu foncé noué autour de la
taille qui tombe sur ses pantalons jean.
- Vers neuf heures du soir, sa marche emballée
pour rejoindre un amoureux, dans l'histoire en points de suture de la ville
momentanée.
-
- Sans mon implication acharnée dans le groupe et
la musique, je serais sans doute très solitaire, très triste, très absorbé par
une mélancolie sans bornes, très boulimique, très cultivé, très ironique, très
suicidaire, très mystique aussi, quelque part entre Dostoïevski et Salinger, et
cependant sincèrement embarqué jusqu'à l'héroïsme dans des histoires d'amour
pas possibles.
-
- 25.06.99.
-
- "He
said he ate his food out of our big refrigerators, drove our eight-cylinder
american cars, unhesitatingly used our medecines when he was sick, and relied
on the U.S. Army to protect his parents and sisters from Hitler's Germany, and
that nothing, not one single thing in all his poems, reflected these realities.
Something was terribly wrong."
- Jerome
David Salinger, Seymour: An Introduction.
-
- 01.07.99. Un scooter crème, une gabardine bleue
foncée, des cheveux aux mèches brunes qui sortent sans retenue d'un casque
réglementaire, alors qu'elle oblique sur la route depuis l'entrée d'un ensemble
pavillonnaire de St-Nom La Bretèche. Cela me rappelle ce que David m'avait
confié un après midi que nous empruntions la ligne de métro n°10 : J'adorerais
avoir une amoureuse qui monte et descend à la station Ségur.
-
- 03.07.99. Ce n'est pas parce que je reste une
fois de plus cet été à Paris, que je vais me dispenser, d'avoir, moi aussi, des
amours de vacances.
-
- 28.07.99.
-
- Coup de fil de Sophie qui me réconforte sur
l'avis tellement intéressant du type important qui aime pas ma voix, avec des
mots très justes, que j'aurais très bien pu me dire à moi-même, bien entendu,
mais j'ai toujours l'espérance infantile que les autres vont devancer mes
pensées profondes en les exprimant plus nettement, non pas à ma place, pour
moi, mais avec moi. Je suis content que sur certains sujets qui nous concernent
tous deux Sophie pensecomme moi, et qu'elle parvienne à l'exprimer droit
direct comme je l'attendais, plein d'allant.
-
- 05.08.99. X m'avait dit un jour que je souffrais
du syndrome d'Elliott. Elliott le dragon. Je ne concevais la rencontre
amoureuse que comme un sauvetage , c'est à dire que lorsque ma décision
l'emportait de tomber amoureux d'une telle, plus rien n'importait alors que ma
volonté de sauver la personne choisie.
- Or chacun détient une histoire, un sentiment, ou
autre chose dont il désire être sauvé . Du moins d'après la théorie de
X. D'où mon incroyable pouvoir et mes chances répétées de succès.
- Mais, tout comme Elliott le dragon, après avoir
sauvé la fille sur laquelle s'était jeté mon dévolu, je m'envolais pour
d'autres aventures.
- Je ne crois pas que c'était un compliment. Et je
ne l'avais pas envisagé comme tel sur le moment, puis après, bête et orgueilleux
comme je me connais parfois, j'ai trouvé que ça m'allait plutôt bien, le
syndrome d'Elliott.
-
- 09.08.99. Tracas dus à la santé de mon père.
Aujourd'hui il se trouve que je me promène seul dans le quartier St-Lazare où
il m'emmenait fréquemment le mercredi après-midi, lorsque j'étais enfant,
déjeuner au fast-food aujourd'hui disparu le Wimpy, arpenter les boutiques du
Passage du Havre, quand nous n'allions pas voir un Walt Disney ou le dernier
James Bond au Grand Rex. Je peux me souvenir encore avec précision de
l'emplacement et du nom des boutiques un peu désuettes qui peuplaient le
couloir mince jusqu'à l'ample virage en chapelle rayonnante de l'ancien Passage
du Havre, le marchand de jouets de collection, maquettes et soldats en plomb,
les boutiques de vêtements étroites, faméliques ou bourrées de marchandise à
craquer, le chausseur Bally sur deux étages. Aujourd'hui, après des années
d'abandon pour cause de chantier, le Passage a été repensé jusque dans son
déambulatoire, proche d'un mall du New-Jersey, n'accueillant que des
entreprises à la mode comme Nature et Découverte ou la FNAC.
- Je n'ai pas de commentaires là-dessus. Peut-être
que c'est tout aussi magique, en un sens, pour les mômes d'aujourd'hui, aller
voir ses boutiques avec leur père par un mercredi après-midi extensible à
l'infini et pluvieux. Ou que ça le deviendra, dans vingt ans, à la lumière du
souvenir, de l'abandon pour cause de chantier à l'issue improbable, de la
nouveauté sans partage, ou d'une simple infection urinaire.
- Enfin on ne m'enlèvera pas que dans la salle des
pas perdus de la Gare St-Lazare, il est encore impossible de trouver un train
en partance pour le New-Jersey.
-
- 19.08.99. Je suis toujours surpris et chagriné
par le nombre incalculable de gens de ma génération qui sont de faibles gens.
Des gens incapables de prendre une bonne décision.
-
- The Getaway à la télé. Je le regarde pour la
énième fois. Un film qui aurait pour couple vedette Steve McQueen et Ali
MacGraw... est un film que je regarde pour la énième fois. L'autre soir, à
cette surpattes où l'on causait cinéma, et je venais de voir deux films tout
juste passables MAIS AVEC NASTASSJA KINSKI, One night Stand et Your Friends and
Neighbors, et j'en crevais de parler de Nastassja Kinski, mais non à chaque fois
quelqu'un relançait la conversation soit sur Cassavetes soit sur Kitano, si
bien qu'excédé, j'ai fini par déclarer: de toute façon, en matière de cinéma,
je ne suis pas très difficile: ma préférence va vers les films où l'on voit les
seins des actrices.
- L'étudiant en licence de cinéma que j'ai été
l'espace d'un semestre se retourne dans sa tombe. Tant pis, ils n'avaient qu'à
me prendre à la FEMIS!
-
- 24.08.99. Où tu en es de ta carrière de Pop Star
me demande-t-elle? Aujourd'hui j'ai encore passé de bonnes heures dans
l'Underground, lui dis-je. Elle ajoute:
- - De toute façon, je te comprends, tu es un pur.
Dans ce milieu ça ne marche que par le renvoi d'ascenseur.
- En quittant la soirée, alors que le dernier
petit groupe d'amis se dispersait sur le palier et qu'elle me suivait du
regard, j'ai hésité quelques secondes devant la porte grillagée mais ai trouvé
de meilleur ton de descendre les sept étages par l'escalier.
-
- Septembre 99
-
- Musique : L'insuffisance des moyens et la
suffisance des grands.
-
- Le cd est envoyé depuis une semaine et demie
(médias et maisons de disques ciblés) et les nouvelles arrivent au
compte-gouttes. Pas encore d'effet robinet, plutôt du compte-gouttes mais de
grosses gouttes quand même.
-
- Un jean bleu ciel et un T.shirt marin aux
rayures rouges passées. Une fatigue fonctionnelle qui lui vient de l'enfance et
des voyages à l'arrière de l'auto. Elle rentre de vacances. Se dégourdit les
jambes dans ma tête.
-
- Christian me relate les échanges amoureux qui se
passent par e-mail avec sa collègue de
J'ai-pas-encore-trente-ans-mais-je-brasse-plein-de-fric. Il me dit "je lui
envoie des messages très très sentimentaux et romantiques et elle a plutôt
l'air réceptive. Tiens pas plus tard que tout à l'heure elle a reçu sur son écran:
Linda tu es comme une bourge qui ne demande qu'à éclore.
- - Un bourgeon, lui dis je amusé, on dit un
bourgeon qui ne demande qu'à éclore.
-
- 11. 09.99 En amitié les gens légers nous
déçoivent et les gens graves nous ennuient.
-
- Parfois je me dis que j'aurais eu moins de
difficulté, de soucis, à choisir un métier où tout arrive tout de suite, même
le moindre.
-
- 17.09.99.
-
- Un café avec X métro Convention dans
l'après-midi. Elle me parle d'une de ses amies, jolie à la douleur, que je
croyais prêtresse d'un certain underground parisien. Oui me dit elle, mais
c'est de l'underground chic, jamais elle ne côtoierait du brut, du cradingue,
quand elle boit un verre c'est au Café Charbon, quand elle écoute de la musique
c'est Alex Gopher, et quand elle va danser c'est en compagnie de garçons tous
très propres sur eux et très beaux et c'est au Batofar! Il n'y a pas que le
Batofar quand même! s'indigne X.
- A part ça, la fille en question, celle qui danse
au batofar, fait des projets, non pas des projets de vacances ou d'avoir un
enfant, mais c'est le terme qu'elle emploie pour qualifier son travail, des
projets. Exemple: tu travailles sur quoi ?
- - un projet.
- Fascinant.
- X me raconte que pour l'affiche d'un de ses
projets la fille a posé nue avec la tête tournée, et il était marqué en gros
sur son corps mince et parfait: Exhibitions. (à prononcer en anglais). Je
demande à X si l'affiche en elle-même peut être considérée comme un projet. Et
puis je songe au titre Exhibitions (en anglais donc) et je lui dis que c'est un
titre de films pornos, qu'il y a même Exhibitions 1, Exhibitions 2 etc. Je le
sais, crois-je bon d'ajouter, car j'ai déjà lu le titre dans les programmes de
la chaîne porno sur le câble, et là je me sens tout d'un coup très bête de
parler à X de chaine porno car me vient l'image lointaine de ce camarade de
classe qui en 1988 alors que nous étions en terminale se trimbalait constamment
avec un préservatif dans son portefeuille et s'arrangeait toujours en présence
d'une jeune fille pour ouvrir le portefeuille et en faire glisser le
préservatif soi disant par inadvertance, espérant je ne sais quoi dans ce
geste, que la lycéenne le trouverait plus séduisant, prometteur ou adulte je ne
sais pas.
-
- 18.09.99. Revenant du concert de Blur,
empruntant une rame métro Maubert vers 11 heures et quart, une jeune femmme,
dont la couleur prédominante des vêtements qu'elle porte est le noir - nous
sommes à Paris fin des années 90, occupe l'un des strapontins qui donne sur la
porte d'accès, fatiguée mais très belle, d'une douceur et d'une fatigue
félines, des cernes sur le visage et trois sacs plastiques remplis de
provisions à ses pieds. Elle descend à Vaneau. Donne l'envie d'écrire jeune
femmme avec trois m. Ne serait ce pour qu'elle descende une station plus loin.
-
- 23.09.99 Jeudi dans l'après-midi. Centre
commercial Parly 2. La jeune vendeuse de chez agnès b. hommes, très belle et
entêtante. Tout de suite à son contact l'idée en pente mélancolique d'une vie
autre envisageable.
- Une rougeur qui démarre à la base du cou, quand
elle me tend le sac avec mes achats, croise mon regard clair, faussement
fuyant, qui joue trop au type désintéressé pour être crédible.
- Du sincèrement faux. Le faux et pourtant sincère
de toute séduction. Or comme je suis accompagné de ma mère qui en prévision de
la saison froide veut m'offrir un pull et une veste, je fais vraiment le
minimum syndical en matière de séduction.
- Parce que quand la jeune vendeuse me donne à
essayer une taille au dessus pour la veste, dans son jargon de miroir
embellissant, elle dit: "En plus vous êtes grand, vous êtes fin", et
là je répondrai bien: "d'accord, marions nous!" mais non ... c'est
exaspérant, rien qu'un silence poli...
- Alors que si il existe un endroit où l'on ne
devrait concevoir aucune gêne à se prendre une veste, c'est bien dans un
magasin de vêtements.
- Cette jeune femme quand même, quand j'y pense et
j'y pense trop, jeudi 23 septembre dans l'après midi lumineuse et épuisante
d'un centre commercial , est vraiment très belle. Déjà que je n'ai pas dormi la
veille en raison du film Sue perdue dans Manhattan qui m'a littéralement
chaviré.
- Là encore, penser à cette jeune femme m'occupe
et me bouleverse, incorrigible, les heures et les jours qui suivent.
- Il est loin le temps de l'adolescence et
d'avant, où toutes ces filles n'avaient pas des métiers accaparants et qu'on ne
les rencontrait que dans des lieux, cafés ou bancs publics, de ralliement, en
bas des immeubles ou des pentes de garages, dans les soirées du samedi soir et
les fêtes d'anniversaire, là où au moins une conversation sensible pouvait
réellement s'engager, et si on avait une guitare sous la main, y avait toujours
un crétin qui ramenait sa guitare dans les fêtes et moi le premier, on pouvait
leur dédicacer une chanson, qui ne passait je vous l'accorde pas sur France
Musique ni sur Inter ou Oui FM le lendemain, mais chaque âge comporte ses
avantages et ses inconvénients.
-
- 25.09.99 Hier soir tractage pour le concert du
Glaz'Art devant le Café de la Danse où se produit Supergrass. Pas franchement mon
activité préférée le tractage, mais passage obligé à moins de trois semaines du
concert. Puis omelette roborative à Pigalle au café La fourmi, avant de passer
voir Paddy qui joue avec son groupe dans un pub irlandais du boulevard de
Clichy.
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- 02.10.99. Pop Musique. La réaction qui m'est
rapportée d'un directeur artistique d'une grosse boîte confronté à notre
travail: - Ce matin je me suis réveillé en écoutant Metallica pendant deux
heures alors après, Jérôme Attal, ça le faisait vraiment pas!!!"
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- 06.10.99 L'opinion d'un type qui a visité notre
site internet depuis celui de Ludovic, et qui laisse au passage, dans sa boîte
aux lettres électronique, ce commentaire à mon sujet:
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- " J.A. est psychologiquement bloqué par les
filles à en lire son Journal, il faut croire que c'est un beau mec. Il a
visiblement un visage avenant qui masque un personnage très malade.
Merci pour l'invitation au concert mais je préfère attendre que les musiciens
se séparent de lui pour me déplacer."
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- 10.10.99 My own private Haloween: à quatre jours
du concert au Glaz'Art je dois lutter, comme à chaque veille d'événement
important, contre la peur du spectre de l'angine blanche.
- Hier soir concert Polysonies à Brétigny sur
Orges, une campagne éteinte avec des cités qui ont poussées par dessus comme
des champignons en béton. Dans l'attente interminable de la balance des
instruments et du début du concert, une attente d'acteur de cinéma (sauf qu'on
vient pas encore nous chercher en voiture, qu'on s'entasse à trois groupes dans
une loge, et que le seul caprice que l'on puisse s'autoriser est le Caprice des
dieux à date de péremption imminente mis à disposition en tranches dans une
assiette en plastique, à côté de l'assiette de saucisson et de l'assiette de
taboulé), nous avons fait un mini tournoi de ping-pong sur les tables
construites en dur dans les pelouses de la salle de spectacle.
- Avant notre passage en scène, le concert du
groupe Vendetta: toujours des mélodies très performantes, une réel potentiel
radiophonique, mais sur scène ça bastonne terrible, leur ingé son pousse les
volumes à fond au détriment des voix, si bien qu'on entend pas grand chose des
textes, ce qui réflexion faite, est plutôt dans leur intérêt.
- Ensuite ce fut notre tour: un petit tour de
chauffe avant le Glaz'Art, une petite friction entre Sylvain et Guillaume au
sujet du faible niveau de la basse en façade, et un petit plantage de ma part
sur une des nouvelles chansons baptisée "Elite" parce que je pensais
à Adrienne Bolland et Charles Lindberg du fait qu'à notre arrivée à Brétigny
j'étais tombé sur un grand panneau municipal qui disait: "Brétigny sur
orges, le berceau de l'aviation".
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- 15.10.99. Ambiance au Glaz'Art très chaleureuse
hier soir, concert efficace dès le premier morceau, puis envoûtant donc épuisant,
sans répit qui ne soit délibéré, du moins c'est à cela que j'aimerais parvenir.
- Les plus fidèles de notre public avaient répondu
présent, ce qui prédispose déjà au bonheur, si bien qu'on comptait un peu plus
d'une centaine de personnes dans la salle, invitations comprises et beaucoup
que je connaissais de vue, ou d'autres que je connaissais mieux, se préparer
doucement un verre à la main pendant la première partie, à devenir public pour
la seconde.
- Concernant les professionnels, des neuf
programmateurs qui avaient fait l'effort de téléphoner (ça bouge dans le milieu
de la musique!) pour confirmer leur venue, deux seulement s'étaient déplacés
pour de vrai.
- Il y en a un autre qui avait, dès le départ,
décliné poliment l'invitation jugeant le nouveau cd
- "trop noir. Je ne sais pas si c'est voulu
de la part de Jérôme, je l'ai déjà vu en concert et c'était plutôt réjouissant.
Là le nouveau cd est vraiment très noir. En ce moment les gens ont besoin d'une
musique festive!".
- On a beau faire de la Pop Gainsblurienne, ce
matin le Sentier des Halles a appelé pour nous proposer pour le prix Félix
Leclerc (?!), mais on ne peut pas y postuler pour la raison technique que notre
cd n'a pas de distribution officielle.
- Quand Christian s'ennuie à Londres, ou n'a pas
le moral, il sort "faire un Abbey Road". Puis il s'en vante tellement
en rentrant au bureau que ses collègues les moins finauds pensent qu'il s'agit
d'une position sexuelle. En fait "faire un Abbey Road" consiste
simplement à traverser la rue mythique en question sur le passage clouté où les
Beatles se sont faits photographier pour la pochette de leur ultime album. Il
paraît que "faire un Abbey Road" est une pratique assez courante chez
les londoniens actifs, trentenaires, et légèrement mélancoliques du fait de la
maigreur de leur vie sentimentale comparée à l'aisance de leurs revenus.
- Pour en revenir au Glaz'Art, pas encore de
réactions officielles des représentants des labels dépêchés pour l'occasion.
Tous avaient l'air conquis, suffisamment, mais qu'un se décide à nous prendre
concrètement sous son aile et nous proposer une réelle stratégie de
développement, c'est une autre histoire.
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- Donner un concert si plaisant, avec un public si
attentif et charmé, et le lendemain se retrouver sans actualité immédiate a
quelquechose de sec, d'ironique et de déprimant.
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- Christian m'appelle à nouveau cette fois çi de
Stockolm, et me raconte qu'il vient de signer un des contrats les meilleurs qui
puissent s'établir dans le monde de la finance, et qu'il fêterait bien ça en
compagnie d'une fille mais que contrairement à moi, malgré le fait qu'il
voyage, qu'il a du fric, et qu'il est à l'origine de signatures de contrats
étourdissants dans le monde de la finance, il n'a pas choisi la voie de la
brillance pour ce qu'il est.
- Cette réflexion me laisse dubitatif, en fait
c'est ce que dit Baudelaire dans son poême en prose "Bienfaits de la
lune", chacun désire ce qu'il n'a pas, et moi aussi j'aimerais pouvoir de
Londres à Stockolm en passant par Paris signer un des contrats les meilleurs
qui puissent s'établir dans le monde... de la musique. Mais c'est une autre
paire de manches.
- Et de toute façon, tout est annéanti par son
passage dans la cour.
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- 18.10.99. Fatigue hallucinante. Je m'écorche
contre tout ce qui me tombe sous les sens. M'épuise en réflexions, alternant le
doute et la conviction, sur la direction à prendre.
- Suite à la parution, certes confidentielle, du
cd 4 titres, les diverses interviews que nous avons enchaînés sur des radios
nationales, et la pression tout juste retombée après l'euphorique concert donné
à Glaz'Art, réunion bilan en catimini cette après-midi avec le groupe dans un
café de St-Germain en Laye avant de se voir dans la semaine avec manager et
tourneur.
- Je demande au groupe encore plus d'engagement,
de travail, de recherche et de détermination, tente avec fermeté de les
mobiliser dans une destinée. Sinon: perte de temps, tourisme, et dans ce cas
moins effrayant pour chacun d'aller mettre son talent ailleurs. Après avoir
exposé mes attentes je leur demande de m'appeler individuellement ce soir à
partir de 20 heures pour qu'ils me disent oui ou non si ils ont envie de
continuer l'aventure avec le groupe, et dans l'éventualité d'un oui qu'ils
s'engagent à regorger d'initiatives, de créativité et de tempérament.
- A 20 h30 tous m'ont appelé pour me dire oui, les
uns un peu plus gauchement que les autres, chacun selon son tempérament.
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- Demain, je m'accorde un peu d'automne à Paris.
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- 20.10.99.
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- Pour la Pop musique aussi
bien: "En vérité le seul spectacle est celui de l'attente ou de l'effort,
mais ceux-ci ne se produisent que quand il n 'y a plus de spectateurs."
(Gilles Deleuze, Logique de la sensation.)
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- 22.10.99. Dans un chalet suisse, hier soir, ils
ont arrêté Papon qui aux dires des gendarmes n'aurait pas opposé la moindre
résistance. Le contraire eût pour le coup bien surpris.
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- A St-Germain Cyrille parle des rapports en
général dans le travail, que ce soit dans un groupe de musique ou dans un
atelier de menuiserie, ils ne faut pas faire de sentiments dit-il, il faut que
chacun ait conscience du rôle qu'il a à jouer et par rapport à ce rôle soit des
plus performants et des plus motivés, mais si l'un manque à sa tâche, on ne
peut pas éternellement faire du sentiment. Dans le travail, avec trop de
sentiments, on fini par se faire baiser.
- - Dans le privé aussi, crois-je bon d'ajouter,
du moins dans le meilleur des mondes.
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- X me raconte - à moi ancien enfant de choeur de
la paroisse de Bois-Colombes, sa première rencontre fulgurante avec l'Eglise.
Collégienne et envoyée dans une colonie de vacances pour le mois de juillet qui
obligeait les enfants à assister à la messe le dimanche, X élevée laïquement et
sans aucune idée de la pratique catholique, avait suivie plus ou moins, du bout
des lèvres aux moments stratégiques, le bon déroulement de l'office, mais quand
vint l'heure de la communion et qu'elle s'approcha seule, livrée à Dieu et à
elle-même, de l'intimidant prêtre en chasuble brandissant le ciboire, et que
conformément à la tradition il lui remit l'hostie dans la bouche, un peu
paniquée et pataude elle crût à propos de répondre "merci!", ce qui
eut pour effet immédiat de mettre le curé hors de lui: en un geste rapide,
autoritaire et violent, il retira l'hostie humide de la bouche de la jeune
fille tétanisée.
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- Musique : La situation est gelée, parce que les
gens pour la plupart frileux ne se mouillent pas.
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- Bien sûr il y a des jours où baisser les bras
serait la chose la plus reposante à faire.
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- 26.10.99. Un corps au dessus de tout suçon.
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- David pense avoir marqué un point avec X en lui
proposant une excursion à la mer à laquelle elle n'a pas dit non.
"Attends! me dit David dans une envolée freudienne, la mer c'est vachement
connoté!"
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- X me dit au sujet d'Y qu'elle a revu à l'un de
mes concerts, qu'après l'échange convenu et emprunté de leurs numéros de
téléphone respectifs, Y l'a recontactée assez cavalièrement, et ils sont allés
prendre un café ensemble mais sans plus.
- X explique: Je crois qu'il avait un peu trop
d'idées derrière la tête.
- - Oui, dis je, et c'est bien là son problème. Il
a des idées, mais derrière la tête, pas dedans.
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- 03.11.99 Angine. Oppressante mais pas
immobilisante. Après une matinée fébrile dans les transports en commun jusqu'à
Oberkampf où se trouve mon médecin, je prends des antibiotiques au nombre
duquel l'incontournable Zithromax (ou comment des comprimés portant le nom d'un
super-vilain imaginaire, ouah... Zithromax! pourraient faire mourir de frayeur
une jeune angine dans ses premiers jours) puis au lieu de rentrer bien sagement
me reposer dans la douce euphorie du temps libéré par une convalescence saine,
prescrite, pardonnée, je décide de prendre la voiture et la route jusqu'à
Maurepas pour écouter où en sont les morceaux travaillés sur le quatre piste en
préparation du studio, et poser pourquoi pas une voix témoin sur la chanson en
cours.
- L'impossibilité du repos. Alors qu'il y a cinq
ans je dilapidais des après-midi entières dans la volupté parisienne d'un livre
ouvert à une terrasse de café, aujourd'hui je ne peux passer ne serait ce
qu'une demi-journée d'oisiveté, si éclairée soit elle, et même tenue par une
maladie conciliante, sans chercher à m'activer pour le groupe et à me vivre
intensément dans cette activité.
- Jusqu'à l'aboutissement. Et de ce fait, il y a
des journées impitoyables où ne serait ce que prendre un livre ou regarder une
émission de télé me donne rapidement mauvaise conscience et me parait du temps
gâché sur l'urgence de redoubler d'efforts et d'initiatives pour accélérer
notre émergence, la valider au plus vite, dans ce monde de la musique, les
labels, les tournées, l'intermittence etc.
- Dans l'enfance, quand même, c'était un bonheur
d'autant que ça n'arrivait qu'une ou deux fois l'année, de manquer des journées
d'école à cause d'une maladie bénigne, et de dévaler des pages de bandes
dessinées installé bien au chaud sur son lit ou avec une couverture sur le
divan du salon regarder des émissions dites pour enfants à des heures
impossibles, je veux dire impossibles pour êtres regardées par un autre enfant
en bonne santé qui devait lui le malchanceux se trouver obligatoirement dans ce
créneau horaire à l'école; à croire que tous les enfants malades de France,
vrais ou simulateurs, représentaient en terme d'audience un public plus assidu
et moins versatile que les fanatiques de reportages animaliers.
- Donc mercredi jour des enfants je prends
l'autoroute A13 en direction de Maurepas où le groupe est réuni pour une
session de travail sur les enregistrements, dans l'espoir d'y trouver de
l'entrain, de l'initiative, de la vigueur enthousiaste et solide, virile dans
le bon sens du terme, histoire d'anéantir ma maladie. Mais très vite je
m'aperçois qu'on ne me donne pas ce que je suis venu chercher. C'est mou.
Sympathique mais apathique. Résolu, fuyant. Alors je ne fais pas d'efforts, ma
maladie prend le dessus, y a même pas un lit, une couverture, et une bande
dessinée de secours.
- Je rentre à Paris trois heures plus tard avec
des sentiments sombres et partagés. Comme par exemple que j'ai perdu le goût de
faire de la musique, ou que je perds peut-être le goût de travailler en groupe,
à moins que ce ne soit la perte du goût de motiver ce groupe, de me trouver en
son centre et à sa tête avec la figure imposée des lendemains qui chantent - et
qui suivant les jours chantent avec plus ou moins de voix-
- De toute façon, quoique je perde comme goût et
que je m'y résigne, je perds.
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- 05.11.99 Christian me relate sa soirée d'hier en
compagnie d'une jeune suédoise de 19 ans qui est venue se lancer dans la vie.
Se lancer dans la vie londonienne et se lancer dans la vie à Londres.
- - Comme je l'avais déjà emmenée la veille dans
une trattoria, je lui ai proposé d'aller faire des courses ensemble et de dîner
dans mon appart, donc on est sorti on s'est promené dans les magasins et puis
comme on s'est décidé pour rien on a fini à nouveau au restaurant.
- Ce simple récit d'une situation assez banale,
probablement romantique, deux jeunes gens dans l'emballement de se connaître à
peine, indifférents à l'étalage de toute marchandise comparée à la proximité de
leurs corps et le délice de la promenade, le bonheur qu'ils ont de se tenir
ensemble dans la nuit fraîche et agitée par les lumières des étales, des
vitrines, en plein la précipitation d'une ville qui enfile un manteau et une
écharpe pour vaquer d'un problème professionnel à une solution domestique, ou
vis-versa, ou rien du tout, cette situation donc ordinaire, me laisse cependant
extrêmement perplexe, voir légèrement anéanti.
- Je questionne Christian. Comment ça, vous n'avez
rien trouvé? Rien qui vous plaisait pour dîner?
- - En fait, poursuit Christian, elle ne
choisissait rien et moi je ne fais jamais la cuisine. Donc on a fini au
restaurant.
- - Mais quand même, un traiteur! Un plat déjà
cuisiné, t'as plus qu'à le passer au four. T'appuies sur un bouton, hop, c'est
prêt. Si tu veux l'embrasser, ou tenter quelque chose, dans l'atmosphère
doucement glacée de la nuit qui tombe sur une petite rue commerçante,
illuminée, pittoresque, les sacs plastiques j'admets, les bras chargés de sacs
plastiques, évidemment c'est un problème, pour la prendre par la taille c'est
un problème, mais dans ce cas tu te fais livrer, tu peux te faire livrer
facilement à Londres j'imagine, et là t'as les mains libres pour l'embrasser,
même si c'est pas avec les mains qu'on embrasse, tu n'as qu'à choisir un plat
cuisiné chez un commerçant qui livre des plats cuisinés que tu peux mettre au
four ensuite, et l'affaire est dans le sac, pas dans le sac plastique mais tu
vois ce que je veux dire, je comprends pas bien, elle ne savait pas choisir
entre plusieurs possibilités, elle n'avait pas envie de choisir, ou elle
n'avait envie de rien ?
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- 07.11.99 Thé à la cannelle toute l'après-midi.
Il me brûlait de savoir si Vladimir Nabokov s'était exprimé sur Salinger et
dans ce cas quel eût été son verdict au sujet du romancier américain,
voilà que je découvre enfin dans le recueil d'interviews qui vient de paraître
cette réplique sobre, mais heureuse : "Au cours d'une seule et même
génération, il est rare de voir coexister plus de deux ou trois auteurs qui
soient réellement de tout premier plan. Je pense que Salinger et Updike sont de
loin les meilleurs artistes de ces dernières années." (V. Nabokov en
1965). Après-midi studieuse, errante et délicate à Auteuil entre les articles
de presse à agrafer en vue d'une nouvelle série d'envois du cd 4 titres, et mon
bureau d'écolier chargé de livres contre la fenêtre qui donne sur la cour
froide, la lumière du dimanche qui dispute à la lumière d'automne la paternité
du vide et sa délicatesse, les bandelettes de jardin fleuri dans la
momification du jour, une bouilloire qui me siffle sans plus de ménagement
qu'un téléphone pour la préparation du thé, à la cannelle, jusqu'à plus soif,
l'après-midi passante que rien ne perturbe excepté la beauté à la fois
naturelle et factice, récurrente, de Romina Mondello, la jeune présentatrice de
Dominica in 2000 l'émission de télé sur Rai Uno, récurrente parce qu'au rythme
d'interruptions pour des feuilletons policiers de second ordre et autres
panouilles, l'émission de divertissement italienne s'étale sur toute
l'après-midi et jusque tard dans la soirée, un peu comme ce que fait Drucker
sur France 2 (à ce propos j'ai une très bonne blague de ma composition sur
Drucker mais je ne la dis que dans le strict privé, si tant est qu'il existe un
privé plus convaincant que celui d'un journal intime), ainsi dans ma bêtise
participative de garçon jeune homme et tout ce qu'on voudra, je rallume la télé
aux heures où revient à l'antenne Romina Mondello, la présentatrice italienne,
pour voir si elle a changé de tenue pendant les pubs, comment ça lui va etc.,
et d'autres trucs accessoires qui m'intéressent et sur lesquels Nabokov ne
s'exprime pas dans son recueil d'interviews, ou trop peu.
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- Marine qui passe en courant d'air délicieux
pendant que j'écoute avec intérêt le dernier cd des Innocents.
- "Elle est bien cette chanson, me dit elle,
parce qu'on l'imagine chantée autrement, par d'autres gens et en mieux."
- Ce que Cioran appelle : "L'art d'assassiner
par l'éloge".
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- 09.11.99
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- Christian me demande comment je vais, ce que
j'ai fais aujourd'hui, et d'autres choses aimables et je commence à lui parler
du livre qui m'occupait quand il m'a téléphoné, puis soudain sans méchanceté
(alors que ça pourrait être vraiment stupide, méprisable et pédant comme
remarque mais je dois dire que je la formule avec une innocence et une
précaution totalement charmantes) je lui dis : pardon de te parler de ça, ça
doit être une autre planète pour toi...
- - Tu te trompes, me répond Christian d'une égale
amabilité, pour passer le temps des voyages en avion j'ai acheté deux livres,
l'un en poche genre le manuel du parfait séducteur, avec des conseils vraiment
débiles comme n'oubliez pas de vous laver avant un premier rendez-vous, et
l'autre un livre écrit par le chef des buddhas...
- - Le Dalaï-Lama.
- - Oui, c'est ça, le chef des buddhas quoi.
D'ailleurs dans mon appart à Londres je l'avais laissé sur la table de nuit, et
la suédoise de 19 ans, celle que j'ai dragué dans l'avion justement, elle me
l'a emprunté, ça prouve qu'elle veut faire des efforts non?!
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- 10.11.99 La pluie d'automne par moments comme
des nuits incomplètes, les ambassades d'amour à leur commencement qui séparent
de la masse du jour, éloignent un temps les soupçons d'une barbarie masculine,
omniprésente, qui relève de la rancoeur et de la horde, de l'excès de bravade
au manque de bravoure, face à quoi elle tentait des efforts d'immatérialité
pour se protéger des départs, ceux qui clôturent et ceux qui électrifient,
quand ce n'est pas la même chose, des pièges variés que les avenues froides
couvertes de feuilles veinées tendaient, dans ce café de 17 heures trente sur
la nuit, avenue Molitor, elle me parlait avec sa tasse blanche des thés bon marché
devant la bouche, disait qu'elle aimait bien lire et qu'elle n'avait, à part
l'école, rien lu d'autre qu'Yves Simon, je gardais mes commentaires pour moi,
même pas ce qui ne consistait aucunement en un jugement porté à savoir que je
le croisais souvent rue Dauphine, et je restais là à jouer à la marelle avec
des morceaux de sucre sur une table froide et grise, avec cette fille de peu de
goût, je veux dire en nombre, peu de goûts déclarés si ce n'est la lecture
d'Yves Simon et un penchant morbide à requérir ma présence, par accoups
absolument, sans rien jamais exiger de moi, ce qui dans l'automne des
silhouettes coupantes qui fusaient derrière les vitres du café et cherchaient
dans son visage de la vulgarité ou du confort, désarmait mon ironie.
- En rentrant je m'attardais longuement dans le
quartier, le froid dompté, les fenêtres suspendues, aux lampes brûlantes à
donner une version précieuse de l'intimité, et la télé d'une loge de concierge
ouverte sur une actrice de porno qui déclarait qu'entre deux prises elle jouait
à Othello.
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- 17.11.99. Je repousse toujours la lecture
d'Hervé Guibert. J'ai ses livres, chez moi, et je me dis toujours que la
prochaine fois, la prochaine lecture sera Hervé Guibert. Mais non. Ca remonte à
1989, lorsque j'habitais rue du Regard et lui rue du Bac je crois. Une amie
d'origine turc en était folle. Elle avait volé un livre à la bibliothèque
d'Ankara, même si vu d'ici ça peut paraître insolite, un livre d'Hervé Guibert,
à la bibliothèque d'Ankara (où l'on s'attendrait plutôt à trouver un choix de
classiques, de Flaubert à ST-Ex). Pour me moquer gentiment de sa prédilection
un peu autoritaire pour l'écrivain- photographe (je suis d'un naturel moqueur -
mais à condition que la moquerie soit douce et spirituelle, ce que ne comprend
pas mon père et lui donne une de ses répliques fétiches lors des repas
d'anniversaires: "Ce n'est pas bien d'être moqueur, ça te jouera des tours
dans la vie!") pour me moquer gentiment d'elle j'imitais par la parole le
style d'écriture d'Hervé Guibert (plus facile à saisir que Huysmans), et ça la
faisait rire de bon coeur. Quand même j'ai lu Des aveugles et j'ai
modéremment aimé, comme l'envie de dire à chaque page tournée tel Marina Vlady
dans Deux ou trois choses que je sais d'elle : "Et après ?!", ce
qui ne m'est jamais arrivé avec Duras bizarrement. Mais j'ai très bien pu me
tromper sur Hervé Guibert. Il est très plausible qu'à cette époque je sois
passé complètement à côté.
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- 20.11.99
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- Auteuil. Thé Mariages Frères : Cannelle-orange,
Pu-erh.
- Marine m'a acheté des clémentines au marché de
la place Jean Lorrain que je mange en regardant la pluie tomber derrière les
fenêtres.
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- 23.11.99 David me conseille chaleureusement le
dernier album de The Folk Implosion, estime que la démarche de ce groupe se
rapproche de notre esprit. Il propose toujours avec cet engouement
caractéristique qu'en ce qui concerne nos prochaines chansons nous nous
rapprochions du Bowie de Ashes to Ashes, ajoute qu'il parie sur le retour en
force des années 80 et plus particulièrement de la new-wave. Mais de la
new-wave intelligente précise-t-il, il faut savoir tirer parti du meilleur des
années 80.
- Christian me dit, sybillin : Jérôme, tu es comme
l'orange à côté du pressoir. Sa liaison avec la suédoise de 19 ans se poursuit,
sans être le grand amour, appuie-t-il, c'est toujours plus marrant que de
rester seul. Je lui demande si elle l'a présenté à son cercle d'amis, et il me
dit que oui, qu'il est sorti dîner à Londres avec elle et plusieurs de ses
copines et que c'était très sympa. En effet, contrairement à moi, Christian
adore se mélanger aux fréquentations de ses fréquentations, sortir à la cool...
Il est d'un naturel très liant qui en dépit de sa franchise et sa curiosité
culottées - qui peuvent le faire passer de prime abord pour quelqu'un
d'étonnament grossier - finit toujours par le rendre sympathique. Pour ma part,
au grand désespoir des jeunes filles (celle qui partage comme celles qui ont
partagé) mon existence, je rechigne toujours à jouer la tangente dans les cercles
d'amis, ou pire les familles, je préfère et privilégie les amours secrètes, les
rendez-vous secrets, les liaisons piquantes et les amitiés électives, davantage
à mon aise dans ce que Saint- Simon appelle : "les ténèbres des têtes à
têtes."
- A la rigueur quelques soirées - comme celles où
nous allions avec David dans notre milieu de petits bourgeois de l'Ouest
parisien pleines de types carriéristes, insipides et pédants, et de filles à
marier, pour y jouer les faux nihilistes et les vrais ironiques.
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- "Temps de chien", film à la télé en ce
moment : Evelyne Bouix nue, faisant des ronds dans un jacousi ou dégrafant son
peignoir dans les sanitaires d'une compagnie d'assurances, suffirait sur le
moment à placer ce petit film dans mon Top ten entre Once Upon a time in
America et Lost Highway.
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- Demain matin lever aux aurores car interview + 1
titre live pour une émission qui passera en décembre sur un câble local et
également en réseau dans les Fnac d'Île de France. J'ai appelé Michel Mathieu
qui tout de suite a accepté de nous prêter la scène du Café de la Plage pour le
tournage du titre. J'ai préparé quelques surprises, quelques accessoires
surréalistes (dont Le monde comme volonté et représentation , la somme
de Schopenhauer) à sortir de mon chapeau pendant l'interview comme conseils
d'achats pour Noël. L'interview est un des aspects du "métier" pour
lesquels je suis bon client, voire cabotin, un exercice où je peux donner libre
cours à mon goût pour l'improvisation, le persiflage spirituel, le décalage et
l'aphorisme ou la formule bien sentie. Je me suis d'ailleurs bien amusé le mois
dernier sur France Inter chez Serge LeVaillant, et maintenant qu'il me connait
davantage, j'espère qu'il nous ré-invitera pour la sortie du prochain quatre
titres. David, au téléphone m'avoue qu'il trouve Charlotte Gainsbourg, que l'on
voit beaucoup en ce moment à la télé ou en photo dans les magazines pour la
promotion de son nouveau film, particulièrement très jolie! Je m'étonne car
souvent minoritaire parmi mes camarades - et ce depuis l'adolescence - pour la
passion d'une fidélité absolue, intransigeante et douloureuse que je voue à
Charlotte Gainsbourg, c'est bien la première fois que j'entends David - qui n'a
jamais daigné d'ailleurs s'attarder sur ses talents autrement que pour me
taquiner ou me railler en me rappelant qu'elle a finie dans les bras d'un autre
Attal - m'en parler en des termes si laudateurs.
- Comme je lui fais remarquer, donc, son soudain
revirement, il a cette phrase formidable d'observation ou de mauvaise foi selon
:
- - C'est parce qu'elle a mis 25 ans pour
découvrir le shampoing. Mais depuis qu'elle se lave les cheveux, elle est
particulièrement très jolie!"
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- 30.11.99 En studio. J'ai enregistré Je veille
sur le corps d'un rêve en une prise car c'est une chanson qui parle d'elle
même, sur laquelle je n'ai pas à me forcer pour y exprimer ce que je souhaite,
par contre beaucoup plus de mal avec Aucun principe... qui est dirons
nous plus neutre, moins personnelle.
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- 08.12.99. Article élogieux dans Standards. Je reçois le premier rapport de Francophonie
diffusion l'organisme qui s'est chargé d'envoyer notre cd à 74 radios
francophones de par le monde. Nous faisions partie du même envoi que le dernier
single de Zebda et c'est plutôt amusant de lire que même si ils font
globalement l'unanimité nous leur piquons la vedette si je puis dire en
Nouvelle Ecosse et dans l'Ontario. Nous sommes également en faveur en Norvège
où Radio Paris Oslo diffuse la ville quelconque cinq fois par semaine.
Et puis en vrac une radio du Québec trouve ça "bien", une de la
Polynésie française "bof" et pour Fun radio Bucarest c'est
"suffisant"!
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- 18.12.99 Plusieurs réunions roboratives avec
Rodolphe (nouveau manager). Il est venu nous voir lors d'une séance de mix en
studio, et m'a convaincu, arguments à l'appui, de poursuivre de quelques jours
l'enregistrement pour parvenir à un album (maquette).
- Lecture. L'amour dure trois ans de
Frédéric Begbeider : très bon, seul type capable à quelques pages d'intervalle
de citer Benjamin Constant et le groupe comique les Inconnus.
- Musique. J'écoute Arab strap, Elephant Shoe
. Brassens, une compil' qui vient de sortir avec mes chansons préférées qui
sont Saturne et Les passantes. Le single No distance left to
run (grande chanson) de Blur avec les remix de Tender et Battle par
Cornelius et UNKLE.
- Christian a définitivement rompu avec sa
suédoise de 19 ans. Il vient de jeter son dévolu (il lui faut des intrigues!)
sur une londonienne originaire du nord du Royaume Uni qui travaille à quelques
bureaux du sien, dans sa boîte de business consulting, et entretient une
passion maladive pour la culture française, langue qu'elle parle passablement.
Ils sont allés boire un verre au Pub l'autre soir. Elle lui a raconté qu'elle
adorait le week-end à Londres se rendre au centre culturel français et il lui a
proposé de l'accompagner lors de sa prochaine visite : il va enfin pouvoir
placer ses citations vaseuses des Bronzés font du ski et Père Noël est une ordure!
- La jeune femme est tellement férue de culture
française que son chanteur favori n'est ni Liam Gallagher, ni Jarvis Cocker, ou
même Robbie Williams mais Francis Cabrel!
- Christian, qui s'y connait, au fil de la
conversation liée dans le Pub l'a habilement complimentée sur "l'encre de
ses yeux". Il n'a plus qu'à se faire pousser la moustache.
- Christian me dit : "Avec la suédoise qu'est
ce que je m'emmerdais! Mais avec cette fille c'est
- génial : anglaise, passionnée par la France.
Pour moi qui ait passé toute ma scolarité en France elle me donne vraiment les
boutons sur lesquels appuyer.
- - Et du moment qu'ils ne sont pas sur sa figure,
lui dis -je, ne te prive pas pour appuyer."
- C'est la vie. On tombe amoureux de la plus belle
fille de sa classe, au collège, au lycée, puis de la plus belle fille qui se
trouve sur son lieu de travail, dans son bureau ou dans un bureau mitoyen. Il
faut bien que le coeur vibre tous les jours, un extra délicieux qui justifie,
du moins bonifie, les heures de labeur routinières. En fin de compte, les gens
qui rencontrent leur promise dans des soirées ou à l'autre bout du monde sont
des gens compliqués.
-
- Comme X proposait à David de se rendre à la fête
où nous allons ce soir accompagné d'une de ses amies, David eût ce mot charmant
: Quand je vais à la plage, je n'apporte pas de sable.
-
- Musique. J'écoute les maquettes de ce que nous
avons enregistré il y a quinze jours. Tout m'emballe excepté "Aucun
principe..." qui me désole. Au niveau du mix et des arrangements je me
demande - et à priori je suis le seul du groupe à m'interroger - comment avons
nous pu nous satisfaire d'une telle nullité?! Je prends l'initiative d'une
réunion avec le groupe mardi matin chez moi, à Auteuil. Il faut absolument
rectifier le tir (au moins remixer) pour quand nous rentrerons une dernière
fois en studio, début janvier, afin de terminer l'album. En revanche Elite et
le duo sont épatantes, la grande classe pour des maquettes non masterisées.
"C'est une tuerie ces chansons" comme dirait notre nouveau manager.
- X, chez qui j'ai passé la nuit, me dit qu'en ce
moment j'ai de la chance, d'avoir plusieurs vies. Je lui réponds que j'ai
l'impression de n'en vivre qu'une, la mienne.
- David me parle des Boîtes mythiques, aujourd'hui
disparues, de son adolescence indé : Le Rose Bonbon, La Piscine, Le Fantasia à
Neuilly et le Boucanier entre Vavin et Montparnasse.
- La fête a lieu dans un appartement d'une belle
et grande maison près des Buttes-Chaumont. Encore une fois se vérifie le
précepte que la maîtresse de maison a pris soin de n'inviter que peu de
créatures susceptible de lui piquer la vedette. Coquetterie et manigances de
bon aloi : "C'est mon anniversaire, je ne vais quand même pas inviter
cette conasse qui va happer, éclaircir ou obscurcir, le regard et l'attention
de tous les types fréquentables que j'ai invité pour mon anniversaire!"
Dans les fêtes, je suis toujours un peu triste. Ca me raccorde directement à
mon adolescence, l'indisposition qui me venait dans la fatuité ambiante,
cherchant l'éclat quand d'autres cherchaient à s'éclater. Et puis je veux
toujours partir à l'autre bout du monde (ce qui est une bien bête métaphore
pour dire sur le pallier, derrière la porte.) avec la plus belle fille de la
soirée, donc je fais partie des gens compliqués.
- Contrairement à la bâtisse, l'appartement était
assez petit. Hors quand je vois devant moi certains garçons danser, se
déhancher d'une certaine manière sur de la musique disco ou électronique, je ne
peux m'empêcher de refréner des petits fous rires plutôt ironiques, et à part
des mains de jeunes filles il n'y avait pas de pièce assez vaste, ou
suffisamment douce et sombre pour me cacher.
- X, notre hôtesse, était belle, tactile et
charmante. Elle avait fait des artichauts braisés mais je peux me tromper.
- Elle a en tout cas tapée dans l'oeil de David,
qui autrement fut d'une compagnie exemplaire, me faisant bien rire en me
détaillant par le menu chaque nouvel arrivant : "Ce mec là je suis sûr
qu'il a mis deux plombes pour se geler les cheveux, moi je faisais ça quand
j'allais aux concerts de Dépêche Mode!" Plus tôt, tandis que nous
écoutions No distance left to run de Blur, David s'est mis dans tous ses
états en expliquant que cette chanson était trop bouleversante et qu'elle lui
rappelait par son intensité émotionnelle la lecture dans son enfance du roman
de jack London : L'appel de la forêt . Puis il s'est mis à deviser sur
Damon Albarn : "Il es trop classe! Même quand il vomit c'est en Paul
Smith!"
- J'ai bu un verre de vin rouge et du coca- vodka
que David a dosé comme un Moujik. Je n'aime pas l'alcool, mais je sais me tenir
en société et d'instinct j'ai compris que demander une tasse de thé aurait été,
dans ce genre de teuf, hors de propos.
- Pour un anachorète je suis plutôt beaucoup sorti
cette semaine. Dîné chez X, Y et Z. Dîner chez les gens c'est bien mais c'est à
partir du moment où ils vous proposent des yaourts pour dessert que vous
pénétrez véritablement dans l'intimité de leur frigidaire.
- Pierre, mon cousin (dont l'érudition, la
discrétion et la spontanéité me font regretter de considérer trop souvent toute
idée de famille aussi pénible et fastidieuse qu'une leçon d'arithmétique) m'a
raconté que visitant en Suisse une exposition consacrée à Vladimir Nabokov, l'a
particulièrement séduit et amusé la présentation sous verre de la page sommaire
d'une compilation du New-Yorker énumérant les titres des nouvelles recueillies
avec les noms de leurs auteurs, tous illustres, page sommaire sur laquelle
Nabokov s'était permis de rajouter de sa main à côté de chaque nom un jugement
aussi définitif que cinglant sous forme de note d'après le barème scolaire en
vigueur, si bien que tous les auteurs de cet ouvrage avaient écopés d'un C- ou
d'un D à l'exception de
- Salinger : A- et de lui même, Nabokov : A+.
- Dernière chose, et non des moindres : elle
s'appelle Laure. (23.09.99).
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