- Chapitre 19
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- 01.01.02
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- "On ne peut pas travailler pour les autres. On travaille
pour des frères mystérieux qu'on possède à travers le monde. Il y a une île qui
est brisée, dispersée à travers le monde. Et, en somme, l'art est une espèce de
signal, comme un mot d'ordre pour retrouver des compatriotes" (Jean
Cocteau - Journal sonore du testament d'Orphée)
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- 02.01.02
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- Elle
me dit qu'il n'y a que moi. Parmi tous les amants qu'elle a eue. Il n'y a que
moi.
- Qu'elle
a tapé sur un moteur de recherche les noms de tous les amants qu'elle a eue, et
qu'elle n'est tombée que sur moi.
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- 11h45
Elle descend la rue George Sand, elle porte un blouson blanc en jean ouvert sur
un pull rouge qui déborde par les manches, des pantalons jeans (bleu marine)
serrés, une tignasse brune, visage simiesque et chevalin, un branchage de
l'adolescence type Audrey Anderson, quand nous habitions la Garenne Colombes il
y avait au bout de la rue une boucherie chevaline qui vendait aussi des chips
Flodor, regular ou gaufrettes, la boucherie chevaline les petites copines qui
fréquentaient le poney-club trouvaient ça: super criminel, carrément dégoûtant.
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Mais j'y vais pour les chips, promis juré que j'y vais pour les chips!"
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- 12.01.02
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- Lundi
: lettre d'adieu d'Yves Saint Laurent magistrale et absolument truffaldienne, X
m'appelle, il a failli casser la figure à un type qui encensait Tom Ford et
vilipendait Saint Laurent. Sur le coup ça me fait penser à Modigliani qui, lui
aussi, avait le poing facile (pour d'autres raisons) dans les Cafés de
Montparnasse. Jeudi : le passage de Stacey Tendeter à travers les jardins du
Musée Rodin, habillée d'une chemise stricte et d'un sourire (éclaboussé de
soleil) dans le film super huit de Jean Gruault (supplément du DVD des Deux
anglaises et le continent ), beauté à chérir, retenir le soluble, les longs
cheveux roux sur la nuque blanche. Mercredi : Soldes avec David, nous musardons
chez Sonia Rykiel (boulevard Saint-Germain), au Printemps de l'homme et
Galeries farfouillettes: bredouilles. Les seuls vêtements qui me tapent dans
l'oeil sont pour une fois chez Paul Smith : mais hors de prix. Long regard avec
une fille d'une souplesse irradiante devant le Marks and Spencer défunt
(rideaux baissés) du boulevard Haussmann. Déjeuner avec David au Petit-Suisse.
Il me mitraille de questions: pourquoi les femmes sont-t-elles soit
excessivement jolies soit excessivement moches ? Pourquoi est-t-on toujours
plus sympa avec une fille jolie ? Pourquoi nos faits et gestes sont dictés par
le sexe ? Et nos chagrins parfois, je réponds, et le mot ETERNITE toujours.
Jeudi : j'achète un Lintzer à la framboise au Grillon d'Auteuil,
incontestablement la meilleure boulangerie du quartier. Vendredi: envie de me
tuer mais j'aime trop ma bibliothèque. Mardi, la main de X dans les galeries du
musée. Mercredi 14 heures : elle termine de déjeuner d'une tarte au chèvre en
terrasse du Petit-Suisse; des baskets rouges un bonnet blanc enfoncé sur la
tête. C'est un bonnet blanc à une place sinon je me cacherais bien dedans moi aussi,
de peur d'être reconnu de mon vivant (par une statue des jardins du
Luxembourg). Il y a aussi des filles avec lesquelles on aurait envie d'être un
océan de douceur, une protection intransigeante et absolue, il y a des filles
avec lesquelles on voudrait partager un appartement boulevard Richard Lenoir ou
derrière le Panthéon (même si ce n'est pas une vie pour nous) et d'autres plus
violentes pour lesquelles mourir, au petit jour à petit feu, ou par orgueil. Et
puis à elle maintenant, à son tour de hurler maintenant, elle qui voulait être
celle-là et pas une autre, puisqu'elle est celle-là et pas une autre. La
semaine fut chargée, je suis fatigué, j'aimerais me reposer mais je n'existe
pas encore. Pascale-Jeanne me dit que j'existe, mais je ne suis pas d'accord
avec elle. Il a plu en fin de semaine; j'ai goûté au retour de la pluie en ne
bordant pas mon plaisir.
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- 13.01.02
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- Samedi,
au Café, Michel-Ange Auteuil. Une fille (très jolie) qui fait les cent pas
dehors, fini par entrer, s'asseoit sur une banquette. Haut noir très échancré,
cou magnifique orné d'une croix en argent, fine jupe noire sur un pantalon
rouge, effet très habillé de l'ensemble. Très belle, les bras nus. Elle porte
au poignet (finesse du poignet) une montre; le genre de montre avec un bracelet
en plastoc qui semble avoir éclos d'un kinder surprise, mais qui, en fait, est
une bonne montre. Elle est rapidement rejointe par une amie, je murmure
qu'elles ont des voix de crécelle, et X me répond: ce sont des filles, quoi. A
16h53 il y a une troisième fille, qui semble éclose de la rue (matrice bruyante
et spontanée), qui vient s'asseoir sur la banquette à côté de celle qui me
plait.
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- Quand
ils racontaient leurs jeux ils avaient souvent à la bouche le terme de
"meilleur ami". C'est un concept que je ne comprenais pas. Il y avait
bien sûr des élèves que j'appréciais plus que d'autres, des copains aussi, une
bande plus ou moins fiable constituée par la proximité du voisinage. Mais, non,
j'avais beau réfléchir, je ne pouvais parler de personne en tant que
"meilleur ami", je me méfiais des fraternités dégoulinantes et au
final très égoïstes, à bout portant, des acoquinements de circonstance et des
paroles sans rien derrière. Ca voulait dire quoi meilleur ami ? Il y avait une
sorte de compétition, on traçait une ligne au sol et à vos marques, prêt,
partez : cinq six de ses camarades s'élançaient pour un cent mètres, un sprint
au bout duquel le vainqueur serait déclaré meilleur ami ? Et puis un jour,
longeant un mur du préau pendant une récréation, je surpris ce garçon chétif,
pâle comme un linge, qui citait mon nom à une petite fille, lui disait que
j'étais son meilleur ami, et je ne me rappelais pas avoir passé beaucoup de
temps avec ce garçon à l'exception de cette fin d'après-midi où sa maman était
à l'hôpital, et j'étais resté longtemps après l'étude à attendre auprès de lui
que mon papa qui connaissait un de ses oncles vint nous chercher tous deux en
voiture.
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- 15.01.02
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- D'aucuns
pensent que la recette de la bombe atomique ne devrait pas échoir à n'importe
qui. On devrait pouvoir en dire de même, de l'écriture.
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- 16.01.02
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- Pour
un type comme moi qui ne boit pas une goutte d'alcool, il y a des invitations à
sortir qui présentent un minimum d'intérêt. On devrait pouvoir en dire de même,
pour certaines filles. Je mâche un chewing-gum au thé de marque Lotte que
Pierre (B) m'a rapporté de Tokyo. Il me parle des corbeaux qui un matin sont
venus d'on ne sait où, du continent peut-être, et qui chassent les pigeons de
Tokyo, qui envahissent les places et les parcs, chassent les pigeons et les
canards, deviennent progressivement la nuisance numéro un. Il me dit que je
dois partir au Japon, que je ferais un malheur là-bas, pas en tant que corbeau,
mais en tant que renard. Elle s'inquiète de mes yeux, elle affirme que
lorsqu'on a les yeux clairs, la vue baisse plus rapidement, alors elle me donne
à manger des confitures de myrtilles fabriquées par sa grand-mère. Parfois j'ai
l'impression de faire du mal aux gens qui sont autour de moi, pas vraiment du
mal, mais de les contaminer par la tristesse, à la manière de Rogue (personnage
des Marvel Comics) qui ne peut pas toucher quelqu'un sans le blesser, ou plus
largement comme le Christ dans l'instant du Noli me tangere. Dehors la
tour Eiffel est une goutte d'eau dans la grisaille. Frédéric veut dîner dans un
endroit où il y aura de la lounge music. Je désire simplement dîner dans un
lieu où il y aura quelque chose de comestible, dans l'air et dans l'assiette.
- Une
rue perpendiculaire à une autre rue, voici pourquoi nous ne sommes pas au
Far-West, mais dans le centre d'une grande ville, une capitale d'Europe; au
Far-West il n'y aurait qu'une seule voie principale, j'imagine. Comme dit
Pierre (B) c'est le genre de soirées où ça commence au vin rouge, ça se poursuit
au whisky, et les plus désoeuvrés se finissent au Ricard car, très vite, il ne
reste plus d'autre solution à boire.
- Il
y a un type dont on m'a répété avec insistance - le goût du public pour les
jeux du cirque - qu'il me détestait (certainement un truc qu'il a pris pour lui
dans mon Journal - les ratés sont souvent plus hargneux quand ils croient se
reconnaître que lorsqu'ils sont cités nommément - ou accessoirement, une
jalousie) qui, dès qu'il me voit, vient me serrer la main; j'en déduis donc qu'il
me déteste cordialement. La sonnerie de la porte de l'appartement est si aigre,
si désagréable et si puissante qu'on serait tenté de placer des panneaux
"déviation" dès le premier étage pour faire arriver les invités par
la fenêtre (troisième étage). Il y a une fille qui mange du chili con carne
dans un bol, qui raconte à une dizaine de personnes différentes que son enfant
s'appelle Mars. Je pense au roman de Fritz Zorn, puis comme elle parle d'une
émission télé sur le déplacement des plaques tectoniques je lui dis qu'elle est
bien terre à terre pour une fille qui appelle son enfant Mars.
- X
qui affectionne les associations surréalistes me prend pour un génie parce que
l'autre jour il m'a demandé ce que je préférais dans le sexe et j'ai répondu
une connerie du genre "le triangle des Bermudes" ou "le détroit
de Gibraltar", alors dès qu'il m'aperçoit dans le salon il raconte ça à la
fille qui l'occupe (qu'il occupe). Comme je n'ai encore répondu le Cap Horn à
rien ni personne, je garde le Cap Horn pour la prochaine fois qu'on me pose une
question. Comme souvent à Paris, les seules idées qui valent la peine d'être
approfondies portent des robes. Il y a une grande affiche de Millenium Mambo
dans le salon, je suis très envieux car ça fait trois mois que j'en ai commandé
une à la librairie de cinéma qui jouxte le Mk2 Hautefeuille; toujours pas
arrivée. L'abus de confiseries japonaises Lotte au thé me barbouille l'estomac,
me donne des hauts le coeur, je n'ai rien avalé depuis midi, je picore sans
conviction un biscuit Belin emmenthal et ciboulette. X raconte qu'elle a changé
d'avis sur la fellation depuis qu'elle a mis la main sur un stock de
préservatifs au gingembre. Elle demande où sont les toilettes, je réponds: - Au
Cap Horn". Deux types en grande discussion littéraire, l'un parle de
"la saveur" de Rimbaud, l'autre lui rétorque qu'il trouve ça
terriblement obscur,"hé ouais, même les lettres, même les lettres!"
Ce dernier porte en bandoulière un sac Jansport vert. Il a ôté son manteau, sa
veste, mais il porte en bandoulière, pendant toute la soirée, un sac Jansport
vert. Comme j'entends dire depuis la cuisine que le réfrigérateur est full-up,
j'imagine qu'il porte sur son dos sa propre cargaison de bières. Le type qui
parle de "la saveur de Rimbaud" est tellement tiré aux quatre
épingles, a l'air tellement de droite dans ses poses et sa faconde, que je
prétends que si Rimbaud se pointait aujourd'hui avec sa dégaine de morveux ils
n'en voudraient même pas pour l'opération pièces jaunes. Enfant, à l'école, je
faisais l'opération bol de riz, c'est-à-dire que je mangeais un bol de riz et
un yaourt au lieu du repas habituel, et l'argent allait pour les enfants du
tiers-monde. On était fier de participer à l'opération bol de riz, cette
satisfaction enfantine sans-gène de faire le bien dans le monde et certains
d'entre nous auraient été prêts à se liguer pour violenter un des enfants qui
ne participait pas à l'opération, parce que ses parents y étaient opposés ou un
truc du genre, on aurait été prêt à lui tabasser la gueule, à s'y mettre à
plusieurs pour lui fracasser la tête à coups de poings: ce qui reste de
l'enfance aux adultes, après, malheureusement, c'est principalement ce côté
abject, foncièrement déloyal. Mais aussi le jour de l'opération bol de riz
était de loin le midi le moins dégueulasse de toute l'année : le bol de riz
avec une noisette de beurre valait largement les plâtrées de lentilles, de
langues de boeuf, de frites éventrées d'huile et de raviers de céleri rémoulade
qu'on nous infligeait ordinairement (j'oublie pour le dessert: les roses des
sables avec les crottes de nez des cuisiniers dedans).
- Il
y a sur un bras de divan une compilation de Tracey Chapman, je demande à X qui
s'apprête à mettre le disque: c'est quoi un best-of de Tracey Chapman ? C'est
douze fois le même titre ?". La fille qui a appelé son fils Mars boit
maintenant dans un biberon. Je trouve qu'elle fait un mauvais calcul car quand
on est complètement stupide on a au moins l'intuition de se donner un air
intelligent, pour la parade, ou l'idée, je ne sais pas, d'allumer une
cigarette; dans ce domaine la surenchère n'apporte rien de bon. Nietzsche qui a
écrit: "Tout ce qui est profond avance masqué" ne supposait
probablement pas que vienne un jour à exister ce titre de la Compagnie Créole
qui a maintenant remplacé le Tracey Chapman sur la platine cd. Le type qui
trouvait Rimbaud si savoureux drague une fille (que je connais) en lui faisant
tout un topo sur Nietzsche, il commet l'imprudence de me demander si j'ai de
l'estime pour le grand malade des alpages, je réponds que j'observe toujours
avec beaucoup de commisération chez les types qui sont condamnés à prendre des
râteaux avec les filles une propension à se réfugier dans une prose
incompréhensible et un charabia poético-verbeux. La jolie X me demande si j'ai
un tract pour mon concert du 22 février, et un type qui est coiffé comme une
fille et porte une chemise Lacoste en profite pour faire de l'humour (qu'il
juge irrésistible) en déclarant que mon meilleur tract c'est ma gueule. Je
réponds que je vais faire mine de ne pas sourire ni de bailler pour ne pas
dépasser le cadre d'impression. C'est une soirée en semaine, donc tout le monde
s'apprête à foutre le camp entre minuit et une heure du matin. La fille qui
reçoit n'arrête pas de me faire des avances dans le sens: "Allez, tu
restes un peu après que les autres soient partis". Plus excitée
qu'excitante, mais du participe passée à la forme féminine du participe présent
il n'y a souvent qu'un pas que l'on emboîte allègrement, à moins qu'en avisant la
bibliothèque (nullissime) la découverte des Mémoires d'une jeune fille rangée
de Simone de Beauvoir ne coupe tous nos effets. Les invités partent les uns
après les autres (par la porte), jusqu'au dernier (couple) à 1 heure 19 (heure
fixée sur mon téléphone portable avant que je ne l'éteigne). Alors elle ouvre
les fenêtres en grand, aère quelques instants durant lesquels elle vide les
cendriers dans un sac poubelle, puis ferme les rideaux dans toutes les pièces.
C'est drôle il fait nuit depuis dix-sept heures et c'est comme si je ne m'en
apercevais que maintenant. Dans sa chambre il y a un jouet surréaliste, la
figurine gonflable du personnage du cri d'Edvard Munch. Comme elle remarque que
je considère la poupée avec à la fois dégoût et insistance elle m'enserre de
ses bras et me souffle par dessus l'épaule: - c'est pour dédramatiser". -
Je comprends", dis-je. Elle éteint la lumière à l'exception d'une petite
lampe rouge, de chevet. Elle se déshabille, ôte sa robe noire. La fatigue sous
ses yeux et au toucher de ses bras nus. Sa co-locataire débarque dans la
chambre, une bouteille de crème de menthe à la main, et déclare dans un
français approximatif:
- -
Vous n'allez quand même pas faire l'amour sans moi."
-
- 19.01.02
-
- Nous
parlons de ça avec Pierre (B), de l'attirance extatique, monomaniaque du Japon
pour la nouvelle vague, l'idée qu'il n'y ait pas eu - pour une certaine
sensibilité - de courant artistique depuis, aussi léger, évident et novateur
que Jean-Pierre Léaud chez François Truffaut ou Jean-Luc Godard. France Gall ou
Françoise Hardy chez Serge Gainsbourg.
- Pierre
me fait découvrir les planches illustrées de Frédéric Boilet, le travail de ce
dessinateur français parti vivre au japon, passionnant. Il me montre les photos
qu'il a prises à Tokyo et leur correspondance dans les bd de Boilet. Pierre a
demandé à Yoko, une amie japonaise, de dire les quelques mots qu'il me fallait
pour ma chanson: Les femmes japonaises. Elle a eu la gentillesse d'accepter. Il
me raconte que boulevard Sébastopol à la librairie Phénix il y a une vendeuse
qui est un mix (un Hiromix ?) de ce que nous aimons tous deux chez les femmes.
Une frontière médiane.
- Pour
peupler mes rêves d'un monde de contines fraîches aux pénombres éclatantes, je
punaise au dessus de mon lit l'affiche de l'installation de Gérard Garouste qui
se tient en ce moment à la Fondation Cartier, boulevard Raspail. Les figures
peintes inspirées de la civilisation amérindienne. Les conquistadors frappés de
stupeur par ces représentations du corps, les pieds à l'envers. Allant vers,
dit Garouste. Les pendus cabalistiques, les lapins astronomes, les ânes qui
jouent aux cartes comme chez Cézanne, et les mandragores feuilles de chou au
corps d'arbres; de ceux qui peuplent les forêts en route d'Emerald City; forêts
effrayantes faute de rencontres.
- Dans
un café. Le mécontentement mauve de ses ongles peints comme les murs des
déambulatoires au temps des cathédrales. De ma période maniériste me vient
peut-être cette prédilection pour les cous. Elle a dans la bouche un
chewing-gum comme d'autres l'ont sous la semelle. Je lui dis je t'aime, confus
comme à compter dans le creux de ma main la nouveauté tragique, bluffante et
accessoire, d'un lot de pièces de centimes d'euros.
- Deux
cousines. Dans les champs de betterave et la terre retournée des campagnes
pluvieuses, en Wallonie. Une vie simple et sans apprêt autour d'un poêle sous
lequel venaient se blottir les chats de la maison. J'arrivais de France, de
Paris comme un roi sans sujets. Deux cousines, une paire d'essuis glaces pour
mes larmes et mon sang bouillonnant du voyage en voiture, à l'arrière, le vent
glacé dans les cheveux sur le parking du restaurant d'autoroute Jacques Borel,
avant que la voie ne se scinde en deux, Lille d'un côté, Bruxelles de l'autre.
La tour grise de la frontière belge coiffée d'un signe géométrique, puis la
rase campagne plantée d'une crête de peupliers et de vallonnements nuancés. Par
les champs de betterave et la terre retournée des campagnes pluvieuses. Ma
venue marquait tout l'exotisme de leurs vacances; elles qui ne quittaient que
rarement leur village. Une vie simple et sans apprêt autour du poêle de la
maison. Je leur rendais visite dès le premier jour, pour le goûter. Elles se
tenaient droites comme des i. Impatientes, prêtes à rire, à basculer dans la
terre promise du jeu. Il fallait les suivre plus hardies que jamais dans
l'immense escalier qui menait au grenier. D'en bas quelqu'un criait de ne pas
toucher au verrou.
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- 26.01.02
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- Journal
intime, donc. Quand elle arrive sur le parvis, une foule patiente s'est
rassemblée, les nouveaux venus sont interrogatifs, perchés sur la pointe des
pieds, les autres massés contre les barrières; ils applaudissent avec ferveur,
laissent échapper quelques larmes, le regard rivé sur l'écran géant qui
retransmet ce qui se passe à l'intérieur du centre, le défilé, les femmes
hiéroglyphiques, les adieux du couturier. Elle prend la tangente, traverse le
pont au Change. Rive gauche, elle entre dans un café et lève le doigt comme une
écolière pour commander un thé à la bergamote. C'est une belle journée
printanière qui décline lentement, s'accroche aux lumières; une douceur
maligne, entre parenthèses dans une semaine venteuse et grise; elle note le
dérèglement climatique à ce que le clodo japonais de l'arrêt de bus de la rue
des Ecoles s'est aventuré du côté des grilles des Jardins, bizarrement. Au
débotté d'une rue elle tombe sur un visage un corps qui la bouleversent, les
pantalons jean ou velours ça va trop vite, de couleur rouge, et au bout du
compte elle ne sait même pas s'il s'agit d'une fille ou d'un garçon; son
trouble est teinté d'un peu d'envie, elle se demande comment on peut paraître à
la fois si androgyne et si souverain dans ses choix. Se tenir de la sorte,
aérien et tellement: agressif de désinvolture. La dureté simple de cette
rencontre la travaille, ouvre la brèche un peu plus grande encore. Elle se dit
qu'il faudrait se débarrasser de cette intention de ressentir une émotion à chaque
coin de rue. Faire comme certaines de ses copines, bannir la disponibilité.
Elle prend le métro, quand elle entre dans la rame, elle se fait repérer par
trois types, distincts, qui selon leur genre la matraquent de regards plus ou
moins appuyés, en douce derrière leur lecture ou outrageusement, de la façon
désespérée avec laquelle ils se croient irrésistibles; quand elle descend deux
stations plus loin, elle n'en retient aucun. La nausée. La vie pourrait être
simple, se dit-elle. Elle se dit la vie simple c'est : j'aime, ou, j'aime pas.
Elle tombe sur son reflet dans la vitre d'un étalage et pense comme tous les
jours à aller se faire couper les cheveux, elle ajoute pour elle-même que ça va
déplaire à beaucoup de personnes de son entourage (peu de gens, en somme) mais
qu'elle a quand même le besoin impérieux d'aller se faire couper les cheveux.
Elle se dit la vie simple c'est : j'aime, ou, j'aime pas. Avec : je n'aime
plus, ou, j'aime moins, ou, j'aime encore, arrivent les complications. Elle
flâne dans une librairie et achète un recueil de deux nouvelles japonaises pour
la couverture pastel, enfantine, douce et sucrée, de même que pour le nom de
l'auteur qu'elle épèle mentalement : Banana Yoshimoto. Ba-na-na Yo-shi-mo-to.
Elle a peur de se lancer dans l'inéluctable. Elle creuse son paquet de
cigarettes américaines dans l'ouverture zipée de son sac. Traverse une rue.
Laisse échapper du bout des doigts sa cigarette et s'arrête soudain en plein
passage clouté pour la ramasser. Elle se baisse, s'accroupit. Vlang, une
voiture la percute sans effort. L'automobiliste déclarera qu'il est allé à son
allure, qu'il ne se doutait pas qu'elle allait s'arrêter en plein passage
piétons. Que si elle avait ralentie ne serait-ce que d'un pouce sa traversée,
là encore il l'aurait simplement effleurée, mais elle s'est arrêtée, s'est
baissée, ça a duré un temps fou, un désordre. Sous le choc elle est dans un
certain dédoublement, douloureux et agréable, elle peut mourir sur le coup ou
quelqu'un peut sortir de sa voiture, ou d'ailleurs, du quartier figé autour
d'elle, attaché accidentellement à un nouvel axe de rotation, elle peut mourir
sur le coup ou quelqu'un peut venir la sauver, l'emporter, pour toujours. Ca ne
sert à rien. Il n'y a que le procédé qui compte. Bref, elle entre fermement
dans l'inéluctable.
-
- 27.01.02
-
- Elles
discutent de choses et d'autres comme si leur conversation pour s'inscrire dans
le temps devait revêtir l'apparence de secrets primordiaux; on pourra y manger
de longues heures après dedans; penchées l'une vers l'autre, les jambes
croisées; la première rejette ses cheveux en arrière, la seconde les deux
bouteilles de coca-cola sur la table d'à côté.
- -
Ce qui me plaît chez elle, murmure Jean-Vic, c'est que toutes les filles fument
des Marlboro lights, et elle, elle fume des clopes auxquelles on ne penserait
jamais, des Merit."
-
- Musique.
Nous enregistrons dans une quinzaine de jours les chansons qui manquent pour
finir l'album. Rodolphe me présente Ethel qui va travailler avec lui l'aspect
management et dates de concerts. Je préviens Ethel que je ne suis pas très
rock'n'roll comme garçon au niveau des tournées, une vraie jeune fille même, je
précise. Ensuite nous discutons du disque et de comment nous pouvons accélérer
les choses; Rodolphe repart sur la couplet vaseux que je devrais sortir plus
souvent et aussi, par intérêt, coucher.
- -
Oui, pourquoi pas, dis-je, mais pas avec n'importe qui.
- -
Une vraie jeune fille, reprend Ethel, tu es effectivement une vraie jeune fille
!"
-
- Poème
pour train de nuit, quand elle rentre (l'hiver) d'un week-end chez ses parents:
-
- Démaquillant
pour les yeux,
- Collants,
- Huysmans,
A rebours,
- Rouge
à lèvres Agnès B rose transparent,
- Vernis
à ongles,
- Lunettes,
- Confiture
myrtilles fraises,
- La
nuit américaine (cassette VHS).
-
- 29.01.02
-
- Plus
d'une fois j'ai eu, l'occasion aujourd'hui, comme le synthétise si bien Gene
Kelly dans Les demoiselles de Rochefort, plus d'une fois j'ai eu
l'occasion aujourd'hui d'être "découragé par la bêtise."
-
- 02.02.01
-
- Et
puis lentement c'est comme un évanouissement qui ne doit rien au corps. Seule à
nouveau, elle boit dans un grand verre une gorgée de grenadine avec le même
espoir qu'enfant elle eût passée une larme de mercurochrome sur une écorchure.
Tout revient quand on se fait comme ça, abandonner. Le monde dans sa violence.
La part sordide, infamante, de l'inconnu, sans place pour soi, sans destinée
choisie: "Regardez comme elle est grande maintenant, elle s'est trouvée un
amoureux!". La part sordide et infamante du trop connu, déjà passée par
là. Les immeubles sinistres près de la ligne de chemin de fer, les types
infects oublieux des autres et d'eux-mêmes et à l'opposé les types moites de
bonnes intentions, infects tout autant. Les corvées administratives, les
matinées glaciales, les hypermarchés à la confluence de trois patelins où l'on
ne se rencontre pas plus que dans les discothèques; repartir à zéro, défaillir,
appeler et supplier : "Ne m'abandonne pas ou je chute" inutile, peine
perdue. Puits profond, horizontal, après s'être rompu aux bords comme un corps
sans vie, lourd, dépôt de sanglots, voici que la chute est maintenant en soi,
horizontale, il faut apprendre à marcher droit même pour aller secouer la
salade; la chute est patiente maintenant, comme un évanouissement qui quoi déjà
? ah oui, c'est ça, qui ne doit rien au corps.
- Le
sourire de certaines amies qui viennent boire le thé; les bécasses - depuis
qu'on est petites on nous apprend à nous maquiller, à fondre, à rajouter, à
enlever, à dissimuler, de la matière graisseuse, pâteuse, putride ou
bienfaisante, voilà notre lot - certaines filles pas mieux loties si l'on
gratte un peu le vernis des convenances, qui dès qu'elles ont la possibilité de
vous consoler se croient élues, leur journée voire leur existence terrestre
justifiée, alors elles ne lésinent pas sur le nombre de conneries à débiter
parce qu'elles pensent que dans ces moments-là on est moins aptes à contester,
à reprendre, ce qui est exact en plus. Les parents au téléphone comprendront
que ça ne va pas, demanderont de venir passer une semaine, au repos, la chambre
d'enfant est devenue une chambre d'amis mais la sensation d'étouffement est
toujours présente, davantage avec les proportions qu'ont pris le corps,
écoeurant, épargnez moi les miroirs et les penderies pleines de boules de
naphtaline ou bien j'en fais de la purée que j'avale direct; la vue toujours
inchangée sur le talus où elle jouait enfant, usée avant l'âge à force de jouer
les zones d'apprentissages pour garçons versatiles.
- Elle
pense à la petite fille qui habitait une des maisons d'à côté, elle l'avait
aperçue de temps à autre, ne se rappelle pas être allée chez elle une seule
fois mais peut-être bien que si pour un anniversaire, un inventaire des lieux;
la petite fille de la maladie du soleil comme tout le monde l'appelait, celle
qui ne pouvait pas s'exposer à la lumière du jour sans que la clarté ne dévore
sa peau. Jumelle inverse, vautrée dans l'obscurité tandis qu'elle était, par la
force des choses tout autant, tapie dans la lumière.
- Qu'elle
reste dans son ombre à jamais cette salope; les habitations sur de la boue,
naissances nouvelles, pavillons mitoyens au mur très fin, collés deux par deux,
identiques, en créneaux. Le talus où l'on jouait en bande et la petite fille
qui restait à épier derrière ses volets, à épier elle en était sûr. Elle aurait
voulu y aller, aller la chercher, elle aurait pu être méchante, ouvrir les
fenêtres en grand, et la foutre dehors, elle avec sa maladie souveraine et sa
supériorité intacte de ne pas connaître ça : le dehors, la violence; elle de ne
pas connaître ce qu'ils te font subir.
- Qu'est-ce
qu'elle croyait ? Que ses contraintes à elles seraient plus impérieuses, plus
exténuantes ? Mais la lumière ça ne pardonne rien, on envie la pénombre, on
envie le mensonge, on envie l'imaginaire, la lumière ça n'apporte rien. On ne
veut rien savoir. On ne veut plus savoir ce qui se passe vraiment dans la tête
de quelqu'un qui nous a dit je t'aime une fois suffit.
-
- 04.02.01
-
- Je
traverse la cour carrée du Louvre. Patraque, fiévreux. Enregistrement du disque
la semaine prochaine, je n'ai plus que quelques jours pour tomber malade,
avaler les antibiotiques Zithromax, trois jours de médicamentation, retrouver
un certain mordant pour la vie, tout du moins un certain entrain pour le
travail en studio.
- Je
ne me suis toujours pas arrêté sur la photo pour la pochette du disque; grand
tracas; pas la moindre envie de mettre ma tête comme la dernière fois, trop
d'embarras. J'ai demandé à Cyrille et Frédéric si cela leur ferait plaisir
d'avoir leur nom sur la pochette recto. Je traverse la cour carrée du Louvre
pour déjeuner avec Pierre (B) dans ma cantine japonaise de la rue Saint-Anne.
Nous évoquons X - une fille qu'il connait mieux que moi puisqu'il la définit en
ces termes: "C'était la reine des galipettes saison 96 - 97 !"
- Samedi
soir, Pierre est invité à un dîner de Gyoza (les excellents raviolis grillés
japonais) chez mademoiselle Yasuko. Il promet de me donner un coup de fil,
depuis la salle à manger de Yasuko, si, comme c'est à prévoir, les raviolis
sont trop bons.
- Je
tombe malade, à mon rythme; mon médecin habite dans un quartier où je mets
rarement les pieds ce qui dans mon esprit aurait dû idéalement suffire à
décourager la maladie, or il n'en est rien. Un volet claque à plusieurs
reprises côté rue. La tempête qui me montre comment je suis triste, ne me
souffle jamais pourquoi.
- Dans
la rame de métro station Sèvres-Babylone je m'assois sur un strapontin. Face à
moi, sur une banquette, une jeune fille qui regarde droit devant elle, le bas
du visage laiteux sans exagération, bouche bien découpée, mèches de cheveux
d'un rouge artificiel; regarde droit sur moi avec cette particularité que la
barre du dossier de la banquette lui masque les yeux. Ainsi, nous tenant tête
sans nous voir, je fais l'expérience de son visage.
- Auteuil.
Dans un café. Par les vitres raturées de pluie, une fille en manteau rouge. La
joie d'un rendez-vous qui, nettement, s'épuise à apparaître. Je la fixe jusqu'à
ce qu'elle devienne un violoncelle.
- X
me demande quel est, selon moi, la différence entre le talent et le génie. Je
lui réponds : C'est très simple: les gens qui ont des prétentions littéraires
admettent que j'ai du talent, ceux qui n'en ont pas trouvent que j'ai du génie.
-
- 08.02.02
-
- Je
vais mal. Je me plie à cette confession avec un certain entrain, soucieux de
contenter, pour une fois, l'infime pourcentage de lecteurs qui lisent ce
Journal motivés par une mesquinerie comparable à celle de certains
téléspectateurs qui suivent les retransmissions de patinage artistique dans le
vile espoir de surprendre les protagonistes chuter de façon grotesque au sommet
de leurs cabrioles savantes et inspirées.
- Donc
je vais mal, tapez dans vos mains ! (joli titre d'album). Angine carabinée, et,
beaucoup de soucis avec la pochette du disque. Déjà sur le choix de la photo.
Puis sur sa réalisation. Pour la photo rien de ce qui ne m'a été montré ne m'a
convaincu. Il y a bien une superbe photo que m'a envoyée Mathieu mais qui
conviendrait mieux pour le livret intérieur. Pour la pochette recto, à court de
matériel, j'ai pensé à utiliser un détail d'un tableau de mon grand-père.
J'envoie plusieurs idées à X notre graphiste qui me téléphone après réception
pour me dire qu'elle n'a pas vraiment envie de traiter graphiquement un
tableau, que les photos qu'elle a prise elle-même au Luxembourg (photos qui ne
m'ont guère convaincu) lui ont demandé du travail, qu'elle a très envie de
faire cette pochette mais qu'il faut qu'elle s'y retrouve artistiquement.
Qu'elle s'y retrouve artistiquement ? Ma froideur au téléphone ne l'a pas
encouragé sur ce point.
- Enfin,
c'est toujours le même problème pour mener un projet à terme : X n'est pas
seule en cause et on ne peut pas dire que je sois, pour le travail, un modèle
de souplesse mais quand même, quelle âpreté à concilier les idées, le savoir
faire, le talent, la pertinence, la motivation et l'urgence. Ce disque
m'inquiète beaucoup. S'il ne marche pas, s'il tombe à l'eau vu l'indifférence
prospère du milieu, ce sera certainement le dernier. Comme je sens que j'arrive
ici à un climax pour la catégorie de lecteurs dont je parlais ci-dessus, je les
abandonne maintenant et offre à tous les autres un petit divertissement
caractéristique, calque de mon déjeuner d'aujourd'hui avec David, au Petit-Suisse,
café de prédilection situé devant les grilles des Jardins du Luxembourg:
- -
J'aime trop les filles, mon vieux. Je n'm'en sortirais pas. Je croyais pouvoir
m'en sortir, mais je n'm'en sortirais pas.
- -
Allez, tu n'aimes pas TOUTES les filles. Pas n'importe lesquelles. Tu t'en
sortiras. Tiens, moi je me demande pourquoi dans la rue les filles jolies
passent plus vite que les filles moches. Je veux dire, j'ai l'impression
qu'elles passent plus vite sous nos yeux, qu'elles marchent plus vite quoi,
c'est une question de jambes peut-être !
- -
La fille qui est derrière moi ? Assise avec ses deux copines, sur la banquette
face à toi; elle me plaît.
- -
Comment peux-tu le savoir ? Tu lui tournes le dos !
- -
Et bien tout à l'heure elle s'est levée et est passée devant notre table pour
aller aux toilettes. J'ai vu les deux faces de la carte, et le tour qu'on se
jouait.
- -
Elle a d'affreuses boucles d'oreilles qui pendouillent...
- -
De quoi parlent-t-elles ?
- -
Ca a l'air vachement intéressant en tout cas. Tiens, hier je suis allé à une
After avec une vendeuse du Bon Marché. En rentrant on s'est fait prendre la
tête par le vieux qui essaye de refourguer ses poésies à compte d'auteur au
coin de la rue Récamier. Il me demande si j'aime la poésie. J'avais envie de
lui répondre : t'as vu ce que je me trimballe ?
- -
Tu faisais quoi en 1986 ?
- -
Alors là mon vieux je peux te dire comment j'étais, quelle musique j'écoutais
et quelles fringues je portais ! J'avais un imperméable gris et je ressemblais
à un des frères Bogdanoff; plutôt Grichka que Igor. J'allais entrer au Lycée.
J'achetais le magazine L'équerre (magazine très new-wave, Beaubourg-les
Halles). C'est aussi la période où je me suis fais dépuceler. Par une fille pas
terrible, mais consentante. Ah, mon vieux, j'ai pensé à toi l'autre soir, je
suis allé dîner rue Guisarde au restaurant Le Bistrot d'Opio. Y a une
serveuse terrible qui te plairait. Tu en serais dingue. Une brune très pale aux
yeux bleus en amande. Une vraie liane, elle portait un petit haut qui laissait
apparaître son nombril.
- -
Tu aurais dû commander des épinards alors ?
- -
Des épinards ?
- -
Oui. C'est dans la magnifique bd de Frédéric Boilet, L'épinard de Yukiko.
Au niveau de la sonorité, pour un français, les mots "épinard" et
"nombril" en japonais sont très proches. Il faut absolument que tu
lises ça, l'épinard de Yukiko. C'est très nouvelle vague, très simple et très
beau. Vers la fin on croît toucher la matière, la peau et le kimono de la jeune
fille. L'épinard de Yukiko c'est à la fois un tableau et un court-métrage de
cinéma, étendus sur plusieurs planches de bd.
- -
Les jeunes filles, les jeunes filles !Ca m'exaspère ! En ce moment mon vieux,
je focalise sur les jeunes mères ! Elles ont un côté très sexe.
- -
En tout cas, dis-je, elles l'ont vu."
-
- 09.02.02
-
- Café
Le fétiche, Michel-Ange Auteuil, avec Jean-Vic. Les délices de la pluie qui
gronde, écume le jour en deux teintes, le jour en deux parties distinctes plus
que nul autre, le samedi.
- -
J'aime trop les filles, mon vieux. Je n'm'en sortirais pas. Je croyais pouvoir
m'en sortir, mais je n'm'en sortirais pas.
- -
Je suis allé à une soirée épouvantable dans un bar branché du Marais, pour la
sortie de l'album de Boards of Canada. T'entendais l'album en fond sonore, tout
l'monde en avait rien à foutre ! C'était open bar et on passait notre temps à
discuter et à mater des nanas aux décolletés extraordinaires qui servaient des
verres de Sangrïa et des coupelles avec des carottes et des choux-fleurs crus.
- -
Oui. Je connais ce truc à la mode des carottes crues.
- -
Le plus drôle c'est que c'était une avant-première super foireuse : l'album
sort la semaine prochaine! Dis donc mon vieux, tu ne trouves pas que le garçon
de Café a des faux airs de Charles Denner ? Un mix entre Charles Denner et
Douste-Blazy.
- -
Oui, c'est : l'homme qui aimait les femmes de droite.
- -
Tu sais la fille qu'on voit souvent dans le quartier et qui me plaît, hé bien
l'autre jour je l'ai suivi comme Jean-Pierre Léaud dans Baisers volés.
- -
L'agence Blady.
- -
Oui c'est ça, l'agence Blady ! Hé bien tu parles d'une filature palpitante,
elle s'est arrêtée devant la vitrine de tous les magasins de fringues de la rue
! Enfin...on est détective ou on l'est pas...je mettais tellement de coeur et
de précautions à bien me planquer qu'au final je me suis retrouvé dans un angle
mort et j'ai rapidement perdu sa trace. Tu n'as jamais partagé cette impression
que les filles jolies passent plus vite dans la rue que les filles laides ? Je
veux dire, j'ai l'impression qu'elles passent plus vite sous nos yeux, qu'elles
marchent plus vite quoi, c'est une question de jambes peut-être ?
- -
Oui, oui. Sûrement."
-
- 17.02.02
Décès - dans la soirée de Jeudi - de Geneviève Anthonioz De Gaulle.
-
- Samedi
après-midi, soleil vif, vent cinglant, j'arpente à grandes enjambées le
boulevard Saint-Germain en compagnie de X; nous allons faire des tirages
couleur de la maquette x-press pour la jaquette et le livret du cd.
- -
C'est terrible le quartier, dis-je, c'est tragique l'effervescence, le samedi.
- -
Je déteste ça, me répond-t-elle, ça donne envie de partir à la campagne.
- -
Oui, enfin, il ne faut pas exagérer."
- Après,
comme elle fait remarquer à voix haute qu'elle a faim, je propose d'aller lui
chercher une pâtisserie chez Gérard Mulot, et elle ricane dans son écharpe en
objectant qu'il lui faut de la vraie nourriture, comme des légumes ou du
poisson.
- Musique.
Temps record d'enregistrement et de mixage la semaine passée, à
Prunay-en-Yvelines. Cinq titres finalisés en trois jours. Mardi, dans la
cuisine de Gilles, nous essayons à plusieurs reprises, micro à la main, de
faire siffler une bouilloire récalcitrante pour l'inclure dans la chanson: Audrey
Anderson. C'est-à-dire que nous sommes allés très vite (une journée en
studio coûte cher), une bataille que de concilier l'exigence et la rapidité,
que de garder la lucidité du parti-pris et un semblant d'oreilles neuves pour
les mixages, et nous perdons un temps inestimable à essayer de faire siffler
cette bouilloire rétive et narquoise, dont la couleur argent vire au cuivre,
sur le réchaud de la cuisine.
- Paris.
La fine écharpe rose de cette jeune passante qui n'en finit pas de pelucher
dans mon souvenir. Dans le texte sublime et poignant de sa conférence d'adieux,
Yves Saint-Laurent parle de ses "fantômes esthétiques", "Tout
homme pour vivre a besoin de fantômes esthétiques".
- X
m'annonce que, pour la sortie du disque, le Journal musical Y lui a commandé un
article sur moi. Je lui soumets de mettre en phrase titre que j'aimerais faire
le même métier qu'Yves Saint-Laurent, par l'écriture.
-
- La
poésie au-dessus des champs de betterave. J'adore la model belge Ann-Catherine
Lacroix : angélisme, élégance naturelle, douceur glaciale.
-
- Douceur
du soir : X (une ancienne amoureuse) me téléphone et, à propos d'une réflexion
cinglante que je lui fais concernant ce qu'elle me raconte, me balance comme
une revendication :
- -
Tu sais, maintenant j'ai d'autres cadres de références que ta personne."
-
- 19.02.02
-
- Play-list
du concert de vendredi : A côté d'aujourd'hui - L'éternité Spinoza - Juillet
Odéon - La pornographie - Le dormeur du Val d'Isère - La chaîne du froid -
Paris m'as-tu-vu - Le jeune homme changé en arbre - Les petits doigts de pied
de la mélancolie - Genoux, hiboux, cailloux - Eastwood chagrin disco.
-
- Ce
matin aux aurores je vais porter tous les éléments du disque à la boîte de
pressage et d'imprimerie. Si tout va bien, une première commande de 500
exemplaires devrait arriver d'ici une dizaine de jours. Hier soir, Pierre (B) -
au téléphone - me demande :
- -
Tu joues à quelle heure vendredi ?
- -
Il y a deux groupes mais j'ai demandé à ce qu'on joue en premier parce que tu
comprends, la nuit, les ambiances salles de concert moi, ça m'épuise rapidement,
j'aime bien les filles mais plus la nuit passe plus elles enquillent les bières
et leurs vêtements sentent le tabac froid ce n'est pas vraiment ce que
j'espérais à dix-sept ans quand je rêvais à la jeune fille immatérielle,
volcanique et capiteuse en lisant Ada ou l'ardeur de Vladimir Nabokov.
- -
Je ne sais pas si tu as remarqué mais dans la rue, les filles jolies passent
plus vite que les filles moins jolies. Je veux dire, j'ai l'impression qu'elles
passent plus vite sous nos yeux, qu'elles marchent plus vite quoi.
- -
Oui les jambes...des filles...c'est de la calligra-filles.
- -
Tu sais Jérôme, je ne pourrais jamais être à l'heure à ton concert vendredi
soir, quelle guigne ! Je dois aller à l'aéroport récupérer miss Japon 2000 !
Elle est également dauphine pour la sélection de Miss Univers. Tiens va sur Google, et tape: Yuko Ashizawa, c'est son nom.
Voilà, maintenant clique sur le lien : sammo news february 2001, y a une photo.
- -
Sur la photo, c'est la fille située à droite de sa joyeuse bande de potes ? Pas
mal...
- -
Pas mal ?!! Non, mais tu veux rire : elle est terrible ! Qu'est-ce que tu en
penses, j'ai envie d'aller la chercher à l'aéroport en Taxi parce qu'avec ma
voiture ça va pas l'faire ? Miss Japon 2000 dans une Fiat Uno 1992, c'est pas
la classe !
- -
C'est un anachronisme, cela étant il y a petit un côté Un monde sans pitié
. Et tu l'as rencontré comment Miss Japon 2000 ?
- -
C'est un ami japonais qui m'a chargé de lui trouver un hôtel pas cher sur
Paris. Elle reste une quinzaine de jours avec une copine pour faire des photos
et essayer de décrocher des contrats. Alors au début je lui avais trouvé un
hôtel rue Lafayette et ça lui disait bien, mais, au final, c'est beaucoup trop
cher, alors je viens de lui envoyer un mail qui dit en substance : Forget
Lafayette.
- -
Forget Lafayette ?
- -
Oui, Forget Lafayette.
- -
Hum. Forget Lafayette... Et tu vas la loger où, alors ?
- -
Hé bien il est question d'un Campanile rue X.
- -
Un Campanile ? Y a des Campanile à Paris ?
- -
Bhein oui mon vieux, y a même un Ibis rue Froment !
- -
Tu es bien renseigné. Miss Japon 2000 au Campanile... Miss Japon 2000 en Fiat
Uno 92...
- -
La série Estival, mon vieux, la série Estival.
- -
Et pour dîner ?
- -
C'est là que le bas blesse, je ne connais que des restaurants Japonais ! C'est
misérable, elle va s'attendre à ce que je l'emmène dans un petit restaurant
occidental typique. Le seul truc qui me vienne à l'esprit c'est : Léon de
Bruxelles !
- -
Il y a un grill au Campanile, non ?
- -
Intra-muros...je ne sais pas. Sur la nationale 13 en direction d'Orgeval...
- -
C'est la route des Quarante sous. C'est Napoléon qui l'a crée cette route et il
l'a appelé la route des Quarante sous.
- -
Oui, enfin, maintenant, elle s'appelle la nationale 13 et je sais qu'en
direction d'Orgeval il y a un Campanile qui fait grill-restaurant...mais pour
ce qui est de Paris intra-muros..?
- -
C'est compliqué, n'est-ce-pas ?
- -
Oui, c'est très difficile. Et toi, tu t'en sors ?
- -
Non, mon vieux. Je n'm'en sors pas. Je croyais pouvoir m'en sortir, mais je
n'm'en sors pas."
-
- 23.02.02
-
- Elle
marche dans les hauts taillis comme dans les plaies les plus profondes.
-
- 03.03.02
-
- J'enquille
les nuits blanches comme un adolescent arrogant dans une cuisine immaculée les
verres de téquila frappée.
- Fête
à bâillements stroboscopiques. Musique lounge et sushis au jambon. Je me
souviens qu'à la fin de sa vie ma grand-mère confondait dans son assiette le
saumon fumé et le jambon. A Noël, au premier de l'an ou à son anniversaire il y
avait du saumon fumé, et elle déclarait : - Mmh, délicieux ce jambon."
- X
qui a, sur l'engouement généralisé, toujours un métro de retard, me demande si
j'aime les sushis, que "moi par exemple je ne sais plus manger que ça".
Je lui réponds que j'ai entendu Françoise Hardy affirmer que manger du poisson
avec du riz est une hérésie diététique. Qu'en revanche je connais à Paris le
meilleur traiteur asiatique de sushis à emporter. Sauf que j'y vais toujours en
douce, grimé et déguisé, qu'après je rase les murs et m'engouffre à la va-vite
dans le métro de peur de rencontrer Françoise Hardy (que j'adore par ailleurs)
; alors qu'il ne devrait y avoir de risque à encourir qu'à rencontrer Zazie,
dans le métro. La plupart des garçons présents à la fête portent des baskets
Campers ou imitation (qui en trajet ont pris la flotte, trop pas de chance !),
ces espèces de gondoles noires à lacets pendants qui font que si l'on renverse
l'appartement à 180 degrés - sur Photoshop par exemple - ils ont tous la même
petite tête de cocker mollasson. Il y a X, accompagné d'un de ses amis, c'est
un agneau quand vous le rencontrez seul, or accompagné il devient bruyant,
pédant, teigneux, supporté par la vanité insupportable de se savoir supporté.
Près d'une table, où sont disposés des bouteilles d'eau gazeuse, des bières
étrangères et une assiette de sushis au jambon, il y a deux filles si vulgaires
que j'ai failli les appeler Monsieur. Une autre, bronzée d'un seul côté du
visage - qui soit fait des séances d'UV avec son grill-pain, soit est rentrée
prématurément du ski - me tend ses joues pour que je les embrasse et dans le
même mouvement déclame son prénom. Je veux dire elle ne me dit pas
"Bonsoir, je m'appelle X" non elle me balance juste son prénom, comme
ça, "X" une déclaration d'identité, une résonance, et me fait trois
bises. Il y a des filles qui, ainsi, singent à la fois le majordome et la Diva.
- Des
filles qui, avec le même élan, apathique ou souriant, vous font deux, trois,
quatre bises. Même si je préfère - sauf exceptions - qu'une fille m'embrasse
sur la bouche, il faut vraiment que j'expertise, que je définisse si le nombre
de bises équivaut à la longueur du prénom ou si tout simplement certaines
filles estiment que leur prénom vaut - pour parler comme Chamfort (pas le
chanteur mais le moraliste) - tant et tel "contact d'épiderme".
- Ce
n'est pas l'appartement du siècle mais, pour aller du salon à la cuisine, il y
a comme dans les western, comme dans Rio Bravo, ou Johnny Guitar...une
kitchissime porte saloon ! Je pense que si j'avais eu ça enfant, une porte
saloon chez mes parents, j'aurais passé mon temps à la traverser, un chapeau de
cow-boy sur la tête et un colt en plastique à la ceinture (bien que ma maman
m'eût immanquablement fait remarquer qu'on ôte son chapeau dans une maison).
Dans ma chanson Les petits doigts de pied de la mélancolie, je dis, dans
un paragraphe :
- "Chaque
fille nous rejoue la conquête de l'Ouest,
- Un
peu de fard aux joues, peau rouge sous la veste,
- La
frontière est amère, fuyante, et le butin modeste,
- Mais
je tombe toujours, comme au premier jour, en amour (...)"
- Enfin
je dis certainement d'autres choses, plus intelligentes, dans cette chanson; il
y a cinq longs paragraphes.
- Dans
la cuisine pendant que X vide des glaçons en forme de coquillages dans un bol,
Anaïs, très excitante dans un petit haut blanc qui, de la façon dont elle se
tient, et dont elle change la posture de ses bras, lui aplanit ou lui moule
admirablement les seins, Anaïs, assise en amazone sur un tabouret de bar, et prise
d'un subit petit creux, est concentrée à éplucher un oeuf dur.
- -
J'adore dépiauter les oeufs durs, me dit-elle, c'est une sensation très
agréable.
- -
Avec le cul ?" je demande, toujours très classe quand il s'agit de rendre
un hommage à Georges Bataille.
- Après
qu'elle soit retournée dans le salon, X me dit qu'Anaïs va finir complètement
bourrée comme à son habitude, que ça ne va pas être beau à voir, que l'autre
jour elle a sucé la queue d'un type qu'elle venait tout juste de rencontrer, un
des copains de X qui lui plaisait bien, un type très sympa très cultivé qui
devrait me plaire aussi...
- -
Oui oui, certainement, réponds-je avec une certaine distance.
- Donc
elle s'est baissée sous lui, comme ça, sa tête entre ses jambes, par
provocation, sous la table du restaurant. Elle a empoigné son sexe avec une
assurance aussi naturelle qu'elle eût, par inadvertance, fait tomber un
couteau.
- -
Depuis, me dit X, quand je sors avec elle et des amis, je ne choisis que des
restaurants où les tables sont couvertes de nappes".
- Je
pense à un poème de Radiguet (auteur qui m'emmerde gentiment) dans lequel il y
a cette phrase : "Elle s'habituera bientôt à mieux supporter les
mélanges".
- Je
rejoins Clément dans le salon. Nous regardons, un gobelet de plastique - rempli
de vin rouge - à la main, le spectacle de trois filles et un type qui
commencent à transformer le salon en une piste de danse, ils montent le volume
de la musique, insistent pour mettre sur la platine des titres fédérateurs et
explosent de joie aux premières mesures, ils se rapprochent, écartelés,
chahutés, pris au piège entre l'exiguité du lieu et les largesses de la
boisson. Bientôt rejoints par d'autres, ils s'accolent sous l'emprise de
l'alcool, profitent de la danse pour défaire, refaire, exagérer les liens,
hacher les couples, hacher comme de la viande, se rêvêler, se donner un corps
comme une nouvelle donne au contact d'une excitation neuve, collective et
duelle; deux par deux, ils se regardent maintenant dans le blanc des yeux comme
dans le reflet d'une pompe à essence.
- Clément
me désigne un type:
- -
Tu ne trouves pas qu'il danse bien ?!
- -
On dirait Arthur Plasschaert jeune, dis-je."
- Je
regarde Anaïs s'abîmer dans la danse, faire face maintenant à un petit brun aux
regards espiègles et caressants (les pires ficelles) qui doit penser que c'est
dans la poche, qui déjà ne regrette pas sa soirée, qui se lâche progressivement
conforté dans l'idée que c'est lui et lui seul le responsable du désir -
exponentiel - de cette fille, qu'il va réussir à la ramener chez lui, mieux
encore : ça se fera chez elle, et que la suite se passera sans douleurs, qu'il
pourra coucher avec elle et recommencer quand ça lui plaira, que c'est aussi
simple que ça, aussi simple que de danser l'un en face de l'autre, dans une
soirée, chez des gens.
- Clément
a posé son dévolu sur une rousse qui se tortille de haut en bas, comme un
ressort, tournicoti, tournicota, Zébulon dans Le Manège enchanté.
- -
Tu as déjà baisé avec une rousse ? " me demande-t-il. Je réponds : -
non" sans réellement y réfléchir ; je regarde Anaïs. La douleur Anaïs.
- -
C'est terrible mon vieux, terrible, poursuit Clément. Il faut absolument que tu
baises avec une rousse. Tiens regarde-moi celle-là, tu ne trouves pas qu'elle
est très féline ?
- -
Très Fellini..." dis-je, après un rapide coup d'oeil.
- A
partir d'une heure trente du matin c'est un véritable déclenchement de
ferromones, encore une petite demi- heure et l'ambiance sera prête à tomber
dans un de ces baisodromes qui n'ont rien à envier au moindre petit cours de
théâtre amateur.
- Je
propose à Clément de quitter les lieux. Il est tard, la musique agressive, je
n'en peux plus.
- -
Attends ! Encore cinq minutes mon vieux, je mate encore le cul de la rousse
pendant cinq minutes et on y va. "
- Encore
cinq minutes. Je pense à l'apparition fugitive, immatérielle et ensoleillée
d'une autre jeune fille rousse, Stacey Tendeter dans les jardins du musée Rodin
pendant le tournage du film de François Truffaut, Les deux anglaises, Les deux
anglaises et le continent ; une brève traversée devant la caméra témoin de Jean
Gruault ; c'est le prix à payer, souvent, à endurer pour la beauté, l'obole à
Charron : un fragment de secondes, l'éternité.
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