Chapitre 24
     
     
    25.10.02
     
    Hier il a plu sans discontinuer ; c'était merveilleux. Merveilleux parce que j'avais oublié mon parapluie chez X, et tout, je veux dire, les phosphorescences, les flaques d'eau, l'attitude compendieuse du hasard, l'intraitable agressivité de la pluie et l'oubli de ce parapluie, tout me ramenait à la douceur de la soirée passée la veille.
     
    Hier à 13 heures 15, une fille aux longs cheveux torsadés, châtains aux reflets d'or, la joue colorée vanille / fraise sous l'empire du vent s'engouffre dans le Tabac à l'angle des rues Madame et de Vaugirard. Elle en ressort aussi sec, mais sous la pluie.
    Trente secondes après et le passage d'une auto, elle passe la porte de la jolie boutique bleu-ciel d'Irina Volkonsky, où elle travaille selon toute vraisemblance à garnir la vitrine de bandelettes plastifiées qui servent d'ordinaire à prévenir ou interdire l'accès à un chantier, et qui ici ont été détournées pour y écrire : "Je t'aime".
    Je t'aime, quel chantier.
     
    Au Café Le Petit Suisse, Lisa écrit dans mon carnet la traduction de mon nom en japonais sous forme d'idéogrammes :
     
     
    Dans "Jérôme" il y a les idéogrammes de "écriture", "dessin", "chemin", "rêve", combinés à "Attal" qui se rapproche en japonais du son "Ataru" qui veut dire : toucher au point sensible et précis, là et exactement là.
     
    Pierre (C) me dit qu'il a pris conscience de la spécificité du ciel d'Île-de-France quand il est allé voir au cinéma Les amants du Pont-Neuf , le Pont-Neuf ayant été entièrement reconstitué pour les besoins du film sur un site naturel dans le sud de la France, vers Montpellier, ce qui à l'époque fit d'ailleurs couler beaucoup d'encre. Pierre, originaire de Montpellier, s'est demandé comment un réalisateur, qui plus est de la trempe de Leos Carax, ne s'est pas rendu compte que le ciel montpelliérain n'avait rien à voir avec le ciel de Paris, ce dernier étant d'après lui beaucoup plus complexe, beaucoup moins univoque que son collègue du midi ; erreur d'appréciation manifeste qui laissa Pierre dans un état de perplexité sur les talents de Carax, et ce, même si Pierre ou les ambiguïtés c'est la classe.
     
    27.10.02
     
    Les week-end la fatigue était présente plus que jamais sur mes jeunes épaules car sans vitesse, sans le poids du cartable ; fatigue que l'on nettoyait dehors frottée comme les jeans, les pantalons de survêtement à genouillères cousues, frottés sur l'herbe glissante, dans la saison des mûres, puis celle des bogues de châtaignes, des feuilles ridées, recroquevillées sur elles-mêmes comme le gant de base-ball que le père d'un voisin avait ramené des USA et qui restait sagement sur une étagère de sa chambre parce qu'en France on n'y jouait pas ; la fatigue, donc, des grands après-midis, immenses comme des parcs où les camarades du voisinage offraient des intrigues différentes de celle des scolaires, plus portées sur la fiction ; les "je t'aime" dont les flèches à ventouse ne tuaient pas vraiment, la sexualité était blanche, préservée du désir, de l'impatience et de la mort, et toute mélancolique, je repoussais jusqu'au dernier moment la rédaction des devoirs scolaires pour écrire des lettres d'amour à moins que je n'écrivasse des lettres d'amour comme des devoirs scolaires, et vers dix-sept heures sonnait l'heure du bain, le ciel clair et orangé s'assombrissait, octobre devenait novembre, le bain chaud vaporeux attendait et la nuque reposait sur le froid de l'émail ; dans la baignoire encore je pensais que jouer d'un instrument m'aiderait, m'aiderait à être moins triste, je me représentais avec une guitare dans ma chambre fredonnant une chanson, qui comme une science mathématique, triste annulerait la tristesse, mais c'était une fausse piste toute aussi passionnante que celle d'un jeu de chasse au trésor dans une forêt un dimanche d'octobre, car la musique pas plus que son absence ne chassent la tristesse d'un coeur qui respire.
     
    28.10.02
     
    Artiste maudit, chanteur Artaud-produit.
     
    Dans le film La religieuse de Rivette (d'après Diderot) avec Anna Karina - film dans lequel la scène de l'exorcisme par son épure glaciale est bien plus effrayante que celle du film de Friedkin, c'est l'intrusion d'un miroir dans la cellule de l'héroïne qui est censé réveiller / révéler le désir, à la fois le trahir et le stimuler, le faire apparaître. C'est la vérité nue du néo-platonicisme combiné à la crudité bataillenne de l'évidence - érotique.
    Miroir de Blanche-Neige et miroir chez Michel Foucault (07.08.02). L'image produit du trouble. De l'évidence, mais aussi plus subtilement, de l'imaginaire. La mère supérieure amoureuse d'Anna Karina en posant ce miroir dans sa chambre transgresse à la fois un interdit tout en envoyant un message, une lettre qui voudrait dire : Si tu ne vois pas que je t'aime, vois par toi même comme tu es aimable, désirable. Ou mieux encore : Vois et devine en un même regard. Vois et devine ce que tu es et ce que je veux.
     
    David au téléphone :
    - Ce soir je vais revoir Mullholland Drive, avec ma soeur.
    - Celle que j'aime ?" m'enquiers-je, pour info.
    - Ouais.
    - La chance ! Tu ne t'embêtes pas !
    - Hé bien si justement, je m'embête parfois avec elle vois-tu, donc on va au cinéma...C'est même pour ça que les frères Lumière ont inventé le cinéma, parce que parfois entre frères ou entre frère et soeur on s'embête ! Ca n'a rien d'excitant...
    - Hum. Tu n'as pas lu Agatha de Marguerite Duras...
    - Agatha, Marguerite ou une autre, en ce moment ça ne va pas très fort avec les filles, il faut se rendre à l'évidence.
    - Tu sais, dis-je, l'évidence est souvent le parcours ou le résultat d'une imagination.
    - Je perds totalement confiance mon vieux, je n'suis plus du tout en confiance avec les femmes aujourd'hui. Toi qui connais les filles, tu peux pas m'en trouver une à mon goût ? Même la copine d'une copine d'une copine, même la dernière des mohicans ? Tiens on fait un deal : tu m'trouves une meuf et j'te trouves une maison de disques...qu'en dis-tu ? Reste que je pense sincèrement que t'auras plus de mal à me trouver une fille que je n'en aurais à te trouver une maison de disques..."
     
    30.10.02
     
    Limites de l'hypocondrie :
    Elle me dit qu'elle s'est enrhumée, et soudain je me sens fiévreux, la gorge pâteuse.
    Elle me dit qu'elle a mal au ventre, et je ressens des maux d'estomac.
    Elle me dit qu'elle m'aime, et je n'éprouve rien.
     
    31.10.02
     
    Musique. Denis Zorgniotti m'a interviewvé pour l'émission de radio Magicbox. Interview retranscrite ici.
     
    03.11.02
     
    Le temps était humide et lourde l'atmosphère
    La ville de Pont-à-Mousson n'avait jamais si bien porté son nom
    Elle me dit : "Ils ont une forme de vulve les canapés de chez Drucker ?"
    C'était Dimanche, provisoirement.
     
    Je passais dans son dos pour dégrafer sa fermeture-éclair.
     
    05.11.02
     
    Musique. Empêché, je ne sais pas dans quelle direction aller. Je bute contre l'indolence et l'incapacité. Je me retrouve seul ou quasiment pour faire avancer l'histoire ; j'essaie de trouver des concerts par moi-même parce que personne d'autre ne s'en occupe mais je me sens bien gauche pour cela, pourtant je sais, maintenant, que j'ai eu tort de penser que la solution viendrait de l'extérieur, d'une aide extérieure, et puis c'est difficile de travailler comme ça, sans reconnaissance, sans aide concrète, inspirée, volontaire, ça déplace le travail, l'épuise par avance, il faut que je trouve une solution parce que j'ai un disque sur les bras et c'est même pas drôle parce que, pour l'instant, on ne me donne même pas les moyens d'en faire un succès d'estime ou un suicide commercial alors il me reste quoi, faire de belles chansons de temps en temps, si on me préserve du temps pour que ça arrive mais, épuisé ce soir, et sans direction où aller, je ne sais pas.
     
     
    23.11.02
     
    A la soirée d'anniversaire de X il y avait une grande rousse - dans le style des filles du dessinateur Kiraz - qui a ce qu'on m'a dit est le model photographié sur la pochette de la nouvelle compil' du Costes, on m'a même montré le disque, et effectivement il y a dessus une grande fille pâle et élancée, un peu floue voire complètement, voire même artistiquement floue, avec une chevelure rousse, si grande qu'on se demande comment les maquettistes ont pu la faire rentrer sur la pochette de la nouvelle compil du Costes, mais ils font des miracles avec Photoshop à ce qu'on dit - une grande rousse qui à cette soirée arborait un tout petit sac à main, à bandoulières et qui lui arrivait juste sous l'aisselle gauche, un sac vraiment miniature comme un objet détaillé d'une toile de Jan Van Eyck ou d'un autre primitif flamand, Hugo van der Goes avant qu'il ne perde la boule pour des raisons peut-être similaires qui sait, bref je me suis demandé pendant toute la soirée comment cette grande rousse pouvait se promener avec un aussi petit sac ; ce fut réellement une soirée passionnante.
     
    Il pleut sur le Pont de Grenelle. Je téléphone à Christophe pour lui demander si à son opinion le sonotone que porte David Lynch metteur en scène / acteur de Twin Peaks est une citation de celui que porte François Truffaut metteur en scène / acteur dans La nuit américaine. Il pleut sur le Pont de Grenelle. Je remonte la rue Théophile Gautier aux beaux immeubles en pierre et aux jardins clos scandés par la pluie d'automne, et rentre à la maison déjeuner d'oeufs à la Nabocoque.
     
    24.11.02
     
    Je souris toujours quand je lis des diaristes sur internet - très rarement en fait, quand une page de site sur le catch américain est un peu longue à charger - je souris toujours quand je lis des diaristes s'auto-proclamer chantres de l'introspection. En dehors du fait que de telles revendications psychotiques n'ont rien à voir avec l'écriture, je ne crois pas qu'internet ou toute autre forme de publication immédiate et consciente de son immédiateté puisse avoir une quelconque puissance d'introspection dans le sens ou ceux-ci voudraient nous le faire gober. Sur Internet, il ne peut y avoir que de l'introspectacle. De l'introspectacle plutôt que de l'introspection, et ceux qui s'en rendent compte ont ma préférence.
     
    Au lit elle gardait ses bottes pour faire l'amour, de peur de périr aux premières gelées.
     
    04.12.02
     
    Musique. Travail sur de nouvelles chansons et sur les concerts qui se profilent pour début 2003.
    Je suis décidé à trouver un bassiste pour optimiser le groupe. Au départ, idéalement, je souhaitais un guitariste / bassiste, prévoyant que le musicien alternerait sur scène les deux instruments comme Cyrille qui passe au gré des chansons de la batterie acoustique à la groove-box, mais Cyrille soutient qu'il suffirait d'un solide et bon bassiste pour donner une impulsion supplémentaire à la musique en concert. Cyrille va s'occuper de mettre des annonces et je commence à en parler un peu autour de moi, l'important est de trouver quelqu'un de motivé et de motivant, ce qui en pratique ne tombe pas nécessairement sous le sceau de l'évidence.
     
    David, au téléphone :
    - Tu t'y connais un peu en Watteau ?
    - Ca va, dis-je avec cette profonde modestie qui me caractérise et fédère de jour en jour de nouveaux lecteurs pas poignées de cent.
    - Non je te demande ça, parce que tu sais cette fille, Hélène, elle veut que je l'emmène au Louvre voir les Watteau.
    - Tu es sûr qu'elle ne confond pas avec les Watteau Watteau, le dessin animé des années 80. Non je dis ça parce que Watteau c'est aussi les années 80 : 1680.
    - Elle veut que je l'emmène au Louvre voir les Watteau, moi je préférerai qu'elle m'emmène chez elle voir son cul.
    - Très chic, dis-je. Je vois d'ici le tableau.
    - L'autre jour, je vais la chercher à la sortie de son travail, pour boire un verre, enfin il était déjà 19 heures quoi.
    - Ah je connais, c'est ce qu'on appelle l'apéritif.
    - Oui peut-être, mais moi j'espérais bien que ça s'éterniserait un peu, qu'on irait dîner enfin bon...il est bientôt neuf heures et demi...
    - C'est-à-dire que vous avez bu un verre de 19 h à 21 h30...?
    - Oui.
    - D'accord. Un seul verre, de 19 h à 21 h30 ?
    - Bhein oui, un verre quoi.
    - D'accord.
    - Donc il est environ 21 h30 et là elle me dit qu'elle doit rentrer, qu'elle a promis de rentrer avant 22 heures.
    - Elle a promis à qui ?
    - Ah ! Merci. C'est ça le problème. Moi je croyais qu'elle vivait seule cette fille, et là elle me dit qu'elle a promis de rentrer avant 22 heures. Ce qui est formidable c'est qu'à aucun moment de notre conversation ni cette fois-ci, ni les fois précédentes, elle n'a fait allusion à un quelconque petit-ami. Et là, tout d'un coup elle m'annonce qu'elle a promis de rentrer avant 22 heures !
    - Oui mais vous aviez déjà battu le record du monde en longueur pour boire un verre.
    - Elle a promis à qui ? A son chat peut-être ? Si elle a un petit copain pourquoi elle accepte comme ça d'aller boire un verre avec un autre type, pendant deux heures et demi, et surtout pourquoi tient-elle à ce que je l'emmène au Louvre voir les Watteau ?
    - Parce que c'est l'endroit où ils se trouvent.
    - Surtout que moi j'y connais que dalle en Watteau ! A aucun moment je n'ai parlé de Watteau. Je savais même pas que c'était 1680 Watteau.
    - Il est né en 1684.
    - Je sais même pas ce qu'il peint ou alors vaguement. Et puis qui s'intéresse encore aux Watteau ? Si elle en est aux W...elle ne pourrait pas...je sas pas moi...aimer Warhol ??!!
    - Oui mais il n'y a pas de Warhol au Louvre. Et puis bon tu sais, les mystères de la peinture et ceux de la jeune femme ont d'infinies et savantes correspondances. Et puis ne t'en fais pas, on ne peut pas à chaque fois triompher des belles.
     
    08.12.02
     
    Elle savait faire du carrot cake
    Je l'adorais, je l'adorais,
    Bien que moi avec elle le cake
    C'est tout ce que faire je savais.
     
    TV addict. Vendredi soir l'émission On ne peut pas plaire à tout l'monde, invités Lio et Yann Tiersen. Après avoir titillé Lio, l'animateur demande à Yann Tiersen ce qu'il pense de l'interprète de "Banana split" : réponse évasive du musicien, en touche, dont le manque d'engouement est cependant suffisamment affiché pour être décrypté sans ambiguïtés par le téléspectateur. C'est-à-dire que Yann Tiersen préfère passer pour Le Type Qui N'Ecoute Pas Cette Musique Là plutôt que d'être sympa deux secondes avec Lio.
    Merci Amélie Poulain.
     
    TV guide :
    - La nouvelle saison de Sex and The City est extra.
    - La nouvelle saison des Sopranos est extra.
    - La nouvelle saison de NYPD Blue, sans atteindre les profondeurs dostoïevskiennes de la période Jimmy Smits / Dennis Frantz, est extra.
     
    Musique. Intensification des répétitions après les fêtes, tandis que Frédéric continue à jouer les dilettantes, Cyrille bout d'impatience et voudrait que l'on retrouve au plus vite une cadence d'activité et de concerts percutante.
    Je ne suis toujours pas satisfait de la formule live et souhaite ardemment nous adjoindre les talents d'un musicien supplémentaire, bassite ou guitariste / bassiste.
    Je suis allé chez Stéphane faire mon marché, voir s'il avait des pistes (sonores) qui m'inspireraient pour qu'ensuite nous les développions en chansons ; le travail avec son groupe Vendetta requérant toute sa créativité et son énergie il n'avait pas eu beaucoup de temps de penser à des idées pour moi ; Vendetta est en passe de signer avec une maison de disques et ce n'est que justice, le groupe est en train de choisir parmi plusieurs propositions et c'est vraiment une bonne nouvelle, c'est la victoire du talent et de l'opiniâtreté sur l'inertie et le manque d'entendement du milieu du disque.
    Stéphane m'a préparé un thé vert précieux que ses parents ont ramené de Chine ; voici comment Stéphane prépare du thé : une tasse qu'il remplit d'eau du robinet et qu'il met au micro-ondes : j'hésite encore entre les mots hérésie et désastre.
     
    10.12.02
     
    Sa minceur de fée contredisait Disney.
     
    Elle s'est payée ma tête et Ronsard l'intégrale.
     
    11.12.02
     
    Mignonne, wallons voir si la rose. Je ne sais pas si c'est mon côté belge qui s'exprime mais j'aime beaucoup le film de Yves Hanchard : En vacances. Il y a une scène très poétique dans laquelle échappant par un joyeux subterfuge à la promiscuité et la surveillance de ses parents, un tout jeune adolescent se retrouve à passer la nuit dans la chambre d'une adolescente, sorte de jeune fille au pair québecquoise juste un peu plus âgée que lui (c'est-à-dire à des années lumières certainement), et sur le ton du jeu, le jeune garçon en vient très vite à réclamer à la jeune fille un baiser. Celle-ci après l'avoir d'abord traité de fou, observe longuement le garçon, puis dégrafe lentement sa chemise de nuit qui laisse apparaître deux seins voluptueux, enchanteurs et inédits, et dit au garçon pétrifié d'émotion :
    - Embrasse-moi où tu veux". Sans hésiter, l'adolescent se précipite et lui donne un baiser sur les lèvres.
    J'adore ce film, malgré un montage un peu âpre et déroutant mais nécessaire au propos, et pas si malhabile que ça, au bout du compte. L'actrice Catherine Hosmalin y est fantastique, et les genres de filles jouées par Floriane Devigne et Jessica Paré me fascinent tous deux. Et puis il y a une très grande intelligence sensible du cadre et de ce que l'image raconte, laisse entrevoir de cet indicible amoureux, les premières suggestions du désir qui sont des eaux calmes, dures, éternelles, et le regard amoureux qui n'en finit pas de questionner et d'éduquer l'autre sur sa place dans le monde.
    Une des qualités inattendues du film est de donner un rôle à Michel Robbe. Michel Robbe était un homme d'exception quand j'étais adolescent puisqu'il présentait à la télévision française : La Roue de la Fortune. Je me souviens être allé un jour sur le plateau de La roue de la Fortune pour accompagner dans le public un camarade de classe qui avait gagné tout un tas de cadeaux bien clinquants qu'il avait réceptionné environ huit mois plus tard tous plus pourris les uns que les autres et en pièces détachées ; une métaphore de la fin des années 80 je suppose.
     
    12.12.02
     
    Glamour attitude. Hier soir dans un Café, la très parisienne et pétulante X me montre la photo d'une de ses copines qui vient passer la nuit chez elle.
    - Ah, dis-je, elle ressemble un peu à Ellen Mac Arthur.
    - Le mannequin ?"
     
    Fusée :
    Aujourd'hui tout a échoué :
    Ariane-espace et moi.
    Aucun de mes projets n'a trouvé la route des étoiles
    Je suis très abattu mais comme je suis pudique,
    J'ai dû compter sur des ingénieurs en aéronautique
    pour détourner l'attention.
     
    13.12.02
     
    Une nuit de la semaine dernière. Au retour, elle avait des papillons dans le ventre, et moi un seul, sur le pare-brise.
     
    21.12.02
     
    On ne peut sauver du désastre du temps que les gens qui nous inspirent.
     
    22.12.02
     
    On ne peut sauver du désastre du temps que les gens qui nous séparent.
     
    Elle se prénommait Virginie et comme elle était de taille bien trop grande pour son âge, un petit malin notoire l'avait surnommé Virginie Mégastore ; probablement pour se hausser vis-à-vis d'elle par une pointe d'esprit comme sur la pointe des pieds.
    Malgré sa taille trop grande Virginie Mégastore s'enthousiasmait pour les situations intermédiaires, et le groupe, la communauté, ont toujours su représenter avec zèle et récompenser les situations intermédiaires. Lorsqu'après les cours quelqu'un du groupe proposait d'aller boire un café, on ne peut pas se quitter comme ça, et si on allait prendre un verre, Virginie Mégastore se coulait dans cette joie simple et communicative, mais sans jamais pouvoir totalement s'infléchir dans les sous-groupes qui se formaient ensuite, une fois attablés dans le Café, des sous-groupes de trois à quatre personnes, là non, elle se retrouvait de nouveau à l'écart, sirotant son verre de coca-cola, fouillant dans son sac pour se donner une contenance, faisant défiler les noms de son répertoire téléphonique et donnant le change par des sourires un peu trop...grands.
    D'ailleurs, à force d'insoumissions et de regret à se voir venir trop vite, ce corps, emballé d'un coup et si peu envié, s'était propagé à l'esprit de Virginie Mégastore qui devenait à son tour aussi complexe et effilé qu'un point d'interrogation.
    Elle ne participait que de très loin aux discussions des jeunes gens et ceux-ci l'avaient accepté sans problème ne lui posant que des questions techniques, sur la préparation de tel cours, et encore que des questions auxquelles il eût suffit de répondre par un sourire. Et puis arrivait le moment où quelqu'un la rapatriait dans le groupe, en la désignant affectueusement par : Virginie Mégastore, nom de code et appartenance à la fois au groupe et aux prétentions du groupe.
    Un jour le groupe se dissout : la vie, la fin d'une année d'études, l'éloignement des emplois du temps. Virginie Mégastore réfléchit et le miroir ne la renvoya pas. Il fallait qu'elle se jette à corps perdu dans la vie, même si la vie ne serait jamais à la hauteur de ce qu'elle avait crû atteindre (en taille) dans son adolescence. C'était décidé : à vingt-quatre ans elle aurait un type et un appartement bas de plafond.
     
    24.12.02
     
    Aux terrasses des Cafés quand l'hiver est très doux,
    Argumentées d'écharpes à faire pâlir le ciel,
    Inconnues qui filez vers de pieux rendez-vous,
    Je regarde votre cul comme d'autres les hirondelles.
     
    Inutile de se plaindre qu'on ne parvient pas à ses fins avec quelqu'un qu'on prétend aimer d'un amour infini.
     
    28.12.02
     
    Si elle m'invite le 31 chez sa mère à Choisy
    J'lui offre les Greatest Hits de Corinne Charby.
    Si on part tous les deux au bord du Lac léman
    Je choisis le beau disque de Coralie Clément.
     
    29.12.02
     
    Vendredi soir, visite à la librairie la Hune, boulevard Saint-Germain, en compagnie de David. Il me parle de cette nouvelle fille, qu'il voie.
    - C'est terrible, mon vieux. Je n'arrive pas à la voir seule. Ca va faire trois fois que l'on sort, la première, enfin ça ne compte pas parce que la première c'est quand je l'ai rencontrée alors il y avait du monde, des amis en commun quoi, mais la deuxième fois, pour notre premier vrai rendez-vous, elle était encore flanquée de deux copines, et là hier on se voit pour la troisième fois, pour boire un verre, et elle ramène sa cousine et une amie de sa cousine. C'est quoi ce délire ?
    - C'est comme les Quality street, dis-je. Pour avoir le chocolat que tu aimes, tu es obligé d'acheter la boîte complète et de subir ceux que tu aimes moins.
    - Hum, ça se tient, reprend David après une courte réflexion. Moi je préfère ceux à l'emballage violet dans les Quality Street. Et jamais ils n'ont voulu faire des boîtes qu'avec les violets. C'est très frustrant au fond.
    - Tu serai écoeuré si tu ne pouvais manger que les violets, à satiété. Tu t'en lasserais peut-être. Si ça se trouve, cette fille, c'est une maline, elle se dit que pour l'instant elle a intérêt à venir accompagnée de ses copines pour pouvoir faire son chocolat violet avec toi. Tant que dure le prestige de la nouveauté - qui est un prestige d'autant plus illusoire qu'il ne demande aucun effort.
    - L'amour, c'est difficile, dit David (qu'un verre de Campari bu préalablement au Café de la Mairie a provisoirement Durassisé).
    - L'amour c'est une boîte de Quality Street. A part ça, que penses-tu de Maiwenn Le Besco ?
    - Bah, on la voit partout en ce moment !
    - Je l'adore !
    - Arrête ton cinéma, elle est nulle. Tu as vu sa bouche ? On dirait une palourde.
    - Non, je l'adore. On dirait Aliocha Karamazov. "
     
    30.12.02
     
    Reçu un courrier de Pierre (B) que je reporte ici avec son autorisation. Pierre expatrié au Japon donne des cours de français à de jeunes autochtones et tient en ligne ses carnets de voyage (intérieur) : Big in Japan.
     
    "Cher Jérôme,
    Bien sûr, je continue a suivre ton journal de près. Songes-tu a tes lecteurs d'outre-mers ? Moi, à chaque nouvelle étudiante je pose la même question: "Mais pourquoi voulez-vous apprendre le français, c'est une langue foutrement difficile ? (je leur parle vertement pour les mettre a l'aise)" Là, elles y vont toutes de leur couplet sur la culture française et Paris la romantique. "S'aime bocu Amelie Poulain et Patrice Leconte". "D'accord, très bien, mais connaissez-vous le journal de Jérôme Attal?". La semaine suivante je leur demande "Y êtes-vous allé ?" (je ne précise même plus, la chose est entendue).
    - Oui maître, mais il n'y a pas bocu d'imaches ! "
     
     
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