Chapitre 36
     
     
    31.10.04
     
    La neige était tombée toute la journée. Histoire-Géo deux heures, je tournais le visage vers les grandes vitres où le ciel s'émiettait, Mathématiques qui font bailler les radiateurs, secteur HS ; les autocars avaient fini par renoncer, après l'étude il n'y avait plus âme qui vive dans les rues pétrifiées et sans secours sous la couverture neigeuse, l'étendue blanche, je restais dans une salle de classe allumée comme une crèche de noël rejoint par un camarade qui habitait une rue au-dessus de la mienne, et nous nous apprêtions déjà à dormir sur place, lits de camp demandés aux pompiers par les très chers frères des écoles chrétiennes, quand vers vingt-trois heures la 2CV bleue-ciel de mon papa déboula d'on ne sait où, fendit les rues obtuses de Saint-Germain-en-Laye, et s'arrêta pétaradante devant l'école, prête à nous embarquer dans la nuit blanche et pétrifiée.
    Vingt-trois heures c'était noël pour le petit garçon que j'étais, et, après une heure et quart d'une route périlleuse mais fantastique, ballotté dans la 2CV bleue-ciel - j'avais eu la permission spéciale de monter à l'avant, mon camarade à l'arrière, penché vers nous en un silence attentif, un bras sur mon siège - ballotté dans la carlingue de l'auto qui fendait les territoires d'une blancheur infinie toute près de nous brûler, ou de nous absorber - dans ce voyage magique qui serre le ventre mais dont on ne se soucie pas de la fin - protégé de l'intérieur comme un lac, nulle peur, nulle agression du dehors, tout participait au secours, au bien être d'un moment - après une heure et quart - la nationale orangée, les blocs d'un centre commercial fantôme, la profondeur des bois éclairée d'une blancheur épaisse, et quelques embardées sur des chemins pentus où la 2CV digne et méritante démontra son ardeur, nous dûmes abandonner la voiture en haut d'une côte et descendre en marchant, s'enfonçant presque aux genoux dans la neige, jusqu'à la maison. Il ne faisait même pas froid. Rien n'existait qu'une infinie douceur, une protection.
     
    Concert du Réservoir d'une densité absolue, le pied de micro tendu comme une lance, les chansons qui décrivent des petites ondes, trouver une intensité, dire des blagues uniquement pour le sourire qu'elles supposent, tenir chaud, beaucoup de monde avait répondu présent, après forcément je traîne anéanti, n'arrive pas à trouver ma place, c'était plus simple quand je rentrais et qu'il y avait quelqu'un que j'aimais auprès de qui prendre sommeil, ça reviendra il parait, on ne mesure jamais l'étendue de ce qui arrive, le coeur se calque sur le souffle court, le ciel est dur d'étoiles, je pense aux rues d'hiver pétrifiées, encore la protection des chansons, la ferveur l'odyssée, je me sentais à l'abri dans le temps du concert, j'ai partagé ma couverture avec les visages que je repérais de ci de là comme des chandelles incandescentes, réceptacle, conducteur, protégé de l'intérieur comme un lac, nulle peur, nulle agression du dehors, tout participait au secours, au bien être d'un moment, dans le temps de ce concert, ballotté entre les musiciens pour un voyage magique qui serre le ventre mais dont on ne veut pour rien au monde sentir la fin.
     
    02.11.04
     
    Métropolitain, ligne 10. Dans la mise en place uccellienne des corps et des pensées, la grâce d'un cou qui se libère ; des cheveux noués dont on imagine, aussi bien que pour ses propres errances, le dénouement.
     
    Avec sa raquette de Squash, elle remontait la rue de Rennes, pour s'en aller jouer contre la Tour Montparnasse.
     
    J'ai fait un rêve pour rire : un visage ; l'attirance d'un visage parmi la foule ; son propriétaire a pris les devants ; elle s'est approchée de moi ; elle m'a dit : combien de jours, combien de jours va te durer mon visage pour te soustraire à la violence et à ta déception du monde ? ; j'ai répondu quelques uns ; le visage, quelques uns ; et mon amitié me dit-elle, combien de jours supplémentaires mon amitié va te tenir au chaud, au-dessus de tout ça ? et si je t'embrasse ? et si mon amour ? et si je te laisse poser tes doigts fins et tes lèvres pâles à la naissance de mon cou ? et ses propositions de plus en plus profondes à l'outrance s'enchaînant, au final, de jours de répit en promesses de refuge, j'ai compté qu'elle me durerait jusqu'à ce que je crève ; ce qu'on peut désirer de plus intense dans une vie mais qui, sous cette forme fulgurante, abrégée, et comment dire : prévue d'avance, délogée de tout effet de surprise et de combat, me parut des plus étouffant. (J'ai respecté les point virgules rencontrés dans le rêve).
     
    Invité hier soir par Stéphane à la soirée d'anniversaire de Larry Flint. A peine franchi les portes du Hustler Club que Stéphane est accueilli tel Ganymède à ses premiers pas dans l'Olympe. Les strip-teaseuses se pressent autour de lui ; "En général, des filles comme ça ! Je les télécharge !" s'exclame Stéphane, encore sous le coup du ravissement.
    Il m'expliquera qu'il a passé une partie de la nuit à parler de littérature américaine avec l'une des filles.
    Une serveuse très jolie, blonde et longiligne, lui adresse des petits sourires de connivence ; sans doute une experte de Jack London ou Raymond Carver.
    Elle s'appelle Anne me dit Stéphane. En plus ! réponds-je dans un style très attalien que mes contempteurs comme mes ardents lecteurs apprécieront. Ça doit être bizarre de travailler ici, s'étonne David. Oui, comme partout, dis-je. Quand même plus bizarre que de travailler dans le salon Saint Algue à Meudon ou pour Suzanne de la comptabilité Sacem ! insiste-t-il, tout en zyeutant abondamment la très sexy journaliste de Match TV qui sirote un verre parmi son équipe.
    Je parlé longuement avec Franck Ruzé. Il faut qu'on trouve un café, qu'on fasse une sorte de café littéraire quelque part, me dit Franck. Je partage avec Franck une haute nécessité pour l'écriture, et une attraction pour la fragilité (chez les filles). Tarek à la volée me dit des choses gentilles sur mon disque qu'il écoute le matin, au walkman, sur le pont des Arts (du moment que ce n'est pas le pont des Suicidés). Franck est accompagné d'une très jolie étudiante en chimie, un visage qui le temps que je l'avais en ligne de mire partageait ses influences entre une Lee Miller scintillante, proche, exquise, et la noblesse des traits un peu rudes, ceux d'une vierge de Masaccio, très belle.
    Elle aime Apollinaire, ce qui est réjouissant, et Rimbaud, ce qui est bien triste. Elle me dit se reconnaître dans chaque ligne d'Une saison en Enfer. Cette pensée m'occupe une bonne partie de la soirée - comment est-ce possible ? Vraiment chaque ligne ? Et en rentrant chez moi j'ouvre le recueil au hasard et tombe sur cette phrase : "Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit".
    Stéphane me racontera plus tard ses aventures avec la strip-teaseuse férue de littérature américaine, concluant sur cette note farouchement française : "Je lui ai dit qu'elle était très jolie, mais elle était déjà repartie".
     
    Mathieu m'envoie quelques photos, prises le mois dernier pendant la tournée des Fnac.
    Tout le monde a le droit d'essayer, mais personne, aujourd'hui, ne fait d'aussi belles photos que Mathieu Zazzo.
     
     
     
     
     
    David me téléphone pour me dire que X a croisé Y (mon ancienne fiancée) dans le métro. Le genre de trucs passionnants dont je me serais pourtant bien passé ce soir. Il y a une chaîne du ragotage, ou de faire événement d'une anecdote quelconque, tout d'abord de X à David, puis de David à moi, et de moi à moi si je puis dire (car je me doute bien que Y prend le métro, et qu'est-ce que vient foutre ma soudaine et insupportable souffrance là-dedans ? je me doute bien que parfois tellement ironique et conne est la vie, Y doit passer sur un boulevard et moi dans une rue qui lui est parallèle, et que nous nous rencontrerons bien un jour de manière aussi brutale, dégueulasse et inutile que dans la dernière scène des Parapluies de Cherbourg, bref je prévois ça par coeur) une chaîne de ragotage assez impressionnante (qui se forme d'ailleurs souvent autour de personnes qu'on redoute insaisissables, histoire de les ramener d'un bon coup de pied au cul dans notre proximité) et en règle générale si on passe sur la maladresse d'un tel ou d'une autre, en toutes circonstances, il y a toujours quelqu'un la bouche en cul de poule pour vous raconter le plus innocemment du monde des choses qui vous blessent mortellement, et que vous vous seriez bien passé d'entendre, des choses qui vous laisseront plus que seul avec leurs répercussions une fois la conversation terminée. Plus que seul c'est à dire : occupé et vidé à la fois. Assiégé par une absence.
     
    03.11.04
     
    J'ai laissé la vie se couvrir de soucis, comme enfant la moindre pente enneigée nous servait de jeu pour l'après-midi.
     
    05.11.04
     
    Les feuilles tombaient comme des épluchures d'oranges dans les jardins du Luxembourg qui nous servaient de rendez-vous. En écoutant ses confidences, puis son rire, je me suis dit que ça ne me tenterait pas de vouloir entendre par-dessus tout la façon dont elle jouit. (Ce qu'on peut vouloir de plus haut dans le désir, la façon dont l'autre jouit, dernier sas qui nous ramène d'un espace éperdu à la réalité d'un corps).
    Les seules pyramides qu'elle connaissait étaient faites de coupes de champagne (en plastique). Les garçons en cascade l'ennuyaient. Elle attendait avant tout d'un type qu'il l'étonne, la surprenne. Je crois que je l'aie bien surpris quand elle a compris que ça ne me disait rien de coucher avec elle - si elle l'a compris.
     
    Nous poursuivons l'incapacité du pourquoi de notre existence. Nous trouvons un secours ou un appel dans l'émotion esthétique. Sans être dupes qu'une fois touchés les bords ou les lèvres d'un corps étranger, l'émotion l'emporte sur l'esthétique.
    Inutile de faire des kilomètres pour se rapprocher de l'océan puisque l'océan existe aussi bien dans le refus, dans l'impossibilité comme dans le commencement de l'amour.
     
    07.11.04
     
    Abri atomique pour l'apéritif.
     
    Dans le camion, longeant les bords du lac Léman découpés dans la brume, nous avons écouté une bonne dizaine de fois Feist chanter sublimement : Now at last. (Feist n'était pas avec nous dans le camion, mais la chanson sortait du cd player : For I lost the last love, I shall ever win...)
    La gentillesse et le dévouement d'Emmanuel Colliard qui nous a accueilli dans son chalet du village de Pringy, le thé à la cannelle d'Emilie, le plus doux qu'il m'ait jamais été donné de boire, et le refuge absolu, l'accueil chaleureux de la salle de spectacles de Vevey : La Guinguette, avec, face à la scène, ses rangées de canapés et fauteuils moelleux aux tons chauds et dépareillés, New-York city au milieu des montagnes, ambiances rouges de cabaret perdu et guirlandes incrustées dans le bar, abri atomique pour l'apéritif et gestes lents qui s'éternisent dans la nuit, présence douce et bienveillante des officiantes, la salade de Maud, la tarte au citron de Marie.
     
    Les deux concerts que l'on donne sont soutenus par l'office culturel de Vevey. Le soir de notre arrivée il y a un cocktail auquel est convié le public ; tout de suite on se sent protégé, désiré - si on peut dire que quelqu'un qui nous désire nous protège ; je ne sais pas.
    Cela étant le concert est craintif au départ, mais peu à peu au service des chansons nous parvenons à installer une atmosphère, à tendre une toile blanche (comme un cinéma primitif) pour que les gens puissent venir y prendre des couleurs.
     
    Le deuxième soir : meilleur son et attitude impeccable du groupe qui prend le temps et la mesure des chansons. Tout eût été idyllique s'il n'y avait eu deux anicroches : des types bruyants dans la salle, et l'histoire du Mug : j'ai acheté dans la matinée un joli Mug à l'effigie de la croix Suisse, et je l'apporte sur scène, où je bois du thé, un signe particulier dans le registre du rite, un repère, un tout va bien ça commence si vous voulez.
    On fait une très bonne version de Genoux, hiboux, cailloux, Mathieu vient me couvrir dans les moments de fragilité musicale, puis nous donnons une interprétation fracassante de Comme elle se donne, et tout d'un coup, alors que je présente la chanson suivante - La prémonition - une femme qui est installée sur un canapé du premier rang (à ce moment, la proximité est exacerbée par les éclairages qui donnent une pleine vision de la salle) m'interpelle - Comment ? la prémonition ? c'est plutôt la provocation avec vous, cons de parisiens qui prenez le reste du monde pour des crétins...", sa haine focalisée sur mon joli Mug rouge marqué d'une croix blanche qui, à ses yeux, est une ironie, une attaque, le signe distinctif d'une provocation.
    Le public n'entend pas les rugissements de cette femme déchaînée mais dans une position fragile, où il est question de convaincre une salle qui ne nous connaît pas, je me prends la violence de son discours de plein fouet, blessé comme confronté à une injustice un peu lourde et je ne vois pas comment, sur le moment, me défendre, expliquer que ce n'est pas du tout ça, et mille choses me passent par la tête, je suis en proie à ce que je déteste de manière générale : donner de l'importance à un commentaire (mal) intentionné, lui accorder une valeur absolue, j'ai depuis longtemps renoncé à ce genre de vanité sur soi et cette source inutile de tourments, mais fragilisé dans le moment de la scène et face à un public envers lequel j'ai si peu de repères finalement (d'autant que le concert très intense du Réservoir est encore en mémoire) voici que je me dis : zut, c'est vrai, les gens ici ne savent pas que je bois toujours dans un Mug sur scène, et s'il y avait d'autres personnes pour interpréter cette tasse comme une provocation... Du coup je suis comme un enfant blessé, accusé à tort, tout le temps de La Prémonition que je survole, n'habite pas ; je prends sur moi et reviens dans la chanson suivante, La théorie des nuages, mais le coeur n'y est plus et sans sacrifier les chansons, j'assure en revanche le service minimum pour les improvisations coutumières avec le public.
    En fait j'ai une marge d'action très faible : je ne veux plus prendre le risque d'être mal interprété ne serait-ce que pour l'équipe de La Guinguette qui nous reçoit avec tant de bienveillance, ainsi que pour les personnes attentives dans le public, et de fait je supporte les bavardages haineux de la femme du premier rang qui éructe maintenant sous mon nez, tout en me jetant des regards noirs, avec une de ses amies qui l'a rejointe - extraite d'un petit groupe au fond qui parle bruyamment sans se soucier du concert.
    Dans la deuxième partie du concert je suis encore seul avec ce truc à gérer, la peur d'être mal interprété, mal perçu dans tout ce que je pourrais dire, et le côté néfaste de cette étiquette parisienne qu'on peut me coller n'a jamais été aussi pesante - à ce propos c'est quelque chose contre laquelle je m'insurge toujours, que je trouve totalement fausse quand on essaye de la réduire à un cliché, il s'avère que oui j'habite Paris, et c'est ma ville sentimentale qui fait force d'oracle pour moi, d'endroit où je me sens le mieux au monde, où je puise et confronte de la substance, où je (me) récupère, mais dans mon travail ça n'a pas une importance capitale, je veux dire ça y participe bien sûr mais reste secondaire, il n'y a pas de plaques de noms de rues sur les émotions que j'essaie de susciter ou les répercussions que l'on essaie de provoquer chez les gens par nos chansons.
    Alors, dans cette deuxième partie de concert je crains d'être perçu en tant que "parisien qui vient faire le con avec un Mug à la croix suisse" et que cela ne devienne le sentiment général ; bien entendu je me trompe ; mais je me laisse emporter par une blessure suscitée par une seule personne - ce qui, vous en conviendrez, inconsolable amoureux, n'est pas la première fois.
     
    Après le rappel et Le jeune homme changé en arbre, la copine de la femme haineuse déboule directement sur scène, droit sur Frédéric et l'apostrophe en déboutonnant son chemisier et découvrant un tatouage qu'elle a cru repérer à l'identique, en logo sur un des amplis. Surréaliste !
    S'en suit un charabia mystique et incohérent ; en temps normal je me serai saisi de ce moment de manière ironique pour l'intégrer au spectacle, sauf qu'après ce qui s'est passé, je me contente de laisser filer l'intruse une fois que Frédéric, après lui avoir accordé une attention éberluée, l'expédie vite fait hors de scène.
    Au final, même si l'ensemble du public n'y a vu que du feu, j'ai une impression de tristesse, de ne pas avoir pris de plaisir, d'avoir été atteint - injustement - sans pouvoir rien faire, et je n'ai qu'une envie, revenir aux sources du concert, le recommencer dès le lendemain - ce qui n'est pas prévu - d'autant que l'accueil et la bienveillance des gens que nous avions rencontré durant tout le week-end nous eussent encouragé à vouloir donner le meilleur pour ce dernier soir.
    Apothéose au goût de citron. Emmanuel travaille sur de nouveaux concerts en Suisse. Vivement.
     
    08.11.04
     
    Travaux manuels d'une expérience précoce de la séparation.
     
    Il y eut ce serment triste et impatient : je n'aimais pas les voyages et lui avais fait promettre que si je m'inscrivais avec elle en classe de neige, une semaine de ski en février proposée à toutes les terminales, elle s'assiérait à mes côtés dans l'autocar, et qu'elle ne me lâcherait pas la main de tout le trajet.
    Le monde extérieur me laissait indifférent. Paysages fuyants, emballements décrépis. Que m'importait d'aller faire du ski quelque part dans les Alpes quand je pouvais rester avec elle après les cours, de dix-sept à dix huit heures ; blottir mes mains sous ses lainages, contre sa peau à vif ; et le week-end à Paris prolonger les après-midi ténébreuses de décembre collé tout contre elle, dans la chambre vacante de sa soeur, sous les toits, à l'abri du trafic insouciant du Boulevard Saint-Germain ?
    À moins que je n'eusse suspecté que de la laisser seule dans un contexte extra-scolaire, une semaine de ski, propice aux émotions de toutes sortes, elle ne me revînt sans nécessité, qu'elle perdit pour toujours le goût de se tenir à mes côtés, comme au gré d'une descente - et encore une piste bleue - on perd sèchement un bâton.
    Elle s'assit avec moi dans l'autocar, j'étais contre la fenêtre et elle sur le couloir, sa tête le plus souvent tournée vers une de ses copines qui ne tenait pas en place conforme à ce qu'on disait d'elle : réputation sulfureuse d'insoumise accentuée par des problèmes familiaux un peu mystérieux qu'on lui supposait.
    Je lui pris la main dès que l'autocar démarra. Elle se laissa faire, m'embrassa peut-être, vite vu. Quinze minutes après elle se dérobait déjà pour trifouiller un walkman réticent. À peine dépassé Fontainebleau qu'elle s'engouffrait sur les banquettes du fond, entraînée par sa copine destroy.
     
    10.11.04
     
    Elvis Presley.
     
    Avec Mathieu on écume les disquaires de la ville, à la recherche des éditions japonaises des chansons de Blossom Dearie.
    Pierre (Charvet) me dit à propos de l'épisode du Mug : c'est ce que Pierre (Boulez) appelle : centre et absence :
    - En te lisant j'avais l'impression que Jérôme Attal était à la fois le centre et l'absence d'un concert de Jérôme Attal."
    Remise du prix Constantin au Trianon. Jouer des coudes pour une coupe (de champagne) à l'after-show. Julien Clerc a chanté sur scène le très beau texte de Roda-Gil, Utile. Zut, on ne voit plus ce gros ours blanc de Roda Gil traîner dans le quartier, dîner à la petite pizzeria de la rue des Fossés Saint-Jacques, en automne. Adieu la poésie. Tiens dans cette fête bruyante j'irai bien chanter une chanson de Noël à l'oreille de Feist.
    David - qui enchaîne en trois mois les plus ou moins blind date comme en l'espace d'une soirée les whisky coca - me parle du rendez-vous qu'une amie, une entremetteuse, lui a fixé dans quelques semaines avec une grande brune :
    - Une grande brune aux yeux gris, si ça marche pas je te la refile.
    - Trop aimable, dis-je.
    - Oui parce que c'est tout à fait ta grille de lecture : elle est sexe, féline, une liane. Petits seins, grande, yeux gris...
    - Ma grille de lecture je l'ai oubliée sur un strapontin d'origine. Et de caractère ? Dégueulasse ?
    - ô tu deviens trop difficile. Pour une fille ça va devenir une victoire sur son genre de sortir avec toi !
    - Du moment que ce n'est pas un défi. Bon et cette fille, d'où elle sort ?
    - C'est l'ex d'un ami. Mais il y a un truc qui cloche...
    - En plus ?
    - Hé bien oui c'est l'ex d'un ami, on a dû se voir une ou deux fois pour tout, succinctement, il y a quelques années et là on a une sorte de rendez-vous, organisé par une amie en commun, sauf qu'elle veut...elle veut...une photo ! je veux dire : elle cherche un mec et elle veut une photo ! Tu comprends ça toi ? Pour qui elle se prend cette conne ! Est-ce que je lui demande une photo moi ?
    - Grande brune aux petits seins et aux yeux gris.
    - Exact ! Est-ce que je lui demande sa photo ? Qu'est-ce que ça veut dire ces manières ? Qu'elle se laisse surprendre un peu ! On va juste boire un verre ! Je remplis pas une fiche Sécu ! Elle est seule, elle s'écrase, elle tombe amoureuse de moi ! Je m'en fous je vais prendre son numéro par ma copine et puis je vais l'appeler directement, même si je n'en ai pas l'autorisation.
    - Ce que je trouve un brin compliqué dans ton système c'est de devoir demander à une fille l'autorisation de sortir avec une autre, c'est beaucoup de détours, sans aucune garantie sexuelle. Et comment ça s'est terminé avec son ancien mec, tu as des détails ?
    - Tout ce que je sais c'est qu'à la fin il prenait des médocs et il ressemblait à Elvis Presley.
    - Hum. Tu as vu ce qu'Hollywood a fait de Claire Danes ? C'est terrible.
    - Je comprends rien à ce que tu racontes mais je te promets que si ça marche pas, je te l'envoie.
    - Oui hé bien faudrait voir sa photo avant !
    - Très drôle ! Bon, y a plus de champagne, qu'est-ce que t'as envie de faire ?
    - Chanter une chanson de Noël à l'oreille de Feist, me promener un peu dans Paris, écrire quelques lignes de Journal. Donner un concert et peler les chansons comme des oranges pour les gens. Si on fait un bout de chemin à pieds, ils ont peut-être le temps de reconstruire un Drugstore à Saint-Germain ou sur les Champs comme quand j'étais petit. Aller discuter avec des personnes passionnantes et spirituelles mais le musée Grévin est fermé à cette heure. Blottir mes mains - et leur prolongement qui est le destin - sous le pull d'une fille qui me plaît. Avoir une aventure d'une nuit parce que c'est mémorable. Et que de toute façon, comme je ne dors plus la nuit, autant qu'il y ait de l'aventure. Tiens l'autre jour j'ai discuté avec une fille qui a dit tant de fois je t'aime au cours de son existence qu'il faut bien se haïr pour s'abîmer dans son jeu. Mais, si on dit toujours je t'aime pour la première fois, on aime toujours pour la dernière fois. Alors on ne fait que traverser du bonheur inquiet."
     
    11.11.04
     
    Dans le téléviseur les images des réfugiés de Côte d'Ivoire ; mines défaites, stupéfaction, abattement. Ce glissement immédiat dans l'insupportable, l'outrance. Et la barbarie qui n'est jamais loin.
    Chassé d'un pays, d'un mode de vie, c'est comme être subitement chassé par un amour dans lequel on avait déployé son existence. Toutes proportions gardées, mais on retrouve le même discours : "J'ai tout perdu en quelques minutes".
    X m'appelle d'une clinique des Yvelines où il se repose après que la fille avec qui il vivait depuis trois ans - il s'occupait aussi des enfants de celle-ci, issus d'une première liaison - soit partie, le laissant sur le carreau de manière assez violente. Je n'ai pas vu X depuis de nombreuses années, ou en coup de vent, je veux dire je suis comme ça, assez intransigeant en amitié, il y a des fois où la confiance ne marche plus au point de sabrer même l'envie d'aller boire un café.
    Par contre - bien que je n'oublie rien - je n'ai pas de goût particulier pour la rancune, sur la distance, et ne connais pas l'interruption ; alors même si je n'ai rien fait pour revoir X, si aujourd'hui dans l'état d'esprit assez paroxystique où il se trouve il a besoin de me contacter, je réponds comme si on s'était perdu depuis tout juste une semaine. J'ai pris le numéro de téléphone et l'adresse de la clinique. Cette après-midi je regardais pour la énième fois Les deux anglaises et le continent, que j'ai offert récemment avec beaucoup de plaisir à Stéphane (et puis les deux plans de Stacey Tendeter dans le petit film super 8 tourné par Jean Gruault sur le tournage de la scène finale, et présents dans les bonus du DVD, sont mon refuge quand tout fout le camp) or dans le film il y a cette phrase de Henri Pierre Roché : "La vie est faite de segments qui ne se touchent pas". J'étais vraiment dans un état lamentable (de tristesse) cette après-midi, et j'avais absolument envie de joindre Y et de lui dire : tu vois cette phrase : la vie est faite de segments qui ne se touchent pas, hé bien je ne suis pas d'accord avec cette phrase, tout mon travail - et tout mon amour qui fût pour toi - n'existent que pour contredire cette phrase, prouver que ce n'est pas vrai.
    Je ne sais pas pourquoi j'ai ressenti le besoin irrépressible de me tourner vers elle, comme pour lui sauter à la gorge avec cette réflexion. Peut-être parce qu'elle a été mon pays durant sept ans. Et qu'aujourd'hui, bien que j'aie pris longtemps soin d'elle chaque jour comme de personne, par son silence et le temps qu'elle laisse couler entre nous, d'abord comme une fuite, une hémorragie, et maintenant comme un lac, bientôt un océan, je suis nié de tout lien avec elle. Peut-être parce que tout dans son attitude tend à démontrer que oui, la vie est faite de segments qui ne se touchent pas. Mais tant que j'écris, que je fais des chansons, les personnes qui s'attachent à mon travail verront bien, elles, concrètement, que c'est moi qui ai raison.
     
    13.11.04
     
    - Les filles qui rentrent leurs pantalons dans leurs bottes ?
    - Dégueulasse.
    - Les filles qui portent des chaussures à bout pointu ?
    - Dégueulasse... et dangereux.
     
    14.11.04
     
    Le gâteau trônait sur la petite table de cuisine amovible comme un ciel pâle et chahuté. Le quatre-quart était l'une des seules pâtisseries - avec les crêpes de la chandeleur onctueuses et épaisses - que sût préparer mon papa : un quart de farine, un quart de sucre, un quart de beurre, des oeufs. La locomotive sifflait et la ligne de chemin de fer qui courrait vers la gare Saint-Lazare faisait brinquebaler la cuisine, de la pendule à l'étagère, comme on imagine une fusée au décollage. De l'autre côté de l'appartement le square apportait une épaisseur calme et pain d'épices soutenue par les rideaux.
    Le quatre-quart reposait dans son moule argenté ; il était permis de le manger avec un peu de chocolat. Parts triangulaires, pâte crénelée toujours un peu trop brûlée, "étouffe chrétien" mais rassurant de consistance et de goût. Une part après l'autre, le gâteau et son désir s'appauvrissaient, jusqu'à disparition. La vie parfois il faut la laisser reposer sur une table de cuisine, le train de l'agitation et du grand monde, de l'euphorie naïve ou des obstacles exaspérants a beau siffler dans le lointain, il faut laisser reposer la vie sur un coin de table, et une part après l'autre, elle revient nous saisir, palpitante avant de s'en aller encore, de l'oubli plein les doigts, du bonheur qui s'estompe c'est ainsi.
    Les gâteaux fumants sont faits pour être mangés, la vie ne nous laisse pas intact, ni l'appétit des uns ni le dégoût des autres ne nous laissent intact. Part à part nous partirons, pensant que la dernière est toujours pour la suivante, dévorant le temps qui n'a de goût qu'ensuite, l'amour ne se savoure que si l'on en redoute la fuite, que si l'on y consent - non je ne peux pas dire ça - l'enfance est avalée, l'adolescence coupée, les âges de la vie comme chez Giorgione se regardent de trois quarts, le quatrième est celui de la conscience qui regarde les trois autres, zigzague et fait le lien, ce n'est pas toujours du gâteau, la vie, elle ne nous laisse pas intact, chaque jour qui passe on me retranche ce que je pensais enfant, faire l'amour recompose et détruit dans le même temps, l'autre nous révèle nos propres limites en nous dissimulant les siennes ce qui donne pas mal de plaisir et de souffrance, assujetti au désir qu'il faut coloniser comme un pays perdu, Magellan de ton désir, prends soin de moi pour la nuit, il y a mon nom sur une liste - ou sur une feuille volante que tu as confondu avec une hirondelle - pour aller fouiller ton sexe jusqu'à ce que ton coeur cogne à ses limites, je voudrais qu'il n'y ait plus de samedi soir, Egon Schiele et Edvard Munch ont raconté la même chose, l'un avec le corps et l'autre avec le coeur, il y a toujours des ingrédients à aller chercher quelque part.
     
    15.11.04
     
    Éclater Tino Rossi.
     
    J'aime beaucoup la chanson de Noël que nous avons faite avec le groupe, et qui m'a occupé l'esprit une bonne partie de la semaine dernière. Nous sommes tellement heureux de cette chanson que nous sommes déjà un peu triste de ce qu'elle va devenir.Vu l'indifférence de la plupart des maisons de disques qui, à ce niveau de compétition, s'apparente à du mépris, une fois encore nos moyens d'action et de diffusion sont limités. C'est dommage, je me voyais bien chanter cette chanson de Noël à la télévision française, en crooner déjanté, dans des émissions de variétés un peu surettes. Rodolphe va l'envoyer dès demain à plusieurs radios et aux journalistes sensibles à mon travail ; ce serait bien que des programmateurs la diffusent et que les auditeurs appellent en demandant : Mais c'est quoi ce truc ? Où peut-on trouver le disque ?
    La chanson de Noël est à ma sauce bien sûr, un peu tristouille aux encolures, mais c'est souvent comme ça Noël : un mélange de joies et de nostalgies, un sentiment d'instabilité qui mesure l'écart avec notre enfance, une joie qui ne peut plus être complète, une insouciance pouilleuse recouverte d'un vernis de plaisir ou d'une fine couche de neige, un rituel qui ne cache plus sa déception, et quand bien même ce que je voulais faire c'était une chanson qui tienne chaud, dans le même mouvement, que les gens puissent l'écouter quand ils sont en voiture par exemple, dans les embouteillages, qu'ils se rendent à leur soirée de réveillon, qu'il y a ce climat spécial tout autour et en eux, et la chanson qui les accompagne, qui leur dit que je suis là quoi, que ça continue, pour Noël. Alors sur les orchestrations de Frédéric j'ai trouvé un angle original pour l'histoire, j'ai pris Noël par la capuche et je l'ai inclus à mes thèmes, mes préoccupations si je puis dire, et aussi pour quelqu'un comme moi qui adore Pierre Desproges c'est toujours agréable de faire une vraie chanson de Noël qui va éclater Tino Rossi !
     
    16.11.04
     
    Souvent j'admire la gravité avec laquelle les gens se tiennent, et la légèreté avec laquelle ils se comportent.
     
    17.11.04
     
    Dans la partie muette du boulevard Saint-Germain la boulangerie Huard est devenue la boulangerie Gosselin ; adieux conférences de religieuses au chocolat au soir tombant ; je ne sais plus de quoi nous parlions Jean-Luc et moi, traversant le boulevard comme d'autres l'atlantique, de livres, de cinéma, d'amours que la lâcheté rendit mythologiques ; adieu l'Orphée de Gustave Moreau qui gît au musée d'Orsay ; il y a toujours chez Ingres, parmi les odalisques, une qui me tente, à moins que ce ne soit dans le Tépidarium de Chassériau ; ou mieux chez John William Waterhouse, nymphe d'eau, naïade de collection privée, au nez retroussé ; et Courbet qui avait effacé Jeanne Duval à la demande de Baudelaire, comme si c'était si simple. Tu parles Charles !
     
    Je fuis l'attente parce que la fatigue s'y déploie, et que rien ne peut alors dissuader la tristesse d'occuper tout le champ, corps et âme.
     
    Il n'y a plus de lieu où je me sente bien, délivré de mes attentes.
     
    Carrefour Mabillon le feu rouge nous réunit un instant, passante que je reconnais sur une gamme qui va du trouble à l'émotion, de la retenue à la fuite sans merci, combien de temps encore nous tiendrons-nous ensemble, le boulevard charrie son lot d'anecdotes et d'accidents, d'urgences familières sur la rive pâle du fleuve, les rapides du temps qui passe, le feu rouge nous tient dans sa coupe, je ne vous regarde pas je vous retrouve en moi, pensées qui sur un corps se posent comme sur une branche, pas plus longtemps qu'un oiseau étourdi, un papillon ivre, corps superbe de pensées perdues, en quelles parties brûlantes ? cheveux maintenus en un désordre pratique qu'on voudrait voir lâchés, tombés dans les mains comme une pluie d'or - ou des tisons noirs sur des épaules nues - le soir dans une complicité ardente, à l'abri des gerçures de la journée ; autour de l'odéon contre des poteaux spontanés - qui soutient l'autre ? - qui sait ce qu'elles attendent ? Hé bien moi je sais ce qu'elles attendent : elles attendent l'amour ; l'amour qui n'en finit pas de tracer son cercle magique en dehors ou au dedans duquel se définir - si tu tiens à ta bouche, ne fais plus de promesses - l'amour qui n'en finit pas de jouer à la poupée et de jouer à la guerre, l'amour qui n'en finit pas de bouleverser, comme tout ce qui reste à jamais disponible et ouvert ; ouvert comme un destin, ouvert comme une plaie ; provisoire à l'infini ; pauvre désir qui prend le masque du limpide, de l'évidence ou du combat son absence ; et qui bien qu'on se creuse dans le désir de l'autre, laisse toujours sur sa faim, servitude indomptable.
     
     
    19.11.04
     
    L'hiver, les cols roulés sont le tombeau des nuques.
     
    Soirée de remise du prix de Flore en vitesse, beaucoup de monde, Olivia me présente à des gens charmants (en vitesse), je bois du Grand-Marnier orange - c'est bien la classe - qui passe comme du sirop ; j'ai assez lutté s'exclame une fille jolie, à bout de forces, mais je pourrais tout aussi bien trahir la virgule et dire : jolie à bout de forces - j'ai assez lutté et je me retourne vers elle happé par cette phrase dans une intensité dostoïevskienne ; or de manière moins existentielle elle marque juste son exaspération d'avoir dû surmonter une marée humaine et divers obstacles pour se rendre au premier étage, là encore traverser une série de houles et de catastrophes ambulantes, pour atteindre dans un dernier souffle l'ultime coin bar où l'on serve encore du champagne ; Les uns, autour de la clarté des sources, souffraient l'agonie de la soif ; les autres, à bout de souffle, tombaient sur les chemins (...) (Eschyle, Les Perses, 472 avant J.C.).
     
    Stéphane me parle du concept du potager ; il y a ces filles à la beauté cassée ou criarde, qu'on remarque sur l'instant et sur lesquelles tout glisse de façon tragique sauf peut-être tant qu'elles durent les attractions de la nuit.
    Elles entament dans leurs conversations des vies rêvées, trahissent par l'inflexion de leurs sourcils des remontrances d'enfant, se projettent en ligne droite, pour rire.
    Mais elles finissent toujours par partir de la soirée au bras du type qui a la plus grande gueule, qui fait montre de l'audace ou du compliment les plus gras, ou qui simplement - nous sommes en 2004 après J.C. - passe le plus de fois dans l'année à la télévision.
    Elles sortent quelques mois avec des types qui se croient tout permis, poursuit Stéphane, qui iront fureter à droite et à gauche en leur présence, qui ramèneront à la maison d'autres filles pour des plans à trois, à quatre, à huit que sais-je, mais au bout du compte qu'est-ce qu'elles veulent ces filles ? Hé bien simplement un amour en qui croire, et un petit potager !
     
    Après le Café de Flore j'enchaîne une deuxième soirée soucieux de ne pas faire mentir Le courrier de l'ouest, je cite :
    Aller voir Louis qui chante quelques avants goût de son nouveau disque au Réservoir à la soirée Néogène music. Sur place, des poignées de main solides, et des visages fuyants ; un bisou de Mary ; la bise à deux copines ravissantes de Pascaline dont l'une porte sur un jean une veste de survêtement Adidas vintage, de couleur verte à bandes blanches, dont elle n'arrête pas de zipper et dézipper la fermeture éclair dans une attitude et sur un petit haut absolument sexy ; craquante, redoutable.
    La salle de concert se transforme progressivement en club à mesure que l'heure tourne. Je regarde autour de moi : Que viennent-ils chercher ? De la bonne musique, un baume à leur journée ? Un visage, une attitude, une émotion qui les tiendront au chaud jusqu'au lendemain ? (où tout recommence à zéro, non ça ne peut pas), et, dans l'idéal, un corps immédiat, un amour vite fait d'un feu de pulsions et d'attirances, comme une place à prendre - où s'endormir.
    Et elles donc ? Assimilées par des types qui ne les font pas continûment fantasmer, à des femmes sans désir ou sans heurts, à des filles de transports en commun ou bien encore à des apparitions, viennent-elles dans Paris qui ne dort pas se pourvoir en carnation ?
    À moins qu'elles n'essaient, à l'oreille des garçons les plus prompts à recueillir leurs confidences, d'approcher ce rêve lointain d'un petit potager, ainsi que le formule Stéphane.
    Dommage que je n'aie pas la main verte ; seulement les yeux.
     
    20.11.04
     
    Au téléphone avec Stéphane en pleine nuit, lui près du Canal Saint-Martin, et moi rejoignant la rive gauche par l'île Saint-Louis. Son appel me sauve de l'imminence d'une bêtise que j'allais faire. Bien, tu la feras demain, me dit-il.
    Répit.
    Café du Vieux Colombier avec Jean-Vic et Aurel. Sur les banquettes à côté de nous une fille incroyable, cheveux attachés en queue de cheval, commande un lait chaud. Tasse qu'elle enserre de ses mains fines. Dehors : bruine crépusculaire. Elle donne des conseils à une copine qui lui fait face, concernant son CV. Elle parle de ses études de droit social, de bureau, de sa stagiaire, et de tout le service qui était partie en Italie pendant que le téléphone sonnait. Hé bien quoi s'exclame Jean-Vic, tu voulais qu'elle parle de La pornographie, de son interprétation de La chaîne du froid, et qu'elle se languisse auprès de sa copine de ton prochain concert ? Aurélien s'enfuit pour prendre un train Gare Montparnasse ; nous avons déjeuné ensemble et au cours de nos conversations il m'a dit que les types qui avaient une grande part féminine finissaient toujours par tomber sur des filles qui leur plaisent vraiment.
    Thomas m'envoie un message très enthousiaste concernant la chanson de Noël. Cette chanson me rend triste finalement ; je ne sais pas quoi en faire ; qui peut m'aider pour que les gens l'aient avec eux pour Noël ? Le milieu de la musique me désole. C'est effroyable parfois, les réactions butées ou l'indifférence, et le temps que prennent les choses à bouger.
    Elle est vêtue d'un long pull noir ; de jeans et de converses. Toujours courbée vers la paume de sa main quand celle-ci n'enserre pas la tasse de lait chaud. Arc oblong qui évoque certaines attitudes de femmes chez Picasso, période bleue puis rose. J'ai envie d'appeler X et de lui demander l'asile de ses bras pour la nuit ; je ne suis plus de taille à supporter le samedi soir.
    Samuel (R) nous offre un verre au premier étage du Flore ; on déconne bien autour d'une joyeuse bande ; Jean-Vic parle des soirées New-Comer dans les caves du Bar 3, à Odéon.
    - Autorisation légale de faire et de passer de la musique jusqu'à sept heures du matin ! nous informe-t-il.
    - C'est normal, dis-je, c'est dans ces mêmes caves qu'on égorgeait les nobles sous la Révolution, alors les habitants du quartier ont des générations de tolérance pour ce qui est du bruit !"
     
    21.11.04
     
    - Je ne sais pas... Peut-être qu'une solitude agit comme un réflecteur ; j'ai l'impression parfois d'un phare, spécialement quand la ville est comme ça, que le soir tombe, qu'il bruine, et que les regards se balaient dans les mouvements de celles et ceux qui rentrent vers leur occupation, une sorte de phare, et autour de moi des regards, des appels...
    - En parlant d'appels, me dit David en compagnie duquel je bois un verre de Chinon rue de Buci, ce que je ne supporte plus du tout ce sont les jeunes meufs avec leur téléphone portable ! On dirait qu'elles ont un rapport sexuel avec leur téléphone !
    - Oui à force de tripoter leur mobile toute la journée, on comprend qu'il y ait des baisses de régime pour la suite.
    - Exactement ! Je vais te dire : pour certaines meufs ça devient le prolongement de leur clitoris. Et puis il y a aussi ce symptôme de n'être jamais là au bon moment : soit ici, soit à l'autre bout du fil avec leur correspondant. On dirait qu'elles ne sont jamais en phase. T'es pas d'accord ?
    - Je suis assez d'accord. Le téléphone est l'instrument d'une schizophrénie. Il y a ça dans Lost Highway de David Lynch. Et c'est aussi le révélateur d'une incomplétude. C'est ce que tu dis : on ne supporte pas d'être entièrement voué à l'instant, il y a une saturation, un challenge qu'on ne relève pas de manière satisfaisante (sauf quand on baise peut-être), et c'est ce qu'on trouve aussi dans les situations peintes par Francis Bacon, comme on ne se supporte pas, empâté dans l'instant et en même temps si impuissant à être heureux, on cherche à fuir cette angoisse par l'objet, le téléphone qui s'ouvre sur un autre lieu, sur une autre voix comme sur un autre lieu.
    - Moi je supporte de moins en moins les meufs qui passent leur temps à tripoter leur téléphone. Je préférerai qu'elles me tripotent moi. En plus elles s'appellent pour des conneries si tu savais ! Le niveau c'est : je t'appelle pour te dire que je te rappelle.
    - Il faudrait qu'elles s'appellent pour parler de toi. Que tu ne serves pas de matière à conversation comme c'est le cas ordinairement, mais qu'une fille soit avec toi, et dans le moment où elle est avec toi qu'elle en appelle une autre pour lui parler de toi.
    - Je préfèrerais qu'elle me tripote.
    - Ainsi elle fermerait l'espace, je veux dire il n'y aurait plus d'espace où fuir, d'existence hors de toi ; les deux côtés du miroir seraient saturés de ta présence. Et c'est ça l'amour. Et c'est pour ça que ça ne dure pas, la passion, parce qu'à vouloir saturer de sa présence les deux côtés de l'existence de l'autre, on finit souvent par briser le miroir. Et qu'il faut alors trouver un nouveau miroir, lisse de projections, ailleurs les débris de l'amour mort.
    - Allez Jérôme, on trinque à la semaine qui arrive, tu veux ?! Je sais bien que ça a été dégueulasse pour toi cette semaine, alors on se souhaite une semaine merveilleuse à venir, on trinque à la semaine qui vient. Des bonnes surprises dans le travail, que la vie débloque des choses. Et puis qu'on trouve enfin des filles valables. Parce que la solitude...
    - Je ne sais pas...Peut-être qu'une solitude agit comme un réflecteur ; j'ai l'impression parfois d'un phare, spécialement quand la ville est comme ça, que le soir tombe et qu'il bruine."
     
    22.11.04
     
    Il y a des jours où je n'y arrive simplement pas. Je tape encore des poings contre son coeur muet. Je lui ai écrit qu'il n'y a plus rien à craindre, qu'on s'est déjà perdu et qu'il n'y a donc plus rien à craindre, mais que j'ai juste besoin de lui parler parce que j'ai beaucoup de chagrin ; beaucoup de peurs, et de déceptions.
    Je voudrais parler avec elle de son refus de me répondre - comme si ce fut le refus d'une autre, du ciel pourquoi pas, je voudrais avec elle pouvoir ausculter son rejet. Comment est-ce possible, comment peut-on nier à ce point la détresse de quelqu'un qui vous a porté si fort, et dans l'amour, et face aux dangers, et supplantant pour deux les mesquineries de la vie ?
    Hé bien il suffit de laisser faire, d'être déterminé à laisser aller, et on peut. Ça ne fait presque plus mal à la longue. On quitte le service des urgences, le coeur devant.
     
    25.11.04
     
    Dans ce jeu de l'oie plein de carences et de cases qui s'effacent, jeu de l'oie pas vraiment blanche qu'est l'existence, à mesure de nos pas, il faut bien - quand même - se fixer quelques règles. Alors voilà : Si je rencontre dans le métro quelqu'un qui lit exactement le même livre que moi (ce qui est assez rare) je retourne immédiatement à la case départ (qui est comme chacun sait non pas la case aléatoire de la naissance, mais l'espace déterminant du premier amour).
     
    28.11.04
     
    Monsieur Fresnel distribuant les copies s'était penché sur moi partagé entre la sollicitude et l'exaspération, comme à mon tour maintenant quand je me penche sur ce passé fuyant, m'apprenant que si madame Savard corrigeait ma dissertation - au bac blanc pour les corrections les professeurs s'échangeaient leurs classes - ça risquait de chauffer sévère pour mon matricule, tout brillant, du moins suffisamment original, que pût paraître mon travail.
    Madame Savard avait une réputation de mégère irascible au goût strict et rigide ; amputé de l'un de ses avant bras, son physique sec et militaire n'arrangeait pas l'impression qu'elle faisait quand on la croisait au détour d'un couloir - Méchante fée de l'ouest (parisien), Twin-Peaks sur Seine - et celles et ceux qui l'avaient eue pour professeur de français dans de plus petites classes racontaient de quelle manière si vous eussiez commis des ratures dans vos compositions elle posait son moignon sur la copie ouverte et en déchirait la page incriminée à l'aide de son unique main.
    Le jour du bac blanc de français je me jetais sur le sujet de dissertation, négligeant le commentaire composé - comme aujourd'hui, pour les concerts et les chansons, ça ne me dit rien de faire des reprises - et je me lançais dans un divertissement narrant sur le thème du caractère fatal des passions - j'ai toujours eu une grande indulgence pour mon avenir - les mésaventures stendhalo-trash d'un type qui se coupait les bras par amour, car si l'amour est aveugle, parfois trop de désir rend manchot.
    Si aujourd'hui je repense à cet épisode retentissant de mon adolescence, c'est que dans La femme d'à côté, ce film si remarquable de François Truffaut que j'ai revisionné ce soir, il y a le récit d'une histoire étrangement comparable narré par le personnage joué par Depardieu à sa confidente Madame Jouve : l'histoire d'un type qui se mutile par amour pour une femme qui ne supporte pas que les hommes la prenne dans leurs bras - vous connaissez peut-être les femmes, et leurs blocages.
    Ce petit morceau de bravoure truffaldien, au moment où je le re-découvre jette un joli éclairage, une connivence, sur cet épisode romanesque de mon adolescence, mon devoir du bac blanc de français et ses répercussions dans le lycée.
    Ce fut donc l'implacable Madame Savard qui corrigea ma copie. J'écopais d'un 01 / 20 (ce qui est assez héroïque, ne passe pas inaperçu, pour le bac blanc) accompagné du commentaire suivant : Pourquoi tant de cynisme ?
    Madame Savard, mise dans une rage folle par mon devoir et exigeant une sanction exemplaire, je fus convoqué dans le bureau du chef d'établissement - or je jouissais d'une certaine popularité auprès des professeurs basée sur rien de bien sérieux, une façon de me tenir au milieu des lances, ce qu'on appelle le charme je suppose, et des idées généralement subversives et si j'ose dire : tranchées, servies par une politesse et une tenue irréprochables. J'intriguais et mieux encore que d'intriguer, je plaisais. Donc, le chef d'établissement me convoqua pour la forme, me fit la morale distraitement tout en jetant un oeil au menu journalier du réfectoire, et il me raccompagna vers le couloir m'expliquant que de toute façon devant des questions d'ordre littéraire, les bras lui en tombaient.
    Le couloir avait bien changé depuis mon absence, il bruissait de regards langoureux et de vivas étouffés, j'étais devenu populaire. Ma copie s'arrachait. Les filles de Première littéraire voulaient se la procurer à tout prix, c'était à laquelle la garderait le plus longtemps entre ses mains, dans ses classeurs, dans le fouillis compliqué et superbe des sacs. Comme j'étais en Première éco - on parla même d'une pétition, les filles de première littéraire souhaitant organiser mon transfert, ainsi que l'on parle de transfert non pas dans le jargon des psychanalystes mais plutôt un transfert d'ordre footballistique - bref même si avec le recul ce devoir outrancier ne dût pas s'avérer bien fameux, il fut la sainte relique du bac blanc de français cette année-là dans mon lycée, ainsi que mon premier et plus grand succès littéraire jusqu'à aujourd'hui ; succès littéraire qui se perdit quelque part dans un échange ou une passe d'armes entre plusieurs filles.
     
    29.11.04
     
    Etienne Campiche a titré le papier qu'il a écrit sur moi : Un dandy parmi les pornographes. Je passe mes après-midi à traîner à Odéon, je cherche des choses en suspens, des sédiments, des coquillages, des jambes gracieuses dans des jeans ou sous des jupes comme des cannes de parapluies renversés, des camaraderies le temps d'une discussion sur le cinéma français et américain, des projets comme des pochettes surprises, des viennoiseries acceptables, des bouts de chansons, de l'or dans les conversations, de l'amour fou, un nouvel amour fou, et des souvenirs, des à venir.
    Je dis à Bertrand (M) que les deux choses qui rapprochent le plus la femme et l'homme sont la souffrance amoureuse et, bien sûr, son opposé, faire l'amour. Deux dépendances de forme tragique. C'est là et principalement là dans une impulsion inévitable et insensée, qui nous dépasse tout entier et nous rassemble dans la même tourmente, qu'il y a identification et réunification, miroir et frémissement.
    Je déjeune avec Thomas (D) dans un restaurant de son quartier d'un plat qui s'appelle le sushi dispersé, et j'ai de l'empathie pour ce plat, vraiment, en ce moment.
    Dans le métro une fille lit la biographie de Tiger Woods et je consulte le livre numéro 10 du séminaire de Jacques Lacan - pas de retour sur le jeu de l'oie mais je triche, j'emporte plusieurs livres à la fois histoire de ne pas être pris dans le sarcasme enveloppant, la nostalgie voluptueuse du premier amour.
    Rendez-vous avec Héloïse au Pause-Café ; elle et moi avons arrêté de regarder la saison 3 de 24 heures chrono, délibérément, depuis que ces cons de scénaristes ont tué Nina Myers. J'ai le temps de passer Fnac Bastille vérifier que la fille qui travaille à la caisse et qui me plait éperdument est toujours là, je veux dire que l'ordre du monde est bien en place, même si les sushis, eux, sont dispersés.
    Samedi dans un Café il y avait une jeune femme attablée avec sa maman ; le temps d'un thé ; un visage si calme et captivant que là encore j'eusse aimé lui demander l'asile poétique pour la nuit. Pull gris qui découvre l'ocre d'une épaule, bande de planète inconnue sur laquelle court la bretelle de quelque chose de beau.
    L'émotion que nous procure la beauté reste une compresse valable face au temps qui déguerpit, face aux mesquineries courantes. La nuit de novembre tombe si tôt. Nous sommes des proies laconiques pour le sourire des villes. Il faudrait que je travaille un peu. Mais vers qui ?
     
    04.12.04
     
    Paris.
     
    Je l'ai raccompagnée longeant les murs du cimetière. Elle m'a raconté qu'un jour elle avait voulu prendre un raccourci, et qu'elle s'était retrouvée enfermée à l'intérieur. Près d'une demi-heure.
    Il faisait un froid glacial. Je voulais la protéger. Elle m'a demandé si j'avais des souvenirs de Montparnasse. Je n'ai pas osé lui dire qu'il lui eût suffit de m'embrasser pour que j'en aie beaucoup.
     
    05.12.04
     
    Le jour où les filles sont devenues connes.
     
    Pierre (Charvet) me téléphone tout en se préparant une soupe Waï-Waï. Je lui demande ce que cela signifie, si une fois absorbé deux trois cuillérées de soupe, ton estomac te pousse à faire Waï Waï ? Pas du tout, répond Pierre en retournant la boîte en tout sens pour en déceler l'origine et en deviner la signification (Pierre est le Champollion des boîtes de soupe orientale), d'ailleurs en parlant d'Orient il y a ce qu'écrit Nabokov dans la préface de Brisures à Senestre (Bend Sinister), ça m'a fait penser à toi Jérôme, tu sais il dresse une liste des choses qui le rendent insensible c'est très drôle, attends un instant je vais te lire :
     
    "There exist few things more tedious than a discussion of general ideas inflicted by author or reader upon a work of fiction. The purpose of this foreword is not to show that Bend Sinister belongs or does not belong to 'serious literature' (which is a euphemism for the hollow profundity and the ever-welcome commonplace). I have never been interested in what is called the literature of social comment (in journalistic and commercial parlance: 'great books'). I am not 'sincere,' I am not 'provocative,' I am not 'satirical.' I am neither a didacticist nor an allegorizer. Politics and economics, atomic bombs, primitive and abstract art forms, the entire Orient, symptoms of 'thaw' in Soviet Russia, the Future of Mankind, and so on, leave me supremely indifferent. As in the case of my Invitation to a Beheading - with which this book has obvious affinities - automatic comparisons between Bend Sinister and Kafka's creations or Orwell's clichés would go merely to prove that the automaton could not have read either the great German writer or the mediocre English one."
     
    Pierre est un grand fana de Nabokov - et plus complet que je ne le suis certainement ; il lui a d'ailleurs consacré toute une pièce musicale, un hommage à Ardis et Ada, avec des flûtes, des hautbois, des trompettes, des cors, des bassons, des clarinettes, et quelques litres probables de Waï WaÏ.
    Bien sûr cet extrait de préface est épatant. Il y a toujours dans une phrase nabokovienne, un art des sommets qui ne va pas sans une virtuosité de la chute.
     
    Travail sur de nouvelles chansons. Le travail me semble de plus en plus compliqué, non pas les pistes à concevoir, le terrain que j'ai envie d'occuper mais les empêchements matériels et le terrain où les chansons vont émerger si j'ose dire. Il me semble qu'il y ait dans le monde de la musique et de plus en plus autour de moi une indulgence doublée d'une promotion pour la médiocrité, l'arrogance, et le bluff.
    Je reste de toute façon dans la marge, contraint ou pas.
     
    Discussion avec Frédérique au sujet d'une de ses collègues, dont j'ai surpris la voix grave, rocailleuse et superbe, en fond téléphonique. Cinglante elle répliquait à un type cantonné à son espace lointain : je devrais te remercier peut-être ?! On sentait dans cette sentence et cette voix le tissu de la robe stricte et la colère portée par des jambes douces.
    - Elle est mariée avec un type qui travaille dans le Capital risque, m'apprend Frédérique.
    - Dans le Capital risque ? Hum...
    - Mais attends, c'est sexy !
    - Et en quoi c'est sexy de travailler dans le Capital risque ?
    - Parce que c'est difficile.
    - Et quand c'est difficile c'est sexy ?
    - Oui.
    - Hé bien je suis très sexy, dis-je."
     
    Café de la Mairie, place Saint-Sulpe, avec Thomas, David et Stéphane.
    - Vous ne trouvez pas que les filles sont moins sexe qu'avant ? Qu'elles sont moins intéressées par la baise ?
    - En ce qui me concerne, dit David, elles n'ont jamais beaucoup baisé.
    - Et pourtant je crois qu'elles sont plus vicieuses que nous, émet Thomas.
    - Je ne crois pas, dis-je.
    - Plus de perversité, répond David, c'est certain elles ont plus de perversité que nous.
    - Et moins de persévérance certainement.
    - En tout cas je suis hyper énervé, poursuit David, en ce moment ça ne va pas du tout. Je crois que les filles sont devenues connes. C'est ce que tu dis dans ta chanson Jérôme, Laisse-moi devenir ton homme, quand tu dis : C'est pas possible d'être aussi conne.
    - Tu dis ça Jérôme ?
    - Ô vous savez sur scène je ne suis que l'instrument des urgences et des drames que je capte de la salle, qui me traversent, et que je renvoie dans une intention poétique.
    - Oui les filles sont devenues connes ! Et certaines ont même l'honnêteté intellectuelle de le reconnaître ! Moi j'en ai vraiment marre d'être tout le temps mis sur le banc des accusés !
    - Il faut que tu te montres plus dur avec elles, intervient Stéphane. Tiens une histoire qui est arrivé à Yann Moix : pendant un an il a courtisé une fille, il lui offrait des trucs, la poursuivait d'attentions, était devenu son confident etc. et elle s'obstinait à refuser ses avances, ça a duré un an, et puis un jour il en a eu plus rien à faire de cette fille, il continuait d'être sympa avec elle, mais aucun effort supplémentaire, dès que ça commençait à le peser il pouvait passer à autre chose sans se torturer le coeur et l'esprit, il la trouvait toujours jolie mais ne s'y impliquait plus avec tout le désastre d'antan. Hé bien la fille ne l'a pas supporté. Et en très peu de jours elle est devenue son amante, elle était devenue folle de lui, elle ne voulait plus le lâcher. Ce qu'il faut c'est être dur, que tu quittes l'espace vacant entre le copain et l'amant.
    - L'espace Lacan entre le copain et l'amant, dis-je. C'est le capital risque.
    - Cette semaine, dit David, j'ai fait un entretien avec une nouvelle stagiaire. C'était extraordinaire, elle avait les seins qui pointaient durant tout l'entretien. C'était beau. Elle avait un petit pull blanc. Et la pointe des seins très dure.
    - Il faut être dur.
    - C'était très beau. Pendant tout l'entretien les seins qui pointent. Je l'ai prise.
    - Jérôme, me dit Thomas, je cherche souvent pour toi des filles qui ont des longs cous.
    - Oui comme la toile du Parmesan, la madone au long cou. J'aime les longs cous et les bons coups.
    Un téléphone sonne brièvement. Tout le monde porte la main à sa poche.
    - C'est terrible plus ils inventent des trucs qui soi-disant réduisent les distances, plus on se retrouve en tête à tête avec nos solitudes.
    - On est tous ici dans l'attente secrète de l'hypothétique texto d'une fille n'est-ce pas ?
    - Ce qui est dégueulasse avec les textos c'est que ce n'est jamais la personne que tu attends qui t'en envoie un, je veux dire au moment crucial où tu n'attends qu'un signe apaisant d'elle, il y a toujours un débile et souvent un garçon (mais j'aurais pu faire plus court) pour t'envoyer un texto insignifiant au possible. Et c'est d'autant plus déprimant, dis-je encore, que toute le monde sait que dans l'amour ou son espoir, l'insignifiance fait sens.
    - Oui hé bien en attendant, pour se retrouver un samedi soir au premier étage du Café de la Mairie, on est vraiment le jour où les filles sont devenues connes.
    - Heureusement ça ne dure qu'un jour, dis-je."
     
    06.12.04
     
    Rodolphe a reçu par courrier électronique cette lettre, qu'il vient de m'envoyer avec la mention : "Un petit message pour toi. Je lui ai dit que tu lui répondrais très certainement."
    Bonjour,
    J'étais au lycée avec Jérome Attal (Institut Notre Dame à St Germain en laye). Je n'ai plus eu de nouvelles de lui depuis et je viens de découvrir qu'il est parvenu à ses fins. C'est formidable et je tiens à le féliciter. Je me souviens très bien de ses élans poétiques, de ses phrases magnifiques pleines de profondeur qui bêtement nous faisaient rire car encore trop ados pour comprendre sa sensibilité.
    Il citait souvent Montherlant (si je me souviens bien). Il vivait dans un monde différent du notre, était décalé et avait beaucoup de recul sur la vie. Il semblait illuminé par une force intérieure qui me touchait à l'époque et m'interpellait.
    Bref, je tenais simplement à lui dire qu'il fait partie de ceux que je n'ai pas oublié de mes années lycées, il m'est arrivé d'avoir envie de savoir ce qu'il était devenu et maintenant j'ai la réponse et je suis tout simplement très heureuse pour lui.
    Si vous avez l'occasion de lui transmettre mes amitiés, je serai ravie.
    Anne.
     
    J'ai bien sûr répondu à cette lettre fort touchante - dès que j'ai dépassé la confusion qu'Anne a établie entre deux lycées, elle est passée d'un lycée à l'autre durant sa scolarité, et j'étais dans celui qu'elle a quitté, attribuant notre rencontre à celui où elle s'en fût allée.
    Je ne devais pas avoir lu Montherlant davantage à l'époque qu'aujourd'hui, Les jeunes filles peut-être, par la suite, qui est son roman qui semble le plus dans mes cordes, mais je devais citer sans doute, à tort et à travers, ce mot d'auteur que j'aimais bien : "Se faire des amis est un métier de commerçant, se faire des ennemis est un luxe de poète" et qui validait mes tendances à la misanthropie en classe de Seconde et Première ; maintenant j'aurais tendance à penser tout le contraire, à aller vraiment contre la phrase de Montherlant, sachant précisément que c'est se faire des amis qui est un luxe de poète - et disant cela, encore, je valide mes tendances à la misanthropie.
     
    Je suis loin d'être parvenu à mes fins, il y a des jours ou des moments où je me sens empêché, freiné, traité avec légèreté, mésestimé et à l'échelle du monde extérieur il est encore plus difficile de se faire entendre que dans une classe de trente à quarante personnes ; le manque d'amour - et de simplicité - quand je les observe me blessent, l'insouciance avec laquelle les gens agissent neuf fois sur dix dès qu'ils agissent me plonge dans de sombres pensées ; mes histoires d'amour sont des histoires impatientes mais belles et toujours capitales pour moi au moment où je les vis ; le caractère éperdu des passions m'informe autant qu'il me ronge, je ne supporte pas la discontinuité ; cependant je poursuis mes fins avec la volonté des débuts, avec une immédiateté sans doute aussi viscérale que durant mon adolescence ; sans calcul ; je n'ai pas de grands projets d'avenir autres que ceux en cours ; je poursuis toujours la minute d'après, en laquelle j'espère beaucoup.
     
    À lire ce portrait pâle que Anne garde en souvenir, il me semble que je n'ai pas changé, que je suis resté le même - ce dont j'ai toujours eu conscience, d'ailleurs (cette permanence est l'un des thèmes de ma chanson : La pornographie) - à la nuance près que je fais moins rire les filles, je veux dire, à mes dépens - aujourd'hui elles passent par des tas de réactions qui vont de l'effroi à la tendresse, du jugement hâtif au désir de plaire, de la curiosité à la passion la plus fracassante, mais je crois que j'ai vaincu ce rire - auquel je n'ai jamais cru.
     
    08.12.04
     
    Il y a des fois où il faut être fort pour les autres, et où pour soi-même il n'y a pas de branche où se poser.
     
     
    Ce soir, un Giotto et deux photos autour des concerts en Suisse :
     
      
     
    Pardon mais vous en connaissez beaucoup vous, aujourd'hui, dans la chanson française, qui rétablissent des liens aussi saisissants entre Giotto et Courbet ?
     
    avec Maude, l'une des animatrices
    de la salle de concert L'espace Guinguette à Vevey.
     
    Le travail qu'ont fait Zazie et ses musiciens, ainsi que Didier le Pêcheur sur les clips du DVD de l'album Rodéo, est vraiment remarquable, très intéressant et réussi. Je ne sais pas pourquoi mais Zazie est une des artistes françaises qui suscitent ma curiosité, je veux dire qui me donne envie de voir ce qu'elle va faire ensuite, quelle va être sa prochaine chanson (et c'est un des rapports qu'on peut entretenir de plus beau avec un artiste, être dans l'attente enthousiaste de sa prochaine apparition ). Je ne connais pas en détail son travail, c'est le premier disque que j'achète, mais cet album m'apparaît infiniment sombre et magnifique, très dur sur l'amour, avec un traité qui diffère vraiment du mien mais il y a des correspondances dans le discours, des marques. Je trouve cet album absolument sombre. Il fait mal en bien je dirais. La première fois que j'ai entendu la chanson Rodéo c'était en Suisse dans la voiture de Manu, nous allions sur le lieu du concert, dans cet espace protégé, un peu surréel, de la Guinguette à Vevey, et je me suis dit en écoutant le texte : olàlà que c'est cruel et doux à la fois, comme un poignard retourné contre soi, et surtout que c'est bien écrit.
     
    David, au téléphone :
    - Tu sais le programme qu'ils devraient faire à la télé ? À la recherche de...la meuf intelligente ! Je sais pas ce que t'en penses, mais c'est pas gagné !
    - J'aime bien la fille qui joue dans la pub du Crédit Lyonnais, dans le Taxi, dès qu'elle ré-ouvre la portière il y a un plan sur elle que j'aime bien.
    - Quand il pleut là ?
    - Oui quand il pleut, dans la publicité.
    - Mais t'as craqué. T'es pas bien en ce moment. Il faut vraiment que tu tombes amoureux, que tu te reposes.
    - J'ai failli avoir le coeur léger. Mais il n'y a pas assez de suivi. Le temps passe.
    - Elle est nasebrock la fille de ta pub, elle ressemble à rien.
    - J'aime bien l'expression de son visage et la façon dont elle passe son bras autour du cou du type, forme hyper majeure de la tendresse.
    - Bon il faut que je te parle, y a une fille - une nouvelle - qui m'invite à dîner, ce que je trouve vachement connoté, et je ne sais pas du tout si j'ai envie de passer à l'acte. Tu comprends ça quand même, je ne vais jamais dîner avec des filles qui ne me plaisent pas, il y a une trop forte connotation sexuelle.
    - Même dans une crêperie ?
    - Bonne question. Tu as raison, je vais l'emmener dans une crêperie.
    - Frédérique m'a dit l'autre jour : c'est drôle ton copain David dans la vie il ne ressemble pas du tout au personnage tel qu'on le lit dans le Journal.
    - Et tu lui as répondu quoi ?
    - C'est le talent.
    - Et ça voulait dire quoi, ça, "dans la vie "? Elle me trouve comment dans la vie ? C'est quoi d'abord la vie ?
    - Je ne sais pas : un cahier d'exercices rempli de ratures, et les filles passent directement au typex on dirait.
    - Oui, mais toi faut que t'arrêtes de faire le difficile ! Tu as vu ta mine ? Tu dors combien de minutes par mois ? Il faut absolument que tu tombes amoureux.
    - C'est difficile justement. Je dirais qu'il faut bien tomber. Bien tomber amoureux. Parce que ce n'est pas tout de pouvoir de temps en temps s'en remettre aux bras de quelqu'un, être ensemble comporte aussi ses fissures et son mal être, quand le sentiment d'être incompris grandit - bien que ce sentiment là soit une sorte de coton - en définitive. Mais c'est comme si on ne pouvait jamais être bien. C'est désespérant.
    - De toute façon crêperie ou pas, les filles ne savent plus faire l'amour. Tiens, une de mes ex, elle bougeait en même temps que moi. Tu y crois ça ? Je veux dire au lit elle bougeait en même temps que moi ! J'essayais de trouver des feintes mais impossible, je ne pouvais pas faire un mouvement sans qu'elle en fasse un autre ou qu'elle me suive aussitôt. C'était vraiment nul ! C'est l'influence de toutes ces conneries de chorégraphie si tu veux mon avis, maintenant elles s'inscrivent toutes à des cours de Danse, alors elles se prennent pour des artistes et c'est démonstration sur démonstration, parfois je suis tenté de m'asseoir sur le bord du lit et de regarder le spectacle.
    - Il y a quelques années, en été, avec Anas, on allait dîner au restaurant dont les tables se trouvent dans la cour de l'institut de danse du Marais, et les trois étages étaient éclairés, fenêtres ouvertes sur la cour, avec les danseuses qui faisaient leurs exercices les unes à côté des autres, puis passaient à tour de rôle au son d'un piano rythmé ou d'une mélodie échappée d'un poste radio, démultipliées par les grands miroirs et les reflets dans les carreaux des fenêtres. C'était bien. Et comme trop souvent lorsqu'on va dîner dehors, ça devenait délicieux dès qu'on levait la tête de son assiette."
     
    09.12.04
     
    Comme des gants nous étions fabriqués toujours pour être deux.
     
    Une forme de violence : Le métro tarde à arriver, dans les deux sens aucun signe. Un couple longe le quai jusqu'à la première rangée de sièges - quatre chaises sans pieds en plastique vert pomme, tous libres. L'homme s'assoit de tout son soûl, la femme reste seule, debout. J'ai envie de marcher un peu, dit-elle. Le type soupire, visage obtus, vautré dans les bourrelets de son blouson. J'ai envie de marcher, viens. Fais ce que tu veux, dit-il, d'une voix mécanique, comme s'il se parlait lui-même. Fais ce que tu veux mais moi je ne marche pas ! La femme, contrariée, tourne les talons. Silhouette oblongue dans des habits simples, cheveux attachés. Elle se dirige vers la sortie et avant d'avoir atteint les escaliers se retourne dans un geste impatient, un trépignement enfantin, pensant que dans son dos son type s'est levé et qu'il lui emboîte le pas pour rentrer avec elle, à la maison. Allez ne déconne pas, il y a tant de violence dehors et en nous, juste marcher un peu dans le froid pour rentrer à la maison. Mais le type n'a pas bougé, il est la proie de la fatigue et du ressentiment, du : Pour une fois je vais penser à moi, et il regarde obstinément devant lui, comme chaque fois qu'on pense à soi. Il se recroqueville ou s'étale encore sur ses épaisseurs. Il plonge dans le vert pomme enfantin des sièges. Et la femme coupée en deux sort du quai comme d'une scène de théâtre.
     
    Je suis fatigué. Et tout me parait difficile, ou fade et mesquin. Je marche dès la nuit tombée dans la ville et encore l'impression que mes mains fanent de ne pas tenir quelqu'un que j'aime dans mes bras. Il y a des gens qui ont eu la chance d'inventer ou de jouer des pièces entières, des concertos, pour piano. Ô quel joli subterfuge, comme cela dût reposer leurs mains !
    J'avais fait un texte de chanson qui s'appelait "Tenir à quelqu'un" justement ; un truc pour une chanteuse de variétés quoi, et bon le refrain était assez joli, il disait : "
     
    Tenir à quelqu'un
    C'est la seule histoire
    Que je garde en mémoire.
     
    Tenir à quelqu'un
    C'est le seul chemin
    Qui vaille qu'on s'égare."
     
    et on l'a présenté à je ne sais quel directeur artistique de je ne sais quel artiste qui a trouvé ça absolument nul (en même temps, en ce moment, dans les maisons de disques ce n'est pas leur fort, "tenir à quelqu'un"), il a trouvé que ça ne se disait pas, que c'était trop vague, trop impersonnel, et a dit à mon texte d'aller se faire prendre ailleurs.
     
    Tout porte à croire, donc, qu'il nous faille trouver "quelqu'un", mettre un visage sur des visages, trouver des bras à raison de nos envies illimitées de prendre soin. Tout me paraît douloureux et vain ce soir ; c'était plus facile quand il y avait un amour-refuge ; un amour qui m'allait comme un gant.
    Il y a de ça avec les gants, qu'on ressort en saison froide. Toujours par deux, et en pratique, dans la vie courante, c'est très difficile de garder les mêmes gants plus de deux ou trois hivers de suite, tant est forte même pour un morceau de laine la tentation de la séparation, de la solitude, de l'oubli ou des escapades dans le grand monde.
    Comme ces gants qui sont toujours fabriqués pour être deux, on se croit assorti, on se roule en boule, on se retrousse et se détrousse, on s'embrasse dans les placards, on se connait croit-on sur le bout des doigts ; on se livre consentants à la passion, on s'enlève et on se frotte, on souffre du manque et le froid nous fait courir l'un vers l'autre avec beaucoup de légèreté et d'impatience. La nuit on se sert d'infinitifs présents, qu'on adoucit, pour se parler. On se fait des serments. On se fait des serments. Et puis un beau jour, dans un restaurant, sur une banquette de bus, voilà qu'on devient le gant oublié dans la vie de quelqu'un.
     
    12.12.04
     
    Je n'ai jamais beaucoup parlé, enfant, adolescent. Une grande pudeur et un goût inné pour le secret m'imposaient la réserve, la distance.
    Je n'ai jamais beaucoup parlé, mais il y a des soirs où j'aimerais dire à mon papa, que depuis qu'il est parti, rien ne va.
     
    14.12.04
     
    La ligne ondoyante des grands chagrins.
     
    J'ai l'impression tenace de me regarder me noyer dans une piscine ; comme dans les grands chagrins je suis à la fois au bord et au milieu ; spectateur tantôt effaré tantôt ironique, et partie prenante ; celui que l'eau prend plaisir à couler, c'est dire le niveau.
    Dans le bassin il y a des espèces de Laure Manaudou de la vie, qui passent à toute vitesse, qui ne me calculent même pas. Qu'est-ce qu'elles croient ? Qu'elles vont arriver plus vite mais où ? Et puis à quoi sert de nager à toute vitesse dans une piscine, je veux dire les bords ne vont pas s'éloigner à mesure de sa nage, on finira tous par buter contre le même rebord ; et la piscine fermera à 19 heures de toute façon, nocturne le jeudi dans les bons moments. Alors je les regarde filer vers leur destin et bon, je me noie au centre et aux antipodes de moi-même, histoire de bien faire le travail.
    Pas question de faire des longueurs. De toute façon les seules longueurs qui m'intéressent sont les longueurs de jambes sous le bassin des filles.
     
    Nietzsche.
     
    Irina me téléphone de Londres ; elle a reçu la chanson de noël. Elle me parle d'une époque et de cercles d'amis qui me paraissent loin. Pas loin derrière, mais loin à côté, je dirais. Mourir d'aimer quelqu'un qu'on ne voit pas ; comment est-ce possible ce gouffre, ce mal indomptable qui laisse les nuits hâves, parle-moi encore de ça. C'est toujours cette histoire, on en fait l'expérience, il y a toujours un moment dans la vie où on aime de manière irréfléchie et - abominable pour soi-même - quelqu'un qu'on ne voit pas, quelqu'un qu'on ne voit plus. Elle avait eu une sorte d'aventure avec M. longtemps après ma fuite ou ma capitulation appelons ça comme tu veux. Aujourd'hui Irina reçoit des cartes de M. et des coups de fils aux grandes occasions, aux dates anniversaires, comme si c'était permis, comme si les horreurs ou les douceurs qu'on eût été tenté de dire alors comptaient pour du beurre, ou comme si on pouvait en caser à foison parmi les politesses d'usage, en ces circonstances. Pourquoi je n'ai pas revu M. c'est-à-dire cherché à revoir M. (dans le langage d'Irina) ? C'est parce que M. t'a sorti cette phrase, le dégoût pour une toute petite phrase n'est-ce pas ? Nos tristesses nous portent si peu vers l'indulgence. De quoi parles-tu ? M. t'as dit - je me souviens, tu en as fait toute une affaire à l'époque Jérôme - j'étais plus jeune à l'époque - peut-être mais je n'en crois pas un mot, et tu en as fait toute une histoire, M t'avait dit quoi déjà au juste ? Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort - oui c'est ça, Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort - et je l'ai toujours trouvé d'une grande stupidité et d'une verte indigence cette phrase, elle parle de manière extérieure des choses, c'est du commentaire ça n'a pas de prise, c'est du colorant pour les insouciants.
     
    La guerre de Cent-Ans.
     
    J'étais préoccupé par ma lettre à écrire ; il y avait une heure d'étude après la dernière récréation de fin de journée ; les petites classes avaient déjà déguerpi. Le très cher frère des écoles chrétiennes qui nous surveillait, regardait placidement par la fenêtre la neige tomber par pelures. Je peinais sur mon livre de classe, pensant à ma lettre d'amour à écrire. De toute façon je n'aurais pas une bonne note, le professeur d'Histoire-Géo n'osant pour des raisons qui me dépassaient un peu - l'attraction que me conférait ma place auprès de mes camarades, mes yeux verts, ma façon d'absorber et de renvoyer les choses - m'astreindre à la nullité, il me cantonnait à la médiocrité avec des notes qui de 07 à 10 n'encourageaient pas au dépassement de soi mais plutôt à la permanence ou au coup d'éclat. Or, élevé dans un strict catholicisme par ma maman (belge née à Liège, wallonne avec des origines aristocrates espagnoles et hollandaises) j'étais à cent lieues de penser que le nom de famille de mon papa : "Attal" sonnait quand même bien juif et que ce tortionnaire de prof d'Histoire-Géo, grand admirateur de la dictature argentine, me plaçant sans raison aucune le temps que durât son cours, au dernier rang à côté du jeune Yalnisian - arménien de son état, s'offrait mine de rien un pogrom au fond de sa classe.
    Mais bon j'étais préoccupé par ma lettre d'amour à écrire et la neige qui tombait sans aucun désir de remonter la pente n'arrangeait pas mon affaire. Bien sûr les cars, dès le lendemain resteraient bloqués et avec de la chance nous aurions quelques jours de vacances imprévues, mais dans ces conditions comment donner ma lettre à cette fille de ma classe qui me plaisait tant, comment saurait-elle que plaire n'est jamais suffisant pour qui plait ?
    Et puis, dans la journée, j'avais appris qu'elle s'était laissée embrasser par un type d'une classe plus haute, un grand échalas sorti d'on ne sait où - quand on a déjà du mal à extraire tout ce qu'il y a à extraire du présent, comment a-t-on idée de regarder plus loin devant ? La nouvelle m'avait pris au vif comme une piqûre d'abeille et j'avais pensé c'est drôle ce n'est pourtant pas la période, les abeilles sont toutes tombées, une armée fauchée par la saison, elles n'ont pas survécues, et puis la nouvelle m'avait décimé, anéanti comme la neige qui finit par l'emporter sur la campagne hirsute, éperdue. Dans ma lettre d'amour je l'aurais bien traité de tous les noms d'oiseaux son type, mais une fois encore en hiver, il faut être gentil avec les oiseaux, ils n'ont rien à becqueter les pauvres rouges-gorges et les jolies mésanges, ma maman leur donnait un peu de gras, elle avait dû en faire autant.
    Et puis je croyais à l'époque - je le croyais dur comme fer - qu'écrire à une fille les choses les plus belles qu'elle eût jamais entendues à son oreille, suffisait à remporter son coeur. Pauvre crétin, stupide idiot.
    La nouvelle m'avait anéanti, et il neigeait sur cette salle d'étude aux grandes vitres grises. Les autres enfants avaient pu rentrer chez eux plus tôt, la plupart ne vivant qu'à quelques encablures de l'école. Juste un petit voisin m'avait rejoint d'un autre collège que le car desservait ; confirmant que le car n'irait pas plus loin. J'étais comme arrêté aussi dans ma lettre. Je ne savais plus quoi dire. La trivialité d'une anecdote - ou même allez, la beauté d'un baiser échangé - dressait un mur devant moi. Elle était sortie avec un autre type. Et après ? Nous en verrions d'autres. Je rangeais ma lettre dans le livre d'Histoire-Géo, coincée entre deux batailles de la guerre de Cent-Ans, et décidais de parler à mon copain de toute autre chose : les derniers jeux vidéos, le magazine Tilt, et tu crois qu'on va rester bloqué dans le collège désert toute la nuit ?
    Il y en a comme ça, dans l'amour, qui comme le chauffeur de car renoncent à la première pelletée de neige balancée à travers leur visage ; et d'autres qui bravent la nuit froide et dépeuplée pour aller chercher ceux en qui ils espèrent.
     
    18.12.04
     
    Irina -remix.
     
    Ce qui est difficile, me dit David, c'est l'attente amoureuse ; lorsqu'on est dans l'attente d'un signe ou d'un écho qui tarde à venir. Oui, c'est le coeur qu'on nous enlève, qu'on place en salle d'attente, comme à Londres ce parc que j'avais traversé et que je n'avais plus trouvé, ensuite, sur aucune carte. Au petit déjeuner je voulais me charger de tout, du bâtiment et du monde extérieur, des aveugles et de ceux qui croient voir, galvanisé par la douceur d'un amour qui s'étend. Irina au téléphone me demande de lui raconter la dernière fois où je suis tombé amoureux. Il est tard, il n'y a plus un bruit, là, sur le jardin où elle habite maintenant. Elle a quitté ce foyer de mes anciens chapitres. Je lui raconte : (il y a longtemps) maintenant, le mur du cimetière, le froid pénétrant et elle n'avait pas de manteau ; elle avait oublié son manteau dans un déménagement, entre deux appartements ou quelque chose comme ça, et rien pour la protéger de l'hiver (que mes bras ballants ?) ; si mince et rien pour se couvrir du froid glacial, je suis tombé amoureux.
    Je comprends mais est-ce raisonnable ? me demande Irina. Non, ce n'est pas raisonnable. C'est merveilleux.
     
    19.12.04
     
    Les tranchées.
     
    De lourds essaims de fumée, des corps qui se bousculent, se pressent d'enfilades en enfilades, les yeux morts ou trop maquillés de celles qui vont à l'abattoir, et sur le tapis rouge des traces de boue, l'odeur des blousons rapeux, des vêtements mouillés, le feu crépitant des cigarettes dans les mains fines, et les visages qui s'éclairent, se passent en revue en descendant les escaliers, ça se bagarre sec près du bar, rupture de feu, le courrier ne parvient pas, les téléphones ne captent plus et les messages attendus de l'extérieur ne viennent pas d'où de nouveaux défilés incessants, des rendez-vous que l'on se donne, l'obsession de savoir si le théâtre des opérations n'a pas été déplacé, si l'intensité n'est pas plus forte ailleurs, l'appétit au combat, les rires hystériques qui quand ils tiennent leurs proies menacent leurs flancs et leurs derrières, les bouches qui s'approchent des cheveux pour dire "Tu me plais, tu me dévores" ; la pluie et la porte des chiottes, battantes.
    X a une liasse de billets en main et commande des coups à n'en plus finir, il pose devant moi des verres de mousse d'un jaune pisseux, du whisky coca, et Bertrand qui surprend le contraste entre son manège effréné et ma réserve stupéfaite a ce mot spirituel : Dis-lui que tu n'aimes pas la bière ça simplifiera vos rapports !" Z a reçu un éclat de sourire en plein visage et il n'arrive pas à s'en débarrasser, qu'il comate sur un divan ou qu'il s'approche de moi pour la cinquième fois tout joyeux de me rencontrer pour la première, et qu'il me hurle à l'oreille : Il y a deux brunes complètement excitées, je me les tape quand je veux mais ce soir c'est ma tournée, Jérôme, ce soir c'est toi qui baise ! Quantité assourdissante de filles qui ont des tatouages, souvenirs ou brûlures d'autres guerres, porte-drapeaux, fantassins du désir et de l'appartenance, de la revendication. Bertrand qui commence à avoir un sacré coup dans le nez prend les gens à partie pour dire qu'il est un meilleur auteur de chansons que moi. Bien sûr, dis-je, bien sûr. Oui meilleur auteur, explique-t-il, parce que moi je viens de la publicité ! Et attends de savoir pourquoi aussi ! Parce que toi Jérôme, tu n'es pas un auteur, tu es un poète, tu es le dernier des poètes !" Le ciel est bas de plafond, la fumée s'épaissit, la musique ressemble au champ du canon à Austerlitz et des guitares acérées et répétitives singent la mitraillette. Deux suédois posant comme des hussards avec leurs bonnets péruviens souhaitent m'acheter mon disque, mais je ne trimballe pas toujours un disque sur moi, ça déforme les poches. Une des brunes longiligne que Z a ramené, main dans la main jusqu'à moi, me dit à l'oreille que c'est bientôt Noël et qu'elle aimerait beaucoup être mon catalogue de jouets !
    - Je suis désolé, j'ai déjà envoyé ma lettre, dis-je.
    Y vient me raconter qu'il a vu le bassiste du groupe X sortir des chiottes avec deux filles et reboutonner son pantalon, corps à corps assez simples, la tyrannie de la bâillonnette et Danton pas loin : De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace. Y recueille les confidences du chanteur du groupe Z, il a une triste vie, n'aime pas sa copine (présente, derrières les lignes) et vient de lui confier un paquet de coke pour qu'ils se le partagent un peu plus tard, au calme, après la bataille, en camarades. Sous le feu discontinu je cherche un repli, passe le couloir, le tapis rouge, ouvre une porte sur un chemin dérobé et me retrouve dans la rue. Je vérifie, relève les messages sur mon téléphone. M'aperçois que deux trois personnes sont dans la même situation, sous le porche, appuyées contre le mur de briques, à l'abri de la pluie incessante et à l'écart du champ de bataille. Une fille dans une grande redingote noire, des yeux gris sous des mèches de cheveux ruisselants, me sourit.
    - On est devenu accroc à ça, me dit-elle, m'indiquant son téléphone portable fin et brillant comme un poignard ou un bijou.
    - Oui, dis-je, on est jamais tranquille, on attend toujours le signe de quelqu'un en qui l'on espère."
    Elle sourit encore.
    - On est toujours seul, à attendre les renforts. Ou bien on espère toujours une surprise heureuse, une percée. Ils ont voulu nous faciliter la vie mais c'est le contraire qui se passe, on a la complication, l'impatience et le désir, sans cesse à portée de main ; nous sommes prisonniers de l'attente d'un repos qui n'arrive pas.
    - Tu retournes là bas, me demande-t-elle en désignant les tranchées.
    - Je ne crois pas, dis-je. Je suis démobilisé pour ce soir.
    La ville et les rencontres voudraient faire bandage autour de nos plaies. Pas besoin d'aller à la guerre pour être blessé. Les substances illicites ont rendu les derniers protagonistes avachis, le coeur en déroute, stupides en train de comater nerveusement sur les canapés, au bord des fossés comme au fond de leurs gouffres. Il fallait consommer sur place, trop de pluie lave le sang, un tour dehors et reviennent les embrouilles, plus d'excuse compagnon. X a complètement disparu derrière son sourire. Il est allé ouvrir des portes et en reviendra avec une collection de verrous. Le bar se vide. Après désamorçage des blondes, après dissipation des brunes.
     
    24.12.04
     
    Le quartier est bien désert pour un jeudi soir, je remonte la rue Guynemer après avoir descendu la rue Madame et je voudrais bien encore : que mon papa soit là pour avoir résolu aujourd'hui la liste des cadeaux prévus en un coin de ma tête depuis un ou deux mois ; je voudrais que les choses s'apaisent, s'accélèrent en des issues heureuses, et que les gens soient moins cons, moins insouciants, moins lamentables, ce qui n'arrive pas ; et puis encore que X me donne dans sa voiture pourrie des baisers merveilleux, ce qui arrivera encore ; j'aurais bien envie d'être dans ses bras ce soir - ce qui épatant avec les filles c'est qu'on leur donne l'impression que c'est nous qui les tenons dans nos bras, alors qu'il n'en est rien, c'est le contraire qui arrive tout le temps, c'est bien épatant.
    Je traîne à la nuit tombée dans le quartier qui s'est vidé, juste quelques touristes allemands passage de l'Ancienne Comédie, ils ne prennent même plus la peine d'allumer la fontaine Saint-Sulpice, ceux qui ont le pouvoir (d'achat) d'admirer sont sans doute au ski. J'ai l'impression que pour les réguliers de ce quartier il faille vraiment avoir de bonnes raisons, les pieds plats, un mot de psy ou une mauvaise vue, pour ne pas partir au ski.
    Philippe Garrel et moi nous sommes faits réformés, visiblement.
    De retour à Auteuil j'essaie de manger quelque chose, mais la réalité étant déjà si dure à avaler, tout ce que j'ai envie finalement est de boire des litres de Thé - Long Jing ou Pu-erh. X sort des amis américains dans Paris ; elle les emmène en haut de la Tour Montparnasse. Je lui envoie un texto qui dit : Oui hé bien jette tes américains du haut de la Tour Montparnasse et viens me rejoindre ! Et puis après envoi du texto je m'aperçois que c'est de très mauvais goût comme message, alors pour me faire pardonner j'écoute les disques de Glenn Miller et de l'Army Air force band que j'avais offert à mon papa - à son dernier noël. Mon papa avait toujours gardé une grande fascination pour la jeune culture américaine intimement liée à sa propre jeunesse. Et également à tout ce qui correspondait à son métier de pilote, puis par la suite, d'aiguilleur du ciel.
    J'avais pu lui dégotter pour son dernier noël des rééditions de chansons américaines qui datent des années de guerre, et il avait été très ému, absorbé par les retrouvailles avec ses chansons, la nuit de noël et des soirées entières.
    Je crois très fort à ce pouvoir pour les chansons, comme pour les odeurs d'assouplissant sur les pulls, les visages et les rues oubliées qui tout d'un coup ressurgissent et nous replongent en sensations dans un passé perdu.
    Mes parents m'ont eu très tard et, enfant, à l'école, mon papa était déjà retraité ; ce qui est dommage car ça m'aurait bien plu d'écrire en début d'année sur les feuilles de présentations à la mention métier de vos parents : Aiguilleur du ciel. Y-a-t-il plus beau nom pour un métier ? Je ne crois pas.
    Je regarde en boucle la scène de danse entre Eleanor Powell et Fred Astaire dans Broadway Melody ; et Gene Kelly dans Chantons sous la pluie. Personne n'a jamais aussi bien décrit le sentiment amoureux ; des pages entières de littérature ne peuvent rivaliser avec cette scène de pluie enregistrée sous une chaleur effroyable par Stanley Donen et Gene Kelly les 16 et 17 juillet 1952.
    Noël arrive. La pluie crasseuse donne des sensations de septembre ou de mars tout au plus. Ça ne prend plus. Les feuilles de présentations tombent avec les feuilles mortes ; de plus en plus de personnes passent noël seul il me semble ; ou se regroupent sans y croire, uniquement parce que ce serait bien trop triste de le passer seul ; j'arpentais très mélancoliquement les rues du quartier ce soir et pensais à Stéphane qui se goinfre de bonnes crêpes chez ses grands parents, ce qui m'a redonné le sourire ; j'ai demandé des détails à Stéphane, et il m'a raconté qu'il avait acheté à ses grands parents une sorte de machine à crêpes, un grand plateau quoi, comme en possède la grosse dame à l'entrée des Jardins du Luxembourg chaque hiver. On n'est jamais satisfait de comment les choses tournent, vraiment peu de fois dans sa vie on a des raisons sincères d'être satisfait de comment les choses tournent pour soi-même, mais parfois Stéphane et moi, et d'autres aussi que je connais - on me raconte - nous pouvons répondre lorsqu'on nous demande ce que l'on fait dans la vie ; nous pouvons répondre sur un jour précis qu'on fait comme mon papa faisait : aiguilleur du ciel.
     
    27.12.04
     
    A la télé les Nouvelles affichent les images des enfants morts en Indonésie, par palettes. On a vraiment envie de prendre Dieu par son point faible et de lui dire : Quel intérêt ?
    Après, on peut bien chercher des explications magiques à ce qui nous arrive, établir des passerelles, et creuser des tunnels, chérir des rapprochements, il y a des fois où le destin et la volonté de donner une signification au hasard apparaissent comme un loisir, un sport de privilégiés.
     
    Paris, me dit-elle, c'est vous. J'entends cette voix de province, des Etats-Unis, d'Oxford, du Japon ou d'Allemagne. Paris des cieux pâles d'hiver. Paris des plaisirs simples autour du feu brûlant des conversations. Des rendez-vous l'après-midi, en début de soirée, et toutes ces cinq à dix minutes qui s'accumulent par jour, des battements, du retard d'un tel ou d'une autre, et qui permettent de saisir la ville dans ce qu'elle a de stable et de fugace, de permanent et de passager, d'intérieur et d'extérieur, en faction émouvante contre un poteau ou sous un abri-bus, sombre, léger, traversé de mille choses et d'une impatience.
     
    28.12.04
     
    Le camp des arrivées.
     
    Cette année sur Paris je n'ai pas dit je t'aime plus de fois qu'il n'ait neigé.
     
    Avec Christian (H) on a fait le tour des hôtels du quartier Saint-Germain, à la recherche d'une chambre pour sa fiancée londonienne qui vient le rejoindre le 31 au soir. Christian me raconte ensuite :
    - Je lui ai dit qu'on allait habiter Saint-Germain des Prés, dans le quartier latin, elle a regardé sur Internet et a lu que dans ce quartier il y a : "Tout ce dont une femme a besoin"...
    - Hé bien oui, dis-je, c'est normal. Dans ce quartier, il y a moi !"
     
    Cela m'a fait drôle de revoir l'aéroport de Roissy, et en même temps je me sentais en lieu sûr, je reconnaissais les bâtiments emblématiques où a travaillé si longtemps mon père, comme les éléments familiers d'un jeu pour enfant : le terminal 1 que l'on appelle "le camembert" ; la tour de contrôle...
    Bizarrement je n'ai jamais été grand amateur des avions. Et je préfère de loin les arrivées aux départs. Oui, je préférerai toujours, dans cette vie impatiente - et si pauvre parfois en révélations, les arrivées aux départs.
    Je pense que s'il fallait que je choisisse un lieu où établir un campement, je choisirai le camp des arrivées.
     
    Un long mal au coeur de quinze jours. Je supporte mal les voyages. De ceux que j'aime.
     
     
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