Chapitre 4 à 9
 
 
26.12.99
 
Trois heures pour rentrer sur Paris à slalomer entre les arbres renversés au milieu de la route, les voies coupées, les embouteillages. Mon itinéraire stratégique pour regagner Auteuil au travers d'un département apocalyptique m'a conduit à traverser cette ville où je n'avais pas remis les pieds, et encore moins les roues, depuis la fin de mon idylle avec X
Soudain j'ai pensé à elle. J'aurais pu aller sonner chez ses parents, l'y trouver peut-être et lui dire :
"Ecoute, je suis bloqué, toutes les routes sont coupées par des arbres eux mêmes coupés, alors n'y coupons pas faisons l'amour car de toute façon nous ne pouvons pas espérer d'ici plusieurs heures un retour à la normale."
 
On a mis un cachet dans mon verre (et je pense plutôt ici à un truc du genre ecsta que suppositoire) ou Boulevard Saint-Germain le café à l'enseigne Le Mandarin est devenu Le Mondrian ?
 
03.01.00 Souper au Bistrot de la grille à l'angle des rues Guisarde et Mabillon. Comme nous parlions des lieux, des appartements, des garçonnières, des trous à rats, des ateliers d'artistes, des portes cochères, des chambres sous les toits, des loges de théâtre, des vastes salles de bureaux désertifiées le dimanche ou après 19 heures, des salles de bain prétentieuses avec l'obligation du jacousi à remous à côté duquel le bidet fait un bide, des ascenceurs dans les tours du XIIIème, du parcours obscur et minuté du train fantôme de la fête des Loges, des résidences secondaires familiales -hors saison- sur les plages normandes ou bretonnes, des cabines de douches des piscines d'arrondissement, des salons d'essayages des grands magasins, David me demande :
- T'aimes bien aller chez la fille?
- Oui, lui dis-je avec cet enthousiasme roublard du type trop content de pouvoir développer un de ses sujets de prédilection, j'aime bien arriver une demi-heure voire une heure en avance et prendre possession du quartier, traîner dans le périmètre des dix-huit, dix neuf heures, calme et confiant dans l'excitation alentours, les gens qui se pressent sur les trottoirs, devant les magasins, sans rien soupçonner du bonheur qui m'attend et de la lenteur qu'il requiert, les pas rapides, les stations décidées ou improvisées de leur lieu de travail à leur domicile, le quartier reconnu, les voisins irritants, bon-enfant, ou simplement transparents, la bourrade familière d'un commerçant, la gentillesse exagérée d'un autre, la nuit avancée, froide, bientôt souveraine, les filles qui s'en vont vers des destinations programmées et qui croisent mon regard de transsibérien vert comme dans les publicités romantiques pour le café, (alors là non seulement ce n'est pas du Lautréamont, mais en plus c'est un tantinet prétentieux et je n'ai même pas de jacousi à remous), la vie fourmillante et le décompte des minutes sur les horodateurs (j'ai toujours trouvé ça moins con comme système de lecture que de devoir s'encombrer d'une montre à son poignet) qui se résout à l'heure dite par un code d'accès à l'appartement de la fille en question, la fille en question qui ne me laissera pas longtemps sans réponse, la fille à adorer pour lui plaire et qui s'est faite belle, à la perfection, ou avec trop d'afféterie, ou avec les moyens du bord.
- Moi aussi, interrompt David, rêveur. J'adore aller chez la fille. Surtout qu'en plus j'habite chez mes parents!
 
05.01.00
Studio. Ou comment une journée de travail de Frédéric (claviers, séquences, arrangements) illustre quelques grands dictons et expressions françaises : alors que les coûteuses séances de studio débutent à dix heures du matin, Frédéric que nous devons aller chercher à la gare (dicton : mâchez lui les morceaux, il les avalera ), a oublié de se réveiller ce mercredi matin ( l'avenir est à ceux qui se lèvent tôt ) quand bien même la journée devrait commencer par ses parties et reports synthés. Il n'a pas moins de deux heures de retard, paralyse le travail de tout le monde et nous oblige à de longs allers retours de la gare de Rambouillet au coin perdu où nous enregistrons (dictons : jeter l'argent par les fenêtres , ou, au choix, se foutre de la gueule du monde ). Il nous attend donc aux alentours de midi sur le quai de la gare (expression : la gueule enfarinée ) sans le moindre mot d'excuse. Connaissant l'animal ( expression : on ne change pas une équipe qui gagne) je pensais qu'il mettrait bien plusieurs heures à s'excuser et en effet une excuse malhabile est formulée à 19 h 23 dans ma voiture, tandis que je le raccompagne à la gare de La Verrière (expression : Mieux vaut tard que jamais ).
 
Guillaume (ingé-son) me soutient que l'espérance de vie des ingénieurs du son intermittents du spectacle est en moyenne de 63 ans. Aussi l'ai-je particulièrement bichonné, lui faisant chauffer de l'eau de source pour le thé, lui ouvrant ses boîtes de sardines, lui découpant délicatement son pain préféré aux cinq céréales, diététique, fleurant bon la santé, et puis au bout d'un quart d'heure de pause sauvage tout en gardant la main sur le couteau qui m'avait servi à lui préparer un petit casse-croûte revigorant, je l'ai sommé de retourner au travail si il ne voulait pas sur le champ faire baisser les statistiques.
 
La réaction des gens devant la mort. J'apprends à Sylvain (bassiste) que deux personnes sont mortes ce matin de la listériose après avoir ingurgitées une certaine marque de rillettes.
-Putain! s'écrie Sylvain, et moi qui adore les rillettes..!
 
09.01.00 Kiekergaard's bazar. Durant son séjour parisien, Christian, a pillé le Lafayette Gourmet en prévision de séduire sa nouvelle proie (lire au 18.12.99.) férue de culture française et qui au cours d'une conversation lui a proposé de l'accompagner au centre culturel français à Londres où elle aime passer ses week-ends. Seule ombre au tableau, cette jeune femme originaire du nord de l'Angleterre qui travaille dans la même boîte que lui est en cheville avec un français expatrié, mais elle s'en est ouvertement plaint à Christian regrettant qu'au début de leur liaison il lui parlait beaucoup français et l'aidait de la sorte à faire des progrès tandis que maintenant après trois ans de relation il ne fait plus le moindre effort et lui parle dans un anglais assuré et sans surprise, quand il lui parle.
Le plan de Christian est simple : lui rappeler sa proposition d'une sortie à deux au centre culturel français, puis la ramener chez lui pour boire un thé, et là une fois installés au chaud dans son flat huppé du quartier de Westminster lui sortir (du frigidaire) sa botte secrète : à savoir les produits français (foie gras, Sauterne etc.) qu'il a rapporté du Lafayette Gourmet.
Dès son retour à Londres, Christian me demande d'écrire en français une petite phrase de reprise de contact qu'il va pouvoir lui e-mailer tout de suite et secrètement au bureau, et voir si elle mord toujours à l'hameçon. Voici mon texte : " J'étais à Paris pendant les vacances de Noël. La France m'a fait penser à toi et à notre conversation, aussi je me demandais quand voudrais tu que nous allions ensemble au centre culturel français."
 
Et voici ce qu'elle n'a pas tardé à lui répondre par e-mail :
 
"Salut! I'm going to reply in english - only because when I write french my spelling is terrible!
Im glad you remembered! Quite a concidence because yesterday I got the January/February brochure for the films at the French Institute. I left it out last night with the intention of brining it to work today to give to you but I've just looked in my bag and I must have left it at home. (Im taking a while to wake up this morning ).
I'll bring it in on Monday and if you find something you want to go and see, we can go together if you like?"
 
10.01.00 "Elle a oublié la brochure chez elle.
- C'est plutôt mauvais signe...
- Mais elle m'a dit qu'elle l'avait lue hier soir dans son lit.
- Ah, ça c'est plutôt bon signe."
 
11.01.00 Programme cinéma du centre culturel français à Londres :
Vendredi : Un homme et une femme ; Samedi 18h30 : Ma nuit chez Maud ; Samedi 21h : Les liaisons dangereuses.
 
12.01.00 X m'instruit : "Pour moi il y a deux sortes de gens, deux catégories : ceux qui prennent des risques, et ceux qui n'en prennent pas."
Auteuil. Au café qui jouxte le Prisunic, une jeune fille magnifique, couettes noires, chaussettes blanches, qui hésite à s'asseoir, vacille puis se ravise, répond au garçon qui s'enquiert de sa commande : j'attends quelqu'un, passe son corps à travers l'ouverture de la porte, fait un signe de la main à un autre garçon - pas de profession cette fois - qui en un rien de temps depuis l'autre côté de la rue s'engoufre dans le café, la salue d'un sourire esquinté par le froid polaire du dehors, sourire qui s'étire en tiède baiser sur la bouche, puis sur l'impulsion de l'un d'entre eux, elle ou lui cela m'échappe, s'en vont se poser chaudement dans le fond du café.
Et moi qui regarde cette fille, en douce, par politesse ne serait ce que pour X qui se passionne pour une conversation qu'il me tient et qui dès lors ne me regarde plus, puisque je regarde cette fille, installé dans cette avant salle de café parisien, comme dans le pays le plus reculé du monde.
 
"Je me souviens qu'à Michel-Ange Auteuil, là où il y a aujourd'hui un Monoprix (ou un Prisunic), il y avait autrefois un cinéma" (Georges Perec, Je me souviens, 1978.)
 
18.01.00 Arte, documentaire de C.Najman : la mémoire est-elle soluble dans l'eau?
 
19.01.00 Répétition : difficulté d'adapter pour la scène la version d'A côté aujourd'hui telle que nous l'avons réalisée en studio, ou plutôt pour le studio. En même temps, maintenant que nous sommes davantage satisfaits de la version disque, pas envie de revenir trait pour trait à ce que nous faisions en live jusqu'à novembre dernier. L'autre problème, lorsqu'il faut gérer des volumes, des sons, des séquences, c'est le régulier manque de temps qui nous est accordé - à notre niveau - en balance scénique; balances au lance- pierres la plupart du temps quand nous jouons sur un plateau de trois groupes ou bien en première partie d'artistes confirmés comme par exemple en première partie des X qui déjà refusaient de déplacer leur gros piano pourrave et nous confinaient à cinq sur une portion congrue de scène. Suite à quelques expériences de la sorte, nous nous sommes dits que le jour où nous aurions des premières parties nous serions beaucoup plus cool, conciliants, voire prévenants, protecteurs. Et puis un jour, la renommée (petite) aidant, il nous est arrivé de proposer des premières parties, et parmi elles des chanteurs et leur équipe aussi désagréables, arrogants et têtes de noeud que certaines têtes d'affiche dont nous avions croisés la route. . ; enfin, nous concernant, on est toujours aussi cool, dans la limite des stocks disponibles, en dépit du fait que quoiqu'en pense Mel Brooks dans La folle histoire du monde on ne chante pas mieux lorsqu'on se fait marcher sur les pieds.
 
Fin d'après-midi, promenade de St-Cloud à Auteuil en suivant la Seine, boueuse. Quelque chose dans l'air froid qui revient comme l'envie de renouer avec un premier amour. Lui montrer coûte que coûte qu'on est devenu plus intelligent, plus habile ou plus habilité à être choisi mais que ça ne sert à rien, même pas à avoir un jugement plus aigu, tant la mélancolie absorbe tout.
 
Je lance le groupe dans l'écriture de nouvelles chansons : toujours avoir des cartouches d'avance.
 
C'est ce soir qu'en théorie Christian accompagne la jeune anglaise au centre culturel français de Londres. Pour le film, son choix s'est arrêté la semaine dernière sur "Et Dieu créa la femme" de Vadim et la jeune femme a paru emballée.
- Bardot à 18 ans, St-Tropez... Ca va me plaire!" dit Christian. Je dis en théorie car depuis quelque temps Christian souffrait d'un petit soucis fort handicapant à l'oreille droite, et après consultation de son médecin, ce dernier a diagnostiqué un important dépôt de cire qu'il s'est proposé de lui enlever dès samedi (samedi dernier); voilà que le vendredi, à un jour de l'opération, sur les coups de 17 heures (heure anglaise) avant qu'elle ne file en week-end la jeune femme avec laquelle depuis l'heure du déjeuner il avait athlétiquement convenu du jour de leur rendez-vous et du choix du film, s'est levée de son bureau et s'est approchée de Christian en lui disant quelques mots qui sont malheureusement tombés dans son oreille droite, la mauvaise. Propos auxquels sur le moment, fort embarrassé de n'en saisir le sens, il n'a su répondre que par des petits oui vaguement approbateurs et des sourires gênés. Aussi, au jour d'aujourd'hui, il ne sait toujours pas si elle venue lui dire qu'elle décommandait, ou simplement qu'elle confirmait le rendez-vous pour la semaine prochaine avant de partir en week-end, ou bien si elle lui parlait de tout autre chose, de la vacuité des hivers londoniens ou de la bosse aperçue à midi sous la couture de son pantalon.
Je pense à cette phrase de Gainsbourg, le single à mon sens de son roman Evguénie Sokolov, que je récitais par coeur lorsque j'avais vingt ans : "Une nuit, elle vint glisser contre moi sa chair de poulette hérissée au froid polaire du grand hall, et c'est ainsi sur un lit de camp au fond d'une piscine vide où tombaient des étoiles diffuses, que les seuls mots d'amour qu'il m'arriva jamais de prononcer dans ma vie le furent à l'oreille de cette petite sourde-muette.".
Dans la débâcle de parfum et de mots sans impact qu'elle lui assenait, suspendue au dessus de son bureau, Christian a cru comprendre "cours du soir", ce qui serait plutôt mauvais signe, mais pour le rancard de ce soir il part quand même confiant, par tempérament.
 
21.01.00 Il me faut redoubler de vigilance dans mes relations avec les autres quand : trop souvent ma timidité est prise pour de l'ironie ou de la hauteur, mon sens de la retenue pour de la conspiration, et mon hyper sensibilité pour de l'intelligence.
En même temps les gens ont l'air de tellement se divertir des petites histoires, querelles et persiflages, que je suis le client idéal car jamais dépourvu d'un bon mot ou d'une formule cinglante sur telle ou tel. Plus par amour - d'ailleurs - de la formule que par dédain de la personne. Mais bon si les deux cas de figure se combinent, quel régal.
 
Jamais certains membres du groupe ne m'ont autant téléphoné que depuis que je vais à des rendez-vous dans des maisons de disques. Autrefois dans les balbutiements ténébreux de notre carrière débutante, mes rendez-vous avec les petites radios locales, les associations et les programmateurs de petites structures de concerts, les journalistes de presse régionale, ne les concernaient pas plus que ça; la plupart du temps c'est moi qui, une bonne semaine après, leur rappelais que j'avais rencontré untel et quelles en étaient les répercussions; mais depuis que le niveau monte et qu'il y a des rendez-vous dans les labels et les Majors, ils s'enquièrent dès que possible du "Comment ça s'est passé?", jugent à présent de bon ton de s'y intéresser...
 
Et Dieu créa la femme, la sitcom: Christian, matinal, me téléphone de Londres avec une petite voix qui accuse la déception. L'anglaise s'est décommandée au dernier moment, du matin pour le soir. Tout d'abord frappé par l'incorrection d'un tel acte je ne peux ensuite que m'apitoyer sur la lâcheté du mail qu'elle lui a envoyé car bien que travaillant à cinq mètres de lui elle a préféré le prévenir par ce biais plutôt que de lui annoncer de vive voix - à moins qu'elle ait soupçonné quelque chose de bizarre qui lui donne à préférer l'écriture depuis l'incident de l'oreille (et là j'ouvre une parenthèse pour le lecteur occasionnel et néanmoins cultivé qui verra dans cette histoire de l'oreille une allusion à la vie de Vincent Van-Gogh, en demandant à ce lecteur pour la juste compréhension du passage de lire le chapitre 5 dans sa totalité, et qu'il admette ensuite qu'il n'y a pas vraiment de parallèle à établir entre Van-Gogh et Christian si ce n'est que tous deux sont amateurs d'art, avec des motivations et des partis pris esthétiques diamétralement opposés.)
 
Voici le mail que Christian reçut le matin du jour où il devait emmener la fille voir le film Et Dieu créa la femme au centre culturel français de Londres :
 
Hey!!
Im really sorry but Im going to have to cancel this evening for two reasons...
firstly, Im feeling really sick with my throat. I think it is the cold that
everyone has got and secondly, Sebastien, my boyfriend told me last night that
he has organised for some guy to come round this evening to discuss health
insurance or something with us...
Im quite busy today, so I wanted to send you a message incase I didn't get
chance to speak to you...
Let me know when else you are free so we can reschedule..
Sorry again for the short notice..
Gill
 
Donc Gill, c'est son nom, annule pour deux motifs aussi crédibles que l'expectative de Virginie Ledoyen dans l'interprétation cinéma de Lol V. Stein : premièrement la grippe, terrible, européenne, inévitable. Deuxièmement son boyfriend, qu'elle prend soin de nommer (Se serait-elle confiée à lui, la conne, et l'aurait-il mise en garde - avec raison - des intentions d'un jeune homme qui vous emmène au cinéma..?), son boyfriend, Sébastien, qui a soi-disant organisé un petit entretien avec un représentant en assurance santé, entretien qui requiert évidemment la présence de la jeune femme. On imagine au brio de l'argumentation qu'ils se sont au moins mis à deux et y ont passé une bonne partie de la soirée pour trouver ces deux formidables et imparables excuses. En fait Gill a dû trouver l'excuse de la grippe, romantique, fleur bleue, l'intérêt des femmes pour la météo, et Sébastien, plus pragmatique et ancré dans les contraintes et paperasseries de la vie moderne, a dû construire l'histoire de l'assurance comme une belle pièce de mécano. Et puis, par équité et soucis de respecter chaque manifestation d'individualité dans leur couple, assis sur le canapé en face d'une table basse, terminant leur dîner par de fantaisistes yaourts aux fruits, c'est ma vision fantasmée du couple, ils ont décidé de garder les deux versions.
 
Outre le monument de lâcheté digne d'école : "Im quite busy today, so I wanted to send you a message incase I didn't get chance to speak to you..." Christian me raconte qu'au cours de la journée, chaque fois qu'elle a dû traverser son bureau, sans pour autant lui lancer le moindre regard, Gill n'a pas arrêté de tousser démonstrativement pour bien appuyer le fait qu'elle était grippée.
Vers 17 heures 30, avant qu'elle ne rentre chez elle, Christian lui envoie ce mail aussi sobre que génial : "Should you not have taken the health insurance before getting sick?"
Est-ce qu'il n'aurait pas mieux valu souscrire à l'assurance santé avant de tomber malade?
 
23.01.00 X me raconte qu'il a apporté mon disque chez sa conquête du moment, et qu'ils ont forniqué dessus toute la nuit. En boucle. Pas mal, non..? m'interroge-t-il avec insistance espérant sans doute que ce genre de détail va me ravir.
Mais le plus sensationnel, ajoute-t-il, c'est qu'au matin la première phrase que la jeune femme eût prononcée fut :
- Je peux te demander une faveur? Tu peux remettre la chanson n°1."
 
Pendaison de crémaillère chez Nathalie et sa co-locataire charmantes et parfaites en maîtresses de cérémonie. Je parle successivement avec une pétillante jeune fille qui travaille au journal économique les Echos, puis avec une jeune opticienne de la Place des fêtes à qui je demande de m'esquisser un bref portrait psychologique des convives à lunettes selon le type de monture qu'ils ont choisis, puis une troisième fille complètement pétée qui ne sait plus ce qu'elle fait, boit du champagne, et me demande une quarantaine de fois si je suis le frère d'Yvan Attal, et puisque non si ce n'est pas préjudiciable pour ma carrière de chanteur de s'appeler Jérôme Attal quand il existe déjà un Yvan Attal de super connu et d'inoubliable, évidemment, en "moule dans le salon" dans le film Un monde sans pitié d'Eric Rochant.
 
Long article étonnant, très Proustien que nous consacre le programmateur de la salle de spectacles d'Achères dans le fanzine yvelinois 78 tours à propos du 4 titres : "Jérôme Attal & les Argonautes : textes intelligents et sensibles, mélodies faussement oisives et empreintes d'une mélancolie cynique, voilà les éléments d'un univers musical qui nous parle de ressentiments amoureux, de désirs contrariés issus de ruptures consommées et encore brûlantes. Il y est aussi question d'intériorisation et de refoulement du désir, de la souffrance qui en découle. Parfois accompagné d'une guitare aux sonorités tendues et rancunières ("La douleur était telle") la voix de jérôme Attal, dont le timbre peut paraître fragile et monocorde, exprime pourtant avec vigueur une certaine sensualité. Sensualité masquant une colère silencieuse et réelle qui suscite, chez son auditeur, une émotion languissante. (...) "La ville quelconque" petite merveille qui nous rappelle qu'un baiser se fane aussi sûrement que les lumières de la ville peuvent perdre en intensité.".
Et l'article se termine par : " On appréciera la référence picturale à Munch renvoyant à l'angoisse intérieure de l'individu. Guitare dure, basse lourde et ronflante soutiennent des effets électroniques sinistrés et parasites. Histoire également de ne pas oublier que derrière l'accoutumance à l'indifférence, la violence et la douleur se cachent en arrière- plan."
David à qui j'en fais la lecture, reste abasourdi : "Lui, c'est le Guy Debord de la musique! s'écrit-il. Je suis impressionné...moi j'ai des très bons copains à Achères, et je peux te garantir que des gens d'Achères, c'est le seul dans la ville qui est comme ça!"
 
TV : je regarde cet après-midi l'un des quatre reportages de l'émission Strip-Tease diffusée hier soir, celui intitulé "Ultimatum" et qui suit les crûes désillusions parisiennes d'une jeune provinciale solitaire (On dirait du Rousseau, en moins paranoïaque naturaliste emperruqué mais avec les ongles peints en violet) .
Le passage où la jeune fille vient réclamer un peu d'argent à deux théâtreux pour lesquels elle a confectionné des costumes. Leur mépris, leur auto-suffisance et leur joyeuse facilité à faire la morale à cette fille perdue et complètement désespérée à l'idée de devoir retourner chez ses parents.
Révolté comme toujours par le nombre incalculable de busards qui se la jouent, qu'on rencontre à Paris dans le milieu du spectacle. Mon goût pour la Bible et les comics américains, un désir de sauver les faibles, toujours dans ces moments l'envie (naïve peut-être) d'être Batman et d'envoyer ma main, à la Bud Spencer, dans la gueule des cons.
 
27.01.00 A la Clé St-Germain dans le bureau du CRY à discuter avec Héloïse. Soudain un des jeunes responsables des activités musicales proposées aux enfants vient s'enquérir auprès d'Héloïse d'une situation dont elle aurait été témoin plus tôt dans l'après midi et qu'elle se serait empressée à juste raison de signaler : un des enfants en larmes, terrorisé par la femme qui vient le chercher après ses cours de solfège, apparemment sa nounou, cette dernière hystérique, violente, et secouée de spasmes comme sous l'emprise de l'alcool. En écoutant le récit d'Héloïse j'imagine cette méchante femme sous les traits vitriolés de la Chouette le personnage du roman d'Eugène Sue, les Mystères de Paris, dont l'adaptation télévisée me marqua tant dans mon enfance. Et puis au risque de paraître une nouvelle fois ridicule, toujours l'envie de sauver les opprimés, de ne pas laisser les bourreaux, même des nounous bourreaux, cuver leur alcool en toute quiétude. Il faudrait que je me résigne à prendre quelques cours de technique de combat, et puis à aller acheter une cape.
 
Rodolphe a câlé une date de concert avec la nouvelle équipe du Sentier des Halles pour le lundi 13 mars. Je fais un peu la grimace pour le jour : un lundi. Mais Rodolphe, malin, me dit qu'au contraire ce n'est pas si mal, c'est le jour attitré des show-cases. Il nous faut une première partie. je propose X mais le nouveau programmateur du Sentier a aussi ses idées, et dans ces cas là c'est souvent la partie organisatrice qui impose ses vues. En attendant il faut que je pense à quelques blagues pour meubler entre les changements de guitare samedi soir à St-Denis. Tant que nous ne sommes pas des pop stars avec des équipes de roadies chargés d'accorder les guitares en coulisses etc. le public devra supporter mes blagues et bons mots lapidaires entre les chansons, mais bon...il paraît qu'il y a des gens qui aiment ça, qui en sont friands...il paraîtrait même que certains viendraient nous voir en concert aussi pour ça...c'est dire les complots que nous devrons déjouer et les goûts du public que nous devrons contrarier pour devenir des pop-stars!
 
Demi-finale Agassi / Sempras : passionnante. La tenacité, la force mentale d'Agassi pour revenir au score et emporter le quatrième set. Une grande leçon mythologique pour les jours où tout joue contre nous et sonne comme inéluctablement la résignation à la défaite.
 
30.01.00 Mal de dos atroce qui m'a pris hier soir pendant les balances, et ce matin impossible de bouger le moindre petit doigt, bien que les doigts ne soient pas dans le dos, sinon on pourrait se dispenser de banales déclarations d'amour pour obtenir de voluptueux massages.
Peut-être ai-je pris froid lors de nos périples à St-Denis, la salle de concert ne disposant pas de catering ( = cantine) elle nous a offert le couvert au Supermarché Casino, ainsi nous avons traversé la ville de St-Denis à pieds sous un froid poli pour la saison mais néanmoins présent, pour finir par dîner en costume de scène parmi les familles qui viennent faire plaisir aux enfants en les emmenant le samedi soir au self-service. Joyeuse ambiance donc, de kermesse aseptisée, et tractage sauvage entre les plateaux repas décidé par le batteur du groupe yvelinois Joan Doe qui a une grande gueule et ne perd jamais une occasion de l'ouvrir.
Solution pratique de catering, mais au final c'est assez plaisant, et si ce n'était la qualité, il y a quand même plus de choix qu'un sempiternel taboulé de saucisson ou une unique bouillie de cabillaud surgelé devant lesquels on nous attable trop souvent dans certaines salles de concert.
Au menu artiste, donc, du Supermarché Casino :
crudités (carottes râpées, choux rouge, oeuf mayonnaise)
viande de boeuf avec frites, ou, calamars avec riz
fromage ou tartes diverses
+ boisson
+ cafés sous forme de jetons que nous offrons en nombre à un couple avec enfants à la table d'à côté.
Pour ma part j'ai pris les carottes râpées et une assiette de riz. Et puis aussi une tarte que j'ai offerte à Emmanuel (qui du coup a pris le fromage, quelle stratégie!) Emmanuel nous a tellement aidé par le passé (allers-retours avec sa voiture, prise en charge du matériel, paperasserie, promotion) que j'ai toujours la volonté de l'inclure dans la troupe et quand il vient nous voir en concert lui proposer de dîner avec nous, quitte à me priver de ma part dans le cas d'organisateurs avares et irréductibles. A la Ligne 13 pas de problème : charmants, prévenants, parfaits, du staff d'accompagnement des artistes à celui de la régie scène. En fait, Emmanuel, qui se présente dorénavant comme président du fan-club, est un parfait baromètre : si l'organisation ne se fend pas d'un ticket supplémentaire pour lui permettre de dîner avec nous, c'est que l'organisation craint. Et cette indigence me restera sur l'estomac pendant tout le concert.
En rentrant de la cafétéria et tombant dans le couloir qui va des loges à la scène sur une vieille affiche promotionnelle de Bashung pour un concert à la Ligne 13, j'imaginais avec amusement Alain Bashung après avoir terminé ses balances, trimballé jusqu'au Supermarché Casino et devoir prendre un plateau repas avec son ingé-son et sa maquilleuse parmi la foule du samedi soir joviale et éberluée.
 
Pour en revenir au concert, le nôtre, il n'y avait bien entendu pas grand monde, mais dans ce pas grand monde, presque exclusivement des filles, dont certaines venues en bande depuis Paris, ce qui a le mérite de sauver l'honneur à défaut du moral.
 
03.02.00.
 
Le triolisme, pour m'y être adonné (dans l'unique cas de figure qui me concerne :
c'est à dire 1 garçon et 2 filles) est une pratique qui doit rester extra ordinaire, dans le domaine du glamour et de l'exceptionnel, aussi exceptionnelle qu'elle s'avère délicieuse, vénéneuse et remuante, qui peut se répéter dans le temps mais à la condition de se ménager de longues plages de retour à la normale, sinon érigé en mode de vie c'est rapidement la catastrophe, tous les problèmes du couple + un, et comme le dit Jerry Seinfeld si l'on succombe au ménage à trois, il faut adopter une dirty attitude, se laisser pousser la moustache et circuler la plupart du temps en robe de chambre dans son appartement.
 
04.02.00 De toute façon je donne tout contre une journée de pluie sur Auteuil.
Elle exécute dans la cour une figure d'escrime.
Le matin, pour tout petit-déjeuner, il prenait : un amour platonique comme un grand bol d'air frais.
 
15.02.99 Deuxième journée d'une angine tenace. Un héros grec dans le métro. Hier en revenant de chez le médecin, boulevard du temple, j'ai failli défaillir, la fièvre et la compression dans le métro, ma vision s'est tout à coup obscurcie, les ténèbres tombaient devant mes yeux comme pour un personnage d'Homère terrassé en pleine guerre de Troie, secoué de frissons et mes jambes (comme mes lecteurs parfois) ne me supportant plus, j'ai dû descendre à la station Alma Marceau afin de récupérer un peu d'air, façon de parler, sur un siège bleu en plastique encastré sur le quai.
 
St-Valentin avec Marine, en mangeant pour unique dîner un gâteau de chez Lenôtre au chocolat et à la mandarine.
 
J'ai regardé "les Parapluies de Cherbourg" et ça n'a pas manqué, j'ai pleuré comme une madeleine de Commercy.
 
16.02.00 En attendant Lenoir sur France Inter, j'allume la télé et sur M6 tombe sur une émission qui, dans la mode captivante du moment, consiste à grands renforts de séquences sorties des tiroirs de l'INA à exploiter la nostalgie des trentenaires neurasthéniques et décontenancés par la fuite du temps depuis le jour déjà lointain où ils ont dû raisonnablement se convaincre qu'il valait mieux dé-punaiser les posters de Duran Duran des murs de leur chambre, émission fourre-tout qui revient sur différents moments de la télé, commentés ou explicités (au cas où ce serait vraiment trop subtile et réservé aux seuls bac +12 des téléspectateurs) par les intervenants qui ne sont pas morts depuis.
Or ce qui me retient devant le poste c'est l'un des sujets concernant une interview de Gainsbourg au journal parlé de FR3, à l'époque de "Charlotte for ever", Gainsbourg que je trouverai toujours touchant, que je défendrais toujours (même contre Desproges c'est dire!), et où les protagonistes de l'époque reviennent avec égocentrisme et complaisance (mais c'est le jeu n'est ce pas?) sur le côté décalé et saoul de Gainsbourg comme si c'était la grande affaire du siècle.
Or Gainsbourg soit disant pété dit des trucs qu'il dirait tout aussi bien à jeun, un peu de manières en plus, c'est tout. La phrase clé d'ailleurs dans cette interview, qu'il énonce dans un état de souffrance et de nudité exacerbé par l'alcool je veux bien l'admettre c'est "Je n'aime pas être attaqué".
Non pas "j'ai peur d'être attaqué" mais "je n'aime pas", "je n'aime pas être attaqué".
 
Quant à "Charlotte for ever" le film, je me souviens m'en être servi pour illustrer un exposé oral en licence de cinéma à Censier, un passage avec deux travellings, avant et arrière reliés par un fondu enchainé si ma mémoire est bonne, "Charlotte for ever" (habituellement considéré comme un nanar) exprès pour emmerder le prof et mes camarades vraiment très élitistes voire snobinards dans leurs goûts et, comme c'était à prévoir, je ne reçus que des félicitations pour mon exposé et le choix si sagace des extraits utilisés, la mise en valeur de "Charlotte for ever" considéré par un retournement de situation comme seules les élites en ont la maniaque habileté, comme la hype de l'underground et l'underground de l'à-propos.
 
Journée difficile. L'angine qui m'affaiblit, et j'ai conduis mon père à la clinique sous une tempête de grêlons. Tout le temps accompagné dans ma tête par les violons de Michel Legrand; si ça continue "Les parapluies de Cherbourg" vont se transformer pour mes voisins en parapluie baconien, qui englouti et qui oppresse comme dans la toile intitulée Painting, 1946.
En rentrant à Paris, les lumières de St-Cloud, les appartements.
X prend ma défense devant Y : "Jérôme n'est pas un romantique; il aime le mystère, le secret et les actes romantiques, c'est différent. Il n'est pas Dartagnan, il est Aramis."
 
19.02.00 Elle supportait mal la solitude, comme - et l'image la plus exacte serait - un mal de mer, vague et consentant, qui confondrait plancher et plafond, ne supportant pas plus la bassesse que les faux airs d'altitude, n'importe quel carré de soleil, n'importe quelle amorce de printemps dans l'air qui la ramenait aux instants où elle avait crû être deux et que cela durerait, ou encore qu'il était si facile de changer de garçon et de continuer à aimer de la même façon, en gardant son sentiment de bien être intact, en soi, avec l'insolence naturelle de celles pour qui tout réussi, toujours, alors depuis cette sotte séparation - elle n'avait pas du tout envisagé qu'il aurait été si simple pour lui de s'enamourer d'une autre fille - elle prétextait n'importe quelle occasion pour partir en week-end, loin de cette ville devenue oppressante, tentaculaire pour du vent privée de bras où s'abandonner, un peu comme les petites pinces métalliques des machines foraines qui s'abattent sur des cadeaux précieux pour au final quatre vingts dix neuf fois sur cent revenir bredouille, ne brasser que de l'air, le corps à genoux et le coeur sans genouillères, décrochant son téléphone et ne sachant plus quoi raconter aux garçons qui lui téléphonaient pour prendre de ses nouvelles avec plus ou moins de sincérité ou lui proposer des sorties, la sortie érigée en mode de survie, des garçons qui mettaient la pression depuis qu'ils sentaient que la place était à prendre, et d'ailleurs qui sait succomberait-t- elle un jour à l'un de ces crétins ou plus vraisemblablement à un nouveau venu, séduisant de par son indigénat, et tout serait facile à nouveau, et de nouveau elle aimerait la ville, le soleil et les fêtes foraines, elle qui était née longtemps déjà après ce temps où la mode avait été pour les petits clubs et les discothèques de prendre pour nom et enseigne le numéro de rue où ils se situaient.
 
20.02.00 Dîner très charmant avec Christian, hier soir au Fumoir. Aujourd'hui après - midi, avant qu'il ne reprenne l'Eurostar dans la soirée, nous nous retrouvons pour une promenade dans la ville de X
Christian me dit : Tu habites Paris et j'habite Londres et le dimanche après-midi on a rien de mieux à faire que de se retrouver dans ce bled paumé pour chercher des filles...
 
21.02.00 Sylvain (bassiste) quitte le groupe. L'annonce est solennelle, abrupte, presque incroyable, pendant une séance de travail. Il dit qu'il n'a pas envie de sacrifier sa vie de couple, et qu'après mûre réflexion il ne se sent pas fait pour une vie artistique, faite de sorties nocturnes, d'incertitudes, et d'inconfort moral et financier.
Il repart donc sur Nevers d'où il est originaire et où il aurait des opportunités d'emploi. Il dit aussi qu'il ne veut pas nous laisser dans l'embarras. Qu'il assurera donc le concert du Sentier des Halles le 13 mars, et puis si nous n'avons trouvé personne par la suite il viendra également pour les concerts prévus les mois suivants. Et ce jusqu'en Juillet date à laquelle il envisage son retour définitif à Nevers.
Cette nouvelle me plonge dans une grande tristesse. No comment.
 
22.02.00 Après que l'annonce de son départ m'ait laissé toute la nuit éveillé, absorbé par diverses pensées, je dis ce matin à Sylvain que je préférerais qu'il quitte définitivement le groupe après le concert du Sentier des Halles, que j'aurais du mal a travailler avec lui ensuite, même ponctuellement, sachant qu'il n'est pas là pour s'impliquer dans l'aventure.
Reste à savoir à présent si nous allons continuer à quatre (ce qui est plutôt stimulant et tout à fait envisageable, la basse pouvant être programmée, par exemple il n'y a pas de bassiste sur la plupart des morceaux dans les concerts de P.J. Harvey, et quand vraiment la chanson le demande, un des musiciens quitte son instrument attitré pour prendre la basse) ou bien nous mettre en quête d'un nouveau bassiste (ou d'une bassiste, les jeunes filles qui font de la basse c'est assez à la mode en ce moment dans la pop-rock, ce qui n'est pas pour me déplaire).
Bien sûr cette histoire de Sylvain qui nous lache, vient nous déstabiliser dans un moment où je suis particulièrement fragile, mais j'espère que bientôt elle nous fera rebondir. En avant. En avant toute.
 
La tête en arrière, son rire jeté par dessus l'épaule d'une chaise à bascules, elle renversait les hémisphères en applaudissant des deux mains.
Je lui demandai si par hasard elle ne jouait pas de la guitare basse. Elle me demandait d'être raisonnable, en épongeant mon front fiévreux de sa longue main blanche.
 
23.02.00 En répétition j'écoute Sylvain qui parle du poste de fonctionnaire qui l'attend à Nevers, et de la vie rêvée sur le plancher des vaches. Je trouve ça d'autant plus triste (triste est certainement le mot le moins dur que j'aie trouvé) que j'aimais beaucoup Sylvain, qu'il avait participé à des étapes importantes de notre aventure, et que bien que n'étant pas dans le groupe depuis son origine il y avait (ou aurait pu) trouvé (er) sa place et participait à son intégrité; mais malgré mon affection et ma reconnaissance il n'est pas dans mon intention d'être conciliant avec son départ, il faut bien qu'il comprenne que c'est quand même lui qui nous lâche.
Contrairement à d'autres membres du groupe, il n'est pas dans mon intention de faire comme si de rien n'était, et de le dédouaner, par la même occasion, du fait qu'il reste avant tout, aujourd'hui, le type qui nous lâche (et pour le coup c'est le mot le plus juste que j'ai trouvé).
 
Le type qui fait de la musique tout seul chez lui, sur son ordinateur. Qui est tout fier d'avoir fait son album comme un grand, dans sa cave ou son garage en ayant joué lui-même de tous les instruments et ayant mixé et enregistré tous les morceaux en ayant bu toutes les canettes tout seul, ça n'a rien à voir, ce ne sera jamais la même idée de la musique. Lui, c'est la bibliothèque rose à côté de ce que je vis.
 
Nous discutons avec Rodolphe, installés sur des banquettes qui se font face, dans le café à la sortie du métro Michel-Ange Auteuil.
Je compare X à Anne d'Autriche et Rodolphe me dit :
- Je vois pas qui c'est Anne d'Autriche, mais c'est certainement pas le genre de filles qui me fait kiffer!
 
24.02.00 St-Germain-en-Laye. Je suis passé au CRY (passé au crible) pour annoncer que je cherchais un(e) bassiste, mais en suis ressorti amer, comme retombé dans les réalités du monde des musiciens et des groupes. Enfin, c'est difficile à expliquer, je n'ai pas de mépris pour ce milieu là mais ce que je cherche avant tout c'est un tempérament de mousquetaire, quelqu'un d'impliqué dans le groupe et qui en plus jouerait de la basse comme Athos de l'épée.
Enfant, dans les cars couchette je ne m'octroyais toujours qu'un petit carré de couverture et sans pouvoir dormir n'osais pas plus bouger de peur de réveiller ou de déranger les autres enfants, même fiévreux je maîtrisais mon souffle, même enrhumé m'empêchais de renifler ou de tousser, et toujours de l'amitié le plus intransigeante, de la fiabilité la plus altière et de la tristesse la plus consentante.
 
27.02.00 Des têtes de poupées russes sur des jambes d'allumette. Une soirée parisienne avec des mannequins au mètre carré; enfin pas tout à fait mannequins, si l'on y regarde bien, une partie du corps quand même abîmée, bouffie par les efforts du paraître intelligent en toutes circonstances. L'une d'entre elles, pleine de tenue lascive et d'une finesse qui aura su parfaitement épouser les chaises et les canapés de ce genre de soirées avant d'épouser un connard qui s'ignore sous un aspect modern life is in my wallet, me dit : "Jérôme, je suis persuadée que vous préférez le plaisir de fouiller dans une librairie plutôt que celui de cliquer sur Internet." Je me suis dit après coup que c'était peut-être une invitation sexuelle un peu prétentieuse ou maladroite.
X, désarçonnée par les fréquentations de son frère, me prend à part et me demande pourquoi les types qui font Sciences-Pô ont tous la même tête et sont toujours pleins aux as.
 
Reçu un très gentil courrier de Pierre Blanquet dont j'aime beaucoup la dernière chanson "Soigne les finitions". Cette après-midi j'ai écouté du Miles Davis, et suis allé faire une promenade dans le quartier, la même promenade que faisait Jean- René Huguenin quand il habitait rue Rémusat.
En rentrant, je me suis préparé un thé et j'ai parcouru mon journal intime de l'année 1992 que j'ai retrouvé sur une vieille disquette. Amusé par quelques phrases comme :
Mes quelques semaines amoureuses avec X furent ce que j'appèlerais : du vampirisme à l'amiable. ou encore, plus loin,
Si j'étais en accord avec moi-même je serais végétarien depuis que je me suis aperçu que les jeunes gens de mon époque étaient des boeufs et se comportaient comme des veaux.
 
Ce soir j'ai montré Les parapluies de Cherbourg à Marine qui ne l'avait jamais vu, et j'en reprends (de mon plein gré) pour une semaine de tristesse et de mélancolie.
 
29.02.00
 
Marine s'est faite agressée dans le métro. Par une folle qui l'a frappée par derrière avec un sac rempli de bouteilles en verre. Elle arrive chez moi en pleurs, très choquée. D'autant qu'auparavant elle a retrouvée comme prévu ses bonnes copines Y et Z qui devant son émotion n'ont rien trouvées de plus intelligent à dire que : "Tu sais ma chérie, dans la vie il n'y a ni victimes ni bourreaux...en fait, quand on se fait agresser c'est qu'on est soi-même dans un certain état d'esprit qui prédispose à se faire agresser...".
En tout cas il y a de ces réflexions particulièrement finaudes et censées qui vous mettent dans un certain état d'esprit à distribuer une paire de claques à la paire de connes qui les a émises.
 
02.03.00 Tous les jours, moi aussi, j'abandonne. Face à la mauvaise foi des uns, l'indifférence, le propos facile du directeur de boîte qui met de la soupe en conserve (ou des trucs immangeables pour flatter sa fourchette), le manque de pif et l'absence de penser plus loin que le gras du bide du voisin, face à la démission des autres, leur lâcheté, leur impotence qui la mériterait (la potence), leur immobilisme ou leur bêtise. Mais tous les jours je me relève, ne serait ce que par réaction. (Sans pouvoir démêler, l'avenir le dira bien, si cette opiniatreté est de l'intelligence ou de la vanité).
 
A l'écouter parler j'avais de la peine pour lui. Sa conversation cariée, on a jamais autant ouvert sa bouche pour ne rien dire, excepté chez le dentiste. Les hommes creusent des judas dans la sensibilité des femmes pour y coincer leur bite, d'où très vite la sensation d'etouffement. Et de pignon sur rue.
 
Au café Le Fumoir, rue de l'Amiral-Coligny. 16 heures. La présence spectrale et attentive de la serveuse qui a des faux airs de Virginie Ledoyen. Et la même voix dure, rocailleuse et envoûtante. (Mais, et nullement ici l'idée de convaincre le lecteur récent et méticuleux de fouiller les précédents chapitres de ce Journal, j'ai déjà écrit sur l'incapacité ou le ridicule de faire du gringue a une serveuse, et c'était au 29.11.98)
 
Il y a neuf ans disparaissait Serge Gainsbourg. Ce fut un choc pour moi parce que j'habitais le quartier et j'aimais bien faire une promenade du soir (vers 21 heures) un peu rituelle, en passant devant ses murs avec l'idée qu'il était peut-être chez lui, et j'ai été très romantique vis-à-vis de cette mort, la rue de Verneuil, le funérarium près de Nanterre, le cimetière Montparnasse. Deux années auparavant une fille m'avait quittée (c'était le bon vieux temps) et du coup j'avais gardé pour moi les neuf cd de l'intégrale que j'avais acheté en prévision pour son anniversaire, avec trois mois d'avance à un moment où je devais avoir un peu plus d'argent reçu probablement moi-même à mon anniversaire. (C'est très touchant quand j'y pense, et mieux écrit on pourrait croire à du Dostoïevski, tout lecteur constitué de matière sensible serait transporté par la pitié et la compassion à mon égard).
Il y avait sur le cd numéro 9 les chansons du téléfilm musical Anna, ce qui était très rare à l'époque (aujourd'hui notamment sous l'impulsion de la demande japonaise il y a eu des rééditions.) Enfin j'ai été très romantique vis à vis de cette mort. Aujourd'hui, dans la jeune chanson française, le premier mec qui émerge et qui écrit comme un veau (à la sauce à la menthe) il s'auto-proclame, ou on le fait pour lui, nouveau Gainsbourg. Aujourd'hui tout le monde il est le nouveau Gainsbourg. Aujourd'hui donc, tout le monde il est mort.
 
10.03.00 Les journées d'avant concert sont toujours longues, ennuyeuses et gênées, des journées de visite à la pharmacie au premier petit piquement dans la gorge, des journées où l'on fuit les courants d'air et les sorties imprévues, où l'on passe en un temps record de l'excitation la plus joyeuse à l'abattement le plus profond, où l'on se torture à se dire qu'il n'y aura personne, pas un chat dans la salle, qu'on aurait dû davantage tracter, jouer les hommes sandwichs pour la cause, des journées entières où l'on rêve de faire l'unanimité et de remplir les salles alors qu'adolescent on s'en foutait de faire l'unanimité, on trouvait ça vulgaire, on se disait je me fous de tout le monde, de toute la terre entière, du moment que cette fille là pose ses yeux sur moi, m'ouvre ses bras et me chuchote au creux de l'oreille : " rien n'existe hors de toi", et puis le solipcisme ça ne mène pas à grand chose, la fille en question, la plus belle fille de la classe, elle disparaît après le bac, on apprend un jour qu'elle s'est mise en ménage avec un dentiste ou un co-fondateur de start-up et qu'elle est enceinte jusqu'aux dents, et nous on est devenu ce qu'on était et ce qu'on a toujours été, avec la poésie comme maigre consolation, et on rêve comme un âne de faire l'unanimité les jours où se presse davantage de monde dans la salle d'attente du dentiste que dans la salle de concert où vous jouez.
 
12.03.00 Après-midi d'un printemps timide, mais perceptible, seul marchant dans Auteuil. Je croise un jeune couple qui se crie dessus, elle debout prête à s'enfuir, lui à califourchon sur sa mobylette, tous les deux coiffés d'un casque réglementaire qui leur mange le visage tels des gladiateurs de la vie conjugale, 2001 l'odyssée du désamour, je croise une petite fille sur des patins à roulettes les yeux tétanisés par la cadence que lui inflige son père lui-même perché sur des rollers et l'entraînant par la main à toute berzingue vers un angle droit, et je tombe sur la toujours jeune X qui vient visiter une tante à l'hôpital Chardon-Lagache et que j'accompagnai autrefois au cinéma, à deux reprises rue Monsieur le Prince, aux 3 Luxembourg, lorsque nous habitions tous deux le même immeuble, au 10 rue du Regard (en face de chez Jospin).
Alors que nous nous tenons immobiles dans la rue, les jambes coupées par la surprise et tendues par le civisme, X me dit, au risque de me faire prendre froid parce que 1° j'ai un concert demain 2° le printemps n'est pas si installé que ça et 3° de toute façon je ne suis pas un grand fana des retrouvailles improvisées :
- A l'époque tu ne jurais que par le tarama Marks and Spencer, les raiders dans le café, l'enseigne La Petite Charlotte en lettres blanches sur vert anglais rue Dupin, l'hebdomadaire 7 à Paris où écrivait Christophe Bourseiller et la scène de la pâtisserie dans l'escalier, dans le film de Sergio Leone : "Il était une fois en Amérique"; de plus tu étais tellement mystérieux que je pensais que tu étais soit homosexuel soit un grand solitaire."
J'aime assez la seule alternative qui vous est proposé quand vous n'êtes pas intéressé par une jeune fille qui s'estime au dessus du lot : homosexuel ou grand solitaire.
 
14.03.00 Toute cette énergie, cette souffrance, cet acharnement à devenir un bien de consommation.
 
18.03.00 Soirée du label Evénement à La Clef, l'éclipse. Dans l'attente des concerts, j'ai passé l'après-midi à me promener à St-Germain-en-laye, ville que je connais bien notamment parce que j'y ai été au collège dans les early eighties, à St-Augustin, chez les Très Chers Frères des Ecoles Chrétiennes, ce qui de mon attachement à la ville est de loin la raison la moins sensuelle mais la plus biographiquement établie que je puisse décemment donner.
J'essaye de m'accorder une ou deux journées par mois de promenade à St-Germain-en-laye, le contraste entre la solitude venteuse du parc et l'effervescence vantarde de la ville, goûter le chaud et le froid, y trouver l'humeur propice à la flânerie et à ce que les culturistes abonnés appellent quand ils parlent de la salle de sport qu'ils fréquentent "se nettoyer les idées".
Sur ce point je mens. Je ne suis pas le genre de type qui se "nettoie les idées". J'aime les romans de Dostoïevski parce qu'il y a toujours pour moi le personnage délicat qui réfléchit trop et tout le temps, le réflexif sensible.
Le type qui dit : "Je vais à la salle de sport ou je pars en vacances pour me changer les idées" ça ne me concerne pas. C'est pour cette raison que j'ai si peu de goût pour les voyages, et ce, au désespoir des femmes qui aiment qu'on les trimballe partout. Pour ma part, non seulement je suis très précautionneux et je n'aime pas délocaliser les problèmes.
 
Dans la forêt de St-Germain, impressionné et affligé par les dommages que la tempête de décembre a causée au parc, aux arbres. Eventrés les raccourcis que nous prenions lors des interminables séances de footing scolaire, selon un parcours sinueux pré-établi à travers la jungle domaniale par un ancien Para à la cervelle démobilisée depuis les derniers couvre-feux, et reconverti en prof de gym mercenaire pour les Très Chers Frères des Ecoles Chrétiennes, dont nous redoutions l'esprit grégaire et répressif, attendant qu'il nous lâche littéralement les baskets, soutenu par son sifflet militaire et ses mollets de Bob Denard qui se rachète une conscience en courant pour l'Eglise, pour décamper tels des lapins au travers des taillis, puis selon un itinéraire anarchique protégés par la végétation luxuriante et les arbres centenaires, rejoindre au plus court, avant tous les bons élèves de l'effort en plein air, la ligne d'arrivée.
 
Les concerts électro du label Evénement, comme une boîte de mécanos musicaux. Soirée charmante, très bon esprit. David qui a la langue bien pendue a commenté la musique qui se jouait en disant que ça lui rappelait la bande originale des Contes de la crypte, et que ça le terrorisait étant plus jeune, qu'après diffusion il lui fallait impérativement dormir la lumière allumée; en ce qui me concerne j'ai beaucoup apprécié le set de King Q 4, un peu moins l'installation vidéo qui l'agrémentait, les playmobils, les légos, plutôt convenue mais...convenable. David de bonne humeur et toujours un ton plus haut que les autres, en rajoutait un couplet sur la crypte : "Si ça continue, la famille électro, elle va finir par jouer pour le pape!" Enfin c'était une très charmante soirée, j'ai discuté avec Vincent Rulot (le pape de la crypte La Clef L'éclipse) qui a toujours la gentillesse de garder un oeil sur notre évolution, et puis j'ai tenu quelque temps le stand du fanzine Planet of sound, histoire d'être face à la porte d'entrée et de voir arriver les jolies filles, et il y en eût quelques unes. Du moins, sans vouloir jouer ni les spécialistes ni les arrogants, des filles qui avaient quelque chose de joli.
Christophe (le pape de la crypte of sound) m'a confié, excessif (mais c'est le printemps, même dans l'underground) : "L'un des avantages de cette salle, c'est qu'il y a toujours des BOMBES qui viennent aux concerts". Sinon j'ai discuté (un peu court) avec Pierre Blanquet (du groupe Sans oublier le chien), et Sébastien (.Nolderise) m'a serré la main, quel exploit, à moi un pauvre artiste de variétés! Et puis la soirée s'est pour ainsi dire terminée miraculeusement, puisque Jean-Vic s'est réconcilié avec son ex-meilleur ami et l'une des plus jolies filles de la soirée, pendant que je lui donnais une cigarette dans la salle consacrée à l'exposition des 15 ans de la Clef l'Eclipse, s'est approchée plus près de moi encore et m'a murmurée quelque chose dans l'oreille.
Du moins, sans vouloir jouer ni les spécialistes ni les arrogants, quelque chose de joli dans l'oreille.
 
19.03.00
 
Quand tu commences à couler à pic, le souvenir du marchand de bouées te gâche ton plaisir.
 
20.03.00
 
Pour prendre dimension humaine et rentrer dans la boîte aux lettres, les bonnes nouvelles arrivent souvent escamotées.
 
25.03.00
 
Magnifique temps variable de samedi après-midi éventré, oisif, qui court à la soirée. Averses bénignes qui n'empêchent pas la promenade, suivies d'éclaircies qui rendent l'oeil vert, le teint frais et le pavé luisant. D'Auteuil je pars à pied vers le Virgin des Champs Élysées pour acheter des vidéos en import des épisodes originaux de The Twilight Zone, the fifth dimension qui a été traduite je ne sais pourquoi en France par : La quatrième dimension. Dans ma jeune adolescence, cela passait sur la 5 (la chaîne des amis de Jean-Claude Bourret, même que mes parents avaient envoyé un chèque de cent francs à l'association de Jean-Claude pour qu'un jour revienne à l'antenne, et la 5, et The Twilight zone et Twin Peaks et Jean-Claude Bourret) et les lendemains des diffusions, je me souviens que dans la cour de récréation, ou en prenant un plat peu ragoûtant au self-service de la cantine, ou encore lorsqu'on restait interdit à l'arrêt des bus scolaires sur le passage de Vanessa P. , l'inaccessible jeune madone de nos élans pubères, une publicité vivante pour, qu'on la côtoie de loin, le printemps des poètes, et si on l'avait dans sa classe, le salon de la Hot Vidéo, la sublime et inabordable Vanessa P. qui faisait toujours dire à l'un de mes camarades face à l'extase qu'elle provoquait chez un autre ou chez moi : "Attention, tu vas entrer dans la quatrième dimension."
 
Rue Raynouard, une jolie fille qui charge un attirail de golf dans le coffre arrière d'une voiture de luxe. Rue de l'annonciation j'achète du thé en vrac et une tarte aux pommes.
 
01.04.00
 
Ses joues dans l'après-midi maussade, comme deux betteraves tombées d'un camion sur une route accidentée de campagne belge.
 
Le chômage est en baisse. Je ne sais pas si ils me comptent parmi leurs statistiques. En tout cas une semaine de plus sans qu'aucun directeur artistique de Major compagnie ou de label indépendant n'ait crée un emploi. Ma mère me dit que je dois faire attention quand je sors le soir, attention à ce qu'on ne verse pas une drogue suspecte dans mon verre pendant que j'ai le dos tourné. Elle a vu cela à Envoyé Spécial. Ca me fait penser à Will Bill Hickock, le cow-boy. C'est un type qui n'avait jamais le dos tourné; quand il s'installait à une table de poker, il choisissait toujours et de manière obsessionnelle la chaise dos au mur (si la place était occupée il attendait qu'elle se libère) sauf une fois, la dernière, qui lui fut cruciale, quand vieilli, désabusé et rangé des caravanes, il s'installa à une place quelconque et se fit descendre de plusieurs balles dans le dos par un bandit pas manchot mais au bras armé par le destin pour servir la légende.
 
Chaque fois que je distinguais le moindre signe de sa présence, une lumière trop haute dans l'immeuble voisin, une silhouette similaire dans la rue, mon coeur se soulevait, légèrement détruit, client spontané des amours irrésolus, et un mal de vivre fondamental remontait à la surface de manière si imperceptible pour l'entourage que c'est le genre de signal qui ne peut être perçu que par des entités extra-terrestres dans la mesure où elles profiteraient d'un point sensible pour entrer en contact avec nous. Un long moment après, m'apparaissait la vanité de mon amour pour cette fille dont la résolution avait autant de chances de voir le jour qu'un émissaire des petits hommes verts de débarquer avec sa petite amie à trois doigts et son petit drapeau ridicule par l'embrasure de ma mélancolie, où si j'étais moins con, pour les jours de spleen, je construirais un péage.
 
06.04.00 La vulgarité partout : un imbécile qui prenait des photos arty d'une pauvre fille pâle et vaguement souriante, vaguement consentante, vaguement agacée, qu'il mettait en scène sodomisée par un pâté sous cellophane dans les rayons d'une épicerie de quartier sous les regards torves des gérants comme de la caméra de Paris Dernière. Pour une nouvelle série de photos, l'artiste inspiré demande à l'épicier de marquer un prix sur les fesses et le téton de la jeune femme à l'aide de sa machine à étiqueter. Puis de sortir sa bite, et c'est au tour de la fille de se saisir de la machine à étiqueter. Alors l'épicier, vaguement gêné, dit - plus à l'attention de la fille que du photographe :
- T'en fais pas, j'vais pas bander!"
La vulgarité partout. Et la misère aussi.
Je suis toujours triste pour ces filles. Je veux toujours les sauver . Mais je n'ai pas forcément raison. Peut-être que si la télé renvoyait instantanément aux acteurs de tel ou tel programme, les pensées de chaque spectateur (et ça viendra peut-être un jour), la jeune fille, vaguement souriante, vaguement consentante, vaguement agacée, s'approcherait de la caméra et dirait à mon attention en mâchouillant un chewing-gum pris à l'étalage : "De quoi il se mêle celui-là?"
 
En studio pour la chanson "Eastwood chagrin disco". Pendant l'enregistrement : étude comparée des beignets framboise et nutella des deux faméliques boulangeries qui se disputent le rare client dans la rue principale du petit village d'Ablis.
 
Paris. Café Les Petits Carreaux. Une jeune fille qui y travaille, soit derrière le bar soit s'affairant dans le restaurant; très belle, grande et fine, le visage doux, légèrement chevalin; elle porte une jupe noire, un gilet rouge sur une fine chemise blanche qui dépasse; j'ai l'impression que quelqu'un l'interpelle en la nommant Nadia. Presque Nadja , et nous ne sommes qu'à quelques encablures du quartier cher à André Breton. Passant près de moi elle laisse tomber sur le plancher une bouteille de tomato ketchup Heinz qui se brise en gros morceaux, et tout d'un coup ça fait beaucoup trop de rouge autour de moi - ai-je parlé de son gilet?
Quand Rodolphe me rejoint je lui dis:
- J'adore cette fille!
Et Rodolphe, qui vit dans un monde simple, me dit texto :
- Fais toi la!
 
11.04.00 Vu une reproduction de la toile de Courbet conservée au musée d'Orsay, peinture subversive et manifeste en quelque sorte du réalisme trash du XIXème dans le sens où elle parodie sarcastiquement La Source d'Ingres, en proposant une vue de derrière et en affaissant les courbes classiques et parfaites de l'odalisque ingresque, cette toile de Courbet, donc, utilisée dans une pub télé ventant les mérites d'un produit conte la cellulite!!! La pauvre toile de Courbet en son temps présage d'une modernité à venir, traitée aujourd'hui comme une représentation du gras, de ce qu'il faut gommer, effacer, soigner, voire laisser derrière soi... Bientôt des oeuvres de Miro ou de Pollock seront utilisées au bénéfice de produits pharmaceutiques contre les points noirs!
Je vantais les mérites d'un jeune homme (ça m'arrive) à X en lui soutenant que c'était exactement le genre d'homme qui lui fallait, attentionné, solide, intelligent, et surtout The right man at the right place. En cas d'incendie, dis je pour illustrer mon propos, lui déjà il a le casque de pompier sur la tête, et je ne parle pas de sa coiffure, prêt à braver les flammes au péril de sa vie pour te sauver, tandis que moi, y a l'feu, qu'est-ce que je fais?...J'allume ma cigarette...
 
Canal Saint-Martin, samedi après-midi, belle journée, beaucoup de promeneurs, une halte au café Chez Prune, une promenade dans le bas Belleville. Aux alentours de 22 heures 30, Christian, David et moi allons dîner au Man Ray, sous-titré le samedi soir : l'usine à bimbos.
Hôtesses d'accueil et serveuses sexy à la sophistication naturelle dont on tomberait aisemment amoureux (un penchant, peut-être?), casting de boy's band friqués reconvertis en patrons de start-up, trous du cul réglementaires dont le pneu avant de la Porshe fraîchement toilettée baigne dans une merde de chien de race rue de Berry, jeunes bimbos de vingt ans et parfois beaucoup moins qui se font tripoter par des quinquagénaires sous le regard vide de leurs bodyguards qui avalent crûment une salade de poulet à une table voisine, serveurs gays qui ont des yeux partout et des conseils avisés sur la carte, vieilles pouffiasses siliconnées jusqu'à la couenne sorties par leurs maris qui baillent avec satisfaction, filles de magnats du pétrole qui font de la brioche sur les sofas du coin bar, jeunes femmes qui au retour des toilettes me font des sourires aussi affriolants et tirés vers le bas que leurs décolletés, bien qu'une rangée de dents soit moins excitante qu'une paire de seins, bref de l'étage attribué au bar jusqu'à la salle de restaurant en sous-sol, on se croirait de la tête aux pieds dans du Bret Easton Ellis.
J'ai pris des Piccata de veau au parmesan et un dessert au chocolat assez prétentieux mais plutôt mangeable. David et Christian ont passé la soirée à zyeuter la table située dans mon dos, à savoir celle où trois jeunes mannequins devaient supporter la conversation sexuée de deux vieux types avachis, et David semblait sincèrement choqué de la différence d'âge et tout et tout, ce qui n'est pas mon cas, car mes vieux jours ce n'est pas dans si vieux que ça!
Pour la vue autrement, la salle de restaurant étant au sous-sol, patientant dans les hauteurs du bar qui en fait le tour et la domine, on peut en attendant sa table se pencher à loisir tels des visiteurs de zoo, sur la calvitie prononcée des ours et le décolleté plongeant des gazelles qui dînent avec appétit d'une cuisine minimaliste et vaguement exotique, ou fument le cigare en songeant avec mélancolie que l'adage : "J'aime mieux être seul(e) que mal accompagné(e)" n'a dans ce genre d'endroit aucun sens.
 
12.04.00 Musique. Nous discutons beaucoup avec Cyrille sur l'engagement, la décision de tout mettre en oeuvre pour que le groupe réussisse et que chacun ait à l'esprit de ne pas se contenter de la situation, considérer cela comme une routine, un travail comme un autre, vu que ce n'est même pas encore un travail, qu'actuellement on est même pas payés pour ça.
L'éceuil est qu'il est facile de retrouver son confort partout, même dans l'indigence, la stagnation ou l'à peu près; facile de se laisser traîner d'un concert à l'autre, d'une répétition à l'autre, en vivotant avec un travail à mi-temps (pour Frédéric et Jean-Pierre) dans l'attente d'un coup de pouce du destin ou que quelqu'un du groupe bouge son cul à votre place.
Parfois je me laisse aller au découragement; je trouve qu'il y a beaucoup trop d'auto-satisfaction, d'égoïsme, de contentement de soi et en fin de compte peu d'esprit, peu de conscience politique dans ce groupe. Et puis il suffit que le travail musical se fasse, s'accomplisse, qu'il y ait de la volonté, une lueur d'esprit d'équipe, une initiative heureuse et une loyauté pugnace pour me remettre dans les startings blocs. Mais quelles montagnes russes tout de même que de placer sa volonté et son destin au sein d'une aventure en commun!
Pour paraphraser l'écrivain anglo-saxon Sylvia Plath, il y a des jours où on se dit : "Ne vaut-il pas mieux s'abandonner à la douceur des cycles de reproduction, avec la présence facile et réconfortante d'une femme dans la maison?" Tiens, j'aurais dû lire ça à mon ancien bassiste, ça lui aurait plu.
 
21.04.00 Mention bon esprit de la semaine : Rodolphe a reçu les contrats d'engagement du Sentier des Halles qui stipulent qu'à moins de trente entrées par soirée, le ou les concerts sont tout bonnement annulés.
 
Une fille très nature et franchement surexcitée m'arrête dans le métro à la station Convention : "Je sais qui vous êtes, vous savez? Je ne pensais pas vous rencontrer dans le métro... Moi j'adore observer les gens dans le métro, il y a tellement de gens bizarres dans le métro que quand j'en sors je me dis que je ne suis pas si mal que ça! Au fait, c'est quoi votre nom à vous déjà?
Et moi d'un ton très détaché, mais en même temps très cordial, je dis :
- Georges Descrières.
 
22.04.00
 
Comme toutes les jeunes filles qui n'ont eu accès que tard à la culture, (et à un certain âge on ne doit pas attendre des types que l'on trimballe qu'ils nous apprennent à lire Plutarque dans le texte), elle essayait toujours de m'épater, m'en mettre plein la vue sur ses sorties et fréquentations, d'étaler sa science en toutes circonstances, alors qu'il n'y a par exemple qu'une trop courte saison pour s'étaler de l'huile solaire dans le dos, et c'était des joutes incessantes, parce que malignement à chaque fois qu'elle en rajoutait sur telle expo qu'elle avait vue ou telle oeuvre de philosophie classique ou contemporaine qu'elle avait compulsée, je lui répondais avec une désinvolture impeccable : tu sais, je suis très inculte au fond... et ça l'énervait d'avantage, la piquait encore plus dans son amour propre, car elle comprenait très bien que cet aveu délibéré d'inculture faisait partie intégrante du discours habile de l'homme cultivé.
Mais les garçons ont cette tare, qu'ils ne comprennent pas pourquoi ils se dispenseraient d'être cruels avec des filles qu'ils ont déjà baisés.
 
30.04.00 Rentré à quatre heures du matin. Journée d'hier partagée entre scènes et route. Balances à Rambouillet à midi, puis concert à la Villette dans le brouhaha diffus du salon de la Musique, enfin retour dans la soirée pour le concert à Rambouillet. Sous le chapiteau de la Villette, un public d'une cinquantaine de personnes; heure de notre passage tardive au moment où le salon commence à se vider de ses visiteurs; quelques filles très belles, assises en tailleur devant la gigantesque scène. Dans la salle de photographie où nous posons pour l'album du salon de la Musique, une jeune femme m'apostrophe : "Ca marche très fort pour vous en ce moment : Jérôme Attal & les Argonautes: vous êtes dans de nombreuses programmations, on entend parler de vous partout!"
Le soir à l'Usine à Chapeaux (Rambouillet), nous entrons sur scène vers minuit. Pas plus de monde qu'au Salon de la Musique, mais une ambiance de café club cosy et chaleureuse, tournée vers l'essentiel, d'où l'un de nos meilleurs concerts, tendu, efficace, à la Nick Cave, et qui engage à la confidence comme à la maestria.
La présence émouvante d'une fille qui rôde à l'usine à Chapeaux; je l'avais déjà remarqué quand nous avions fait la première partie de Mathieu Boogaerts en janvier 99. La noirceur de suie, ardente, de ses yeux.
Vers deux heures du matin je voudrais l'entraîner par la taille dans la fraîcheur de la nuit et lui murmurer dans l'oreille d'une ville endormie qui ne m'est pas familière : Stars all seem to weep de Beth Orton. Franck dans la voiture me dit qu'il l'a trouvé différente . Oui et non, les mots qui me viennent sont : ardente, douce et bancale.
 
07.05.00
 
Soirée pauvre dans un quartier chic. J'ai discuté de Balthus, de la société byzantine et du sex appeal de Cristina Martinez. Puis me suis beaucoup ennuyé. Ai picoré des bouchées à la reine, petites et verdâtres comme des olives. On m'a présenté deux fois comme le leader d'un groupe prometteur, trois fois comme un futur chanteur dans le vent. Réflexion faite c'était peut-être des olives. Une fille un peu saoule qui croit qu'on est le premier janvier à chaque fois qu'une pendule indique minuit et qu'il y a des garçons à embrasser autour d'elle, m'a dit qu'elle lisait mon journal sur Internet et que j'étais un coquin dans l'art de la suggestion.
 
Allez, tout le monde en soirée! Et c'est bien parce qu'il n'y a pas de canapé dans le désert!
 
09.05.00 Vu avec bonheur et délectation le tour de force qu'est Rien sur Robert de Pascal Bonitzer.
Vu également Henry Fool de Hal Hartley. L'actrice Parker Posey, très juste, très belle.
 
12.05.00 Après-midi chez Samuel. Une petite maison dans la cour d'un immeuble du 14ème arrondissement. Au mur, deux portraits d'Avedon. Je lui parle des séries de photos que Richard Avedon avait réalisé pour la revue de luxe Egoïste, Adjani, Bacon, et de la légende qui courrait en 1990-1991 comme quoi la revue Egoïste n'était déposée que dans certains kiosques et dans de rares boutiques, et les véritables jeu de piste - course au trésor auxquels il fallait se livrer pour mettre la main sur un exemplaire. Pour ma part je le trouvais toujours à deux pas de chez moi, sur le Boulevard St-Germain au niveau de la rue des Saints-Pères.
J'ai dans ma bibliothèque le numéro avec Adjani et celui avec Warhol qui exhibe les cicatrices après qu'on lui ait tiré dessus. En 1991, j'étais en fac dans un cursus très orienté art contemporain, et cumulé à la grande expo commémorative à Beaubourg et à la sortie française de son Journal, on mangeait du Warhol à toutes les sauces. Cette fille un peu foldingue, Ultra-Violet, était venue en cours nous narrer les plus belles heures de la Factory, et avec quelques élus de ma section nous avions été invités au concert retrouvailles du Velvet Underground réuni pour l'événement à la fondation Cartier à Jouy-en-Josas. Même si parmi les étudiants privilégiés que nous étions personne n'osait vraiment l'avouer, le Journal de Warhol c'était plutôt pénible à lire, voir superbement rasoir.
 
Samuel me fait écouter les premières maquettes du projet d'album de son groupe, My old Sofa. Et également beaucoup de Beck, qu'il adore et dont il loue le génie de la simplicité et d'invention. Il me fait une rétrospective en m'expliquant les différentes périodes et, chansons à l'appui, celles de pur bricolage sans aucun moyens et celles où il commence à gagner de l'argent avec sa musique.
 
David me dit que sa libido dégringole à vue d'oeil. Que ça fait longtemps qu'il n'a pas été charmé par une fille. Qu'il trouve toutes les filles moyennes.
Je lui demande: Même les grandes?"
 
17.05.00
Interview fleuve avec Cyrille dans les locaux de Radio Libertaire. L'émission dans laquelle nous sommes les seuls invités ne dure pas moins de trois heures. Exercice épuisant : savoir parler, mais également savoir se taire. Cinq de nos chansons sont diffusées, des auditeurs téléphonent et gagnent des places pour le Sentier des Halles. Auparavant, nous buvons un verre de vin blanc à L'Estaminet rue Oberkampf en compagnie de Rodolphe et d'une moitié de .Nolderise; le groupe Nolderise pour lequel j'ai de plus en plus de sympathie (excepté quand ils se croient obligés de faire des blagues portées sur le sexe si crues qu'ils ressemblent instantanément à ce genre de garçons que l'on croise dans un repas de mariage, un verre à la main, une grande gueule, des yeux lubriques et un polo rose pale.)
Sinon, ils ont tout pour réussir: sur scène ils sortent tellement le grand jeu que dans la vie quand on les rencontre, on les trouve petits (de taille), et on se dit qu'ils iraient très bien dans le poste de télé; qu'ils vont réussir parce qu'à coups sûrs ils vont plaire aux cadreurs!
 
Avant de rejoindre l'émission de radio nous dînons face au Cithéa, dans un petit restaurant : Chez Georges, dont la serveuse est très belle, de beaux yeux clairs et une manière fragile et imbattable de se pencher sur la table, de vous jeter un sort et de le déguiser en regard, en apportant du vin et aussi un colombo de poulet.
Ces derniers temps je suis rentré tard, en voiture, deux trois heures du matin. Surpris dans la ville ou les banlieues muettes que les phares de la voiture qui me reconduit chez moi happent une silhouette errante, déplacée , la silhouette récurrente d'une jeune femme qui, apeurée par l'immersion soudaine d'une voiture dans sa solitude, se cherche une contenance sous forme de destination.
La rue de la Convention à Paris ou le parking d'un Habitat en bordure de nationale. De plus en plus de jeunes femmes errantes, seules, comme à la rue, prises dans les feux de croisement qui font l'effet sur le moment de mains trop lourdes, pataudes, qui voulant protéger ne peuvent que blesser, déranger.
 
C'est une autre situation mais récemment rentrant avec Christian d'un dîner, empruntant vers deux trois heures du matin une petite côte de village dans laquelle Christian conduisait comme un fou, apercevant cette toute jeune fille qui cheminait à pieds dans notre direction, Christian dans un relan de cette adolescence grossière dont il a gardé quelques réflexes comme une langue non maternelle pratiquée en bas âge, lui fit un appel de phares dans le langage des hommes et dans la fraction de secondes où comprenant ses intentions je le suppliais de ne pas l'apeurer.
Elle, l'adolescente qui déambulait dans la nuit noire, et nous dans la voiture avec pour seul mode d'expression, un débile appel de phares.
 
20.05.00 Jeudi soir j'ai regardé Pola X, par intermittences, en faisant beaucoup d'autres choses à la fois, comme téléphoner à C. pour lui annoncer une bonne nouvelle, faire chauffer de l'eau pour le thé, ou encore surveiller la copie k7 pour Rodolphe de notre passage sur Radio Libertaire. Et je dois dire que subissant les épreuves de mon dillettantisme appliqué, ça a très bien tenu le coup, Pola X, j'ai trouvé ça plutôt accrocheur... Si bien que je l'ai visionné à nouveau le lendemain mais cette fois ci dans sa continuité, religieusement, et ça m'a profondément plu, j'ai trouvé ça admirable, c'est un film qui me parle complètement, qui est très limpide pour moi.
Autant depuis Les amants du Pont-Neuf j'emprunte volontiers le Pont des Arts quand je me rends d'une rive à l'autre, autant Pola X m'a réellement captivé, tellement envoûté que même pour annoncer une bonne nouvelle ou me verser un thé précieux (deux de mes sports préférés) je n'aurais pas la seconde fois pris le risque de la discontinuité.
 
Jean-Vic me fait écouter quelques morceaux choisis des Pale Fountains, un groupe duquel je suis complètement passé à côté. A priori c'est du The Smiths light, entre les Smiths et Wet Wet Wet, avec des accents The Supremes dans certains morceaux. Jean-Vic me dit que ce n'est pas si faux, que dans les années 80 à Liverpool on écoutait beaucoup de musique afro-américaine comparé à Manchester, qu'on était davantage tourné vers le monde. Pour parer ma déception devant ces Pale Fountains il sort de sa sacoche une excellente version live de Some girls are bigger than others.
Avec Johnny Marr démonstratif et irréprochable à la guitare, et Morrissey dont Jean-Vic est convaincu qu'il n'a jamais aussi bien chanté que dans ce live, ce qui me console car à l'écouter je trouve sa voix notamment dans les écarts entre graves et aigus bien plus épouvantable que la mienne. Ensuite, nous prenons un café à Auteuil, et nous réfugions d'une bourrasque de pluie dans le hall de mon immeuble, quand l'une des très jolies filles qui le peuplent déboule avec un parapluie ouvert qu'elle coince dans la porte de la cour, un gag à la Buster Keaton qui provoque chez elle un fou-rire hystérique, et elle passe devant nous avec son fou-rire pour toute contenance avant de s'engouffrer dans une voiture garée en double file, ce qui fait dire à Jean-Vic qui a le sens de la synthèse : "Elle est très jolie, mais qu'est ce qu'elle a l'air conne : c'est sûrement un mannequin!"
 
21.05.00 Avec l'immeuble en ravalement, Auteuil ressemble un peu à New-York. Les échelles extérieures reliant les échafaudages d'un étage à l'autre, et la nouvelle voisine du dessus, très belle, et qualité principale pour un voisin du dessous, étrangère à toute notion de haute fidélité. (Je parle musique bien sûr.)
 
29.05.00
 
La lumière analytique des Jardins de l'Observatoire.
Hôpital Cochin. Devant le plateau repas qu'on lui a apporté pour déjeuner, Rodolphe me dit :
- Aujourd'hui j'ai tout mangé, mais enfant j'en aurais jamais voulu de cette daube, c'est bizarre comme on devient..."
 
Samedi soir, au Fumoir rue de L'amiral de Coligny. Auparavant, apéritif au Coolin où Christian a commandé des kirs et deux assiettes de nachos avec de la sauce salsa et du fromage fondu. Il dit :
- Dans les pays nordiques les jeunes sortent pour se torcher. Et quand les bars ferment, ils vont tous chez l'une ou l'un d'entre eux pour baiser. L'ironie quand même, c'est que ce sont des pays où les filles sont jolies et donc t'as pas besoin d'être bourré pour baiser!"
 
X me dit que je suis comme Chatterton; parce que je suis un poète, ce sera dix fois plus dur pour moi que pour un autre de me sentir bien et d'aboutir à ce quoi je tends.
 
05.06.00 En sortant poster un courrier pour le programmateur du MCM Café, je me laisse enrôler par le temps venteux et pluvieux, une atmosphère exceptionnelle et douce d'après-midi de décembre. J'achète du thé rue de l'Annonciation, et des doghnuts au Carrefour de la Porte d'Auteuil.
Christian m'a téléphoné de Londres pour me raconter cette mésaventure: puisqu'il commence à s'ennuyer dans son travail - pourtant lucratif - de vendeur d'espaces pour des compagnies d'électricité, il a profité de son dimanche après-midi pour aller dans un web café, taper et mettre en ligne un cv. Or le programme d'élaboration des cv a gardé en mémoire celui d'une jeune anglaise qui a précédée Christian sur l'ordinateur du web café, probablement dans la matinée.
Notre ami ne s'est évidemment pas gêné pour lire le cv de la jeune fille (et pour me l'envoyer par mail). Elle se prénomme Louise, suit les cours de la très respectable London Contemporary Dance School, et, détail qui n'est pas sans laisser Christian indifférent, elle a 21 ans.
Et maintenant, une leçon de tempérament donnée à tous les timides qui en affaires amoureuses ont pris le parti de laisser les hommes de main du destin se tourner les pouces.
Que croyez vous que Christian ait entrepris?
La jeune fille, cv oblige, ayant laissé son numéro de portable dans l'attente d'un coup de fil d'un hypothétique employeur, Christian s'est empressé de lui envoyer via téléphone un mini message qui dit en substance : "Bonjour, je te contacte car une amie que nous avons en commun m'a donné ton numéro de téléphone, après m'avoir affirmé que nous ferions la paire tous les deux, que nous devrions absolument sortir ensemble!"
Le mystère vaguement flatteur, le romantisme échevelé de la situation ont évidemment poussé la jeune fille à répondre sans délai (toujours par mini-messages):
- De quelle amie s'agit-il? S'est on déjà rencontrés?"
Christian est très fier de son coup, bouillonne au téléphone. Je lui conseille cependant de ne pas répondre tout de suite, d'attendre au moins un jour, pour laisser agir l'imagination de la jeune fille.
X, à qui je raconte cette histoire, me dit, pas très fair-play:
- Et ça ne vous est pas venu à l'esprit une seule seconde que c'était peut-être une fille super moche qui pour se caser avait eu recours au subterfuge de laisser son cv sur Internet? Le truc évident pour attraper des gogos tels que vous!"
 
09.06.00 Mercredi reçu ce mail de Christian :
"Louise got back to me: (1) She is basically saying that she is sorry for asking more about the friend than about me. She says that she would be curious to meet me but is not certain
her boy friend would like....
Two minutes later she is sending one more message (I have not responded in the
mean time): (2) "My enthusiasm"
Guess that if she did not enjoy my messages, I would not have heard from her...
Suggestions regarding next move..?"
Je lui réponds aussitôt, estimant que c'est le moment d'attaquer, de proposer un rendez-vous (dans tous les sens du terme).
 
Jeudi, mail lapidaire de Christian, anxieux:
She wants to know "when and where?"
 
Acheté une énième - mais très belle - édition en anglais d'Ada ou l'ardeur. X me dit qu'il a réduit du tiers son cercle d'amis. Qu'il ne recherche plus dorénavant que la compagnie et l'amitié de gens "intéressants". C'est assez prétentieux. Plus humblement, il me suffirait de fréquenter des personnes avec lesquelles on ne s'ennuie pas mortellement, et de nos jours c'est une quête suffisamment difficile comme ça...
 
Dans certaines maisons de disques, au poste de directeur artistique, c'est tellement les chaises musicales qu'ils finissent par en avoir peur de la musique.
 
17.06.00 La longue marche jusqu'à la courte échelle.
 
20.06.00
 
"Femme qui rit à moitié dans ton lit"...et femme qui pleure à moitié dans ton coeur.
 
22.06.00 Déjà, avant, dans le milieu de la Pop, tout le monde il était le nouveau Gainsbourg, maintenant tout le monde qui chante il écrit son journal intime sur sa page perso.
Dans un sens c'est très triste que mon Journal ait du succès, parce que je suis en train de faire croire au tout venant que chaque chanteur a quelque chose d'intéressant à dire en dehors de ses chansons.
Mais bon, soyons bon prince et plutôt fier de susciter des vocations, relevons donc par exemple dans le Journal tenu depuis un mois sur leur page perso par les sympathiques Goo Goo Blown (qui figuraient avec nous sur la compilation Planet of Sound) la date du 24 mai 2000:
"Nous avons fait un concert pas trop mal en première partie de Venus. Un concert approximatif, des guitares non accordées ou mals, des morceaux à tout berzingue. On est comme on est. On a pu tester sur scène notre nouveau morceau Devilish FantaZia. Que dire, une sorte de ballade piège, une douceur qui ne demande qu'à exploser...
Florence portait une jolie robe Courrèges jaune avec je cite « des poches en forme de pacman »."
Mes lectrices et lecteurs auront d'emblée compris que ce qui m'intéresse dans ce petit paragraphe, c'est simplement ce tronçon de phrase: Florence portait une jolie robe Courrèges jaune (...)
Florence portait une jolie robe Courrèges jaune, Florence portait une jolie robe Courrèges jaune. Qu'est ce que tu peux dire après ça? C'est définitif. C'est trop fort. C'est la fin du monde.
 
25.06.00
 
Concert très chaleureux à Maules sous le chapiteau Latcho-Drom. Festival organisé pour la Croix Rouge par l'association Toumélé. Gentillesse admirable de tous les bénévoles. Nous avons, je crois, charmé et conquis de cent à deux cent personnes qui n'avaient jamais entendu notre musique. Le concert a duré une bonne heure et demi parce que je me suis montré plutôt loquace entre les morceaux, l'ambiance était prompte à la confidence (vraie ou fausse), il avait plu toute la journée et quand nous sommes entrés sur scène aux alentours de 21 h 45, le soleil était revenu, juste pour une toilette du soir sans nuages, baigner la clairière du chapiteau et se coucher. J'ai dit au public: "Ce matin pendant les balances, on a eu peur, il pleuvait des cordes, mais avec les jeunes gens de la Régie on s'est servi de ces cordes pour tendre les toiles du chapiteau, et permettre au soleil de revenir."
Après le concert, une jeune fille de l'organisation s'est précipitée vers moi pour me dire : "Je suis désolée pour le monde...". Comme je m'étonnais, elle poursuivit : "oui, deux cent personnes, on en attendait plus, mais la pluie toute la journée, l'euro 2000 à la télé..."
C'était très charmant de sa part et je l'ai rassurée en lui assurant que pour moi c'était parfait, vu de la scène le chapiteau était comble et l'ambiance exquise.
Racontant cela plus tard à Rodolphe, j'ajoute avec amusement:
- Tu imagines, c'est pas au Sentier des Halles que la gérante elle vient te voir pour s'excuser qu'il n'y ait pas le nombre de personnes espérées!
 
Retour à Paris après le concert, soirée chez Franck, agréable et très classe. Buffet choisi avec goût. Bienfaisance de la glace à la vanille vers trois heures du matin. Il y avait une fille très charmante (qui a également, si ce n'est davantage, tapé dans l'oeil de Rodolphe) et qui en quittant les lieux m'a fait un bisou en me disant étrangement "On ne s'est pas vu" alors que j'ai passé une bonne demi-heure assis en face d'elle, même si effectivement nous n'avons pas échangé le moindre mot, chacun harponné dans son petit groupe de parole.
A sa politesse déguisée en regret, j'ai répondu d'une voix blanche et poétique : "Au moins on se sera dit au revoir."
 
Dans le chagrin d'un soir, si familier qu'on s'y sent vivre, quand tout porte à la mélancolie, nous retrouvons ce temps de l'enfance, dilaté sans la peur de l'échéance, de la disparition, cette volupté de l'amour impossible comme gage d'une douce et contagieuse immaturité, où l'attraction des uns pour les autres ne prenait pas la necessité d'une consommation directe, immédiate, tu me plais je te plais allons dans un coin nous déplaire à nous mêmes, il y avait le temps long, paisible et sans urgence d'emporter le regard de la voisine, de détourner ses fictions, la stratégie raisonnée et dorénavant peu valable de devenir un frère avant d'être un amant, il y avait une mélancolie active, qui travaille, se nourrit d'un calendrier scolaire, je jouais au tennis seul en renvoyant ma balle contre le mur brûlant...et Florence portait une jolie robe Courrèges jaune.
 
28.06.00
 
Douce promenade matinale Boulevard St-Germain. Hier soir j'ai visité un appartement avec Céline et Rodolphe qui cherchent à s'installer ensemble, rue Rodier, dans le neuvième arrondissement. Immeuble étonnant avec tous les locataires qui mènent une vie très jeune et conviviale de sit-com américaine, la cage d'escalier sur quatre étages chargée de guirlandes, figurines et décorations de Noël, simplement "oubliées" d'avoir été rangées depuis décembre dernier!
Hier, au St-Augustin, 18h45, deux filles qui prennent un verre à la sortie du tennis, chaussettes basses sur baskets, deux raquettes bâchées posées à côté de leurs jambes nues (2 et 2 font 4) interminables. L'une est en short, l'autre en jupe courte. Christophe me dit que je devrais demander des copyrights sur les Journaux intimes qui deviennent un leitmotiv chez les chanteurs des groupes français abonnés à Internet ou à Planet of Sound. Il ajoute que je suis de mauvaise foi pour le Florence portait une jolie robe Courrèges jaune, que c'est "le truc attalien par excellence". J'en conviens. D'ailleurs, aucune mauvaise foi de ma part, puisque justement j'ai relevé ce passage comme étant celui qui m'intéressait le plus, quant à demander un copyright sur les filles que je n'ai pas...c'est une idée de la poésie et de la mélancolie un peu extrémiste tout du moins très audacieuse.
Dans la rue les gens déambulent suspendus à leurs portables, ils ne suivent plus un chemin mais une conversation, non seulement le téléphone portable démontre de la manière la plus manichéenne qui soit que le hasard n'intéresse personne en tant que mode de vie, mais en plus il ordonne à chacun d'être joignable sur l'instant, avec si peu de désir ou de science du moment que ça en devient une contrainte ou une obligation, un type qui possède un portable et ne répond pas au bout de la troisième sonnerie devient automatiquement suspect dans l'amitié qu'il vous porte, comme s'il vous en voulait de quelque chose, détenait une raison contre-nature de ne pas se laisser joindre par vous. Encore plus qu'hier, on se parle pour (un) rien et bientôt ça dispensera de se voir, un type et une fille se téléphonant pourront très bien se croiser physiquement dans la rue sans même se reconnaître car trop absorbés dans la conversation qui les relie; en même temps on se donne les moyens d'être rattrapé partout; je ne sais pas ce qu'ils se disent tous, mais dans le quartier latin aujourd'hui ça papote à en vomir, c'est l'ère de l'anecdote et du dépassement de forfait.
Christian, dans ses oeuvres (internationales), a rancardé ce soir en tête à tête une jeune tchèque dans un resto branché et très chic de Londres.
- En parlant de chic, me dit-il, c'est bien parti, parce qu'on a dîné il y a trois jours avec des collègues parmi lesquels cette jeune fille d'origine tchèque, et au milieu du repas au lieu d'étendre mon bras au travers de la table pour attraper les assaisonnements, je lui ai demandé le plus poliment du monde si elle voulait bien me les passer. Whoooa! s'est elle exclamée, qu'est ce que tu as comme classe Christian! Ce n'est pas dans mon pays que les garçons se comportent avec tant de manières à table!
- Dans le mien non plus!" aurait pu répondre Christian. Mais sans doute a-t-il deviné qu'il y gagnait en tout point à se laisser flatter sans moufeter.
J'ai acheté l'album de Katerine, Les Créatures, pour la chanson l'appartement que j'avais entendue chez Samuel, scandée par ses caractéristiques : "Tout mortel cette chanson!".
Alors parlons immobilier, un appartement c'est quoi? Un hôtel particulier du pauvre...
Bon j'exagère, c'est vrai que tout le monde il est le nouveau Gainsbourg, mais convenons que Katerine s'en sort plutôt bien. Très bonne chanson.
Il y a du foot à la télé. Je sors me promener dans Auteuil très calme où, sur la placette face à l'église, il y a quelques filles accroupies autour d'un jeune chevelu qui gratte péniblement trois accords de guitare, et se prépare sans doute à la pêche à la finlandaise sur la plage du Canet.
En rentrant je déballe le livre "The Essential Groucho" trouvé ce midi à la librairie anglaise, fais chauffer l'eau pour le thé, et me jette sur la chronique: "Why Harpo doesn't talk?".
 
01.07.00 Paola et Stéphane Baroni m'ont invité à déjeuner au Coolin, jeudi midi. Tandis que nous nous installons dehors, Paddy Sherlock me hèle, lui-même attablé en terrasse en très (très) charmante compagnie. Il me dit tout de suite:
- Tu as vu qui est là? Dora! La serveuse (voir au 29.11.98.) Elle est revenue. (elle était partie) Je lui ai parlé de toi l'autre jour parce que cherchant mon nom sur le moteur de recherche Google, voir si j'étais référencé avec mon groupe et le groupe P18 (dont Paddy fait partie) je suis tombé sur ton journal à la page où tu parles du Coolin et de Dora, et je lui ai rapporté qu'un jeune homme lui consacrait un poème sur Internet, ce dont elle était très surprise et intriguée. Tu veux que je te la présente?"
Et pendant que Paddy cherchait des yeux la jeune fille qui servait des Coca-light et des Guiness extra cold quelques tables plus loin, je lui ai fait comprendre que non, que je n'étais pas trop dans l'ambiance - ce qui était vrai - que je venais déjeuner calmement avec des amis et que les présentations m'embarrasseraient plus qu'autre chose.
Stéphane a trouvé très jolie la jeune fille qui accompagnait Paddy. Très jolie. Elle a commandé un Orangina. Ce détail m'a frappé et j'ai été envahi sur l'instant d'une longue, extra-dry tristesse, songeant que je ne me souvenais pas de toute ma vie avoir fréquenté des filles qui commandent à la terrasse d'un café un Orangina, je veux dire spontanément.
Quant au Coolin, c'est une bonne nouvelle que l'adorable Dora soit revenue prendre du service; l'été s'annonce d'excellente composition.
 
02.07.00 Orage régénérateur. X au téléphone me dit:
- Je ne sais pas si tu te rends compte, mais il y a un effet Brocéliande aujourd'hui sur Paris."
Je regarde le documentaire Jean Marais par Jean Marais à la télévision (que j'ai déjà vu deux ou trois fois; en fin de documentaire, cette phrase très humble, pleine de reconnaissance, de Jean Marais: "Dans la vie, ça a toujours été une injustice à mon profit...") et lis d'une traite The professor of desire, de Philipp Roth, excellent, et encore en disant excellent, c'est assez réducteur.
Retrouvant dans des cartons une photo de Nathalie Bachmann par Dominique Isserman, je la punaise au mur en l'honneur de l'effet Brocéliande et du personnage de Helen Baird, sublime, dans le roman de Philipp Roth.
A la question de mon marchand de journaux concernant un départ en vacances, je réponds par la négative et il me dit "Je sais très bien ce que vous voulez. Ce que vous voulez, c'est garder Paris pour vous tout seul."
 
07.07.00 Il a plu à gros bouillon toute la journée, aussi ne fut elle pas délicieuse dans les ténèbres de l'été, l'apparition de cette fille en sandales de plage très élégantes, à léger talon en bois avec un carré de tissu paille-or recouvrant le haut du pied, qui monte dans la rame comme moi à Michel-Ange Auteuil et descend quatre stations plus loin, rue de la Pompe.
Elle va avoir l'air fine, rue de la Pompe, avec ses sandales.
 
Prise entre une souricière d'éclairs naturels au dehors et une autre de néons lumineux de supérette chic au dedans, une jeune anglaise les cheveux blonds noués en une natte, une veste en jean bleue foncée dessous laquelle dépasse un petit haut blanc brodé, très travaillé, sur une jupe grise suffisamment courte pour laisser flotter immatériellement deux jambes blanches qui finissent par s'embourber dans des bourrelets de chaussettes de tennis et de grosses baskets péraves. Nous nous observons un peu avec complaisance, et puis tout d'un coup je pense - je passe - à autre chose, je m'attarde sur l'idée que si Marcel Proust avait vécu aujourd'hui, il aurait longé de son domicile le boulevard Haussmann pour venir s'extasier, non pas sur une madeleine, mais sur la finesse, la banalité exotique, la simplicité et donc la formidable étrangeté du sandwich Marks and Spencer.
 
09.07.00 Ne pas considérer comme une défaite de n'avoir su insuffler aucune moralité, aucune rigueur, aucun tempérament à certains de ceux avec lesquels j'ai travaillé, construit des choses dans le domaine de l'artistique, en revanche ne plus se faire de la bile à éprouver à plus ou moins long terme leur lâcheté, leur absence de droiture morale, leur passivité, leur mesquinerie et leur étroitesse d'esprit, ajouté à ce que Stéphane Zagdanski nomme dans son dernier ouvrage : "la jalousie des ratés".
 
Luxe de boire un chocolat chaud en plein mois de Juillet, la pluie qui tombe abondamment contre les carreaux de la fenêtre, une tasse de hot coco accompagnée d'une part de tarte à la mirabelle.
Il y a des matinées où vous vous réveillez à côté d'une fille, vous prenez une rapide douche, trottez jusqu'à la boulangerie la plus proche, et là parmi une file indienne de types seuls - en pantalon de jogging ou pas - qui achètent invariablement deux croissants au beurre ou - comble de la fantaisie - deux petites brioches sucrées émus par le souvenir tout chaud des seins de celle qui les retient quelque part, vous n'avez d'autre choix ou d'autre inspiration, on ne se refait pas, que d'opter pour une gigantesque tarte à la mirabelle.
 
Professeur de désir de Philipp Roth, longtemps que je n'avais pas lu un roman qui me bouleverse tant. J'écoute Au pays de mon premier amour de Katerine.
 
X: je n'ai jamais rencontré un être aussi inerte et peu soucieux des gens avec lesquels il s'engage, si tant est que ce verbe ait pour lui une quelconque signification.
Dans ses rêves il doit se prendre pour quelqu'un de volontaire mais c'est juste un porteur de cantine dans la bataille des consciences.
C'est triste mais quand je pense à lui, l'image la plus précise et définitive qui me vient à l'esprit, est celle d'une cacahuète qui attend le salage.
 
10.07.00
Avec sa mini-jupe et ses jambes élancées dans la fraîcheur du soir, elle fit une entrée aussi cool et chaloupée que l'arrivée sur Paris par le tunnel de Saint-Cloud.
Pour accompagner son entrée, si le dj avait eu un tant soit peu de djugeotte, il aurait joué: Some velvet morning, de Lee Hazelwood.
 
D'après David, X est le style de fille hype qui va s'extasier pour la forme sur le dernier Death in Vegas, mais qui est du genre à écouter du Joe Cocker en cachette.
 
J'admire toujours avec un étonnement mêlé de vanité le peu d'effet que je fais sur les connes.
 
13.07.00 De l'usage de la franchise comme sauf conduit de la bêtise. Un type qui va débiter les pires âneries justifiera son discours en proclamant qu'au moins il est franc, qu'il a l'honnêteté de dire ce qu'il pense, peu importe que ces propos soient complètement à côté de la plaque, erronés ou stupides, il se dédouanera de réfléchir, à ses yeux comme vis-à-vis de ses interlocuteurs, du moment qu'il se sent parler ouvertement, insistant constamment sur le courage de sa parole censée valider en toute occasion la justesse de ses idées; mais malheureusement l'ouverture de la bouche n'est pas proportionnelle à l'ouverture d'esprit, ou alors... les poules auraient des dents.
 
Avant hier, j'ai subi les réclamations de mon groupe (Jean-Pierre, Frédéric, Cyrille), les interrogations téléguidées dans le style: "Nous nous demandons si l'image que tu donnes de nous dans ton journal intime ne va pas nous nuire par la suite etc. etc."
 
15.07.00
Tandis que j'écoutais X et ses leçons de morale à deux balles, je songeais: garde ta morale pour toi et file moi les deux balles pour m'aider à sortir mon cd.
 
X me dit qu'il a revu par hasard telle jeune femme qui lui a aussitôt demandé de mes nouvelles.
- Elle t'aimait beaucoup, me dit X, tu excitais sa fibre maternelle. D'ailleurs, tiens, elle est tellement excitée de fibre maternelle que je la vois bien donner le sein à son mec! Y a des filles comme ça. Moi, poursuit X, j'étais avec une fille qui adorait me donner le bain. Me faire prendre des bains! Et je m'y pliais de bonne grâce dans les premiers temps, mais pouah! que j'avais horreur de ça! Car, tu vois, j'aime être seul dans ma salle de bains."
 
En regardant la vidéo du défilé Gaultier haute couture hiver 2000/2001, je pense au tableau de Duchamp: Nu descendant l'escalier.
Dîner à La Marine, quai de Valmy. Je prends une salade de goudda et de mozzarella (moyen), suivie d'un mille feuilles de rougets (succulent) et d'un café (noisette). David me parle de la beauté des filles à Aix en Provence (dénudées avec la saison) qu'il a pu endurer lors d'un récent déplacement.
 
19.07.00 Vers 14 heures, aujourd'hui: de très belles femmes arpentent le rayon librairie de la fnac Montparnasse.
 
Un jour j'ai eu 19 ans et depuis la vie a consisté à oublier l'odeur des pulls de X, l'odeur de la lessive avec laquelle sa mère lavait son linge le week-end, en prévision d'une semaine dans un pensionnat pour jeunes filles d'un coin huppé de la banlieue parisienne. L'odeur de cette lessive précisemment, mêlée à l'odeur naturelle de son corps, chaud, fragile et irritable.
 
29.07.00 Une nuit de la semaine dernière, la foudre et le tonnerre ont respectivement lacéré le ciel et grondé de manière imprévisible et violente, sans interruption pendant une heure ou deux, aussi le matin je ne fus pas tellement surpris en voyant les pompiers s'affairer dans la petite cour formée par l'encadrement des bâtiments, or la raison en était toute autre, le décès d'une voisine, une vieille dame d'origine asiatique décédée sans douleur dans la nuit, et que j'apercevais de temps à autre l'après-midi, prendre un bol d'air et effectuer inexorablement une petite ronde dans la cour.
Elle vivait seule. Un jour, il y a de cela plusieurs mois, elle s'était écroulée en larmes dans le hall de l'immeuble, confrontée à la méchanceté d'une employée de la Fnac Service qui venait de lui vendre un format de piles inadéquat pour son poste radio et, après que la vieille dame s'en fut aperçue et retournée aussitôt à la Fnac, l'employée avait refusée de les lui échanger prétextant que le magasin était maintenant fermé depuis cinq minutes, que si elle se trouvait encore derrière son comptoir c'est qu'elle avait deux trois bricoles à régler avant de partir en week-end, mais qu'elle n'était plus habilitée à satisfaire les désirs du client, qu'il faudrait de fait repasser non pas demain parce que demain c'était fermé mais lundi, et la vieille dame asiatique toujours très polie même devant tant de vitupération et d'inconséquence, avait obtempéré; puis après avoir marché quelques mètres, à l'idée qu'elle allait être privée de sa radio tout le week-end, s'était écroulée en sanglots en passant le porche.
Cette histoire me fut rapportée avec émotion par Marine qui venant me rendre visite ce soir là, passa le porche en même temps que la vieille dame, et la voyant en larmes, paniquée, comme une enfant abandonnée, lui demanda si elle pouvait de quelque manière que ce soit lui être secourable. Après que la vielle dame lui eut racontée en étouffant ses larmes son histoire de piles, Marine s'en alla d'un pas décidé à la Fnac Service arracher le bon format à la vendeuse éberluée qui haussait les épaules et soufflait comme un boeuf pour bien signifier qu'elle avait eu une journée fatigante, pensez vous un samedi, et n'était pas à la merci du bon vouloir des clients après l'heure de fermeture!
Quand Marine eut rapporté triomphalement les bonnes piles à la dame âgée, celle-ci dont les larmes de tristesse s'étaient changées en petites larmes de gratitude, rieuses, invita Marine à prendre une tasse de thé dans son appartement.
Les jours qui ont suivi l'orage, j'ai songé à cette vieille dame asiatique, qui avait raconté à Marinecombien elle était solitaire par la force des choses et pauvre aussi, pratiquement sans ressources à l'exception de ce minuscule appartement dans un quartier chic, puis elle avait proposé à Marine de venir la visiter de temps en temps, mais la timidité, la peur de déranger même des personnes qui adoreraient être dérangées par quelqu'un d'autre que le releveur de compteurs EDF, et la vie qui apporte à chacun son lot de tracas à surmonter et d'énigmes solubles ou insolubles à résoudre au quotidien, ont fait que Marine n'a pas, à ma connaissance, eu l'occasion de retourner voir la vieille dame.
Aujourd'hui la vielle dame est morte. Je n'ai pas parlé de cette mort à Marine qui cette semaine a eu son lot de soucis et fut déjà d'une fragilité extrême quant à la vie, j'y ai donc pensé seul, et gardé cette mort pour moi, jusqu'à ce que je l'écrive maintenant, maintenant que le soleil revient, et qu'il rend déjà lointain la nuit d'orage de la semaine dernière. J'ai aussi pensé à cette fille de la Fnac Service, qui n'y travaille plus depuis un bon bout de temps, mais qui doit exercer ailleurs sa mauvaise humeur à la fin d'une semaine difficile.
C'est comme ça, que voulez-vous, il y a des gens qui ont eu une journée exténuante et dont le client qu'ils viennent d'envoyer sur les roses, va, lui, trouver le repos éternel, calmement, au milieu d'une nuit agitée.
 
30.07.00
J'ai apporté les films pour la jaquette et la bande master du disque à la boîte de pressage. L'album sortira de l'usine dans moins de quinze jours. Ensuite, ce sera le moment de vérité...
Dîner avec David dans son nouveau quartier; il vient d'emménager rue Nollet, entre la Place Clichy et les Batignolles. Chez lui, où nous prenons l'apéritif, il me fait écouter un disque des Smithereens, Blood and roses une très bonne chanson pop de ce groupe américain issu des années 80. Quand nous sortons du restaurant rue des Dames, entrent deux filles dont une avec un fichu, pas mal fichue.
 
X: une liane avec des épaules et une poitrine lasses, bronzées et jolies. Un beau brin de fille comme on dit, qui en plein été rend le coup d'oeil aiguisé des garçons coupant comme la faux dans la peinture symboliste. Elle a été très gentille avec moi, s'est montrée très soucieuse de notre rencontre. J'ai pensé qu'il aurait fallu un néologisme pour parler de ses seins, et j'ai trouvé: grandilotrash.
 
01.08.00 Je ne peux pas disparaître une journée, il y a toujours un nouveau problème qui survient, et qui malgré la bonne volonté d'un tel ou d'un tel ne se réglera pas sans que j'intervienne physiquement à un moment ou un autre. C'est un leurre, tout du moins dans un travail où vous êtes le système nerveux, et quel que soit le nombre de personnes impliquées, c'est un leurre de croire que les problèmes vont se résoudre dans votre dos. Il faut se battre sans mesure et sans cesse battre la mesure; être à la source et assurer les relais, à tous les niveaux.
Du moins, tant que vous n'avez pas un clip qui passe en boucle sur M6.
 
Marine me rapporte les propos de Georges Bécot, metteur en scène de théâtre, qui lui parlait récemment du découragement qui l'avait saisi en préparant sa pièce:
- Aujourd'hui les gens dès qu'ils n'ont pas l'impression de gagner 200 balles, ils foutent rien! Parmi les personnes avec qui je travaillais sur mon dernier spectacle, il y en a qui ne se gênaient pas pour me faire sentir qu'en venant bénévolement participer à ce spectacle, et bien que libres d'y participer ou pas, ils perdaient cent francs du petit boulot qu'ils avaient dû quitter plus tôt pour venir aux répétitions!"
- Quand Georges, ajoute Marine, disait qu'il fallait du tissu pour tel ou tel décor, il y a des participants, des acteurs, qui trouvaient incroyables qu'on puisse leur demander à eux d'aller se démener pour chercher du tissu!
Ce qui est triste, me dit Marine, c'est que les gens n'ont aucune conscience de leur niveau d'investissement."
 
03.08.00
 
Coucher avec...coucher sous...coucher sur... coucher dans...et encore debout.
 
05.08.00 Il y a des personnes sidérantes qui vous ont vu la veille une bonne partie de la journée, et qui vous appellent le lendemain au téléphone en vous demandant: "Alors, quoi de neuf?"
 
07.08.08.
 
Il y a des personnes sidérantes qui vous ont vu la veille, et qui vous rappellent le lendemain au téléphone en vous demandant: "Alors, quoi de neuf?"
 
Vendredi soir je suis allé chercher Christian à la Gare du Nord. Nous sommes allés dîner au Royal Belleville, vers une heure du matin, une cantine asiatique où c'est un peu l'usine mais dotée d'une ambiance très spéciale, avec pour clients une faune hétéroclite de nuitards, d'artistes sans le sous, et de gens du quartier .
Ce week-end j'ai enfin compris quel était le métier de Christian, je m'étais trompé à la date du , cela dit ne demandez pas à un type qui est au chômage comme moi de comprendre le métier de types qui travaillent et gagnent plus de 20 000 par mois, car ce serait comme demander à quelqu'un qui n'a jamais lu Dostoïevski de spéculer sur la nature de l'attirance entre Nastassia Filippovna et le prince Mychkine. Donc Christian est une sorte de courtier dans le domaine de l'énergie, et il raconte qu'en Angleterre il y a un pic de dépense d'énergie aux alentours de 17 heures, et je comprend enfin ce qui nous rapproche Christian et moi depuis toutes ces années, et réduit à néant toutes les distances qu'il peut y avoir entre un viking et un ménestrel, c'est que Christian ne fait rien d'autre que spéculer sur l'heure du thé.
 
Aux dernières nouvelles X va se faire virer de son travail. Comme elle est enceinte, elle préfère arrondir les angles et dire qu'elle ne reprendra pas, après avoir accouché. Elle vit avec un type qui roule sa bosse dans le domaine juridique, un vrai connard qui mesure son bien-être à sa stature, et qui est odieux avec elle, très lunatique, un mec acariâtre qui la traite comme une chienne; là encore, X arrondit les angles, lui cherche toujours des excuses et lui passe de la pommade en société. Dans chaque conversation qu'elle peut avoir à l'extérieur, elle n'arrête pas de vanter les mérites de cet homme avec qui elle va avoir un enfant; mais lui il la méprise. Il ne voulait pas d'enfant tout de suite. Et comme ils vont devoir déménager pour un appartement plus grand, il passera sans doute un peu de sa colère un soir où elle aura tardé à préparer les cartons.
Y qui la connait également, synthétise la situation en disant que c'est une fille complètement dépassée par son processus de couple. Parfois, il m'arrive de penser qu'on devient rapidement prisonnier de ses rencontres, ce n'est même plus une question de lâcheté, parce que ce serait certainement la même chose avec quelqu'un d'autre, il y a simplement que l'on devient trop las pour recommencer à zéro, et du moment qu'on arrive à construire dans sa prison une chambre avec vue sur la mer, alors on accepte les soupirs sans conséquences de la médiocrité.
 
15.08.00
Ca avait été une journée de travail particulièrement éprouvante pour lui. Parfois, au milieu de la paperasse qui s'agglutinait sur son bureau, des compromis, de la patience incroyable qu'il faut pour argumenter au téléphone et faire passer une idée à-priori simple, il respirait en pensant que cette après-midi là elle était restée à la maison; qu'elle devait diluer son odeur délicate, irrésistible, en passant d'une pièce à l'autre, de la cuisine où elle prendrait de l'eau fraîche dans le réfrigérateur jusque dans le canapé du salon où elle s'installerait, après s'être déchaussée; à demi-allongée avec un magazine. Qu'il l'imaginait belle dans ce travail qui consiste à s'ennuyer délicieusement, à préparer un dîner tout préparé, et à jouer les passe-muraille dans l'opacité de l'absence.
Il était rentré, enfin, harassé. Il avait prit une douche qui ne l'avait pas guéri de sa fatigue. Ils avaient fait l'amour et ça ne l'avait pas guéri de sa fatigue. Ils avaient dîné sommairement. Depuis la minute où il avait franchi le seuil de la maison, elle avait fait l'enfant et l'avait relancé plusieurs fois en insistant très fort pour qu'il l'emmenât danser. Elle lui avait demandé encore, se tenant derrière la porte de la salle de bains avec une cigarette allumée, pendant qu'il prenait sa douche. Elle lui avait demandé avant, et après qu'ils eussent fait l'amour.
Il était fatigué, les yeux rouges et la tête embrumée, mais après le dîner durant lequel ils n'avaient pas trop parlé, ni l'un ni l'autre, comme il n'aimait rien de plus au monde que de lui faire plaisir, lui faire plaisir et lui donner du plaisir, il alla jusqu'au porte-manteaux chercher dans la poche de sa veste les clés de la voiture. Elle l'embrassa, courut aussitôt vers la chambre pour aller changer de robe.
La fatigue eut quand même raison ce soir-là de la volonté d'un homme de faire plaisir à la femme qu'il aime. Faire plaisir et donner du plaisir. Que vient faire la fatigue dans tout ça?
Après, quand on raconte la suite de l'histoire à des gens qui les connaissaient, elle ou lui, que la voiture a quitté la route et s'est encastrée à vive allure dans un arbre, que dans la violence du choc elle a été tuée sur le coup, ce qu'on retient surtout, c'est qu'elle voulait aller danser et qu'il a dit oui.
Dans la suite de l'histoire, la fatigue, on s'en fout.
 
17.08.00 Revu L'homme qui aimait les femmes de Truffaut. Charles Denner y est époustouflant. Quelques scènes admirables comme celle de la baby-sitter et celle où Denner retrouve par hasard le grand amour de sa vie dans un hôtel parisien. En revanche la scène d'ouverture et la scène finale au cimetierre, même si j'en comprends l'argument, m'emballent moyen. En tout cas ce qui est absolument charmant tout le long du film c'est la vision de ce temps désuet où les gens continuaient à se vouvoyer après avoir couchés ensemble. Il est où ce temps là, maintenant, dites, il est où?
 
21.08.00
 
( J'ai reçu du courrier dans lequel on me dit "J'aime beaucoup le personnage qui s'appelle X, c'est un sacré personnage.". Donc, n'ignorons pas les lecteurs les plus enthousiastes et risquons nous à une petite mise au point: autant le dire tout de suite, quitte à choquer ou désarçonner les plus fervents d'entre vous, IL N'Y A PAS DE PERSONNAGE QUI S'APPELLE X.
Pardon sincèrement du chagrin que je cause - j'en suis conscient - avec de telles révélations, mais j'emploie X comme une lettre générique qui masque l'identité de la personne en question - puisque le propos est justement de ne pas en faire un personnage - et sous le terme de X je peux aussi bien parler de quelqu'un qui m'est proche que d'une vague connaissance; d'une amoureuse à qui il ne faut pas trop promettre, comme d'une amoureuse qu'il ne faut pas trop compromettre.
Et lorsque je mets en cause dans un même récit deux personnes que je n'ai pas envie pour diverses et multiples raisons de citer nommément, je me vois contraint d'employer X et Y; Y n'étant pas dans ce cas l'initiale d'un copain qui s'appellerait Yannick.
En revanche, quand je dis: Florence portait une jolie robe Courrèges jaune; ce n'est même pas moi qui parle. )
 
27.08.00
 
Cela fait un an que David me bassine avec Eyes Wide Shut en me soutenant que c'est un film parfait pour moi, que je ne peux qu'ADORER. Je l'ai vu cette semaine et en effet c'est d'une beauté à couper le souffle. Tout simplement magistral. Je mets bien trois jours à m'en remettre et à commencer à penser que le propos est un tantinet moraliste tout de même...
 
Repérages pour le tournage de l'émission sur la Cinquième. Très bonne entente avec le réalisateur : Sébastien Folin. C'est une série de douze émissions dont la diffusion est prévue pour Noël, (un peu sur le principe de "Dancing in the street" l'émission sur les divers courants musicaux produite par la BBC) qui trace un panorama de la chanson française par thèmes: nous apparaîtrons dans la catégorie nouveaux talents dans l'émission intitulée "les Guerriers du verbe", partageant le générique avec des images d'archives sur Gainsbourg, Souchon, Daho, et une interview de Thomas Fersen par Alain Manneval. J'ai écrit un petit scénario auquel Sébastien Folin a apporté de très bonnes idées. Nous tournons la semaine prochaine dans une école des alentours de Rambouillet. Cyrille s'est investi totalement dans le projet, s'est occupé de recruter les enfants qui vont jouer les élèves, et comme il travaille en ce moment dans un supermarché pour pouvoir payer les répètes, il va essayer de demander qu'on lui fasse un prix pour acheter des boissons et des gâteaux afin de préparer un goûter pour les enfants sur le tournage.
 
01.09.00
 
Photo du tournage de l'émission musicale pour la Cinquième qui sera diffusée à Noël:
 
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Dernière soirée du mois d'août: pique-nique sur le Pont des Arts, ambiance bohème chic. Il y a des jeune gens qui viennent spontanément et vous souhaitent "bon apéro", des gens du quartier et puis d'autres qui se sont donnés rendez-vous par Internet: l'internaute qui prend l'initiative envoie un mail à trois copains en leur demandant à chacun de proposer le même rendez-vous à trois copains et ainsi de suite. Je me suis fait un peu houspillé parce que j'avais apporté entre autres tomates cerises et chips au vinaigre, des sandwichs Mark and Spencer, et Céline m'a expliqué gentiment que quand même le principe du pique-nique c'est d'apporter ses ingrédients, saucisson, pain, pâtés, fromages et de réaliser soi-même sur place ses sandwichs plutôt que de grignoter du tout préparé, aussi abstrait, esthétique et efficace que cela puisse être.
Il y avait une jeune fille qui portait une jupe grise et des escarpins, et qui s'est accoudée à la rambarde - non loin de là où nous nous étions installés - pour regarder les monuments s'illuminer dans la perspective des Jardins du Pont-Neuf.
J'aimais la façon dont elle caressait son mollet gauche du haut de son pied droit - gloire soit rendue aux moustiques de Paris, puis tapotait les planches du bout de son escarpin; ses jambes blanches et nues illuminées jusqu'à l'entrebâillement de sa jupe, quand les lumières rasantes d'un bateau mouche lui passait en dessous.
 
06.09.00
Je suis toujours surpris de la vitesse avec laquelle les gens sont prêts à la résignation. Même les plus enthousiastes d'apparence, qu'on reconnaît de loin car ils ne dupent qu'eux-mêmes avec leurs envolées: "Ce qui est bien pour moi", "Je ne conçois pas d'autre...", "Je ne me vois pas vivre ailleurs que..." on sent déjà qu'ils n'ont en vérité aucun désir pour eux mêmes sinon celui de se fondre dans la mode, et leur enthousiasme est si factice finalement qu'on est tout disposé à leur pardonner leurs contradictions. Ils ont la défaite neutre et resteront des compagnons charmants dont l'égoïsme plat et l'aptitude écoeurante à la résignation n'est pas à prendre en compte quand il s'agit simplement de se voir une ou deux heures par mois pour aller boire un café.
 
Hier soir. Elle portait des lunettes et, dans la soirée fraîche, un pull blanc en laine avec le tracé en rouge du drapeau américain, décousu.
 
Il pleut sur Paris et c'est un délice. Je regarde en DVD le concert de Barbara à Pantin en 81. C'est là que ça a commencé je crois, la folie des spectateurs, les applaudissements déchaînés entre les morceaux, l'adhésion totale, unique du public. La Beatlemania, à côté, c'est du sirop de canne.
C'est à Jean-Christian que je dois la découverte de Barbara; c'est drôle parce que j'ai revu Jean-Christian à la télé aujourd'hui; il travaille à Canal+ et pour la première fois il est passé à l'antenne pour une rubrique dans Nulle part Ailleurs midi. J'étais très triste parce que je ne reconnaissais plus du tout sa voix; autrement ça fait sept ans que je ne l'ai pas vu, et il m'est apparu tout de suite aussi familier que n'importe quel chroniqueur télé. Je ne sais pas comment préciser cette impression: il avait pris le pli, il devenait davantage consistant dans l'immédiateté de la télé que dans le lointain de mon souvenir. D'une plus grande épaisseur dans la netteté indifférente et sympathique de l'écran, que dans la tendresse fluctuante et floue du passé. Cette triste révélation m'a préoccupée un bon moment, et puis je suis de moeurs légères, Jennifer Kouassi est réapparue sur l'écran...
 
09.09.00
Rodolphe:
- Si les filles pensaient comme les mecs, on doublerait la capacité sexuelle de la planète."
 
X affirme que je suis un bo-bo, il a lu ça dans Elle, c'est la contraction de bourgeois-bohème. Je proteste et il me rétorque qu'une des caractéristiques du bo-bo est d'aimer Madonna davantage pour son personnage que pour sa musique, et en effet il y a un peu de cela.
 
Hier soir 20h55 à la station Concorde je déambule dans les couloirs du métro avec X pour prendre la correspondance, et tout en discutant je déchiquette machinalement mon ticket en petits morceaux; nous tombons alors sur une escouade de contrôleurs dont un, blond de taille moyenne aux yeux bleus injectés de sang, fait barrage et nous demande notre titre de transport; devant l'état pitoyable de mon ticket il me colle une amende de 120 francs pour ticket déchiré en me montrant le règlement.
J'essaie de m'expliquer. Le shérif de Nothingham du couloir de métro ne veut rien savoir. Il va même jusqu'à insinuer que je suis un malin et que c'est une stratégie délibérée de ma part de ramasser par terre des petits morceaux de ticket au cas où je tomberais sur un contrôleur.
Je me dispense cependant de lui conseiller de poser sa candidature aux prods de fiction télé qui cherchent des scénaristes dans leurs efforts pathétiques de pomper NYPD blue.
A un mètre de moi, pendant que je m'ébroue façon Un monde sans pitié : "mais c'est pas nous les voleurs etc." une jeune fille qui s'est également fait arrêtée, très jolie, m'envoie un sourire compatissant.
J'explique toujours à l'inflexible contrôleur comme dans Un monde sans pitié que ce n'est pas moi les bandits. Et là il me répond:
- Vous avez vu la carrière de Rochant depuis? Et vous osez me dire que c'est pas vous les voleurs?!"
Non, en fait, il ne m'a pas dit ça, je viens de l'inventer, et encore je suis de mauvaise foi car j'ai beaucoup aimé le film les Patriotes.
Bref le méchant contrôleur me colle une méchante amende, la jolie fille me gratifie d'un joli sourire, et je repars avec X maudissant la tuile qui vient de me tomber dessus, qui plus est dans un souterrain.
Et c'est là, qu'à ma stupéfaction, X me dit:
- En même temps on ne peut rien lui reprocher à ce type, il a fait son travail, il a appliqué le règlement!"
Et là devant cette prise de position aberrante pour moi dont la seule faute fut d'avoir déchiqueté mon ticket dans l'enthousiasme de la conversation avec X, je demande à X dans quel camp il se trouve, et en même temps que je lui pose cette question je vois déjà un gros sticker RATP se coller en surimpression sur son front.
Incroyable! X qui justifie ma contravention en parlant règlement alors que lui il ne s'en fait pas vraiment du règlement quand il fume à tout va du shit, en fournit à des gens qu'il rencontre, de quoi dépanner comme on dit, et 100 francs par ci, et 200 francs par là, et ensuite il vient me parler règlement ?
La jeunesse me déprime.
 
10.09.00
Musique. Pour le groupe, au commencement, j'eus souhaité que les rapports fussent plus étroits, plus ténus, qu'il y ait dans la création comme sur les concerts une ambiance euphorique et secrète, la pensée mobilisatrice qu'on participe à une aventure spécifique; avec pour nos chansons une recette enchanteresse, mystérieuse et imperméable pour l'extérieur, et entre nous une solidarité consciencieuse, indéfectible, comme on imagine le climat qui régnait sur les plateaux de Kubrick; mais les musiciens sont pour la plupart moins profonds et plus volages qu'une jeune fille de 15 ans, ils ne savent résister aux sollicitations ou pressions extérieures, ils seront toujours intéressés si le leader d'un autre groupe tout tocard ou jaloux qu'il puisse être vient les débaucher en flattant leur style de jeu. C'est peut-être d'ailleurs très viable quand on est musicien, c'est peut-être ce qu'on recherche: jouer de son instrument et être reconnu pour ça, sans s'embarrasser d'autres considérations... mais pour les caractères comme le mien c'est un peu décevant, un peu difficile, bien qu'en même temps ça éclaire les raisons pour lesquelles Kubrick ne s'est jamais montré intéressé pour réaliser les Sept Mercenaires.
 
Musique. Dans le cadre de la promotion du disque, ma journée vient d'être filmée pour alatele.com, la télé montée par Michel Field sur Internet. La diffusion est prévue pour lundi, à 20 heures. Comme je m'entends très bien avec le réalisateur, Sébastien Folin, (que j'avais rencontré sur le tournage de l'émission pour la Cinquième) je l'ai emmené en banlieue dans le studio où nous répétons le concert du MCM café avec le groupe, puis à St-Germain-en-laye, et chez moi à Paris où nous avons terminé par une séquence consacrée au Journal Intime.
En parlant de mon Journal Intime, Christophe me rapporte qu'un questionnaire rempli par les lecteurs de Planet of Sound à la Route du Rock l'a plébiscité comme étant l'une des trois valeurs sûres du fanzine.
Nous avons parlé clip vidéo avec Sébastien, et sommes tombés d'accord sur le fait qu'il fallait avant tout un scénario imparable; quand bien même un scénario imparable réduit à une idée percutante.
En parlant de scénario imparable et d'idée percutante, j'ai essayé de sortir mes poubelles en même temps que sortait les siennes ma voisine du haut (qui est charmante), mais je n'y suis pas arrivé.
Et comme les caméras d'alatele.com étaient parties, c'est mon Journal qui écope de l'anecdote.
 
18.09.00
Brisé, j'ai refusé l'invitation à dîner d'une princesse, ce qui a failli occasionner un incident diplomatique avec ma vanité.
J'ai écrit une chanson qui s'appelle: Gauguin - Guingouin.
Je suis allé dans le XVIII ème arrondissement chez une fille sidérante qui pour toute bibliothèque possède: un volume de L'impressionnisme en deux volumes, le guide du promeneur dans la nature, Marrakech: demeures et jardins secrets, La pratique des tests psychotechniques, et Paris from the air.
J'ai pris le menu D dans un grill japonais où je suis allé dîner après un spectacle déprimant dans lequel un type qui se met une banane dans le cul provoque l'hilarité de 350 personnes.
Dans le grill japonais j'ai supporté la proximité d'un abruti qui croit qu'il suffit de parler fort pour être écouté, et qui s'est senti obligé pour amuser la galerie de se comporter d'une manière particulièrement odieuse avec le serveur dans le genre imitations de l'asiatique façon Michel Leeb. Il aurait bien pris ma main dans la gueule, si celle-ci ne s'était trouvée - à ce moment précis - dans la culotte de ma voisine de table.
Sinon toutes les personnes que j'ai fréquenté ces temps ci ont toutes sans exception prononcées un mot de trop qui, démasquant leur fatuité, m'a retranché immédiatement dans une solitude amère et triste; la solitude qui ne pardonne rien, intransigeante et délicate des fils uniques.
Samedi soir j'ai dîné d'un thé brûlant et d'une tablette de chocolat de dégustation aux éclats de cacao. Dans le hall d'un théâtre j'ai lu une note aux trapézistes rédigée par l'union chrétienne des jeunes gens de Paris qui stipule que "seules les personnes ayant payées leurs cotisations et dont les noms suivent sont autorisées à entrer dans le gymnase". Je me suis dit que parfois je me sentais dans la vie comme un trapéziste qui n'a pas payé sa cotisation.
Dans mon émission de radio "La vie rêvée des ondes" que j'anime tous les jeudis sur une station locale, je me suis demandé "Où une fille si jolie que X peut-elle bien vivre?" et j'ai ajouté : voilà le genre de questions avec " me reste-t-il assez de lames de rasoirs dans mon paquet pour tenir toute la semaine ? " et " pourquoi la copine du voisin est toujours plus excitante que la mienne " que nous autres garçons nous posons fréquemment.
A part ça, le disque de Jérôme Attal & les Argonautes est à partir d'aujourd'hui disponible en fnac au prix de 99 francs, ce qui est plutôt une bonne et grande nouvelle.
 
21.09.00 Le titre de P.J. Harvey, A place called home, en boucle toute la journée.
Après-midi d'hier passée chez Samuel où j'écoute les bidouillages euphorisants des maquettes de son groupe, My old Sofa. Très bonnes chansons, legs show notamment, la rencontre de Beck l'espiègle et du Folk Implosion mâtinée de Beatles et Gainsbourg, périodes album blanc et Melody Nelson.
Samuel le fêtard m'accueille en sortie de bains à une heure de l'après-midi, et je prends place dans ce repoussoir de génie qui lui sert d'appartement, d'où je peux identifier et recenser: un big jim pendu au plafond, un aquarium ovale à poisson rouge rempli à moitié de mégots de cigarettes, des bouteilles de bières décapsulées un peu partout, des livres de photographie, un pot de nutella avec une grande spatule emplâtrée dedans qu'on dirait un pot de peinture dans l'atelier capharnaüm du peintre de Three Studies for figures at the base of a crucifixion.
Je lui demande comment il fait quand il reçoit une fille. Il m'assure que quand il reçoit une fille, il faut s'y prendre trois semaines à l'avance, mais bon, tout est rangé.
 
24.09.00 Rentré du bureau de vote j'ai été pris d'une grande fatigue, un point qui me lançait au dessous de l'épaule gauche. J'ai ouvert grand la fenêtre, deux filles discutaient dans un appartement voisin. Je les imaginais étendues sur des sofas, pieds nus, fumant et et se penchant avec souplesse à intervalles réguliers vers un cendrier marocain posé à même le sol.
Ca me fait penser qu'hier soir j'ai joué au con avec une américaine et une française, et y ai gagné, pour une nuit, la double nationalité.
J'écoute Bob Mould chanter sur l'album the 6ths "Hyacints and Thistles" - doit on traduire en français par un aussi joli titre que: Jacinthes et filles seules ?
Emmanuel me téléphone pour m'inviter à une soirée qu'il organise le 28 octobre prochain. Il me dit gentiment qu'il se débrouillera pour que j'aie du thé, au risque encore de me faire passer pour un excentrique et me faire haïr par certains des réguliers des soirées d'Emmanuel qui déjà me haïssent pour ce que j'avais rapporté d'eux à la date du 16.01.00 .
Cela dit ça me donne un alibi au cas où ils se jetteraient sur moi pour me lancer: "Pour qui tu te prends, espèce de connard?" j'aurais la réponse toute faite et très chic: "Pour quelqu'un pour qui on prévoit du thé à une soirée de 200 personnes dont la plupart boit de la Heineken au goulot."
Emmanuel qui a depuis longtemps gagné ses galons d'organisateur de fête, me prévient que le thème de la soirée sera "Ange ou démon". Si ce genre de thème facilite dans un premier temps l'illustration des cartons d'invitations, une fois sur place on se rend rapidement compte qu'il n'y a qu'une seule fille sur cinquante, plutôt timide et un peu boudinée, qui s'est prise au jeu et est venue habillée en blanc de la tête aux pieds avec des petites ailes en aluminium qui lui pendent dans le dos, et bien entendu c'est cruel, injuste et embarrassant à la fois, mais le fait est qu'elle a l'air parfaitement ridicule.
 
26.09.00 A Paris, la nuit, les grandes traversées du désert se font, le plus commodément du monde, un verre à la main.
De toute façon ce n'est pas le nombre de gourdes qui manque entre deux points de ravitaillements.
 
29.09.00 Pour le concert du MCM, comme nous n'avons toujours pas trouvé le bassiste adéquat et de niveau raisonnable pour se joindre au groupe, nous répétons avec Jildaz de Nolderise qui est venu nous prêter main forte. C'est un vrai bonheur de travailler avec Jildaz: ponctuel, inspiré, travailleur et créatif. Il sera sur scène avec nous le 10 octobre et le 14 octobre.
 
02.10.00 Un temps de bord de mer entre le boulevard Raspail et le boulevard de Port-Royal.
Tout le trajet en voiture j'ai pensé à la souplesse de sa démarche dans la rue, ses cheveux attachés, ses pantalons amples tombant sur des baskets colorées qu'elle portait nus pieds, un fin pull beige jeté sur ses épaules.
 
11.10.00 Partagé sur ma prestation d'hier soir. Il y avait du monde, l'espace était dilaté et j'ai eu du mal à installer le climat plus serré, chaleureux et complice, à la fois pertinent et impertinent qui sied à la représentation des chansons, selon.
Heureusement le public est plus indulgent que moi et vit les choses dans leur globalité, du moins dans une durée différente, aussi j'ai eu beaucoup d'échos enthousiastes et très positifs. Seul Jean-Vic apparemment a bien senti que je n'étais pas autant à l'aise que d'habitude: fatigué par le travail titanesque de promotion, les incertitudes quant à l'avenir, les déceptions face à l'indifférence de certains médias & du milieu, ajouté aux éléments extérieurs - personnels, politiques, atmosphériques - déchaînés, je suis entré sur scène avec une petite forme que je n'ai pas réussi à transcender sauf à l'occasion de deux trois chansons.
Céline a entendu quelqu'un demander chez qui le disque était sorti et distribué, et toujours le public qui nous découvre pour la première fois de s'étonner que nous ne soyons pas encore signés, ce qui a le don d'exaspérer Rodolphe:
- Le pire c'est que les types des maisons de disques qui ne font même pas l'effort de se déplacer aux concerts, ils te soutiennent qu'il n'y a pas de public pour la Pop française!"
 
Rentré à deux heures du matin en taxi. Pas réussi à dormir, préoccupé par ma prestation sur scène qui me donne l'impression d'être resté sur ma faim. Je repassai le concert dans ma tête. Des réparties encore plus justes - comme une partition- des attitudes encore plus charismatiques se bousculaient à mon esprit, mais trop tard.
En même temps je commence à me faire une idée plus fine du live; malheureusement nous n'avons avec le groupe jamais le temps ou la préoccupation d'approfondir.
 
J'ai pris le métro à l'aube et ai traversé les jardins du Luxembourg, glacials. J'ai voulu m'acheter un livre (de plus) sur les Primitifs flamands, mais pas assez d'argent.
Dans le métro en rentrant à Auteuil vers 13 heures, j'ai été fasciné par le visage d'une jeune fille blonde qui dessinait avec un crayon à papier sur un ticket de métro, discutait plan de coupe avec sa voisine de strapontin qui tenait sur ses genoux un grand livre avec des textures et des photos de Saturne.
Je me suis senti une dizaine de fois depuis hier soir, comme un trapéziste volant à qui l'on a interdit l'entrée du gymnase.
 
18.10.00 Elle s'est dépêchée de terminer son service. Il devait bien être une heure et demi du matin. Les autres employés continuaient à ranger, à préparer la salle qu'il fallait remettre dans un état impeccable pour le lendemain midi. Elle a ôté sa blouse, pris son manteau sur le crochet et s'est dirigée sur le perron du Buffalo grill de Coignères. On n'y voyait pas à dix mètres. Un temps humide, un brouillard épais. Quelques voitures passaient sur la nationale, dans les deux sens: certaines à tâtons, prudemment, d'autres en trombes, comme des fusées pressées d'en découdre avec la purée de pois. Les feux tricolores pourtant très proches étaient invisibles, à peine une lueur rouge dans l'opacité grisâtre. Elle est restée cinq, dix minutes comme ça, lasse et impatiente, en bas des marches, à scruter à l'aveuglette en direction du parking au moindre vrombissement de moteur; puis rapidement a compris qu'il ne viendrait pas la chercher, qu'il avait sans doute oublié - elle n'avait pas osé lui passer un coup de fil dans la soirée entre deux commandes, c'était stupide - au bout de cinq, dix minutes donc, elle a sentie qu'elle s'était montée la tête avec cette histoire, qu'elle n'était pour lui que menue monnaie.
Plus personne alors à cette heure-ci pour venir la chercher - elle n'allait pas téléphoner chez elle et réveiller son père, elle avait fait assez d'histoires comme ça pour pouvoir être quasi-indépendante à 19 ans, c'est sûr que son père il lui renverrait dans la gueule, il ferait des remarques tout au long du trajet, plus qu'elle ne pourrait en supporter - et personne pour la raccompagner à Rambouillet en pleine nuit à dix kilomètres de Coignères. Elle s'est retournée vers l'entrée du restaurant, il était deux heures du matin, les salles s'éteignaient les unes après les autres sous l'impulsion de ses collègues qui commençaient à s'agglutiner devant la porte, prêts à rejoindre leurs voitures sur le parking. Elle gravit les marches du perron et dit à la poignée de garçons qui totalisait avec elle ce samedi soir le personnel du Buffalo grill de la ville de Coignères qu'il n'y avait personne pour la raccompagner chez elle, qu'elle ne savait pas comment faire, et après l'avoir écoutée, sans se soucier finalement de comment la jeune serveuse avec laquelle ils venaient de travailler allait se débrouiller pour rentrer, tous sans exception firent la sourde oreille et chacun se contenta d'objecter mollement qu'il partait dans l'autre sens, qu'il prenait la nationale en direction inverse, "Tu comprends, ce n'est pas du tout ma route...".
Il ne lui restait pas d'autre choix que celui de suivre à pied la nationale, dans la nuit froide, avec au ventre ce mélange de peur, de tristesse et de colère. Un mélange connu, une sensation retrouvée sur le temps de l'enfance. Elle marchait tout près de la chaussée, tendant son pouce frénétiquement aux voitures qui émergeaient d'un bloc de la masse épaisse du brouillard. Effrayée de tomber sur quelqu'un de dangereux, un homme louche ou une bande de jeunes types surexcités.
Elle a marché ainsi pendant près d'un quart d'heure. Elle était frigorifiée, tremblante et avait le visage secoué de larmes quand Cyrille s'est arrêté en voiture, dans la nuit de samedi à dimanche sur la nationale 10 entre Coignères et Rambouillet. Le fait d'entrer dans la voiture, de comprendre qu'elle était en sécurité et que Cyrille la raccompagnerait jusque devant sa porte, eut pour effet immédiat de libérer la jeune fille de toutes ses angoisses, ce qui se manifesta aussitôt par une violente crise de larmes dans laquelle elle s'abandonna tandis qu'elle s'installait sur le siège avant à côté de Cyrille. Après un moment, elle retrouva ses esprits et son sourire.
Cyrille, de s'être arrêté comme ça en pleine nuit sur cette nationale, est devenu mon héros.
Et longtemps j'ai rêvé de pannes sèches dans le brouillard humide pour les types déplorables du Buffalo grill de Coignères en Yvelines.
 
24.10.00
Fête avenue Parmentier. Beaucoup de monde entassé dans un espace restreint. Après s'être fait acculés stratégiquement près du buffet, épaules contre épaules, nous avons gagné les fenêtres et le balcon - pas plus large qu'un ticket de métro - sur lequel nous nous sommes vite retrouvés avec l'impossibilité de revenir en arrière, face au nombre impressionnant de convives, nouveaux venus et nouvelles Venus qui débarquaient dans l'appartement.
Dans le catch américain, il y a un jeu qui s'appelle la Royale rumble, deux catcheurs sont face à face dans le ring et un nouveau belligérant arrive toutes les deux minutes. Et bien c'était à peu près la même chose à la différence qu'un deux-pièces du onzième arrondissement de Paris n'est pas un ring et qu'en conséquence pour faire de la place on ne peut pas envoyer quelqu'un valser par dessus la troisième corde! Cela étant - au bout de dix minutes- impossible de se dégager du balcon où nous étions bien une demi-douzaine - et pas que des poids moyens! - agglutinés dans la douceur du soir comme des parachutistes attendant de fondre sur une proie hypothétique qu'on ne peut cibler à l'oeil nu - et ce malgré la vue plongeante du cinquième étage.
Je songeais soudain avec effroi que ces immeubles datant du baron Haussmann n'avaient pas été conçus dans la prescience du concept du samedi soir où des types joyeux et éméchés battent de la semelle sur la compil des tubes de l'année 1986, et je voyais déjà le balcon se décrocher comme une vulgaire plaque de balsa et nous entraîner irrémédiablement vers le bas pour nous transformer en hachis sur l'avenue Parmentier, puis je me souvins des toiles de Sisley et des Impressionnistes où les bourgeois gagnent les balcons pour assister aux défilés du 14 Juillet; cet appui si j'ose dire, cette intervention d'origine esthétique me rassura si bien qu'en rentrant chez moi, dans la nuit noire argentée vers 1h30 du matin, j'aurais pu crier "je vous aime" à cette fille assise de face sur le porte-bagages d'un vélo qui filait sur la piste cyclable de la rue de Rivoli, entre le Louvre et la Concorde.
 
27.10.00
Lundi dernier nous sommes restés un bon moment avec X sur le seuil du Ben and Jerry's de l'avenue des Champs Elysées, dans la file indienne, derrière une fille très jolie en treillis et coiffée d'une casquette. Quand elle eût pris et emporté sa commande au bout d'une dizaine de minutes - indécise ou pointilleuse? - et que fût venu notre tour, nous sommes partis sans rien demander, nous détachant de la file comme un pan de banquise emporté vers le large, à la stupeur de la marchande de glaces.
 
Je serais bien resté toute une après-midi - et pourquoi pas jusqu'à ce que le soleil se couche- à quelques centimètres de cette très jolie fille qui n'en finissait pas de passer sa commande au comptoir du Ben and Jerry's de l'avenue des Champs Elysées.
 
29.10.00
St-Germain-en-laye est une ville bien triste et plutôt glauque le samedi soir. On comprend Louis XIV qui s'y étant réfugié pendant la Fronde a trouvé l'endroit si sordide et si froid que son aversion l'a motivé pour construire Versailles et ses magnificences. Sans être historien, je suis tout disposé à croire que chassé de Paris par la Fronde, Louis XIV arriva à St-Germain un samedi soir.
 
Dans un bar minable où nous nous retrouvons avec l'inénarrable Christian fraîchement débarqué de Londres, David tire sur une cigarette mouillée en racontant rêveusement qu'à Cuba on peut coucher avec des filles superbes pour seulement 10 $.
 
Puis nous partons dîner dans un restaurant indien cher et infecte, avant de rejoindre dans une clairière de forêt d'autoroute balayée par la tempête, la fête organisée par Emmanuel dont le thème aux relans d'Haloween s'intitule Ange ou démon (voir au 24.09.00), ce qui amène Christian au raisonnement suivant:
- Si il y a des filles déjà moches à la base, elles n'ont pas intérêt à venir déguisées en Dracula!" .
 
Malgré toute la sympathie que j'ai pour Emmanuel, je dois bien avouer que sa soirée était ratée: 200 personnes, ambiance conviviale et bon enfant, ok... Mais qu'il y ait 200 ou 30 personnes une soirée qui comporte 85 % de garçons est une soirée ratée, tout du moins totalement dénuée d'intérêt, car vous en conviendrez on ne va pas dans une soirée de plus de 10 personnes pour faire la conversation, nouer amitiés sincères et affinités électives.
La seule présence de Christian cependant nous a sauvés David et moi de l'ennui le plus morbide. Christian a débuté son festival en s'attirant d'entrée de jeu l'inimitié du barman (qui était très fier avec sa tenue de chippendale déprimé - t shirt et pantalons noirs - et son micro casque, un micro casque comme celui que portait Jean-Luc Lahaye dans Lahaye d'Honneur, et qui devait surtout lui servir selon l'hypothèse de David à communiquer avec le fond de sa bouteille) Christian s'est donc attiré les foudres du barman, le blessant dans son orgueil en lui demandant un gin-tonic... sans gin!
Le type a haussé les épaules l'air de dire:
- Mais c'est qui ce débile?" en cherchant mon approbation, moi le bon client qui avait commandé un coca réglementaire, il a cherché mon approbation, mais ne l'a pas trouvée.
Au bout d'une dizaine de minutes, Christian qui n'en est pas à une audace près, s'aventura athlétiquement une deuxième fois au bar pour commander un... Schweppesse!!!
En confiance il se mit à accoster de manière tonitruante les rares filles qui passaient là où nous nous tenions, c'est à dire non loin de l'entrée des toilettes, sous mon impulsion, par choix stratégique.
Ainsi, par exemple, surprenant dans une conversation une fille confirmer à une autre: "On était ensemble en maternelle" Christian s'interposa incongrûment et prenant à partie l'une des deux:
- Ah bon, dit-il, on était ensemble en maternelle?
La fille surprise mais n'osant le rembarrer lui répondit:
- Peut-être. Nous, nous étions à la maternelle rue d'Assas.Toi aussi t'y étais?
Et Christian, définitivement très en forme:
- Oh, tu sais, moi en maternelle, je ne connaissais pas le nom des rues..."
 
A un autre moment, Christian attrape au vol le prénom d'une fille, Ariane, une blonde pas trop mal, et dix minutes plus tard fonce vers elle avec un sourire des plus aguicheurs:
- Ariane!!! Comment vas-tu?! Tu te souviens de moi?
La fille qui se prenait sans nul doute pour la plus belle fille de la soirée, avantage qui en toute occasion donne le droit aux pimbêches et aux connes d'être encore plus pimbêches et plus connes, le dévisage de bas en haut, et s'exclame:
- Non pas du tout, on ne se connait pas, c'est con hein?!" avant de déguerpir dans la foule des convives, fière, ridicule et désolante comme une petite miss St-Germain-des samedis soirs.
 
Cela étant, au final, Christian était bien content de la soirée.
- Ca n'a pas bougé, c'est exactement le même genre de soirée que quand j'avais 18 ans, le chauffage en moins. En tout cas on a sorti de bonnes vannes. Je vais vous dire un truc les gars: je suis bien content parce qu'à Londres et dans mon travail il y a très peu de gens qui apprécie ce genre d'humour."
David aussi était satisfait de sa soirée. Il a discuté avec une fille qui avait un grand nez pour finir par la juger d'un trait cinglant:
- Celle-là, elle peut fumer sous la douche." Dans la voiture, en rentrant sur Paris, David joyeusement éméché plaque contre mon oreille le haut-parleur de son téléphone portable où sa copine vitupère un bon quart d'heure en explosant d'une voix aiguë, hystérique et délirante, sa boite vocale: "Tout ce qui te restera dans la vie, ce sera tes potes "et ce genre de reproches si convenus qu'ils en deviennent comiques...d'ailleurs David se tord de rire. De l'autre oreille j'écoute sur l'auto-radio les chansons magnifiques et mélancoliques d'Arnaud Fleurent-Didier, mon disque de chevet - ces derniers temps - avec le nouveau P.J. Harvey of course.
Nous sommes restés en tout et pour tout trois heures. Je me suis fondamentalement ennuyé si j'excepte les apartés réjouissantes de mes deux camarades. Pendant qu'ils parlaient avec la fille au long nez et sa copine, j'ai suivi les péripéties d'un couple qui a déboulé dans la fête en échappant à la vigilance de la réception, donc sans payer les 100 francs par tête de droit d'entrée, mais avant de se fondre dans la masse ils ont été repérés par un type qui avait un micro casque et qui a ainsi pu en prévenir un autre qui en a contacté un troisième, et les Bonnie and Clyde des soirées d'Emmanuel se sont faits pincer en arrivant prêts du bar où le Warren Betty douché au Drakkar noir a dû s'amender pour lui et sa copine d'un billet de 200 francs. J'ai suivi cette poursuite policière de trois minutes avec un soupçon d'intérêt qui trahit probablement mon amour comme ma frustration pour la série policière de David Milch et Steven Bochco, NYPD Blue, que je trouve beaucoup moins efficace depuis que Jimmy Smits a quitté la télé pour le cinéma.
C'était un samedi soir tempête. Une nuit noire et un vent glacial. Je suis allé à cette soirée par amitié pour Emmanuel, mais aussi il est vrai si je creuse mon état d'esprit à trois heures du matin, dans le vague espoir de croiser X qui aurait très bien pu s'y trouver: voisinage, connaissances communes, etc... mais X n'est pas venue.
C'est souvent comme ça.
 
31.10.00
Je ne peux pas acheter une baguette de pain sans penser au plaisir que j'éprouvais enfant à dévaler les escaliers de l'immeuble où nous habitions, une pièce de cinq francs dans mon poing refermé, pour courir jusqu'à la boulangerie à deux trois pâtés de maisons, dans la nuit froide, précoce et virulente d'un automne liquide vers les dix-huit heures trente, quand la foule turbulente dans le quartier de la gare s'activait d'un magasin à l'autre, avant de rentrer chez soi. Les coupe-vents, les manteaux des dames, chauds et parfumés, les étals éclairés des marchands, et les intimités brûlantes suspendues dans les étages dont les fenêtres donnaient sur la rue.
Ma mission était essentielle pour mon jeune âge et j'en avais conscience: acheter la baguette de pain, le liant, le lien, le sceptre du souper; seul, comme un grand, dire merci quand la boulangère me rendait la monnaie ainsi qu'on me l'avait appris. Puis je rentrais à la maison galvanisé par l'importance qu'on m'avait donné, ma mission accomplie, ralentissant l'allure devant la vitrine du magasin de jouets et croquant à pleine dents à l'une des deux extrémités du pain: d'abord la croûte, dure, épineuse, puis la mie fraîche qui s'amollissait sous la langue; c'était comme la récompense prise sur la course, le tribut légitime; on ne se faisait jamais gronder pour ça une fois rentré à la maison, jamais tiré les oreilles pour avoir décapité la baguette.
Aujourd'hui encore quand je croise dans la rue des gens qui tiennent une baguette de pain dont le croûton a été mangé, je ne peux m'empêcher de leur trouver un air et une bonhomie enfantins, une insouciance et un sens de l'honneur juvéniles, une forme étrange de liberté, un air étrange de détachement, c'est drôle et à la fois c'est comme appartenir à un club très fermé, dans la nuit hâtive et glacée, le club des vieux enfants sages et insouciants à la baguette de pain rognée.
 
02.11.00
Dans l'épisode des Sopranos de cette semaine, deuxième saison sur Canal Jimmy, le personnage (et l'actrice qui le joue) de la D-girl, très belle, très excitante...extraordinaire!
En parlant de filles, un internaute, lecteur attentif, tient à apporter quelques précisions à propos de la soirée d'Emmanuel que j'ai décrite peut-être un peu trop lestement à la date du 29.10.00, principalement - je dois le reconnaître - un passage que j'ai vécu lointainement, sans saisir distinctement ce qui se racontait, mais qui m'a été explicité par la suite par Christian.
Soucieux de rétablir la vérité (du moins une autre version des faits) je retranscris ici son mail dans son intégralité en y laissant en italiques le passage auquel il fait référence:
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" A un autre moment, Christian attrape au vol le prénom d'une fille, Ariane, une blonde pas trop mal, et dix minutes plus tard fonce vers elle avec un sourire des plus aguicheurs: - Ariane!!! Comment vas-tu?! Tu te souviens de moi? La fille qui se prenait sans nul doute pour la plus belle fille de la soirée, avantage qui en toute occasion donne le droit aux pimbêches et aux connes d'être encore plus pimbêches et plus connes, le dévisage de bas en haut, et s'exclame: - Non pas du tout, on ne se connait pas, c'est con hein?!" avant de déguerpir dans la foule des convives, fière, ridicule et désolante comme une petite miss St-Germain-des samedis soirs." Ca c'est ta version, maintenant, voilà ce qui s'est réellement passé puisque j'étais juste devant toi: "Ariane !!! Comment vas-tu ?! Tu te souviens de moi?" Réponse: "Quel est ton prénom ?" Christian: "Christian." Réponse: "Mais on se connait d'où ?!?" Christian: "..." Et Ariane est partie en rigolant car Christian est resté comme un con sans réponse. 1/ La fille que tu décris dans ton journal de merde est ma femme 2/ Si toi et tes potes n'arrivent pas à emballer une nana dans une soirée, ce n'est ni mon problème ni le sien. 3/ Elle n'habite pas à St Germain et c'est encore moins une pimbêche (tellement facile à sortir quand on s'est pris un vent en public). Je vais m'occuper de ton cas, j'ai horreur des abrutis qui se la racontent sur Internet... au prochain concert..."
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Cet e-mail n'est pas signé, son auteur a estimé sans doute qu'il était plus chevaleresque de proférer menaces et insultes en créant une fausse adresse (joie d'internet) : jerome.attal@caramail.com pour me le faire parvenir.
Cela se passe de commentaires, si ce n'est celui mélancolique que je devrais davantage faire attention au caractère inéluctable de ce qu'à mon âge, les filles que je croise en soirée sont de plus en plus des femmes mariées.
 
05.11.00 Les Feux de l'amour, suite: Christian me confirme sa version de la soirée du 28 octobre. Il ajoute: "En plus si le type t'écrit qu'il était juste devant toi c'est qu'il n'a dû rien capter aux propos échangés, car toi-même tu te tenais à l'écart, à une distance assez importante pour ne pas saisir la conversation." Le pire c'est qu'avec son intervention le type en question met en valeur un petit passage anecdotique qui se serait très bien noyé dans le flot du Journal. D'autant que je n'ai rien personnellement contre sa femme, ne lui ayant même jamais adressé la parole (si ça se trouve elle lit Lucrèce dans le texte, défile pour Jean-Paul Gaultier et tient un discours intellectuel sur le catch américain), c'est simplement qu'à travers cette anecdote j'ai voulu caricaturer ou fantasmer un type de personnage qui peut parler à chacun d'entre nous, une petite miss de banlieue chic. Et je crois que c'est dans cette intention que Christian m'a relaté cette anecdote, lui non plus sans aucune animosité particulière pour cette fille anecdotique (j'en rajoute une couche). Et c'est tellement flagrant que le mari n'a rien compris à ça, à la littérature, à la poésie, qu'il écrit avec importance: "Elle n'habite même pas à St-Germain"...
En fait qu'elle y habite ou qu'elle n'y habite pas dans la vraie vie, on s'en fout pas mal. Dans le récit le fait qu'elle habite St-Germain fait partie intégrante du parceque le récit s'intéresse à elle.
Mon erreur est d'avoir gardé sans doute son véritable prénom. Mais quand on s'appelle Ariane, avec tout ce backround mythologique, c'est trop tentant. Il y a une fille que j'aime beaucoup sur Internet, qui s'appelle Frannie (mon côté Salingérien maybe) et qui tient un Journal intime dans lequel, moins stupide que moi, elle utilise des pseudonymes à la place des vrais prénoms des gens qu'elle croise ou fréquente. Il y a dans sa vie un garçon qu'elle appelle Ulysse. Alors vous comprendrez que moi quand je tiens une Ariane, je ne vais pas la changer en Brigitte ou en Isabelle, non, quand je tiens une Ariane il est certain que je ne vais pas la lâcher d'un fil.
 
Week-end studieux, pas sorti en raison d'un rhume accaparant qui me laisse depuis vendredi soir dans un état stérile et comateux. Heureusement j'ai vu Sylvie vendredi matin et nous avons pu avancer dans les chansons, une que nous préparons pour Claire et également sur les textes des prochaines chansons de Vendetta. Travail créatif, très stimulant.
Vu trois films: Barry Lyndon de Stanley Kubrick (pour la deuxième fois), Europa de lars Von Trier et Les nuits blanches de Luchino Visconti d'après la nouvelle de Dostoïevski. Dans ces deux derniers films, tours de force stylistiques très habiles et très malins. C'était un bonheur, étant donné ma connaissance de la nouvelle de Dosto, d'évaluer et de comprendre au fur et à mesure du film tout le travail de re-création, d'inventivité fidèle et d'idées cinématographiques pertinentes et élégantes de Visconti.
Dimanche après-midi, je suis sorti confronter ma pâleur à celle de l'automne, un temps trop clair et venteux avec des bourrasques qui me fouettaient le visage rue Chardon-lagache, et j'entendais déjà bouillir l'eau pour le thé tandis que, quelques minutes plus tard, j'écouterais un disque de Chet Baker. En ce qui concerne Les Argonautes: le sens de la combine ayant depuis trop longtemps prévalu sur le sens du combat, nous nous retrouvons - sur mon initiative - à effectif réduit. Etant donné que je ne suis pas très disponible pendant deux semaines, c'est Cyrille qui prend les rênes et qui est chargé de relever le niveau. J'espère que nous pourrons repartir d'ici un mois sur des bases saines, roboratives, avec des musiciens volontaires et intelligents, motivés et motivants, préparer une tournée et promouvoir l'album comme il le mérite.
 
07.11.00 Lundi Christophe R. m'a invité à déjeuner aux Petits carreaux. Nous avons pris place l'un en face de l'autre au milieu d'une rangée de tables mitoyennes, et sur la banquette à côté de Christophe il y avait une fille très jolie au teint de lait, d'aspect nordique, et pas uniquement d'aspect nordique parce qu'elle déjeunait de toasts au saumon fumé.
Christophe m'a dit qu'elle avait une petite cicatrice sur la joue droite, détail que je n'ai pas remarqué. Puis, après une promenade dans un Paris déserté pour avis de tempête, nous sommes allés prendre un café au Fumoir. Rencontré o.lamm. Comme nous sommes timides Olivier et moi, et spécialement moi dans les rencontres à l'improviste, je n'ai pas trop su quoi lui dire en le saluant, sauf le féliciter un peu benoîtement pour sa sélection à l'affiche des prochaines Transmusicales de Rennes. Au Fumoir il y avait une fille qui semblait tout droit s'être échappée d'une peinture de Hans Memling, et cette sensation était accentuée par l'ambiance de cloître chaleureux et tamisée du Café, la rigueur des tables éclairées par les seules lumières de petites bougies chauffe plat, et le vent la pluie au dehors, incalculables, fouettant les grandes vitres; un temps de mer du nord qui conférait à l'intérieur toute la religiosité d'un béguinage brugeois.
J'ai accompagné Christophe à la Fnac Italiens (regardé à tout hasard si mon disque était en bacs, réponse négative) où il a acheté cet album insensé, kitchissime au possible, dont Pierre m'avait parlé: en pleine vague rock'n roll (Elvis Presley), Robert Mitchum joue les crooners sur de la musique traditionnelle des Caraïbes. Des titres aussi suggestifs et crétins que Coconut water, ou Mama, looka boo boo.
J'ai descendu les grands boulevards jusqu'à la sinistre église St-Augustin sous une pluie battante; les illuminations de Noël des grands magasins, sur les starting-blocs. Plus tard, David me téléphone pour me dire sa consternation devant l'imbécile de l'autre jour, et combien Monica Bellucci est belle en couverture du Elle de cette semaine.
 
J'ai pensé à certaines personnes qui avaient traversé ma vie, en voyant le générique d'un film de cinéma déliberemment accéléré, vitesse x3, x4, par une chaîne de télévision.
J'ai pensé qu'en amour ou parfois dans la foule sous la pluie fine, irréelle et consentante, j'étais comme le Condottière atrocement mélancolique du panneau central de la bataille de San-Romano, peinte vers 1440 par Paolo Uccello et conservée aujourd'hui au musée du Louvre. Désarçonné toujours par la bêtise, et toujours transporté par la beauté.
Absent car les yeux verts, mais dans les lances hélas.
 
11.10.00
 
Mort de Chaban. Armand Biancheri m'a apprit que les cours de Deleuze étaient disponibles sur le web. Je me suis empressé d'aller voir, et ayant imprimé plusieurs cours datant de 1980 sur Spinoza et Leibniz, je passe mon samedi soir plongé dans leur lecture. Mon héroïne du moment: Camilla, la jumelle de The Secret History, le roman de Donna Tartt.
 
 
 
 
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