Trois
heures pour rentrer sur Paris à slalomer entre les arbres renversés au milieu
de la route, les voies coupées, les embouteillages. Mon itinéraire stratégique
pour regagner Auteuil au travers d'un département apocalyptique m'a conduit à
traverser cette ville où je n'avais pas remis les pieds, et encore moins les
roues, depuis la fin de mon idylle avec X
Soudain
j'ai pensé à elle. J'aurais pu aller sonner chez ses parents, l'y trouver
peut-être et lui dire :
"Ecoute,
je suis bloqué, toutes les routes sont coupées par des arbres eux mêmes coupés,
alors n'y coupons pas faisons l'amour car de toute façon nous ne pouvons pas
espérer d'ici plusieurs heures un retour à la normale."
On
a mis un cachet dans mon verre (et je pense plutôt ici à un truc du genre ecsta
que suppositoire) ou Boulevard Saint-Germain le café à l'enseigne Le Mandarin
est devenu Le Mondrian ?
03.01.00
Souper au Bistrot de la grille à l'angle des rues Guisarde et Mabillon. Comme
nous parlions des lieux, des appartements, des garçonnières, des trous à rats,
des ateliers d'artistes, des portes cochères, des chambres sous les toits, des
loges de théâtre, des vastes salles de bureaux désertifiées le dimanche ou
après 19 heures, des salles de bain prétentieuses avec l'obligation du jacousi
à remous à côté duquel le bidet fait un bide, des ascenceurs dans les tours du
XIIIème, du parcours obscur et minuté du train fantôme de la fête des Loges,
des résidences secondaires familiales -hors saison- sur les plages normandes ou
bretonnes, des cabines de douches des piscines d'arrondissement, des salons
d'essayages des grands magasins, David me demande :
-
T'aimes bien aller chez la fille?
-
Oui, lui dis-je avec cet enthousiasme roublard du type trop content de pouvoir
développer un de ses sujets de prédilection, j'aime bien arriver une demi-heure
voire une heure en avance et prendre possession du quartier, traîner dans le
périmètre des dix-huit, dix neuf heures, calme et confiant dans l'excitation
alentours, les gens qui se pressent sur les trottoirs, devant les magasins,
sans rien soupçonner du bonheur qui m'attend et de la lenteur qu'il requiert,
les pas rapides, les stations décidées ou improvisées de leur lieu de travail à
leur domicile, le quartier reconnu, les voisins irritants, bon-enfant, ou
simplement transparents, la bourrade familière d'un commerçant, la gentillesse
exagérée d'un autre, la nuit avancée, froide, bientôt souveraine, les filles
qui s'en vont vers des destinations programmées et qui croisent mon regard de
transsibérien vert comme dans les publicités romantiques pour le café, (alors
là non seulement ce n'est pas du Lautréamont, mais en plus c'est un tantinet
prétentieux et je n'ai même pas de jacousi à remous), la vie fourmillante et le
décompte des minutes sur les horodateurs (j'ai toujours trouvé ça moins con
comme système de lecture que de devoir s'encombrer d'une montre à son poignet)
qui se résout à l'heure dite par un code d'accès à l'appartement de la fille en
question, la fille en question qui ne me laissera pas longtemps sans réponse,
la fille à adorer pour lui plaire et qui s'est faite belle, à la perfection, ou
avec trop d'afféterie, ou avec les moyens du bord.
-
Moi aussi, interrompt David, rêveur. J'adore aller chez la fille. Surtout qu'en
plus j'habite chez mes parents!
05.01.00
Studio.
Ou comment une journée de travail de Frédéric (claviers, séquences,
arrangements) illustre quelques grands dictons et expressions françaises :
alors que les coûteuses séances de studio débutent à dix heures du matin,
Frédéric que nous devons aller chercher à la gare (dicton : mâchez luiles
morceaux, il les avalera ), a oublié de se réveiller ce mercredi matin ( l'avenir
est à ceux qui selèvent tôt ) quand bien même la journée devrait
commencer par ses parties et reports synthés. Il n'a pas moins de deux heures
de retard, paralyse le travail de tout le monde et nous oblige à de longs
allers retours de la gare de Rambouillet au coin perdu où nous enregistrons
(dictons : jeter l'argent par les fenêtres , ou, au choix, se foutre
de la gueule du monde ). Il nous attend donc aux alentours de midi sur le
quai de la gare (expression : la gueule enfarinée ) sans le moindre mot
d'excuse. Connaissant l'animal ( expression : on ne change pas une équipe
qui gagne) je pensais qu'il mettrait bien plusieurs heures à s'excuser et
en effet une excuse malhabile est formulée à 19 h 23 dans ma voiture, tandis
que je le raccompagne à la gare de La Verrière (expression : Mieux vaut tard
que jamais ).
Guillaume
(ingé-son) me soutient que l'espérance de vie des ingénieurs du son
intermittents du spectacle est en moyenne de 63 ans. Aussi l'ai-je
particulièrement bichonné, lui faisant chauffer de l'eau de source pour le thé,
lui ouvrant ses boîtes de sardines, lui découpant délicatement son pain préféré
aux cinq céréales, diététique, fleurant bon la santé, et puis au bout d'un
quart d'heure de pause sauvage tout en gardant la main sur le couteau qui
m'avait servi à lui préparer un petit casse-croûte revigorant, je l'ai sommé de
retourner au travail si il ne voulait pas sur le champ faire baisser les
statistiques.
La
réaction des gens devant la mort. J'apprends à Sylvain (bassiste) que deux
personnes sont mortes ce matin de la listériose après avoir ingurgitées une
certaine marque de rillettes.
-Putain!
s'écrie Sylvain, et moi qui adore les rillettes..!
09.01.00
Kiekergaard's bazar. Durant son séjour parisien, Christian, a pillé le
Lafayette Gourmet en prévision de séduire sa nouvelle proie (lire au 18.12.99.)
férue de culture française et qui au cours d'une conversation lui a proposé de
l'accompagner au centre culturel français à Londres où elle aime passer ses
week-ends. Seule ombre au tableau, cette jeune femme originaire du nord de
l'Angleterre qui travaille dans la même boîte que lui est en cheville avec un
français expatrié, mais elle s'en est ouvertement plaint à Christian regrettant
qu'au début de leur liaison il lui parlait beaucoup français et l'aidait de la
sorte à faire des progrès tandis que maintenant après trois ans de relation il
ne fait plus le moindre effort et lui parle dans un anglais assuré et sans
surprise, quand il lui parle.
Le
plan de Christian est simple : lui rappeler sa proposition d'une sortie à deux
au centre culturel français, puis la ramener chez lui pour boire un thé, et là
une fois installés au chaud dans son flat huppé du quartier de Westminster lui
sortir (du frigidaire) sa botte secrète : à savoir les produits français (foie
gras, Sauterne etc.) qu'il a rapporté du Lafayette Gourmet.
Dès
son retour à Londres, Christian me demande d'écrire en français une petite
phrase de reprise de contact qu'il va pouvoir lui e-mailer tout de suite et
secrètement au bureau, et voir si elle mord toujours à l'hameçon. Voici mon
texte : " J'étais à Paris pendant les vacances de Noël. La France m'a fait
penser à toi et à notre conversation, aussi je me demandais quand voudrais tu
que nous allions ensemble au centre culturel français."
Et
voici ce qu'elle n'a pas tardé à lui répondre par e-mail :
"Salut! I'm going to reply in english
- only because when I write french my spelling is terrible!
Im glad you remembered! Quite a concidence
because yesterday I got the January/February brochure for the films at the
French Institute. I left it out last night with the intention of brining it to
work today to give to you but I've just looked in my bag and I must have left
it at home. (Im taking a while to wake up this morning ).
I'll bring it in on Monday and if you find
something you want to go and see, we can go together if you like?"
10.01.00
"Elle a oublié la brochure chez elle.
-
C'est plutôt mauvais signe...
-
Mais elle m'a dit qu'elle l'avait lue hier soir dans son lit.
-
Ah, ça c'est plutôt bon signe."
11.01.00
Programme cinéma du centre culturel français à Londres :
Vendredi
: Un homme et une femme ; Samedi 18h30 : Ma nuit chez Maud ; Samedi 21h : Les
liaisons dangereuses.
12.01.00
X m'instruit : "Pour moi il y a deux sortes de gens, deux catégories :
ceux qui prennent des risques, et ceux qui n'en prennent pas."
Auteuil.
Au café qui jouxte le Prisunic, une jeune fille magnifique, couettes noires,
chaussettes blanches, qui hésite à s'asseoir, vacille puis se ravise, répond au
garçon qui s'enquiert de sa commande : j'attends quelqu'un, passe son corps à
travers l'ouverture de la porte, fait un signe de la main à un autre garçon -
pas de profession cette fois - qui en un rien de temps depuis l'autre côté de
la rue s'engoufre dans le café, la salue d'un sourire esquinté par le froid polaire
du dehors, sourire qui s'étire en tiède baiser sur la bouche, puis sur
l'impulsion de l'un d'entre eux, elle ou lui cela m'échappe, s'en vont se poser
chaudement dans le fond du café.
Et
moi qui regarde cette fille, en douce, par politesse ne serait ce que pour X
qui se passionne pour une conversation qu'il me tient et qui dès lors ne me
regarde plus, puisque je regarde cette fille, installé dans cette avant salle
de café parisien, comme dans le pays le plus reculé du monde.
"Je
me souviens qu'à Michel-Ange Auteuil, là où il y a aujourd'hui un Monoprix (ou
un Prisunic), il y avait autrefois un cinéma" (Georges Perec, Je me
souviens, 1978.)
18.01.00
Arte, documentaire de C.Najman : la mémoire est-elle soluble dans l'eau?
19.01.00
Répétition : difficulté d'adapter pour la scène la version d'A côté
aujourd'hui telle que nous l'avons réalisée en studio, ou plutôt pour
le studio. En même temps, maintenant que nous sommes davantage satisfaits de la
version disque, pas envie de revenir trait pour trait à ce que nous faisions en
live jusqu'à novembre dernier. L'autre problème, lorsqu'il faut gérer des
volumes, des sons, des séquences, c'est le régulier manque de temps qui nous
est accordé - à notre niveau - en balance scénique; balances au lance- pierres
la plupart du temps quand nous jouons sur un plateau de trois groupes ou bien
en première partie d'artistes confirmés comme par exemple en première partie
des X qui déjà refusaient de déplacer leur gros piano pourrave et nous
confinaient à cinq sur une portion congrue de scène. Suite à quelques
expériences de la sorte, nous nous sommes dits que le jour où nous aurions des
premières parties nous serions beaucoup plus cool, conciliants, voire
prévenants, protecteurs. Et puis un jour, la renommée (petite) aidant, il nous
est arrivé de proposer des premières parties, et parmi elles des chanteurs et
leur équipe aussi désagréables, arrogants et têtes de noeud que certaines têtes
d'affiche dont nous avions croisés la route. . ; enfin, nous concernant, on est
toujours aussi cool, dans la limite des stocks disponibles, en dépit du fait
que quoiqu'en pense Mel Brooks dans La folle histoire du monde on ne
chante pas mieux lorsqu'on se fait marcher sur les pieds.
Fin
d'après-midi, promenade de St-Cloud à Auteuil en suivant la Seine, boueuse.
Quelque chose dans l'air froid qui revient comme l'envie de renouer avec un
premier amour. Lui montrer coûte que coûte qu'on est devenu plus intelligent,
plus habile ou plus habilité à être choisi mais que ça ne sert à rien, même pas
à avoir un jugement plus aigu, tant la mélancolie absorbe tout.
Je
lance le groupe dans l'écriture de nouvelles chansons : toujours avoir des
cartouches d'avance.
C'est
ce soir qu'en théorie Christian accompagne la jeune anglaise au centre culturel
français de Londres. Pour le film, son choix s'est arrêté la semaine dernière
sur "Et Dieu créa la femme" de Vadim et la jeune femme a paru
emballée.
-
Bardot à 18 ans, St-Tropez... Ca va me plaire!" dit Christian. Je dis en
théorie car depuis quelque temps Christian souffrait d'un petit soucis fort
handicapant à l'oreille droite, et après consultation de son médecin, ce
dernier a diagnostiqué un important dépôt de cire qu'il s'est proposé de lui
enlever dès samedi (samedi dernier); voilà que le vendredi, à un jour de
l'opération, sur les coups de 17 heures (heure anglaise) avant qu'elle ne file
en week-end la jeune femme avec laquelle depuis l'heure du déjeuner il avait
athlétiquement convenu du jour de leur rendez-vous et du choix du film, s'est levée
de son bureau et s'est approchée de Christian en lui disant quelques mots qui
sont malheureusement tombés dans son oreille droite, la mauvaise. Propos
auxquels sur le moment, fort embarrassé de n'en saisir le sens, il n'a su
répondre que par des petits oui vaguement approbateurs et des sourires gênés.
Aussi, au jour d'aujourd'hui, il ne sait toujours pas si elle venue lui dire
qu'elle décommandait, ou simplement qu'elle confirmait le rendez-vous pour la
semaine prochaine avant de partir en week-end, ou bien si elle lui parlait de
tout autre chose, de la vacuité des hivers londoniens ou de la bosse aperçue à
midi sous la couture de son pantalon.
Je
pense à cette phrase de Gainsbourg, le single à mon sens de son roman Evguénie
Sokolov, que je récitais par coeur lorsque j'avais vingt ans : "Une
nuit, elle vint glisser contre moi sa chair de poulette hérissée au froid
polaire du grand hall, et c'est ainsi sur un lit de camp au fond d'une piscine
vide où tombaient des étoiles diffuses, que les seuls mots d'amour qu'il
m'arriva jamais de prononcer dans ma vie le furent à l'oreille de cette petite
sourde-muette.".
Dans
la débâcle de parfum et de mots sans impact qu'elle lui assenait, suspendue au
dessus de son bureau, Christian a cru comprendre "cours du soir", ce
qui serait plutôt mauvais signe, mais pour le rancard de ce soir il part quand
même confiant, par tempérament.
21.01.00
Il me faut redoubler de vigilance dans mes relations avec les autres quand :
trop souvent ma timidité est prise pour de l'ironie ou de la hauteur, mon sens
de la retenue pour de la conspiration, et mon hyper sensibilité pour de
l'intelligence.
En
même temps les gens ont l'air de tellement se divertir des petites histoires,
querelles et persiflages, que je suis le client idéal car jamais dépourvu d'un
bon mot ou d'une formule cinglante sur telle ou tel. Plus par amour -
d'ailleurs - de la formule que par dédain de la personne. Mais bon si les deux
cas de figure se combinent, quel régal.
Jamais
certains membres du groupe ne m'ont autant téléphoné que depuis que je vais à
des rendez-vous dans des maisons de disques. Autrefois dans les balbutiements
ténébreux de notre carrière débutante, mes rendez-vous avec les petites radios
locales, les associations et les programmateurs de petites structures de
concerts, les journalistes de presse régionale, ne les concernaient pas plus
que ça; la plupart du temps c'est moi qui, une bonne semaine après, leur
rappelais que j'avais rencontré untel et quelles en étaient les répercussions;
mais depuis que le niveau monte et qu'il y a des rendez-vous dans les labels et
les Majors, ils s'enquièrent dès que possible du "Comment ça s'est
passé?", jugent à présent de bon ton de s'y intéresser...
Et
Dieu créa la femme, la sitcom: Christian, matinal, me téléphone de Londres avec
une petite voix qui accuse la déception. L'anglaise s'est décommandée au
dernier moment, du matin pour le soir. Tout d'abord frappé par l'incorrection
d'un tel acte je ne peux ensuite que m'apitoyer sur la lâcheté du mail qu'elle
lui a envoyé car bien que travaillant à cinq mètres de lui elle a préféré le
prévenir par ce biais plutôt que de lui annoncer de vive voix - à moins qu'elle
ait soupçonné quelque chose de bizarre qui lui donne à préférer l'écriture
depuis l'incident de l'oreille (et là j'ouvre une parenthèse pour le lecteur
occasionnel et néanmoins cultivé qui verra dans cette histoire de l'oreille une
allusion à la vie de Vincent Van-Gogh, en demandant à ce lecteur pour la juste
compréhension du passage de lire le chapitre 5 dans sa totalité, et qu'il
admette ensuite qu'il n'y a pas vraiment de parallèle à établir entre Van-Gogh
et Christian si ce n'est que tous deux sont amateurs d'art, avec des
motivations et des partis pris esthétiques diamétralement opposés.)
Voici
le mail que Christian reçut le matin du jour où il devait emmener la fille voir
le film Et Dieucréa la femme au centre culturel français de
Londres :
Hey!!
Im really sorry but Im going to have to
cancel this evening for two reasons...
firstly, Im feeling really sick with my throat. I think it is the cold that
everyone has got and secondly, Sebastien, my boyfriend told me last night that
he has organised for some guy to come round this evening to discuss health
insurance or something with us...
Im quite busy today, so I wanted to send
you a message incase I didn't get
chance to speak to you...
Let me know when else you are free so we
can reschedule..
Sorry again for the short notice..
Gill
Donc
Gill, c'est son nom, annule pour deux motifs aussi crédibles que l'expectative
de Virginie Ledoyen dans l'interprétation cinéma de Lol V. Stein : premièrement
la grippe, terrible, européenne, inévitable. Deuxièmement son boyfriend,
qu'elle prend soin de nommer (Se serait-elle confiée à lui, la conne, et l'aurait-il
mise en garde - avec raison - des intentions d'un jeune homme qui vous emmène
au cinéma..?), son boyfriend, Sébastien, qui a soi-disant organisé un petit
entretien avec un représentant en assurance santé, entretien qui requiert
évidemment la présence de la jeune femme. On imagine au brio de l'argumentation
qu'ils se sont au moins mis à deux et y ont passé une bonne partie de la soirée
pour trouver ces deux formidables et imparables excuses. En fait Gill a dû
trouver l'excuse de la grippe, romantique, fleur bleue, l'intérêt des femmes
pour la météo, et Sébastien, plus pragmatique et ancré dans les contraintes et
paperasseries de la vie moderne, a dû construire l'histoire de l'assurance
comme une belle pièce de mécano. Et puis, par équité et soucis de respecter
chaque manifestation d'individualité dans leur couple, assis sur le canapé en
face d'une table basse, terminant leur dîner par de fantaisistes yaourts aux
fruits, c'est ma vision fantasmée du couple, ils ont décidé de garder les deux
versions.
Outre le monument de lâcheté digne d'école
: "Im quite busy today, so I wanted to send you a message incase I didn't
get chance to speak to you..." Christian me raconte qu'au cours de la journée,
chaque fois qu'elle a dû traverser son bureau, sans pour autant lui lancer le
moindre regard, Gill n'a pas arrêté de tousser démonstrativement pour bien
appuyer le fait qu'elle était grippée.
Vers
17 heures 30, avant qu'elle ne rentre chez elle, Christian lui envoie ce mail
aussi sobre que génial : "Should you not have taken the health insurance
before getting sick?"
Est-ce
qu'il n'aurait pas mieux valu souscrire à l'assurance santé avant de tomber
malade?
23.01.00
X me raconte qu'il a apporté mon disque chez sa conquête du moment, et qu'ils
ont forniqué dessus toute la nuit. En boucle. Pas mal, non..? m'interroge-t-il
avec insistance espérant sans doute que ce genre de détail va me ravir.
Mais
le plus sensationnel, ajoute-t-il, c'est qu'au matin la première phrase que la
jeune femme eût prononcée fut :
-
Je peux te demander une faveur? Tu peux remettre la chanson n°1."
Pendaison
de crémaillère chez Nathalie et sa co-locataire charmantes et parfaites en
maîtresses de cérémonie. Je parle successivement avec une pétillante jeune
fille qui travaille au journal économique les Echos, puis avec une jeune
opticienne de la Place des fêtes à qui je demande de m'esquisser un bref
portrait psychologique des convives à lunettes selon le type de monture qu'ils
ont choisis, puis une troisième fille complètement pétée qui ne sait plus ce
qu'elle fait, boit du champagne, et me demande une quarantaine de fois si je
suis le frère d'Yvan Attal, et puisque non si ce n'est pas préjudiciable pour
ma carrière de chanteur de s'appeler Jérôme Attal quand il existe déjà un Yvan
Attal de super connu et d'inoubliable, évidemment, en "moule dans le
salon" dans le film Un monde sans pitié d'Eric Rochant.
Long
article étonnant, très Proustien que nous consacre le programmateur de la salle
de spectacles d'Achères dans le fanzine yvelinois 78 tours à propos du 4
titres : "Jérôme Attal & les Argonautes : textes intelligents et
sensibles, mélodies faussement oisives et empreintes d'une mélancolie cynique,
voilà les éléments d'un univers musical qui nous parle de ressentiments
amoureux, de désirs contrariés issus de ruptures consommées et encore
brûlantes. Il y est aussi question d'intériorisation et de refoulement du
désir, de la souffrance qui en découle. Parfois accompagné d'une guitare aux
sonorités tendues et rancunières ("La douleur était telle") la voix
de jérôme Attal, dont le timbre peut paraître fragile et monocorde, exprime
pourtant avec vigueur une certaine sensualité. Sensualité masquant une colère
silencieuse et réelle qui suscite, chez son auditeur, une émotion languissante.
(...) "La ville quelconque" petite merveille qui nous rappelle qu'un
baiser se fane aussi sûrement que les lumières de la ville peuvent perdre en
intensité.".
Et
l'article se termine par : " On appréciera la référence picturale à Munch
renvoyant à l'angoisse intérieure de l'individu. Guitare dure, basse lourde et
ronflante soutiennent des effets électroniques sinistrés et parasites. Histoire
également de ne pas oublier que derrière l'accoutumance à l'indifférence, la
violence et la douleur se cachent en arrière- plan."
David
à qui j'en fais la lecture, reste abasourdi : "Lui, c'est le Guy Debord de
la musique! s'écrit-il. Je suis impressionné...moi j'ai des très bons copains à
Achères, et je peux te garantir que des gens d'Achères, c'est le seul dans la
ville qui est comme ça!"
TV
: je regarde cet après-midi l'un des quatre reportages de l'émission
Strip-Tease diffusée hier soir, celui intitulé "Ultimatum" et qui
suit les crûes désillusions parisiennes d'une jeune provinciale solitaire (On
dirait du Rousseau, en moins paranoïaque naturaliste emperruqué mais avec les
ongles peints en violet) .
Le
passage où la jeune fille vient réclamer un peu d'argent à deux théâtreux pour
lesquels elle a confectionné des costumes. Leur mépris, leur auto-suffisance et
leur joyeuse facilité à faire la morale à cette fille perdue et complètement
désespérée à l'idée de devoir retourner chez ses parents.
Révolté
comme toujours par le nombre incalculable de busards qui se la jouent, qu'on
rencontre à Paris dans le milieu du spectacle. Mon goût pour la Bible et les
comics américains, un désir de sauver les faibles, toujours dans ces moments
l'envie (naïve peut-être) d'être Batman et d'envoyer ma main, à la Bud Spencer,
dans la gueule des cons.
27.01.00
A la Clé St-Germain dans le bureau du CRY à discuter avec Héloïse. Soudain un
des jeunes responsables des activités musicales proposées aux enfants vient
s'enquérir auprès d'Héloïse d'une situation dont elle aurait été témoin plus
tôt dans l'après midi et qu'elle se serait empressée à juste raison de signaler
: un des enfants en larmes, terrorisé par la femme qui vient le chercher après
ses cours de solfège, apparemment sa nounou, cette dernière hystérique,
violente, et secouée de spasmes comme sous l'emprise de l'alcool. En écoutant
le récit d'Héloïse j'imagine cette méchante femme sous les traits vitriolés de
la Chouette le personnage du roman d'Eugène Sue, les Mystères de Paris,
dont l'adaptation télévisée me marqua tant dans mon enfance. Et puis au risque
de paraître une nouvelle fois ridicule, toujours l'envie de sauver les
opprimés, de ne pas laisser les bourreaux, même des nounous bourreaux, cuver
leur alcool en toute quiétude. Il faudrait que je me résigne à prendre quelques
cours de technique de combat, et puis à aller acheter une cape.
Rodolphe
a câlé une date de concert avec la nouvelle équipe du Sentier des Halles pour
le lundi 13 mars. Je fais un peu la grimace pour le jour : un lundi. Mais
Rodolphe, malin, me dit qu'au contraire ce n'est pas si mal, c'est le jour
attitré des show-cases. Il nous faut une première partie. je propose X mais le
nouveau programmateur du Sentier a aussi ses idées, et dans ces cas là c'est
souvent la partie organisatrice qui impose ses vues. En attendant il faut que
je pense à quelques blagues pour meubler entre les changements de guitare
samedi soir à St-Denis. Tant que nous ne sommes pas des pop stars avec des
équipes de roadies chargés d'accorder les guitares en coulisses etc. le public
devra supporter mes blagues et bons mots lapidaires entre les chansons, mais
bon...il paraît qu'il y a des gens qui aiment ça, qui en sont friands...il
paraîtrait même que certains viendraient nous voir en concert aussi pour
ça...c'est dire les complots que nous devrons déjouer et les goûts du public
que nous devrons contrarier pour devenir des pop-stars!
Demi-finale
Agassi / Sempras : passionnante. La tenacité, la force mentale d'Agassi pour
revenir au score et emporter le quatrième set. Une grande leçon mythologique
pour les jours où tout joue contre nous et sonne comme inéluctablement
la résignation à la défaite.
30.01.00
Mal de dos atroce qui m'a pris hier soir pendant les balances, et ce matin
impossible de bouger le moindre petit doigt, bien que les doigts ne soient pas
dans le dos, sinon on pourrait se dispenser de banales déclarations d'amour
pour obtenir de voluptueux massages.
Peut-être
ai-je pris froid lors de nos périples à St-Denis, la salle de concert ne
disposant pas de catering ( = cantine) elle nous a offert le couvert au Supermarché
Casino, ainsi nous avons traversé la ville de St-Denis à pieds sous un froid
poli pour la saison mais néanmoins présent, pour finir par dîner en costume de
scène parmi les familles qui viennent faire plaisir aux enfants en les emmenant
le samedi soir au self-service. Joyeuse ambiance donc, de kermesse aseptisée,
et tractage sauvage entre les plateaux repas décidé par le batteur du groupe
yvelinois Joan Doe qui a une grande gueule et ne perd jamais une occasion de
l'ouvrir.
Solution
pratique de catering, mais au final c'est assez plaisant, et si ce n'était la
qualité, il y a quand même plus de choix qu'un sempiternel taboulé de saucisson
ou une unique bouillie de cabillaud surgelé devant lesquels on nous attable
trop souvent dans certaines salles de concert.
viande de boeuf avec
frites, ou, calamars avec riz
fromage ou tartes
diverses
+ boisson
+
cafés sous forme de jetons que nous offrons en nombre à un couple avec enfants
à la table d'à côté.
Pour
ma part j'ai pris les carottes râpées et une assiette de riz. Et puis aussi une
tarte que j'ai offerte à Emmanuel (qui du coup a pris le fromage, quelle
stratégie!) Emmanuel nous a tellement aidé par le passé (allers-retours avec sa
voiture, prise en charge du matériel, paperasserie, promotion) que j'ai
toujours la volonté de l'inclure dans la troupe et quand il vient nous voir en
concert lui proposer de dîner avec nous, quitte à me priver de ma part dans le
cas d'organisateurs avares et irréductibles. A la Ligne 13 pas de problème :
charmants, prévenants, parfaits, du staff d'accompagnement des artistes à celui
de la régie scène. En fait, Emmanuel, qui se présente dorénavant comme
président du fan-club, est un parfait baromètre : si l'organisation ne se fend
pas d'un ticket supplémentaire pour lui permettre de dîner avec nous, c'est que
l'organisation craint. Et cette indigence me restera sur l'estomac pendant tout
le concert.
En
rentrant de la cafétéria et tombant dans le couloir qui va des loges à la scène
sur une vieille affiche promotionnelle de Bashung pour un concert à la Ligne
13, j'imaginais avec amusement Alain Bashung après avoir terminé ses balances,
trimballé jusqu'au Supermarché Casino et devoir prendre un plateau repas avec
son ingé-son et sa maquilleuse parmi la foule du samedi soir joviale et
éberluée.
Pour
en revenir au concert, le nôtre, il n'y avait bien entendu pas grand monde,
mais dans ce pas grand monde, presque exclusivement des filles, dont certaines
venues en bande depuis Paris, ce qui a le mérite de sauver l'honneur à défaut
du moral.
03.02.00.
Le
triolisme, pour m'y être adonné (dans l'unique cas de figure qui me concerne :
c'est
à dire 1 garçon et 2 filles) est une pratique qui doit rester extra ordinaire,
dans le domaine du glamour et de l'exceptionnel, aussi exceptionnelle qu'elle
s'avère délicieuse, vénéneuse et remuante, qui peut se répéter dans le temps
mais à la condition de se ménager de longues plages de retour à la normale,
sinon érigé en mode de vie c'est rapidement la catastrophe, tous les problèmes
du couple + un, et comme le dit Jerry Seinfeld si l'on succombe au ménage à
trois, il faut adopter une dirty attitude, se laisser pousser la moustache
et circuler la plupart du temps en robe de chambre dans son appartement.
04.02.00
De toute façon je donne tout contre une journée de pluie sur Auteuil.
Elle
exécute dans la cour une figure d'escrime.
Le
matin, pour tout petit-déjeuner, il prenait : un amour platonique comme un
grand bol d'air frais.
15.02.99
Deuxième journée d'une angine tenace. Un héros grec dans le métro. Hier en
revenant de chez le médecin, boulevard du temple, j'ai failli défaillir, la
fièvre et la compression dans le métro, ma vision s'est tout à coup obscurcie,
les ténèbres tombaient devant mes yeux comme pour un personnage d'Homère
terrassé en pleine guerre de Troie, secoué de frissons et mes jambes (comme mes
lecteurs parfois) ne me supportant plus, j'ai dû descendre à la station Alma
Marceau afin de récupérer un peu d'air, façon de parler, sur un siège bleu en
plastique encastré sur le quai.
St-Valentin avec Marine, en mangeant pour unique
dîner un gâteau de chez Lenôtre au chocolat et à la mandarine.
J'ai regardé "les Parapluies de Cherbourg"
et ça n'a pas manqué, j'ai pleuré comme une madeleine de Commercy.
16.02.00
En attendant Lenoir sur France Inter, j'allume la télé et sur M6 tombe sur une
émission qui, dans la mode captivante du moment, consiste à grands renforts de
séquences sorties des tiroirs de l'INA à exploiter la nostalgie des
trentenaires neurasthéniques et décontenancés par la fuite du temps depuis le
jour déjà lointain où ils ont dû raisonnablement se convaincre qu'il valait
mieux dé-punaiser les posters de Duran Duran des murs de leur chambre, émission
fourre-tout qui revient sur différents moments de la télé, commentés ou
explicités (au cas où ce serait vraiment trop subtile et réservé aux seuls bac
+12 des téléspectateurs) par les intervenants qui ne sont pas morts depuis.
Or
ce qui me retient devant le poste c'est l'un des sujets concernant une
interview de Gainsbourg au journal parlé de FR3, à l'époque de "Charlotte
for ever", Gainsbourg que je trouverai toujours touchant, que je
défendrais toujours (même contre Desproges c'est dire!), et où les
protagonistes de l'époque reviennent avec égocentrisme et complaisance (mais
c'est le jeu n'est ce pas?) sur le côté décalé et saoul de Gainsbourg comme si
c'était la grande affaire du siècle.
Or
Gainsbourg soit disant pété dit des trucs qu'il dirait tout aussi bien à jeun,
un peu de manières en plus, c'est tout. La phrase clé d'ailleurs dans cette
interview, qu'il énonce dans un état de souffrance et de nudité exacerbé par
l'alcool je veux bien l'admettre c'est "Je n'aime pas être attaqué".
Non
pas "j'ai peur d'être attaqué" mais "je n'aime pas",
"je n'aime pas être attaqué".
Quant
à "Charlotte for ever" le film, je me souviens m'en être servi pour
illustrer un exposé oral en licence de cinéma à Censier, un passage avec deux
travellings, avant et arrière reliés par un fondu enchainé si ma mémoire est
bonne, "Charlotte for ever" (habituellement considéré comme un nanar)
exprès pour emmerder le prof et mes camarades vraiment très élitistes voire snobinards
dans leurs goûts et, comme c'était à prévoir, je ne reçus que des félicitations
pour mon exposé et le choix si sagace des extraits utilisés, la mise en valeur
de "Charlotte for ever" considéré par un retournement de situation
comme seules les élites en ont la maniaque habileté, comme la hype de
l'underground et l'underground de l'à-propos.
Journée
difficile. L'angine qui m'affaiblit, et j'ai conduis mon père à la clinique
sous une tempête de grêlons. Tout le temps accompagné dans ma tête par les
violons de Michel Legrand; si ça continue "Les parapluies de
Cherbourg" vont se transformer pour mes voisins en parapluie baconien, qui
englouti et qui oppresse comme dans la toile intitulée Painting, 1946.
En
rentrant à Paris, les lumières de St-Cloud, les appartements.
X
prend ma défense devant Y : "Jérôme n'est pas un romantique; il aime le
mystère, le secret et les actes romantiques, c'est différent. Il n'est pas
Dartagnan, il est Aramis."
19.02.00
Elle supportait mal la solitude, comme - et l'image la plus exacte serait - un
mal de mer, vague et consentant, qui confondrait plancher et plafond, ne
supportant pas plus la bassesse que les faux airs d'altitude, n'importe quel
carré de soleil, n'importe quelle amorce de printemps dans l'air qui la
ramenait aux instants où elle avait crû être deux et que cela durerait, ou
encore qu'il était si facile de changer de garçon et de continuer à aimer de la
même façon, en gardant son sentiment de bien être intact, en soi, avec
l'insolence naturelle de celles pour qui tout réussi, toujours, alors depuis
cette sotte séparation - elle n'avait pas du tout envisagé qu'il aurait été si
simple pour lui de s'enamourer d'une autre fille - elle prétextait n'importe
quelle occasion pour partir en week-end, loin de cette ville devenue
oppressante, tentaculaire pour du vent privée de bras où s'abandonner, un peu
comme les petites pinces métalliques des machines foraines qui s'abattent sur
des cadeaux précieux pour au final quatre vingts dix neuf fois sur cent revenir
bredouille, ne brasser que de l'air, le corps à genoux et le coeur sans
genouillères, décrochant son téléphone et ne sachant plus quoi raconter aux
garçons qui lui téléphonaient pour prendre de ses nouvelles avec plus ou moins
de sincérité ou lui proposer des sorties, la sortie érigée en mode de survie,
des garçons qui mettaient la pression depuis qu'ils sentaient que la place
était à prendre, et d'ailleurs qui sait succomberait-t- elle un jour à l'un de
ces crétins ou plus vraisemblablement à un nouveau venu, séduisant de par son
indigénat, et tout serait facile à nouveau, et de nouveau elle aimerait la
ville, le soleil et les fêtes foraines, elle qui était née longtemps déjà après
ce temps où la mode avait été pour les petits clubs et les discothèques de
prendre pour nom et enseigne le numéro de rue où ils se situaient.
20.02.00
Dîner très charmant avec Christian, hier soir au Fumoir. Aujourd'hui après -
midi, avant qu'il ne reprenne l'Eurostar dans la soirée, nous nous retrouvons
pour une promenade dans la ville de X
Christian
me dit : Tu habites Paris et j'habite Londres et le dimanche après-midi on a
rien de mieux à faire que de se retrouver dans ce bled paumé pour chercher des
filles...
21.02.00
Sylvain (bassiste) quitte le groupe. L'annonce est solennelle, abrupte, presque
incroyable, pendant une séance de travail. Il dit qu'il n'a pas envie de
sacrifier sa vie de couple, et qu'après mûre réflexion il ne se sent pas fait
pour une vie artistique, faite de sorties nocturnes, d'incertitudes, et
d'inconfort moral et financier.
Il
repart donc sur Nevers d'où il est originaire et où il aurait des opportunités
d'emploi. Il dit aussi qu'il ne veut pas nous laisser dans l'embarras. Qu'il
assurera donc le concert du Sentier des Halles le 13 mars, et puis si nous
n'avons trouvé personne par la suite il viendra également pour les concerts
prévus les mois suivants. Et ce jusqu'en Juillet date à laquelle il envisage
son retour définitif à Nevers.
Cette
nouvelle me plonge dans une grande tristesse. No comment.
22.02.00
Après que l'annonce de son départ m'ait laissé toute la nuit éveillé, absorbé
par diverses pensées, je dis ce matin à Sylvain que je préférerais qu'il quitte
définitivement le groupe après le concert du Sentier des Halles, que j'aurais
du mal a travailler avec lui ensuite, même ponctuellement, sachant qu'il n'est
pas là pour s'impliquer dans l'aventure.
Reste
à savoir à présent si nous allons continuer à quatre (ce qui est plutôt
stimulant et tout à fait envisageable, la basse pouvant être programmée, par
exemple il n'y a pas de bassiste sur la plupart des morceaux dans les concerts
de P.J. Harvey, et quand vraiment la chanson le demande, un des musiciens
quitte son instrument attitré pour prendre la basse) ou bien nous mettre en
quête d'un nouveau bassiste (ou d'une bassiste, les jeunes filles qui font de
la basse c'est assez à la mode en ce moment dans la pop-rock, ce qui n'est pas
pour me déplaire).
Bien
sûr cette histoire de Sylvain qui nous lache, vient nous déstabiliser dans un
moment où je suis particulièrement fragile, mais j'espère que bientôt elle nous
fera rebondir. En avant. En avant toute.
La
tête en arrière, son rire jeté par dessus l'épaule d'une chaise à bascules,
elle renversait les hémisphères en applaudissant des deux mains.
Je
lui demandai si par hasard elle ne jouait pas de la guitare basse. Elle me
demandait d'être raisonnable, en épongeant mon front fiévreux de sa longue main
blanche.
23.02.00
En répétition j'écoute Sylvain qui parle du poste de fonctionnaire qui l'attend
à Nevers, et de la vie rêvée sur le plancher des vaches. Je trouve ça d'autant
plus triste (triste est certainement le mot le moins dur que j'aie trouvé) que
j'aimais beaucoup Sylvain, qu'il avait participé à des étapes importantes de
notre aventure, et que bien que n'étant pas dans le groupe depuis son origine
il y avait (ou aurait pu) trouvé (er) sa place et participait à son intégrité;
mais malgré mon affection et ma reconnaissance il n'est pas dans mon intention
d'être conciliant avec son départ, il faut bien qu'il comprenne que c'est quand
même lui qui nous lâche.
Contrairement
à d'autres membres du groupe, il n'est pas dans mon intention de faire comme si
de rien n'était, et de le dédouaner, par la même occasion, du fait qu'il reste
avant tout, aujourd'hui, le type qui nous lâche (et pour le coup c'est le mot
le plus juste que j'ai trouvé).
Le
type qui fait de la musique tout seul chez lui, sur son ordinateur. Qui est
tout fier d'avoir fait son album comme un grand, dans sa cave ou son garage en
ayant joué lui-même de tous les instruments et ayant mixé et enregistré tous
les morceaux en ayant bu toutes les canettes tout seul, ça n'a rien à voir, ce
ne sera jamais la même idée de la musique. Lui, c'est la bibliothèque rose à
côté de ce que je vis.
Nous
discutons avec Rodolphe, installés sur des banquettes qui se font face, dans le
café à la sortie du métro Michel-Ange Auteuil.
Je
compare X à Anne d'Autriche et Rodolphe me dit :
-
Je vois pas qui c'est Anne d'Autriche, mais c'est certainement pas le genre de
filles qui me fait kiffer!
24.02.00
St-Germain-en-Laye. Je suis passé au CRY (passé au crible) pour annoncer que je
cherchais un(e) bassiste, mais en suis ressorti amer, comme retombé dans les
réalités du monde des musiciens et des groupes. Enfin, c'est difficile à
expliquer, je n'ai pas de mépris pour ce milieu là mais ce que je cherche avant
tout c'est un tempérament de mousquetaire, quelqu'un d'impliqué dans le groupe
et qui en plus jouerait de la basse comme Athos de l'épée.
Enfant,
dans les cars couchette je ne m'octroyais toujours qu'un petit carré de
couverture et sans pouvoir dormir n'osais pas plus bouger de peur de réveiller
ou de déranger les autres enfants, même fiévreux je maîtrisais mon souffle,
même enrhumé m'empêchais de renifler ou de tousser, et toujours de l'amitié le
plus intransigeante, de la fiabilité la plus altière et de la tristesse la plus
consentante.
27.02.00
Des têtes de poupées russes sur des jambes d'allumette. Une soirée parisienne
avec des mannequins au mètre carré; enfin pas tout à fait mannequins, si l'on y
regarde bien, une partie du corps quand même abîmée, bouffie par les efforts du
paraître intelligent en toutes circonstances. L'une d'entre elles, pleine de
tenue lascive et d'une finesse qui aura su parfaitement épouser les chaises et
les canapés de ce genre de soirées avant d'épouser un connard qui s'ignore sous
un aspect modern life is in my wallet, me dit : "Jérôme, je suis persuadée
que vous préférez le plaisir de fouiller dans une librairie plutôt que celui de
cliquer sur Internet." Je me suis dit après coup que c'était peut-être une
invitation sexuelle un peu prétentieuse ou maladroite.
X,
désarçonnée par les fréquentations de son frère, me prend à part et me demande
pourquoi les types qui font Sciences-Pô ont tous la même tête et sont toujours
pleins aux as.
Reçu
un très gentil courrier de Pierre Blanquet dont j'aime beaucoup la dernière
chanson "Soigne les finitions". Cette après-midi j'ai écouté du Miles
Davis, et suis allé faire une promenade dans le quartier, la même promenade que
faisait Jean- René Huguenin quand il habitait rue Rémusat.
En
rentrant, je me suis préparé un thé et j'ai parcouru mon journal intime de
l'année 1992 que j'ai retrouvé sur une vieille disquette. Amusé par quelques
phrases comme :
Mes quelques semaines amoureuses avec X furent ce que j'appèlerais
: du vampirisme à l'amiable. ou encore, plus loin,
Si j'étais en accord avec moi-même je serais végétarien depuis que
je me suis aperçu que les jeunes gens de mon époque étaient des boeufs et se
comportaient comme des veaux.
Ce
soir j'ai montré Les parapluies de Cherbourg à Marine qui ne l'avait
jamais vu, et j'en reprends (de mon plein gré) pour une semaine de tristesse et
de mélancolie.
29.02.00
Marine
s'est faite agressée dans le métro. Par une folle qui l'a frappée par derrière
avec un sac rempli de bouteilles en verre. Elle arrive chez moi en pleurs, très
choquée. D'autant qu'auparavant elle a retrouvée comme prévu ses bonnes copines
Y et Z qui devant son émotion n'ont rien trouvées de plus intelligent à dire
que : "Tu sais ma chérie, dans la vie il n'y a ni victimes ni
bourreaux...en fait, quand on se fait agresser c'est qu'on est soi-même dans un
certain état d'esprit qui prédispose à se faire agresser...".
En
tout cas il y a de ces réflexions particulièrement finaudes et censées qui vous
mettent dans un certain état d'esprit à distribuer une paire de claques à la
paire de connes qui les a émises.
02.03.00
Tous les jours, moi aussi, j'abandonne. Face à la mauvaise foi des uns,
l'indifférence, le propos facile du directeur de boîte qui met de la soupe en
conserve (ou des trucs immangeables pour flatter sa fourchette), le manque de
pif et l'absence de penser plus loin que le gras du bide du voisin, face à la démission
des autres, leur lâcheté, leur impotence qui la mériterait (la potence), leur
immobilisme ou leur bêtise. Mais tous les jours je me relève, ne serait ce que
par réaction. (Sans pouvoir démêler, l'avenir le dira bien, si cette
opiniatreté est de l'intelligence ou de la vanité).
A
l'écouter parler j'avais de la peine pour lui. Sa conversation cariée, on a
jamais autant ouvert sa bouche pour ne rien dire, excepté chez le dentiste. Les
hommes creusent des judas dans la sensibilité des femmes pour y coincer leur
bite, d'où très vite la sensation d'etouffement. Et de pignon sur rue.
Au
café Le Fumoir, rue de l'Amiral-Coligny. 16 heures. La présence spectrale et
attentive de la serveuse qui a des faux airs de Virginie Ledoyen. Et la même
voix dure, rocailleuse et envoûtante. (Mais, et nullement ici l'idée de
convaincre le lecteur récent et méticuleux de fouiller les précédents chapitres
de ce Journal, j'ai déjà écrit sur l'incapacité ou le ridicule de faire du
gringue a une serveuse, et c'était au 29.11.98)
Il
y a neuf ans disparaissait Serge Gainsbourg. Ce fut un choc pour moi parce que
j'habitais le quartier et j'aimais bien faire une promenade du soir (vers 21
heures) un peu rituelle, en passant devant ses murs avec l'idée qu'il était
peut-être chez lui, et j'ai été très romantique vis-à-vis de cette mort, la rue
de Verneuil, le funérarium près de Nanterre, le cimetière Montparnasse. Deux
années auparavant une fille m'avait quittée (c'était le bon vieux temps) et du
coup j'avais gardé pour moi les neuf cd de l'intégrale que j'avais acheté en
prévision pour son anniversaire, avec trois mois d'avance à un moment où je
devais avoir un peu plus d'argent reçu probablement moi-même à mon
anniversaire. (C'est très touchant quand j'y pense, et mieux écrit on pourrait
croire à du Dostoïevski, tout lecteur constitué de matière sensible serait
transporté par la pitié et la compassion à mon égard).
Il
y avait sur le cd numéro 9 les chansons du téléfilm musical Anna, ce qui était
très rare à l'époque (aujourd'hui notamment sous l'impulsion de la demande
japonaise il y a eu des rééditions.) Enfin j'ai été très romantique vis à vis
de cette mort. Aujourd'hui, dans la jeune chanson française, le premier mec qui
émerge et qui écrit comme un veau (à la sauce à la menthe) il s'auto-proclame,
ou on le fait pour lui, nouveau Gainsbourg. Aujourd'hui tout le monde il est le
nouveau Gainsbourg. Aujourd'hui donc, tout le monde il est mort.
10.03.00
Les journées d'avant concert sont toujours longues, ennuyeuses et gênées, des
journées de visite à la pharmacie au premier petit piquement dans la gorge, des
journées où l'on fuit les courants d'air et les sorties imprévues, où l'on
passe en un temps record de l'excitation la plus joyeuse à l'abattement le plus
profond, où l'on se torture à se dire qu'il n'y aura personne, pas un chat dans
la salle, qu'on aurait dû davantage tracter, jouer les hommes sandwichs pour la
cause, des journées entières où l'on rêve de faire l'unanimité et de remplir
les salles alors qu'adolescent on s'en foutait de faire l'unanimité, on
trouvait ça vulgaire, on se disait je me fous de tout le monde, de toute la
terre entière, du moment que cette fille là pose ses yeux sur moi, m'ouvre ses
bras et me chuchote au creux de l'oreille : " rien n'existe hors de
toi", et puis le solipcisme ça ne mène pas à grand chose, la fille en
question, la plus belle fille de la classe, elle disparaît après le bac, on
apprend un jour qu'elle s'est mise en ménage avec un dentiste ou un
co-fondateur de start-up et qu'elle est enceinte jusqu'aux dents, et nous on
est devenu ce qu'on était et ce qu'on a toujours été, avec la poésie comme
maigre consolation, et on rêve comme un âne de faire l'unanimité les jours où
se presse davantage de monde dans la salle d'attente du dentiste que dans la
salle de concert où vous jouez.
12.03.00
Après-midi d'un printemps timide, mais perceptible, seul marchant dans Auteuil.
Je croise un jeune couple qui se crie dessus, elle debout prête à s'enfuir, lui
à califourchon sur sa mobylette, tous les deux coiffés d'un casque
réglementaire qui leur mange le visage tels des gladiateurs de la vie
conjugale, 2001 l'odyssée du désamour, je croise une petite fille sur des
patins à roulettes les yeux tétanisés par la cadence que lui inflige son père
lui-même perché sur des rollers et l'entraînant par la main à toute berzingue
vers un angle droit, et je tombe sur la toujours jeune X qui vient visiter une
tante à l'hôpital Chardon-Lagache et que j'accompagnai autrefois au cinéma, à
deux reprises rue Monsieur le Prince, aux 3 Luxembourg, lorsque nous habitions
tous deux le même immeuble, au 10 rue du Regard (en face de chez Jospin).
Alors
que nous nous tenons immobiles dans la rue, les jambes coupées par la surprise
et tendues par le civisme, X me dit, au risque de me faire prendre froid parce
que 1° j'ai un concert demain 2° le printemps n'est pas si installé que ça et
3° de toute façon je ne suis pas un grand fana des retrouvailles improvisées :
-
A l'époque tu ne jurais que par le tarama Marks and Spencer, les raiders dans
le café, l'enseigne La Petite Charlotte en lettres blanches sur vert
anglais rue Dupin, l'hebdomadaire 7 à Paris où écrivait Christophe
Bourseiller et la scène de la pâtisserie dans l'escalier, dans le film de
Sergio Leone : "Il était une fois en Amérique"; de plus tu étais
tellement mystérieux que je pensais que tu étais soit homosexuel soit un grand
solitaire."
J'aime
assez la seule alternative qui vous est proposé quand vous n'êtes pas intéressé
par une jeune fille qui s'estime au dessus du lot : homosexuel ou grand
solitaire.
14.03.00
Toute cette énergie, cette souffrance, cet acharnement à devenir un bien de
consommation.
18.03.00
Soirée du label Evénement à La Clef, l'éclipse. Dans l'attente des concerts,
j'ai passé l'après-midi à me promener à St-Germain-en-laye, ville que je
connais bien notamment parce que j'y ai été au collège dans les early eighties,
à St-Augustin, chez les Très Chers Frères des Ecoles Chrétiennes, ce qui de mon
attachement à la ville est de loin la raison la moins sensuelle mais la plus
biographiquement établie que je puisse décemment donner.
J'essaye
de m'accorder une ou deux journées par mois de promenade à St-Germain-en-laye,
le contraste entre la solitude venteuse du parc et l'effervescence vantarde de
la ville, goûter le chaud et le froid, y trouver l'humeur propice à la flânerie
et à ce que les culturistes abonnés appellent quand ils parlent de la salle de
sport qu'ils fréquentent "se nettoyer les idées".
Sur
ce point je mens. Je ne suis pas le genre de type qui se "nettoie les
idées". J'aime les romans de Dostoïevski parce qu'il y a toujours pour moi
le personnage délicat qui réfléchit trop et tout le temps, le réflexif
sensible.
Le
type qui dit : "Je vais à la salle de sport ou je pars en vacances pour me
changer les idées" ça ne me concerne pas. C'est pour cette raison que j'ai
si peu de goût pour les voyages, et ce, au désespoir des femmes qui aiment
qu'on les trimballe partout. Pour ma part, non seulement je suis très
précautionneux et je n'aime pas délocaliser les problèmes.
Dans
la forêt de St-Germain, impressionné et affligé par les dommages que la tempête
de décembre a causée au parc, aux arbres. Eventrés les raccourcis que nous
prenions lors des interminables séances de footing scolaire, selon un parcours
sinueux pré-établi à travers la jungle domaniale par un ancien Para à la
cervelle démobilisée depuis les derniers couvre-feux, et reconverti en prof de
gym mercenaire pour les Très Chers Frères des Ecoles Chrétiennes, dont nous
redoutions l'esprit grégaire et répressif, attendant qu'il nous lâche
littéralement les baskets, soutenu par son sifflet militaire et ses mollets de
Bob Denard qui se rachète une conscience en courant pour l'Eglise, pour
décamper tels des lapins au travers des taillis, puis selon un itinéraire
anarchique protégés par la végétation luxuriante et les arbres centenaires,
rejoindre au plus court, avant tous les bons élèves de l'effort en plein air,
la ligne d'arrivée.
Les
concerts électro du label Evénement, comme une boîte de mécanos musicaux.
Soirée charmante, très bon esprit. David qui a la langue bien pendue a commenté
la musique qui se jouait en disant que ça lui rappelait la bande originale des Contes
de la crypte, et que ça le terrorisait étant plus jeune, qu'après diffusion
il lui fallait impérativement dormir la lumière allumée; en ce qui me concerne
j'ai beaucoup apprécié le set de King Q 4, un peu moins l'installation vidéo
qui l'agrémentait, les playmobils, les légos, plutôt convenue
mais...convenable. David de bonne humeur et toujours un ton plus haut que les
autres, en rajoutait un couplet sur la crypte : "Si ça continue, la
famille électro, elle va finir par jouer pour le pape!" Enfin c'était une
très charmante soirée, j'ai discuté avec Vincent Rulot (le pape de la crypte La
Clef L'éclipse) qui a toujours la gentillesse de garder un oeil sur notre
évolution, et puis j'ai tenu quelque temps le stand du fanzine Planet of sound,
histoire d'être face à la porte d'entrée et de voir arriver les jolies filles,
et il y en eût quelques unes. Du moins, sans vouloir jouer ni les spécialistes
ni les arrogants, des filles qui avaient quelque chose de joli.
Christophe
(le pape de la crypte of sound) m'a confié, excessif (mais c'est le printemps,
même dans l'underground) : "L'un des avantages de cette salle, c'est qu'il
y a toujours des BOMBES qui viennent aux concerts". Sinon j'ai discuté (un
peu court) avec Pierre Blanquet (du groupe Sans oublier le chien), et Sébastien
(.Nolderise) m'a serré la main, quel exploit, à moi un pauvre artiste de
variétés! Et puis la soirée s'est pour ainsi dire terminée miraculeusement,
puisque Jean-Vic s'est réconcilié avec son ex-meilleur ami et l'une des plus
jolies filles de la soirée, pendant que je lui donnais une cigarette dans la salle
consacrée à l'exposition des 15 ans de la Clef l'Eclipse, s'est approchée plus
près de moi encore et m'a murmurée quelque chose dans l'oreille.
Du
moins, sans vouloir jouer ni les spécialistes ni les arrogants, quelque chose
de joli dans l'oreille.
19.03.00
Quand
tu commences à couler à pic, le souvenir du marchand de bouées te gâche ton
plaisir.
20.03.00
Pour
prendre dimension humaine et rentrer dans la boîte aux lettres, les bonnes
nouvelles arrivent souvent escamotées.
25.03.00
Magnifique
temps variable de samedi après-midi éventré, oisif, qui court à la soirée.
Averses bénignes qui n'empêchent pas la promenade, suivies d'éclaircies qui
rendent l'oeil vert, le teint frais et le pavé luisant. D'Auteuil je pars à
pied vers le Virgin des Champs Élysées pour acheter des vidéos en import des
épisodes originaux de The Twilight Zone, the fifth dimension qui a été traduite
je ne sais pourquoi en France par : La quatrième dimension. Dans ma jeune
adolescence, cela passait sur la 5 (la chaîne des amis de Jean-Claude Bourret,
même que mes parents avaient envoyé un chèque de cent francs à l'association de
Jean-Claude pour qu'un jour revienne à l'antenne, et la 5, et The Twilight zone
et Twin Peaks et Jean-Claude Bourret) et les lendemains des diffusions, je me
souviens que dans la cour de récréation, ou en prenant un plat peu ragoûtant au
self-service de la cantine, ou encore lorsqu'on restait interdit à l'arrêt des
bus scolaires sur le passage de Vanessa P. , l'inaccessible jeune madone de nos
élans pubères, une publicité vivante pour, qu'on la côtoie de loin, le
printemps des poètes, et si on l'avait dans sa classe, le salon de la Hot
Vidéo, la sublime et inabordable Vanessa P. qui faisait toujours dire à l'un de
mes camarades face à l'extase qu'elle provoquait chez un autre ou chez moi :
"Attention, tu vas entrer dans la quatrième dimension."
Rue
Raynouard, une jolie fille qui charge un attirail de golf dans le coffre
arrière d'une voiture de luxe. Rue de l'annonciation j'achète du thé en vrac et
une tarte aux pommes.
01.04.00
Ses
joues dans l'après-midi maussade, comme deux betteraves tombées d'un camion sur
une route accidentée de campagne belge.
Le
chômage est en baisse. Je ne sais pas si ils me comptent parmi leurs statistiques.
En tout cas une semaine de plus sans qu'aucun directeur artistique de Major
compagnie ou de label indépendant n'ait crée un emploi. Ma mère me dit que je
dois faire attention quand je sors le soir, attention à ce qu'on ne verse pas
une drogue suspecte dans mon verre pendant que j'ai le dos tourné. Elle a vu
cela à Envoyé Spécial. Ca me fait penser à Will Bill Hickock, le
cow-boy. C'est un type qui n'avait jamais le dos tourné; quand il s'installait
à une table de poker, il choisissait toujours et de manière obsessionnelle la
chaise dos au mur (si la place était occupée il attendait qu'elle se libère)
sauf une fois, la dernière, qui lui fut cruciale, quand vieilli, désabusé et
rangé des caravanes, il s'installa à une place quelconque et se fit descendre
de plusieurs balles dans le dos par un bandit pas manchot mais au bras armé par
le destin pour servir la légende.
Chaque
fois que je distinguais le moindre signe de sa présence, une lumière trop haute
dans l'immeuble voisin, une silhouette similaire dans la rue, mon coeur se
soulevait, légèrement détruit, client spontané des amours irrésolus, et un mal
de vivre fondamental remontait à la surface de manière si imperceptible pour
l'entourage que c'est le genre de signal qui ne peut être perçu que par des
entités extra-terrestres dans la mesure où elles profiteraient d'un point
sensible pour entrer en contact avec nous. Un long moment après, m'apparaissait
la vanité de mon amour pour cette fille dont la résolution avait autant de
chances de voir le jour qu'un émissaire des petits hommes verts de débarquer
avec sa petite amie à trois doigts et son petit drapeau ridicule par
l'embrasure de ma mélancolie, où si j'étais moins con, pour les jours de
spleen, je construirais un péage.
06.04.00
La vulgarité partout : un imbécile qui prenait des photos arty d'une
pauvre fille pâle et vaguement souriante, vaguement consentante, vaguement
agacée, qu'il mettait en scène sodomisée par un pâté sous cellophane dans les
rayons d'une épicerie de quartier sous les regards torves des gérants comme de
la caméra de Paris Dernière. Pour une nouvelle série de photos, l'artiste
inspiré demande à l'épicier de marquer un prix sur les fesses et le téton de la
jeune femme à l'aide de sa machine à étiqueter. Puis de sortir sa bite, et
c'est au tour de la fille de se saisir de la machine à étiqueter. Alors
l'épicier, vaguement gêné, dit - plus à l'attention de la fille que du
photographe :
-
T'en fais pas, j'vais pas bander!"
La
vulgarité partout. Et la misère aussi.
Je
suis toujours triste pour ces filles. Je veux toujours les sauver . Mais
je n'ai pas forcément raison. Peut-être que si la télé renvoyait instantanément
aux acteurs de tel ou tel programme, les pensées de chaque spectateur (et ça
viendra peut-être un jour), la jeune fille, vaguement souriante, vaguement
consentante, vaguement agacée, s'approcherait de la caméra et dirait à mon
attention en mâchouillant un chewing-gum pris à l'étalage : "De quoi il se
mêle celui-là?"
En
studio pour la chanson "Eastwood chagrin disco". Pendant
l'enregistrement : étude comparée des beignets framboise et nutella des deux
faméliques boulangeries qui se disputent le rare client dans la rue principale
du petit village d'Ablis.
Paris.
Café Les Petits Carreaux. Une jeune fille qui y travaille, soit derrière le bar
soit s'affairant dans le restaurant; très belle, grande et fine, le visage
doux, légèrement chevalin; elle porte une jupe noire, un gilet rouge sur une
fine chemise blanche qui dépasse; j'ai l'impression que quelqu'un l'interpelle
en la nommant Nadia. Presque Nadja , et nous ne sommes qu'à quelques
encablures du quartier cher à André Breton. Passant près de moi elle laisse
tomber sur le plancher une bouteille de tomato ketchup Heinz qui se brise en
gros morceaux, et tout d'un coup ça fait beaucoup trop de rouge autour de moi -
ai-je parlé de son gilet?
Quand
Rodolphe me rejoint je lui dis:
-
J'adore cette fille!
Et
Rodolphe, qui vit dans un monde simple, me dit texto :
-
Fais toi la!
11.04.00
Vu une reproduction de la toile de Courbet conservée au musée d'Orsay, peinture
subversive et manifeste en quelque sorte du réalisme trash du XIXème dans le
sens où elle parodie sarcastiquement La Source d'Ingres, en proposant
une vue de derrière et en affaissant les courbes classiques et parfaites
de l'odalisque ingresque, cette toile de Courbet, donc, utilisée dans une pub
télé ventant les mérites d'un produit conte la cellulite!!! La pauvre toile de
Courbet en son temps présage d'une modernité à venir, traitée aujourd'hui comme
une représentation du gras, de ce qu'il faut gommer, effacer, soigner, voire
laisser derrière soi... Bientôt des oeuvres de Miro ou de Pollock seront
utilisées au bénéfice de produits pharmaceutiques contre les points noirs!
Je
vantais les mérites d'un jeune homme (ça m'arrive) à X en lui soutenant que
c'était exactement le genre d'homme qui lui fallait, attentionné, solide,
intelligent, et surtout The right man at the right place. En cas
d'incendie, dis je pour illustrer mon propos, lui déjà il a le casque de
pompier sur la tête, et je ne parle pas de sa coiffure, prêt à braver les
flammes au péril de sa vie pour te sauver, tandis que moi, y a l'feu, qu'est-ce
que je fais?...J'allume ma cigarette...
Canal
Saint-Martin, samedi après-midi, belle journée, beaucoup de promeneurs, une
halte au café Chez Prune, une promenade dans le bas Belleville. Aux alentours
de 22 heures 30, Christian, David et moi allons dîner au Man Ray, sous-titré le
samedi soir : l'usine à bimbos.
Hôtesses
d'accueil et serveuses sexy à la sophistication naturelle dont on tomberait
aisemment amoureux (un penchant, peut-être?), casting de boy's band friqués
reconvertis en patrons de start-up, trous du cul réglementaires dont le pneu
avant de la Porshe fraîchement toilettée baigne dans une merde de chien de race
rue de Berry, jeunes bimbos de vingt ans et parfois beaucoup moins qui se font
tripoter par des quinquagénaires sous le regard vide de leurs bodyguards qui
avalent crûment une salade de poulet à une table voisine, serveurs gays qui ont
des yeux partout et des conseils avisés sur la carte, vieilles pouffiasses
siliconnées jusqu'à la couenne sorties par leurs maris qui baillent avec
satisfaction, filles de magnats du pétrole qui font de la brioche sur les sofas
du coin bar, jeunes femmes qui au retour des toilettes me font des sourires
aussi affriolants et tirés vers le bas que leurs décolletés, bien qu'une rangée
de dents soit moins excitante qu'une paire de seins, bref de l'étage attribué
au bar jusqu'à la salle de restaurant en sous-sol, on se croirait de la tête
aux pieds dans du Bret Easton Ellis.
J'ai
pris des Piccata de veau au parmesan et un dessert au chocolat assez
prétentieux mais plutôt mangeable. David et Christian ont passé la soirée à
zyeuter la table située dans mon dos, à savoir celle où trois jeunes mannequins
devaient supporter la conversation sexuée de deux vieux types avachis, et David
semblait sincèrement choqué de la différence d'âge et tout et tout, ce qui
n'est pas mon cas, car mes vieux jours ce n'est pas dans si vieux que ça!
Pour
la vue autrement, la salle de restaurant étant au sous-sol, patientant dans les
hauteurs du bar qui en fait le tour et la domine, on peut en attendant sa table
se pencher à loisir tels des visiteurs de zoo, sur la calvitie prononcée des
ours et le décolleté plongeant des gazelles qui dînent avec appétit d'une
cuisine minimaliste et vaguement exotique, ou fument le cigare en songeant avec
mélancolie que l'adage : "J'aime mieux être seul(e) que mal
accompagné(e)" n'a dans ce genre d'endroit aucun sens.
12.04.00
Musique. Nous discutons beaucoup avec Cyrille sur l'engagement, la décision de
tout mettre en oeuvre pour que le groupe réussisse et que chacun ait à l'esprit
de ne pas se contenter de la situation, considérer cela comme une routine, un
travail comme un autre, vu que ce n'est même pas encore un travail,
qu'actuellement on est même pas payés pour ça.
L'éceuil
est qu'il est facile de retrouver son confort partout, même dans l'indigence,
la stagnation ou l'à peu près; facile de se laisser traîner d'un concert à
l'autre, d'une répétition à l'autre, en vivotant avec un travail à mi-temps
(pour Frédéric et Jean-Pierre) dans l'attente d'un coup de pouce du destin ou
que quelqu'un du groupe bouge son cul à votre place.
Parfois
je me laisse aller au découragement; je trouve qu'il y a beaucoup trop
d'auto-satisfaction, d'égoïsme, de contentement de soi et en fin de compte peu
d'esprit, peu de conscience politique dans ce groupe. Et puis il suffit
que le travail musical se fasse, s'accomplisse, qu'il y ait de la volonté, une
lueur d'esprit d'équipe, une initiative heureuse et une loyauté pugnace pour me
remettre dans les startings blocs. Mais quelles montagnes russes tout de même
que de placer sa volonté et son destin au sein d'une aventure en commun!
Pour
paraphraser l'écrivain anglo-saxon Sylvia Plath, il y a des jours où on se dit
: "Ne vaut-il pas mieux s'abandonner à la douceur des cycles de
reproduction, avec la présence facile et réconfortante d'une femme dans la
maison?" Tiens, j'aurais dû lire ça à mon ancien bassiste, ça lui
aurait plu.
21.04.00
Mention bon esprit de la semaine : Rodolphe a reçu les contrats
d'engagement du Sentier des Halles qui stipulent qu'à moins de trente entrées
par soirée, le ou les concerts sont tout bonnement annulés.
Une
fille très nature et franchement surexcitée m'arrête dans le métro à la
station Convention : "Je sais qui vous êtes, vous savez? Je ne pensais pas
vous rencontrer dans le métro... Moi j'adore observer les gens dans le métro,
il y a tellement de gens bizarres dans le métro que quand j'en sors je me dis
que je ne suis pas si mal que ça! Au fait, c'est quoi votre nom à vous déjà?
Et
moi d'un ton très détaché, mais en même temps très cordial, je dis :
-
Georges Descrières.
22.04.00
Comme
toutes les jeunes filles qui n'ont eu accès que tard à la culture, (et à un
certain âge on ne doit pas attendre des types que l'on trimballe qu'ils nous
apprennent à lire Plutarque dans le texte), elle essayait toujours de m'épater,
m'en mettre plein la vue sur ses sorties et fréquentations, d'étaler sa science
en toutes circonstances, alors qu'il n'y a par exemple qu'une trop courte
saison pour s'étaler de l'huile solaire dans le dos, et c'était des joutes
incessantes, parce que malignement à chaque fois qu'elle en rajoutait sur telle
expo qu'elle avait vue ou telle oeuvre de philosophie classique ou
contemporaine qu'elle avait compulsée, je lui répondais avec une désinvolture
impeccable : tu sais, je suis très inculte au fond... et ça l'énervait
d'avantage, la piquait encore plus dans son amour propre, car elle comprenait
très bien que cet aveu délibéré d'inculture faisait partie intégrante du
discours habile de l'homme cultivé.
Mais
les garçons ont cette tare, qu'ils ne comprennent pas pourquoi ils se
dispenseraient d'être cruels avec des filles qu'ils ont déjà baisés.
30.04.00
Rentré à quatre heures du matin. Journée d'hier partagée entre scènes et route.
Balances à Rambouillet à midi, puis concert à la Villette dans le brouhaha
diffus du salon de la Musique, enfin retour dans la soirée pour le concert à
Rambouillet. Sous le chapiteau de la Villette, un public d'une cinquantaine de
personnes; heure de notre passage tardive au moment où le salon commence à se
vider de ses visiteurs; quelques filles très belles, assises en tailleur devant
la gigantesque scène. Dans la salle de photographie où nous posons pour l'album
du salon de la Musique, une jeune femme m'apostrophe : "Ca marche très
fort pour vous en ce moment : Jérôme Attal & les Argonautes: vous êtes dans
de nombreuses programmations, on entend parler de vous partout!"
Le
soir à l'Usine à Chapeaux (Rambouillet), nous entrons sur scène vers minuit.
Pas plus de monde qu'au Salon de la Musique, mais une ambiance de café club
cosy et chaleureuse, tournée vers l'essentiel, d'où l'un de nos meilleurs
concerts, tendu, efficace, à la Nick Cave, et qui engage à la confidence comme
à la maestria.
La
présence émouvante d'une fille qui rôde à l'usine à Chapeaux; je l'avais
déjà remarqué quand nous avions fait la première partie de Mathieu Boogaerts en
janvier 99. La noirceur de suie, ardente, de ses yeux.
Vers
deux heures du matin je voudrais l'entraîner par la taille dans la fraîcheur de
la nuit et lui murmurer dans l'oreille d'une ville endormie qui ne m'est pas
familière : Stars all seem to weep de Beth Orton. Franck dans la voiture
me dit qu'il l'a trouvé différente . Oui et non, les mots qui me
viennent sont : ardente, douce et bancale.
07.05.00
Soirée
pauvre dans un quartier chic. J'ai discuté de Balthus, de la société byzantine
et du sex appeal de Cristina Martinez. Puis me suis beaucoup ennuyé. Ai picoré
des bouchées à la reine, petites et verdâtres comme des olives. On m'a présenté
deux fois comme le leader d'un groupe prometteur, trois fois comme un futur
chanteur dans le vent. Réflexion faite c'était peut-être des olives. Une fille
un peu saoule qui croit qu'on est le premier janvier à chaque fois qu'une
pendule indique minuit et qu'il y a des garçons à embrasser autour d'elle, m'a dit
qu'elle lisait mon journal sur Internet et que j'étais un coquin dans l'art de
la suggestion.
Allez,
tout le monde en soirée! Et c'est bien parce qu'il n'y a pas de canapé dans le
désert!
09.05.00
Vu avec bonheur et délectation le tour de force qu'est Rien sur Robert de
Pascal Bonitzer.
Vu
également Henry Fool de Hal Hartley. L'actrice Parker Posey, très juste,
très belle.
12.05.00
Après-midi chez Samuel. Une petite maison dans la cour d'un immeuble du 14ème
arrondissement. Au mur, deux portraits d'Avedon. Je lui parle des séries de
photos que Richard Avedon avait réalisé pour la revue de luxe Egoïste,
Adjani, Bacon, et de la légende qui courrait en 1990-1991 comme quoi la revue Egoïste
n'était déposée que dans certains kiosques et dans de rares boutiques, et les
véritables jeu de piste - course au trésor auxquels il fallait se livrer pour
mettre la main sur un exemplaire. Pour ma part je le trouvais toujours à deux
pas de chez moi, sur le Boulevard St-Germain au niveau de la rue des Saints-Pères.
J'ai
dans ma bibliothèque le numéro avec Adjani et celui avec Warhol qui exhibe les
cicatrices après qu'on lui ait tiré dessus. En 1991, j'étais en fac dans un
cursus très orienté art contemporain, et cumulé à la grande expo commémorative
à Beaubourg et à la sortie française de son Journal, on mangeait du Warhol à
toutes les sauces. Cette fille un peu foldingue, Ultra-Violet, était venue en
cours nous narrer les plus belles heures de la Factory, et avec quelques élus
de ma section nous avions été invités au concert retrouvailles du Velvet
Underground réuni pour l'événement à la fondation Cartier à Jouy-en-Josas. Même
si parmi les étudiants privilégiés que nous étions personne n'osait vraiment
l'avouer, le Journal de Warhol c'était plutôt pénible à lire, voir superbement
rasoir.
Samuel
me fait écouter les premières maquettes du projet d'album de son groupe, My
old Sofa. Et également beaucoup de Beck, qu'il adore et dont il loue le
génie de la simplicité et d'invention. Il me fait une rétrospective en
m'expliquant les différentes périodes et, chansons à l'appui, celles de pur
bricolage sans aucun moyens et celles où il commence à gagner de l'argent avec
sa musique.
David
me dit que sa libido dégringole à vue d'oeil. Que ça fait longtemps qu'il n'a
pas été charmé par une fille. Qu'il trouve toutes les filles moyennes.
Je
lui demande: Même les grandes?"
17.05.00
Interview
fleuve avec Cyrille dans les locaux de Radio Libertaire. L'émission dans
laquelle nous sommes les seuls invités ne dure pas moins de trois heures.
Exercice épuisant : savoir parler, mais également savoir se taire. Cinq de nos
chansons sont diffusées, des auditeurs téléphonent et gagnent des places pour
le Sentier des Halles. Auparavant, nous buvons un verre de vin blanc à L'Estaminet
rue Oberkampf en compagnie de Rodolphe et d'une moitié de .Nolderise; le groupe
Nolderise pour lequel j'ai de plus en plus de sympathie (excepté quand ils se
croient obligés de faire des blagues portées sur le sexe si crues qu'ils
ressemblent instantanément à ce genre de garçons que l'on croise dans un repas
de mariage, un verre à la main, une grande gueule, des yeux lubriques et un
polo rose pale.)
Sinon,
ils ont tout pour réussir: sur scène ils sortent tellement le grand jeu que
dans la vie quand on les rencontre, on les trouve petits (de taille), et on se
dit qu'ils iraient très bien dans le poste de télé; qu'ils vont réussir parce
qu'à coups sûrs ils vont plaire aux cadreurs!
Avant
de rejoindre l'émission de radio nous dînons face au Cithéa, dans un petit
restaurant : Chez Georges, dont la serveuse est très belle, de beaux
yeux clairs et une manière fragile et imbattable de se pencher sur la table, de
vous jeter un sort et de le déguiser en regard, en apportant du vin et aussi un
colombo de poulet.
Ces
derniers temps je suis rentré tard, en voiture, deux trois heures du matin.
Surpris dans la ville ou les banlieues muettes que les phares de la voiture qui
me reconduit chez moi happent une silhouette errante, déplacée , la
silhouette récurrented'une jeune femme qui, apeurée par l'immersion
soudaine d'une voiture dans sa solitude, se cherche une contenance sous forme
de destination.
La
rue de la Convention à Paris ou le parking d'un Habitat en bordure de
nationale. De plus en plus de jeunes femmes errantes, seules, comme à la rue,
prises dans les feux de croisement qui font l'effet sur le moment de mains trop
lourdes, pataudes, qui voulant protéger ne peuvent que blesser, déranger.
C'est
une autre situation mais récemment rentrant avec Christian d'un dîner,
empruntant vers deux trois heures du matin une petite côte de village dans
laquelle Christian conduisait comme un fou, apercevant cette toute jeune fille
qui cheminait à pieds dans notre direction, Christian dans un relan de cette
adolescence grossière dont il a gardé quelques réflexes comme une langue non
maternelle pratiquée en bas âge, lui fit un appel de phares dans le langage des
hommes et dans la fraction de secondes où comprenant ses intentions je le
suppliais de ne pas l'apeurer.
Elle,
l'adolescente qui déambulait dans la nuit noire, et nous dans la voiture avec
pour seul mode d'expression, un débile appel de phares.
20.05.00
Jeudi soir j'ai regardé Pola X, par intermittences, en faisant beaucoup
d'autres choses à la fois, comme téléphoner à C. pour lui annoncer une bonne
nouvelle, faire chauffer de l'eau pour le thé, ou encore surveiller la copie k7
pour Rodolphe de notre passage sur Radio Libertaire. Et je dois dire que
subissant les épreuves de mon dillettantisme appliqué, ça a très bien tenu le
coup, Pola X, j'ai trouvé ça plutôt accrocheur... Si bien que je l'ai
visionné à nouveau le lendemain mais cette fois ci dans sa continuité,
religieusement, et ça m'a profondément plu, j'ai trouvé ça admirable, c'est un
film qui me parle complètement, qui est très limpide pour moi.
Autant
depuis Les amants du Pont-Neuf j'emprunte volontiers le Pont des Arts
quand je me rends d'une rive à l'autre, autant Pola X m'a réellement
captivé, tellement envoûté que même pour annoncer une bonne nouvelle ou me
verser un thé précieux (deux de mes sports préférés) je n'aurais pas la seconde
fois pris le risque de la discontinuité.
Jean-Vic
me fait écouter quelques morceaux choisis des Pale Fountains, un groupe duquel
je suis complètement passé à côté. A priori c'est du The Smiths light, entre
les Smiths et Wet Wet Wet, avec des accents The Supremes dans certains
morceaux. Jean-Vic me dit que ce n'est pas si faux, que dans les années 80 à
Liverpool on écoutait beaucoup de musique afro-américaine comparé à Manchester,
qu'on était davantage tourné vers le monde. Pour parer ma déception devant ces
Pale Fountains il sort de sa sacoche une excellente version live de Some
girls are bigger than others.
Avec
Johnny Marr démonstratif et irréprochable à la guitare, et Morrissey dont
Jean-Vic est convaincu qu'il n'a jamais aussi bien chanté que dans ce live, ce
qui me console car à l'écouter je trouve sa voix notamment dans les écarts
entre graves et aigus bien plus épouvantable que la mienne.Ensuite,
nous prenons un café à Auteuil, et nous réfugions d'une bourrasque de pluie
dans le hall de mon immeuble, quand l'une des très jolies filles qui le
peuplent déboule avec un parapluie ouvert qu'elle coince dans la porte de la
cour, un gag à la Buster Keaton qui provoque chez elle un fou-rire hystérique,
et elle passe devant nous avec son fou-rire pour toute contenance avant de
s'engouffrer dans une voiture garée en double file, ce qui fait dire à Jean-Vic
qui a le sens de la synthèse : "Elle est très jolie, mais qu'est ce
qu'elle a l'air conne : c'est sûrement un mannequin!"
21.05.00
Avec l'immeuble en ravalement, Auteuil ressemble un peu à New-York. Les
échelles extérieures reliant les échafaudages d'un étage à l'autre, et la
nouvelle voisine du dessus, très belle, et qualité principale pour un voisin du
dessous, étrangère à toute notion de haute fidélité. (Je parle musique bien
sûr.)
29.05.00
La
lumière analytique des Jardins de l'Observatoire.
Hôpital
Cochin. Devant le plateau repas qu'on lui a apporté pour déjeuner, Rodolphe me
dit :
-
Aujourd'hui j'ai tout mangé, mais enfant j'en aurais jamais voulu de cette
daube, c'est bizarre comme on devient..."
Samedi
soir, au Fumoir rue de L'amiral de Coligny. Auparavant, apéritif au Coolin où
Christian a commandé des kirs et deux assiettes de nachos avec de la sauce
salsa et du fromage fondu. Il dit :
-
Dans les pays nordiques les jeunes sortent pour se torcher. Et quand les bars
ferment, ils vont tous chez l'une ou l'un d'entre eux pour baiser. L'ironie quand
même, c'est que ce sont des pays où les filles sont jolies et donc t'as pas
besoin d'être bourré pour baiser!"
X
me dit que je suis comme Chatterton; parce que je suis un poète, ce sera dix
fois plus dur pour moi que pour un autre de me sentir bien et d'aboutir à
ce quoi je tends.
05.06.00
En sortant poster un courrier pour le programmateur du MCM Café, je me laisse
enrôler par le temps venteux et pluvieux, une atmosphère exceptionnelle et
douce d'après-midi de décembre. J'achète du thé rue de l'Annonciation, et des
doghnuts au Carrefour de la Porte d'Auteuil.
Christian
m'a téléphoné de Londres pour me raconter cette mésaventure: puisqu'il commence
à s'ennuyer dans son travail - pourtant lucratif - de vendeur d'espaces pour
des compagnies d'électricité, il a profité de son dimanche après-midi pour
aller dans un web café, taper et mettre en ligne un cv. Or le programme
d'élaboration des cv a gardé en mémoire celui d'une jeune anglaise qui a
précédée Christian sur l'ordinateur du web café, probablement dans la matinée.
Notre
ami ne s'est évidemment pas gêné pour lire le cv de la jeune fille (et pour me
l'envoyer par mail). Elle se prénomme Louise, suit les cours de la très
respectable London Contemporary Dance School, et, détail qui n'est pas sans
laisser Christian indifférent, elle a 21 ans.
Et
maintenant, une leçon de tempérament donnée à tous les timides qui en affaires
amoureuses ont pris le parti de laisser les hommes de main du destin se tourner
les pouces.
Que
croyez vous que Christian ait entrepris?
La
jeune fille, cv oblige, ayant laissé son numéro de portable dans l'attente d'un
coup de fil d'un hypothétique employeur, Christian s'est empressé de lui
envoyer via téléphone un mini message qui dit en substance : "Bonjour, je
te contacte car une amie que nous avons en commun m'a donné ton numéro de
téléphone, après m'avoir affirmé que nous ferions la paire tous les deux, que
nous devrions absolument sortir ensemble!"
Le
mystère vaguement flatteur, le romantisme échevelé de la situation ont
évidemment poussé la jeune fille à répondre sans délai (toujours par
mini-messages):
-
De quelle amie s'agit-il? S'est on déjà rencontrés?"
Christian
est très fier de son coup, bouillonne au téléphone. Je lui conseille cependant
de ne pas répondre tout de suite, d'attendre au moins un jour, pour laisser
agir l'imagination de la jeune fille.
X,
à qui je raconte cette histoire, me dit, pas très fair-play:
-
Et ça ne vous est pas venu à l'esprit une seule seconde que c'était peut-être
une fille super moche qui pour se caser avait eu recours au subterfuge de
laisser son cv sur Internet? Le truc évident pour attraper des gogos tels que
vous!"
09.06.00
Mercredi reçu ce mail de Christian :
"Louise
got back to me: (1) She is basically saying that she is sorry for asking more
about the friend than about me. She says that she would be curious to meet me
but is not certain
her boy friend would like....
Two minutes later she is sending one more message (I have not responded in the
mean time): (2) "My enthusiasm"
Guess
that if she did not enjoy my messages, I would not have heard from her...
Suggestions
regarding next move..?"
Je
lui réponds aussitôt, estimant que c'est le moment d'attaquer, de proposer un
rendez-vous (dans tous les sens du terme).
Jeudi,
mail lapidaire de Christian, anxieux:
She
wants to know "when and where?"
Acheté
une énième - mais très belle - édition en anglais d'Ada ou l'ardeur. X
me dit qu'il a réduit du tiers son cercle d'amis. Qu'il ne recherche plus
dorénavant que la compagnie et l'amitié de gens "intéressants". C'est
assez prétentieux. Plus humblement, il me suffirait de fréquenter des personnes
avec lesquelles on ne s'ennuie pas mortellement, et de nos jours c'est
une quête suffisamment difficile comme ça...
Dans
certaines maisons de disques, au poste de directeur artistique, c'est tellement
les chaises musicales qu'ils finissent par en avoir peur de la musique.
17.06.00
La longue marche jusqu'à la courte échelle.
20.06.00
"Femme
qui rit à moitié dans ton lit"...et femme qui pleure à moitié dans ton
coeur.
22.06.00
Déjà, avant, dans le milieu de la Pop, tout le monde il était le nouveau
Gainsbourg, maintenant tout le monde qui chante il écrit son journal
intimesur sa page perso.
Dans
un sens c'est très triste que mon Journal ait du succès, parce que je suis en
train de faire croire au tout venant que chaque chanteur a quelque chose
d'intéressant à dire en dehors de ses chansons.
Mais
bon, soyons bon prince et plutôt fier de susciter des vocations, relevons donc
par exemple dans le Journal tenu depuis un mois sur leur page perso par les
sympathiques Goo Goo Blown (qui figuraient avec nous sur la compilation Planet
of Sound) la date du 24 mai 2000:
"Nous
avons fait un concert pas trop mal en première partie de Venus. Un concert
approximatif, des guitares non accordées ou mals, des morceaux à tout
berzingue. On est comme on est. On a pu tester sur scène notre nouveau morceau
Devilish FantaZia. Que dire, une sorte de ballade piège, une douceur qui ne
demande qu'à exploser...
Florence portait une jolie robe Courrèges jaune avec je cite « des
poches en forme de pacman »."
Mes
lectrices et lecteurs auront d'emblée compris que ce qui m'intéresse dans ce
petit paragraphe, c'est simplement ce tronçon de phrase: Florence portait
une jolie robe Courrèges jaune (...)
Florence
portait une jolie robe Courrèges jaune, Florence portait une jolie robe
Courrèges jaune. Qu'est ce que tu peux dire après ça? C'est définitif. C'est
trop fort. C'est la fin du monde.
25.06.00
Concert
très chaleureux à Maules sous le chapiteau Latcho-Drom. Festival organisé pour
la Croix Rouge par l'association Toumélé. Gentillesse admirable de tous les
bénévoles. Nous avons, je crois, charmé et conquis de cent à deux cent
personnes qui n'avaient jamais entendu notre musique. Le concert a duré une
bonne heure et demi parce que je me suis montré plutôt loquace entre les
morceaux, l'ambiance était prompte à la confidence (vraie ou fausse), il avait
plu toute la journée et quand nous sommes entrés sur scène aux alentours de 21
h 45, le soleil était revenu, juste pour une toilette du soir sans nuages,
baigner la clairière du chapiteau et se coucher. J'ai dit au public: "Ce
matin pendant les balances, on a eu peur, il pleuvait des cordes, mais avec les
jeunes gens de la Régie on s'est servi de ces cordes pour tendre les toiles du
chapiteau, et permettre au soleil de revenir."
Après
le concert, une jeune fille de l'organisation s'est précipitée vers moi pour me
dire : "Je suis désolée pour le monde...". Comme je m'étonnais, elle
poursuivit : "oui, deux cent personnes, on en attendait plus, mais la
pluie toute la journée, l'euro 2000 à la télé..."
C'était
très charmant de sa part et je l'ai rassurée en lui assurant que pour moi
c'était parfait, vu de la scène le chapiteau était comble et l'ambiance
exquise.
Racontant
cela plus tard à Rodolphe, j'ajoute avec amusement:
-
Tu imagines, c'est pas au Sentier des Halles que la gérante elle vient te voir
pour s'excuser qu'il n'y ait pas le nombre de personnes espérées!
Retour
à Paris après le concert, soirée chez Franck, agréable et très classe. Buffet
choisi avec goût. Bienfaisance de la glace à la vanille vers trois heures du
matin. Il y avait une fille très charmante (qui a également, si ce n'est davantage,
tapé dans l'oeil de Rodolphe) et qui en quittant les lieux m'a fait un bisou en
me disant étrangement "On ne s'est pas vu" alors que j'ai passé une
bonne demi-heure assis en face d'elle, même si effectivement nous n'avons pas
échangé le moindre mot, chacun harponné dans son petit groupe de parole.
A
sa politesse déguisée en regret, j'ai répondu d'une voix blanche et poétique :
"Au moins on se sera dit au revoir."
Dans
le chagrin d'un soir, si familier qu'on s'y sent vivre, quand tout porte à la
mélancolie, nous retrouvons ce temps de l'enfance, dilaté sans la peur de
l'échéance, de la disparition, cette volupté de l'amour impossible comme gage
d'une douce et contagieuse immaturité, où l'attraction des uns pour les autres
ne prenait pas la necessité d'une consommation directe, immédiate, tu me plais
je te plais allons dans un coin nous déplaire à nous mêmes, il y avait le temps
long, paisible et sans urgence d'emporter le regard de la voisine, de détourner
ses fictions, la stratégie raisonnée et dorénavant peu valable de devenir un
frère avant d'être un amant, il y avait une mélancolie active, qui travaille,
se nourrit d'un calendrier scolaire, je jouais au tennis seul en renvoyant ma
balle contre le mur brûlant...et Florence portait une jolie robe Courrèges
jaune.
28.06.00
Douce
promenade matinale Boulevard St-Germain. Hier soir j'ai visité un appartement
avec Céline et Rodolphe qui cherchent à s'installer ensemble, rue Rodier, dans
le neuvième arrondissement. Immeuble étonnant avec tous les locataires qui
mènent une vie très jeune et conviviale de sit-com américaine, la cage
d'escalier sur quatre étages chargée de guirlandes, figurines et décorations de
Noël, simplement "oubliées" d'avoir été rangées depuis décembre
dernier!
Hier,
au St-Augustin, 18h45, deux filles qui prennent un verre à la sortie du tennis,
chaussettes basses sur baskets, deux raquettes bâchées posées à côté de leurs
jambes nues (2 et 2 font 4) interminables. L'une est en short, l'autre en jupe
courte. Christophe me dit que je devrais demander des copyrights sur les
Journaux intimes qui deviennent un leitmotiv chez les chanteurs des groupes
français abonnés à Internet ou à Planet of Sound. Il ajoute que je suis de
mauvaise foi pour le Florence portait une jolie robe Courrèges jaune,
que c'est "le truc attalien par excellence". J'en conviens.
D'ailleurs, aucune mauvaise foi de ma part, puisque justement j'ai relevé ce
passage comme étant celui qui m'intéressait le plus, quant à demander un
copyright sur les filles que je n'ai pas...c'est une idée de la poésie et de la
mélancolie un peu extrémiste tout du moins très audacieuse.
Dans
la rue les gens déambulent suspendus à leurs portables, ils ne suivent plus un
chemin mais une conversation, non seulement le téléphone portable démontre de
la manière la plus manichéenne qui soit que le hasard n'intéresse personne en
tant que mode de vie, mais en plus il ordonne à chacun d'être joignable sur
l'instant, avec si peu de désir ou de science du moment que ça en devient une
contrainte ou une obligation, un type qui possède un portable et ne répond pas
au bout de la troisième sonnerie devient automatiquement suspect dans l'amitié
qu'il vous porte, comme s'il vous en voulait de quelque chose, détenait une
raison contre-nature de ne pas se laisser joindre par vous. Encore plus
qu'hier, on se parle pour (un) rien et bientôt ça dispensera de se voir, un
type et une fille se téléphonant pourront très bien se croiser physiquement
dans la rue sans même se reconnaître car trop absorbés dans la conversation qui
les relie; en même temps on se donne les moyens d'être rattrapé partout; je ne
sais pas ce qu'ils se disent tous, mais dans le quartier latin aujourd'hui ça
papote à en vomir, c'est l'ère de l'anecdote et du dépassement de forfait.
Christian,
dans ses oeuvres (internationales), a rancardé ce soir en tête à tête une jeune
tchèque dans un resto branché et très chic de Londres.
-
En parlant de chic, me dit-il, c'est bien parti, parce qu'on a dîné il y a
trois jours avec des collègues parmi lesquels cette jeune fille d'origine
tchèque, et au milieu du repas au lieu d'étendre mon bras au travers de la
table pour attraper les assaisonnements, je lui ai demandé le plus poliment du
monde si elle voulait bien me les passer. Whoooa! s'est elle exclamée, qu'est
ce que tu as comme classe Christian! Ce n'est pas dans mon pays que les garçons
se comportent avec tant de manières à table!
-
Dans le mien non plus!" aurait pu répondre Christian. Mais sans doute
a-t-il deviné qu'il y gagnait en tout point à se laisser flatter sans moufeter.
J'ai
acheté l'album de Katerine, Les Créatures, pour la chanson l'appartement
que j'avais entendue chez Samuel, scandée par ses caractéristiques : "Tout
mortel cette chanson!".
Alors
parlons immobilier, un appartement c'est quoi? Un hôtel particulier du
pauvre...
Bon
j'exagère, c'est vrai que tout le monde il est le nouveau Gainsbourg, mais
convenons que Katerine s'en sort plutôt bien. Très bonne chanson.
Il
y a du foot à la télé. Je sors me promener dans Auteuil très calme où, sur la
placette face à l'église, il y a quelques filles accroupies autour d'un jeune
chevelu qui gratte péniblement trois accords de guitare, et se prépare sans
doute à la pêche à la finlandaise sur la plage du Canet.
En
rentrant je déballe le livre "The Essential Groucho" trouvé ce midi à
la librairie anglaise, fais chauffer l'eau pour le thé, et me jette sur la
chronique: "Why Harpo doesn't talk?".
01.07.00
Paola et Stéphane Baroni m'ont invité à déjeuner au Coolin, jeudi midi. Tandis
que nous nous installons dehors, Paddy Sherlock me hèle, lui-même attablé en
terrasse en très (très) charmante compagnie. Il me dit tout de suite:
-
Tu as vu qui est là? Dora! La serveuse (voir au 29.11.98.)
Elle est revenue. (elle était partie) Je lui ai parlé de toi l'autre jour parce
que cherchant mon nom sur le moteur de recherche Google, voir si j'étais
référencé avec mon groupe et le groupe P18 (dont Paddy fait partie) je suis
tombé sur ton journal à la page où tu parles du Coolin et de Dora, et je lui ai
rapporté qu'un jeune homme lui consacrait un poème sur Internet, ce dont elle
était très surprise et intriguée. Tu veux que je te la présente?"
Et
pendant que Paddy cherchait des yeux la jeune fille qui servait des Coca-light
et des Guiness extra cold quelques tables plus loin, je lui ai fait comprendre
que non, que je n'étais pas trop dans l'ambiance - ce qui était vrai - que je
venais déjeuner calmement avec des amis et que les présentations m'embarrasseraient
plus qu'autre chose.
Stéphane
a trouvé très jolie la jeune fille qui accompagnait Paddy. Très jolie. Elle a
commandé un Orangina. Ce détail m'a frappé et j'ai été envahi sur l'instant
d'une longue, extra-dry tristesse, songeant que je ne me souvenais pas de toute
ma vie avoir fréquenté des filles qui commandent à la terrasse d'un café un
Orangina, je veux dire spontanément.
Quant
au Coolin, c'est une bonne nouvelle que l'adorable Dora soit revenue prendre du
service; l'été s'annonce d'excellente composition.
02.07.00
Orage régénérateur. X au téléphone me dit:
-
Je ne sais pas si tu te rends compte, mais il y a un effet Brocéliande
aujourd'hui sur Paris."
Je
regarde le documentaire Jean Marais par Jean Marais à la télévision (que
j'ai déjà vu deux ou trois fois; en fin de documentaire, cette phrase très
humble, pleine de reconnaissance, de Jean Marais: "Dans la vie, ça a
toujours été une injustice à mon profit...") et lis d'une traite Theprofessor of desire, de Philipp Roth, excellent, et encore en disant
excellent, c'est assez réducteur.
Retrouvant
dans des cartons une photo de Nathalie Bachmann par Dominique Isserman, je la
punaise au mur en l'honneur de l'effet Brocéliande et du personnage de Helen
Baird, sublime, dans le roman de Philipp Roth.
A
la question de mon marchand de journaux concernant un départ en vacances, je
réponds par la négative et il me dit "Je sais très bien ce que vous
voulez. Ce que vous voulez, c'est garder Paris pour vous tout seul."
07.07.00
Il a plu à gros bouillon toute la journée, aussi ne fut elle pas délicieuse
dans les ténèbres de l'été, l'apparition de cette fille en sandales de plage
très élégantes, à léger talon en bois avec un carré de tissu paille-or
recouvrant le haut du pied, qui monte dans la rame comme moi à Michel-Ange
Auteuil et descend quatre stations plus loin, rue de la Pompe.
Elle
va avoir l'air fine, rue de la Pompe, avec ses sandales.
Prise
entre une souricière d'éclairs naturels au dehors et une autre de néons
lumineux de supérette chic au dedans, une jeune anglaise les cheveux blonds
noués en une natte, une veste en jean bleue foncée dessous laquelle dépasse un
petit haut blanc brodé, très travaillé, sur une jupe grise suffisamment courte
pour laisser flotter immatériellement deux jambes blanches qui finissent par
s'embourber dans des bourrelets de chaussettes de tennis et de grosses baskets
péraves. Nous nous observons un peu avec complaisance, et puis tout d'un coup
je pense - je passe - à autre chose, je m'attarde sur l'idée que si Marcel
Proust avait vécu aujourd'hui, il aurait longé de son domicile le boulevard
Haussmann pour venir s'extasier, non pas sur une madeleine, mais sur la
finesse, la banalité exotique, la simplicité et donc la formidable étrangeté du
sandwich Marks and Spencer.
09.07.00
Ne pas considérer comme une défaite de n'avoir su insuffler aucune moralité,
aucune rigueur, aucun tempérament à certains de ceux avec lesquels j'ai
travaillé, construit des choses dans le domaine de l'artistique, en revanche ne
plus se faire de la bile à éprouver à plus ou moins long terme leur lâcheté,
leur absence de droiture morale, leur passivité, leur mesquinerie et leur
étroitesse d'esprit, ajouté à ce que Stéphane Zagdanski nomme dans son dernier
ouvrage : "la jalousie des ratés".
Luxe
de boire un chocolat chaud en plein mois de Juillet, la pluie qui tombe
abondamment contre les carreaux de la fenêtre, une tasse de hot coco
accompagnée d'une part de tarte à la mirabelle.
Il
y a des matinées où vous vous réveillez à côté d'une fille, vous prenez une
rapide douche, trottez jusqu'à la boulangerie la plus proche, et là parmi une
file indienne de types seuls - en pantalon de jogging ou pas - qui achètent
invariablement deux croissants au beurre ou - comble de la fantaisie - deux
petites brioches sucrées émus par le souvenir tout chaud des seins de celle qui
les retient quelque part, vous n'avez d'autre choix ou d'autre inspiration, on
ne se refait pas, que d'opter pour une gigantesque tarte à la mirabelle.
Professeur de désir de Philipp Roth, longtemps que je n'avais pas lu
un roman qui me bouleverse tant. J'écoute Au pays de mon premier amour
de Katerine.
X:
je n'ai jamais rencontré un être aussi inerte et peu soucieux des gens avec
lesquels il s'engage, si tant est que ce verbe ait pour lui une quelconque
signification.
Dans
ses rêves il doit se prendre pour quelqu'un de volontaire mais c'est juste un
porteur de cantine dans la bataille des consciences.
C'est
triste mais quand je pense à lui, l'image la plus précise et définitive qui me
vient à l'esprit, est celle d'une cacahuète qui attend le salage.
10.07.00
Avec
sa mini-jupe et ses jambes élancées dans la fraîcheur du soir, elle fit une
entrée aussi cool et chaloupée que l'arrivée sur Paris par le tunnel de
Saint-Cloud.
Pour
accompagner son entrée, si le dj avait eu un tant soit peu de djugeotte, il
aurait joué: Somevelvet morning, de Lee Hazelwood.
D'après
David, X est le style de fille hype qui va s'extasier pour la forme sur le
dernier Death in Vegas, mais qui est du genre à écouter du Joe Cocker en
cachette.
J'admire
toujours avec un étonnement mêlé de vanité le peu d'effet que je fais sur les
connes.
13.07.00
De l'usage de la franchise comme sauf conduit de la bêtise. Un type qui va
débiter les pires âneries justifiera son discours en proclamant qu'au moins
il est franc, qu'il a l'honnêteté de dire ce qu'il pense, peu importe
que ces propos soient complètement à côté de la plaque, erronés ou stupides, il
se dédouanera de réfléchir, à ses yeux comme vis-à-vis de ses interlocuteurs,
du moment qu'il se sent parler ouvertement, insistant constamment sur le
courage de sa parole censée valider en toute occasion la justesse de ses idées;
mais malheureusement l'ouverture de la bouche n'est pas proportionnelle à l'ouverture
d'esprit, ou alors... les poules auraient des dents.
Avant
hier, j'ai subi les réclamations de mon groupe (Jean-Pierre, Frédéric,
Cyrille), les interrogations téléguidées dans le style: "Nous nous
demandons si l'image que tu donnes de nous dans ton journal intime ne va pas
nous nuire par la suite etc. etc."
15.07.00
Tandis
que j'écoutais X et ses leçons de morale à deux balles, je songeais: garde ta
morale pour toi et file moi les deux balles pour m'aider à sortir mon cd.
X
me dit qu'il a revu par hasard telle jeune femme qui lui a aussitôt demandé de
mes nouvelles.
-
Elle t'aimait beaucoup, me dit X, tu excitais sa fibre maternelle. D'ailleurs,
tiens, elle est tellement excitée de fibre maternelle que je la vois bien
donner le sein à son mec! Y a des filles comme ça. Moi, poursuit X, j'étais
avec une fille qui adorait me donner le bain. Me faire prendre des bains! Et je
m'y pliais de bonne grâce dans les premiers temps, mais pouah! que j'avais
horreur de ça! Car, tu vois, j'aime être seul dans ma salle de bains."
En
regardant la vidéo du défilé Gaultier haute couture hiver 2000/2001, je pense
au tableau de Duchamp: Nu descendant l'escalier.
Dîner
à La Marine, quai de Valmy. Je prends une salade de goudda et de mozzarella
(moyen), suivie d'un mille feuilles de rougets (succulent) et d'un café
(noisette). David me parle de la beauté des filles à Aix en Provence (dénudées
avec la saison) qu'il a pu endurer lors d'un récent déplacement.
19.07.00
Vers 14 heures, aujourd'hui: de très belles femmes arpentent le rayon librairie
de la fnac Montparnasse.
Un
jour j'ai eu 19 ans et depuis la vie a consisté à oublier l'odeur des pulls de
X, l'odeur de la lessive avec laquelle sa mère lavait son linge le week-end, en
prévision d'une semaine dans un pensionnat pour jeunes filles d'un coin huppé
de la banlieue parisienne. L'odeur de cette lessive précisemment, mêlée à
l'odeur naturelle de son corps, chaud, fragile et irritable.
29.07.00
Une nuit de la semaine dernière, la foudre et le tonnerre ont respectivement
lacéré le ciel et grondé de manière imprévisible et violente, sans interruption
pendant une heure ou deux, aussi le matin je ne fus pas tellement surpris en
voyant les pompiers s'affairer dans la petite cour formée par l'encadrement des
bâtiments, or la raison en était toute autre, le décès d'une voisine, une
vieille dame d'origine asiatique décédée sans douleur dans la nuit, et que
j'apercevais de temps à autre l'après-midi, prendre un bol d'air et effectuer
inexorablement une petite ronde dans la cour.
Elle
vivait seule. Un jour, il y a de cela plusieurs mois, elle s'était écroulée en
larmes dans le hall de l'immeuble, confrontée à la méchanceté d'une employée de
la Fnac Service qui venait de lui vendre un format de piles inadéquat pour son
poste radio et, après que la vieille dame s'en fut aperçue et retournée
aussitôt à la Fnac, l'employée avait refusée de les lui échanger prétextant que
le magasin était maintenant fermé depuis cinq minutes, que si elle se trouvait
encore derrière son comptoir c'est qu'elle avait deux trois bricoles à régler
avant de partir en week-end, mais qu'elle n'était plus habilitée à satisfaire
les désirs du client, qu'il faudrait de fait repasser non pas demain parce que
demain c'était fermé mais lundi, et la vieille dame asiatique toujours très
polie même devant tant de vitupération et d'inconséquence, avait obtempéré;
puis après avoir marché quelques mètres, à l'idée qu'elle allait être privée de
sa radio tout le week-end, s'était écroulée en sanglots en passant le porche.
Cette
histoire me fut rapportée avec émotion par Marine qui venant me rendre visite
ce soir là, passa le porche en même temps que la vieille dame, et la voyant en
larmes, paniquée, comme uneenfant abandonnée, lui demanda si
elle pouvait de quelque manière que ce soit lui être secourable. Après que la
vielle dame lui eut racontée en étouffant ses larmes son histoire de piles,
Marine s'en alla d'un pas décidé à la Fnac Service arracher le bon format à la
vendeuse éberluée qui haussait les épaules et soufflait comme un boeuf pour
bien signifier qu'elle avait eu une journée fatigante, pensez vous un samedi,
et n'était pas à la merci du bon vouloir des clients après l'heure de
fermeture!
Quand
Marine eut rapporté triomphalement les bonnes piles à la dame âgée, celle-ci
dont les larmes de tristesse s'étaient changées en petites larmes de gratitude,
rieuses, invita Marine à prendre une tasse de thé dans son appartement.
Les
jours qui ont suivi l'orage, j'ai songé à cette vieille dame asiatique, qui
avait raconté à Marinecombien elle était solitaire par la force des choses et
pauvre aussi, pratiquement sans ressources à l'exception de ce minuscule
appartement dans un quartier chic, puis elle avait proposé à Marine de venir la
visiter de temps en temps, mais la timidité, la peur de déranger même des
personnes qui adoreraient être dérangées par quelqu'un d'autre que le releveur
de compteurs EDF, et la vie qui apporte à chacun son lot de tracas à surmonter
et d'énigmes solubles ou insolubles à résoudre au quotidien, ont fait que
Marine n'a pas, à ma connaissance, eu l'occasion de retourner voir la vieille
dame.
Aujourd'hui
la vielle dame est morte. Je n'ai pas parlé de cette mort à Marine qui cette
semaine a eu son lot de soucis et fut déjà d'une fragilité extrême quant à la
vie, j'y ai donc pensé seul, et gardé cette mort pour moi, jusqu'à ce que je
l'écrive maintenant, maintenant que le soleil revient, et qu'il rend déjà
lointain la nuit d'orage de la semaine dernière. J'ai aussi pensé à cette fille
de la Fnac Service, qui n'y travaille plus depuis un bon bout de temps, mais
qui doit exercer ailleurs sa mauvaise humeur à la fin d'une semaine difficile.
C'est
comme ça, que voulez-vous, il y a des gens qui ont eu une journée exténuante et
dont le client qu'ils viennent d'envoyer sur les roses, va, lui, trouver le
repos éternel, calmement, au milieu d'une nuit agitée.
30.07.00
J'ai
apporté les films pour la jaquette et la bande master du disque à la boîte de
pressage. L'album sortira de l'usine dans moins de quinze jours. Ensuite, ce
sera le moment de vérité...
Dîner
avec David dans son nouveau quartier; il vient d'emménager rue Nollet, entre la
Place Clichy et les Batignolles. Chez lui, où nous prenons l'apéritif, il me
fait écouter un disque des Smithereens, Blood and roses une très bonne
chanson pop de ce groupe américain issu des années 80. Quand nous sortons du
restaurant rue des Dames, entrent deux filles dont une avec un fichu, pas mal
fichue.
X:
une liane avec des épaules et une poitrine lasses, bronzées et jolies. Un beau
brin de fille comme on dit, qui en plein été rend le coup d'oeil aiguisé des
garçons coupant comme la faux dans la peinture symboliste. Elle a été très
gentille avec moi, s'est montrée très soucieuse de notre rencontre. J'ai pensé
qu'il aurait fallu un néologisme pour parler de ses seins, et j'ai trouvé:
grandilotrash.
01.08.00
Je ne peux pas disparaître une journée, il y a toujours un nouveau problème qui
survient, et qui malgré la bonne volonté d'un tel ou d'un tel ne se réglera pas
sans que j'intervienne physiquement à un moment ou un autre. C'est un leurre,
tout du moins dans un travail où vous êtes le système nerveux, et quel que soit
le nombre de personnes impliquées, c'est un leurre de croire que les problèmes
vont se résoudre dans votre dos. Il faut se battre sans mesure et sans cesse
battre la mesure; être à la source et assurer les relais, à tous les niveaux.
Du
moins, tant que vous n'avez pas un clip qui passe en boucle sur M6.
Marine
me rapporte les propos de Georges Bécot, metteur en scène de théâtre, qui lui
parlait récemment du découragement qui l'avait saisi en préparant sa pièce:
-
Aujourd'hui les gens dès qu'ils n'ont pas l'impression de gagner 200 balles,
ils foutent rien! Parmi les personnes avec qui je travaillais sur mon dernier
spectacle, il y en a qui ne se gênaient pas pour me faire sentir qu'en venant
bénévolement participer à ce spectacle, et bien que libres d'y participer ou
pas, ils perdaient cent francs du petit boulot qu'ils avaient dû quitter plus
tôt pour venir aux répétitions!"
-
Quand Georges, ajoute Marine, disait qu'il fallait du tissu pour tel ou tel
décor, il y a des participants, des acteurs, qui trouvaient incroyables qu'on
puisse leur demander à eux d'aller se démener pour chercher du tissu!
Ce
qui est triste, me dit Marine, c'est que les gens n'ont aucune conscience de
leur niveau d'investissement."
03.08.00
Coucher
avec...coucher sous...coucher sur... coucher dans...et encore debout.
05.08.00
Il y a des personnes sidérantes qui vous ont vu la veille une bonne partie de
la journée, et qui vous appellent le lendemain au téléphone en vous demandant:
"Alors, quoi de neuf?"
07.08.08.
Il
y a des personnes sidérantes qui vous ont vu la veille, et qui vous rappellent
le lendemain au téléphone en vous demandant: "Alors, quoi de neuf?"
Vendredi
soir je suis allé chercher Christian à la Gare du Nord. Nous sommes allés dîner
au Royal Belleville, vers une heure du matin, une cantine asiatique où c'est un
peu l'usine mais dotée d'une ambiance très spéciale, avec pour clients une
faune hétéroclite de nuitards, d'artistes sans le sous, et de gens du quartier
.
Ce
week-end j'ai enfin compris quel était le métier de Christian, je m'étais
trompé à la date du , cela dit ne demandez pas à un type qui est au chômage
comme moi de comprendre le métier de types qui travaillent et gagnent plus de
20 000 par mois, car ce serait comme demander à quelqu'un qui n'a jamais lu
Dostoïevski de spéculer sur la nature de l'attirance entre Nastassia Filippovna
et le prince Mychkine. Donc Christian est une sorte de courtier dans le domaine
de l'énergie, et il raconte qu'en Angleterre il y a un pic de dépense d'énergie
aux alentours de 17 heures, et je comprend enfin ce qui nous rapproche Christian
et moi depuis toutes ces années, et réduit à néant toutes les distances qu'il
peut y avoir entre un viking et un ménestrel, c'est que Christian ne fait rien
d'autre que spéculer sur l'heure du thé.
Aux
dernières nouvelles X va se faire virer de son travail. Comme elle est
enceinte, elle préfère arrondir les angles et dire qu'elle ne reprendra pas,
après avoir accouché. Elle vit avec un type qui roule sa bosse dans le domaine
juridique, un vrai connard qui mesure son bien-être à sa stature, et qui est
odieux avec elle, très lunatique, un mec acariâtre qui la traite comme une
chienne; là encore, X arrondit les angles, lui cherche toujours des excuses et
lui passe de la pommade en société. Dans chaque conversation qu'elle peut avoir
à l'extérieur, elle n'arrête pas de vanter les mérites de cet homme avec qui
elle va avoir un enfant; mais lui il la méprise. Il ne voulait pas d'enfant
tout de suite. Et comme ils vont devoir déménager pour un appartement plus
grand, il passera sans doute un peu de sa colère un soir où elle aura tardé à
préparer les cartons.
Y
qui la connait également, synthétise la situation en disant que c'est une fille
complètement dépassée par son processus de couple. Parfois, il m'arrive de
penser qu'on devient rapidement prisonnier de ses rencontres, ce n'est même
plus une question de lâcheté, parce que ce serait certainement la même chose
avec quelqu'un d'autre, il y a simplement que l'on devient trop las pour
recommencer à zéro, et du moment qu'on arrive à construire dans sa prison une
chambre avec vue sur la mer, alors on accepte les soupirs sans conséquences de
la médiocrité.
15.08.00
Ca
avait été une journée de travail particulièrement éprouvante pour lui. Parfois,
au milieu de la paperasse qui s'agglutinait sur son bureau, des compromis, de
la patience incroyable qu'il faut pour argumenter au téléphone et faire passer
une idée à-priori simple, il respirait en pensant que cette après-midi là elle
était restée à la maison; qu'elle devait diluer son odeur délicate, irrésistible,
en passant d'une pièce à l'autre, de la cuisine où elle prendrait de l'eau
fraîche dans le réfrigérateur jusque dans le canapé du salon où elle
s'installerait, après s'être déchaussée; à demi-allongée avec un magazine.
Qu'il l'imaginait belle dans ce travail qui consiste à s'ennuyer
délicieusement, à préparer un dîner tout préparé, et à jouer les passe-muraille
dans l'opacité de l'absence.
Il
était rentré, enfin, harassé. Il avait prit une douche qui ne l'avait pas guéri
de sa fatigue. Ils avaient fait l'amour et ça ne l'avait pas guéri de sa
fatigue. Ils avaient dîné sommairement. Depuis la minute où il avait franchi le
seuil de la maison, elle avait fait l'enfant et l'avait relancé plusieurs fois
en insistant très fort pour qu'il l'emmenât danser. Elle lui avait demandé
encore, se tenant derrière la porte de la salle de bains avec une cigarette
allumée, pendant qu'il prenait sa douche. Elle lui avait demandé avant, et
après qu'ils eussent fait l'amour.
Il
était fatigué, les yeux rouges et la tête embrumée, mais après le dîner durant
lequel ils n'avaient pas trop parlé, ni l'un ni l'autre, comme il n'aimait rien
de plus au monde que de lui faire plaisir, lui faire plaisir et lui donner du
plaisir, il alla jusqu'au porte-manteaux chercher dans la poche de sa veste les
clés de la voiture. Elle l'embrassa, courut aussitôt vers la chambre pour aller
changer de robe.
La
fatigue eut quand même raison ce soir-là de la volonté d'un homme de faire
plaisir à la femme qu'il aime. Faire plaisir et donner du plaisir. Que vient
faire la fatigue dans tout ça?
Après,
quand on raconte la suite de l'histoire à des gens qui les connaissaient, elle
ou lui, que la voiture a quitté la route et s'est encastrée à vive allure dans
un arbre, que dans la violence du choc elle a été tuée sur le coup, ce qu'on
retient surtout, c'est qu'elle voulait aller danser et qu'il a dit oui.
Dans
la suite de l'histoire, la fatigue, on s'en fout.
17.08.00
Revu L'homme qui aimaitles femmes de Truffaut. Charles Denner y
est époustouflant. Quelques scènes admirables comme celle de la baby-sitter et
celle où Denner retrouve par hasard le grand amour de sa vie dans un hôtel
parisien. En revanche la scène d'ouverture et la scène finale au cimetierre,
même si j'en comprends l'argument, m'emballent moyen. En tout cas ce qui est
absolument charmant tout le long du film c'est la vision de ce temps désuet où
les gens continuaient à se vouvoyer après avoir couchés ensemble. Il est où ce
temps là, maintenant, dites, il est où?
21.08.00
(
J'ai reçu du courrier dans lequel on me dit "J'aime beaucoup le personnage
qui s'appelle X, c'est un sacré personnage.". Donc, n'ignorons pas les
lecteurs les plus enthousiastes et risquons nous à une petite mise au point:
autant le dire tout de suite, quitte à choquer ou désarçonner les plus fervents
d'entre vous, IL N'Y A PAS DE PERSONNAGE QUI S'APPELLE X.
Pardon
sincèrement du chagrin que je cause - j'en suis conscient - avec de telles
révélations, mais j'emploie X comme une lettre générique qui masque l'identité
de la personne en question - puisque le propos est justement de ne pas
en faire un personnage - et sous le terme de X je peux aussi bien parler de
quelqu'un qui m'est proche que d'une vague connaissance; d'une amoureuse à qui
il ne faut pas trop promettre, comme d'une amoureuse qu'il ne faut pas trop
compromettre.
Et
lorsque je mets en cause dans un même récit deux personnes que je n'ai pas
envie pour diverses et multiples raisons de citer nommément, je me vois
contraint d'employer X et Y; Y n'étant pas dans ce cas l'initiale d'un copain
qui s'appellerait Yannick.
En
revanche, quand je dis: Florence portait une jolie robe Courrèges jaune; ce
n'est même pas moi qui parle. )
27.08.00
Cela
fait un an que David me bassine avec Eyes Wide Shut en me soutenant que c'est
un film parfait pour moi, que je ne peux qu'ADORER. Je l'ai vu cette semaine et
en effet c'est d'une beauté à couper le souffle. Tout simplement magistral. Je
mets bien trois jours à m'en remettre et à commencer à penser que le propos est
un tantinet moraliste tout de même...
Repérages
pour le tournage de l'émission sur la Cinquième. Très bonne entente avec le
réalisateur : Sébastien Folin. C'est une série de douze émissions dont la
diffusion est prévue pour Noël, (un peu sur le principe de "Dancing in the
street" l'émission sur les divers courants musicaux produite par la BBC)
qui trace un panorama de la chanson française par thèmes: nous apparaîtrons
dans la catégorie nouveaux talents dans l'émission intitulée "les
Guerriers du verbe", partageant le générique avec des images d'archives
sur Gainsbourg, Souchon, Daho, et une interview de Thomas Fersen par Alain
Manneval. J'ai écrit un petit scénario auquel Sébastien Folin a apporté de très
bonnes idées. Nous tournons la semaine prochaine dans une école des alentours
de Rambouillet. Cyrille s'est investi totalement dans le projet, s'est occupé
de recruter les enfants qui vont jouer les élèves, et comme il travaille en ce
moment dans un supermarché pour pouvoir payer les répètes, il va essayer de
demander qu'on lui fasse un prix pour acheter des boissons et des gâteaux afin
de préparer un goûter pour les enfants sur le tournage.
01.09.00
Photo
du tournage de l'émission musicale pour la Cinquième qui sera diffusée à Noël:
------------------------------------------
Dernière
soirée du mois d'août: pique-nique sur le Pont des Arts, ambiance bohème chic.
Il y a des jeune gens qui viennent spontanément et vous souhaitent "bon
apéro", des gens du quartier et puis d'autres qui se sont donnés
rendez-vous par Internet: l'internaute qui prend l'initiative envoie un mail à
trois copains en leur demandant à chacun de proposer le même rendez-vous à
trois copains et ainsi de suite. Je me suis fait un peu houspillé parce que
j'avais apporté entre autres tomates cerises et chips au vinaigre, des
sandwichs Mark and Spencer, et Céline m'a expliqué gentiment que quand même le
principe du pique-nique c'est d'apporter ses ingrédients, saucisson, pain,
pâtés, fromages et de réaliser soi-même sur place ses sandwichs plutôt que de
grignoter du tout préparé, aussi abstrait, esthétique et efficace que cela
puisse être.
Il
y avait une jeune fille qui portait une jupe grise et des escarpins, et qui
s'est accoudée à la rambarde - non loin de là où nous nous étions installés -
pour regarder les monuments s'illuminer dans la perspective des Jardins du
Pont-Neuf.
J'aimais
la façon dont elle caressait son mollet gauche du haut de son pied droit -
gloire soit rendue aux moustiques de Paris, puis tapotait les planches du bout
de son escarpin; ses jambes blanches et nues illuminées jusqu'à
l'entrebâillement de sa jupe, quand les lumières rasantes d'un bateau mouche
lui passait en dessous.
06.09.00
Je
suis toujours surpris de la vitesse avec laquelle les gens sont prêts à la
résignation. Même les plus enthousiastes d'apparence, qu'on reconnaît de loin
car ils ne dupent qu'eux-mêmes avec leurs envolées: "Ce qui est bien pour
moi", "Je ne conçois pas d'autre...", "Je ne me vois pas
vivre ailleurs que..." on sent déjà qu'ils n'ont en vérité aucun désir
pour eux mêmes sinon celui de se fondre dans la mode, et leur enthousiasme est
si factice finalement qu'on est tout disposé à leur pardonner leurs
contradictions. Ils ont la défaite neutre et resteront des compagnons charmants
dont l'égoïsme plat et l'aptitude écoeurante à la résignation n'est pas à
prendre en compte quand il s'agit simplement de se voir une ou deux heures par
mois pour aller boire un café.
Hier
soir. Elle portait des lunettes et, dans la soirée fraîche, un pull blanc en
laine avec le tracé en rouge du drapeau américain, décousu.
Il
pleut sur Paris et c'est un délice. Je regarde en DVD le concert de Barbara à
Pantin en 81. C'est là que ça a commencé je crois, la folie des spectateurs,
les applaudissements déchaînés entre les morceaux, l'adhésion totale, unique du
public. La Beatlemania, à côté, c'est du sirop de canne.
C'est
à Jean-Christian que je dois la découverte de Barbara; c'est drôle parce que
j'ai revu Jean-Christian à la télé aujourd'hui; il travaille à Canal+ et pour
la première fois il est passé à l'antenne pour une rubrique dans Nulle part
Ailleurs midi. J'étais très triste parce que je ne reconnaissais plus du
tout sa voix; autrement ça fait sept ans que je ne l'ai pas vu, et il m'est
apparu tout de suite aussi familier que n'importe quel chroniqueur télé. Je ne
sais pas comment préciser cette impression: il avait pris le pli, il devenait
davantage consistant dans l'immédiateté de la télé que dans le lointain de mon
souvenir. D'une plus grande épaisseur dans la netteté indifférente et
sympathique de l'écran, que dans la tendresse fluctuante et floue du passé.
Cette triste révélation m'a préoccupée un bon moment, et puis je suis de moeurs
légères, Jennifer Kouassi est réapparue sur l'écran...
09.09.00
Rodolphe:
-
Si les filles pensaient comme les mecs, on doublerait la capacité sexuelle de
la planète."
X
affirme que je suis un bo-bo, il a lu ça dans Elle, c'est la contraction
de bourgeois-bohème. Je proteste et il me rétorque qu'une des caractéristiques
du bo-bo est d'aimer Madonna davantage pour son personnage que pour sa musique,
et en effet il y a un peu de cela.
Hier
soir 20h55 à la station Concorde je déambule dans les couloirs du métro avec X
pour prendre la correspondance, et tout en discutant je déchiquette
machinalement mon ticket en petits morceaux; nous tombons alors sur une
escouade de contrôleurs dont un, blond de taille moyenne aux yeux bleus
injectés de sang, fait barrage et nous demande notre titre de transport; devant
l'état pitoyable de mon ticket il me colle une amende de 120 francs pour ticket
déchiré en me montrant le règlement.
J'essaie
de m'expliquer. Le shérif de Nothingham du couloir de métro ne veut rien
savoir. Il va même jusqu'à insinuer que je suis un malin et que c'est une
stratégie délibérée de ma part de ramasser par terre des petits morceaux de
ticket au cas où je tomberais sur un contrôleur.
Je
me dispense cependant de lui conseiller de poser sa candidature aux prods de
fiction télé qui cherchent des scénaristes dans leurs efforts pathétiques de
pomper NYPD blue.
A
un mètre de moi, pendant que je m'ébroue façon Un monde sans pitié :
"mais c'est pas nous les voleurs etc." une jeune fille qui s'est
également fait arrêtée, très jolie, m'envoie un sourire compatissant.
J'explique
toujours à l'inflexible contrôleur comme dans Un monde sans pitié que ce
n'est pas moi les bandits. Et là il me répond:
-
Vous avez vu la carrière de Rochant depuis? Et vous osez me dire que c'est pas
vous les voleurs?!"
Non,
en fait, il ne m'a pas dit ça, je viens de l'inventer, et encore je suis de
mauvaise foi car j'ai beaucoup aimé le film les Patriotes.
Bref
le méchant contrôleur me colle une méchante amende, la jolie fille me gratifie
d'un joli sourire, et je repars avec X maudissant la tuile qui vient de me
tomber dessus, qui plus est dans un souterrain.
Et
c'est là, qu'à ma stupéfaction, X me dit:
-
En même temps on ne peut rien lui reprocher à ce type, il a fait son travail,
il a appliqué le règlement!"
Et
là devant cette prise de position aberrante pour moi dont la seule faute fut
d'avoir déchiqueté mon ticket dans l'enthousiasme de la conversation avec X, je
demande à X dans quel camp il se trouve, et en même temps que je lui pose cette
question je vois déjà un gros sticker RATP se coller en surimpression sur son
front.
Incroyable!
X qui justifie ma contravention en parlant règlement alors que lui il ne
s'en fait pas vraiment du règlement quand il fume à tout va du shit, en fournit
à des gens qu'il rencontre, dequoi dépanner comme on dit, et 100
francs par ci, et 200 francs par là, et ensuite il vient me parler règlement
?
La
jeunesse me déprime.
10.09.00
Musique.
Pour le groupe, au commencement, j'eus souhaité que les rapports fussent plus
étroits, plus ténus, qu'il y ait dans la création comme sur les concerts une
ambiance euphorique et secrète, la pensée mobilisatrice qu'on participe à une
aventure spécifique; avec pour nos chansons une recette enchanteresse,
mystérieuse et imperméable pour l'extérieur, et entre nous une solidarité
consciencieuse, indéfectible, comme on imagine le climat qui régnait sur les
plateaux de Kubrick; mais les musiciens sont pour la plupart moins profonds et
plus volages qu'une jeune fille de 15 ans, ils ne savent résister aux
sollicitations ou pressions extérieures, ils seront toujours intéressés si le
leader d'un autre groupe tout tocard ou jaloux qu'il puisse être vient les
débaucher en flattant leur style de jeu. C'est peut-être d'ailleurs très viable
quand on est musicien, c'est peut-être ce qu'on recherche: jouer de son
instrument et être reconnu pour ça, sans s'embarrasser d'autres
considérations... mais pour les caractères comme le mien c'est un peu décevant,
un peu difficile, bien qu'en même temps ça éclaire les raisons pour lesquelles
Kubrick ne s'est jamais montré intéressé pour réaliser les Sept Mercenaires.
Musique.
Dans le cadre de la promotion du disque, ma journée vient d'être filmée pour alatele.com,
la télé montée par Michel Field sur Internet. La diffusion est prévue pour
lundi, à 20 heures. Comme je m'entends très bien avec le réalisateur, Sébastien
Folin, (que j'avais rencontré sur le tournage de l'émission pour la Cinquième)
je l'ai emmené en banlieue dans le studio où nous répétons le concert du MCM
café avec le groupe, puis à St-Germain-en-laye, et chez moi à Paris où nous
avons terminé par une séquence consacrée au Journal Intime.
En
parlant de mon Journal Intime, Christophe me rapporte qu'un questionnaire
rempli par les lecteurs de Planet of Sound à la Route du Rock l'a
plébiscité comme étant l'une des trois valeurs sûres du fanzine.
Nous
avons parlé clip vidéo avec Sébastien, et sommes tombés d'accord sur le fait
qu'il fallait avant tout un scénario imparable; quand bien même un scénario
imparable réduit à une idée percutante.
En
parlant de scénario imparable et d'idée percutante, j'ai essayé de sortir mes
poubelles en même temps que sortait les siennes ma voisine du haut (qui est
charmante), mais je n'y suis pas arrivé.
Et
comme les caméras d'alatele.com étaient parties, c'est mon Journal qui écope de
l'anecdote.
18.09.00
Brisé,
j'ai refusé l'invitation à dîner d'une princesse, ce qui a failli occasionner
un incident diplomatique avec ma vanité.
J'ai
écrit une chanson qui s'appelle: Gauguin - Guingouin.
Je
suis allé dans le XVIII ème arrondissement chez une fille sidérante qui pour
toute bibliothèque possède: un volume de L'impressionnisme en deux volumes,
le guide du promeneur dans la nature, Marrakech: demeures et jardins
secrets, La pratique des tests psychotechniques, et Paris from the air.
J'ai
pris le menu D dans un grill japonais où je suis allé dîner après un spectacle
déprimant dans lequel un type qui se met une banane dans le cul provoque
l'hilarité de 350 personnes.
Dans
le grill japonais j'ai supporté la proximité d'un abruti qui croit qu'il suffit
de parler fort pour être écouté, et qui s'est senti obligé pour amuser la
galerie de se comporter d'une manière particulièrement odieuse avec le serveur
dans le genre imitations de l'asiatique façon Michel Leeb. Il aurait bien pris
ma main dans la gueule, si celle-ci ne s'était trouvée - à ce moment précis -
dans la culotte de ma voisine de table.
Sinon
toutes les personnes que j'ai fréquenté ces temps ci ont toutes sans exception
prononcées un mot de trop qui, démasquant leur fatuité, m'a retranché
immédiatement dans une solitude amère et triste; la solitude qui ne pardonne
rien, intransigeante et délicate des fils uniques.
Samedi
soir j'ai dîné d'un thé brûlant et d'une tablette de chocolat de dégustation
aux éclats de cacao. Dans le hall d'un théâtre j'ai lu une note aux trapézistes
rédigée par l'union chrétienne des jeunes gens de Paris qui stipule que
"seules les personnes ayant payées leurs cotisations et dont les noms
suivent sont autorisées à entrer dans le gymnase". Je me suis dit que
parfois je me sentais dans la vie comme un trapéziste qui n'a pas payé sa
cotisation.
Dans
mon émission de radio "La vie rêvée des ondes" que j'anime tous les
jeudis sur une station locale, je me suis demandé "Où une fille si jolie
que X peut-elle bien vivre?" et j'ai ajouté : voilà le genre de questions
avec " me reste-t-il assez de lames de rasoirs dans mon paquet pour tenir
toute la semaine ? " et " pourquoi la copine du voisin est toujours
plus excitante que la mienne " que nous autres garçons nous posons
fréquemment.
A
part ça, le disque de Jérôme Attal & les Argonautes est à partir
d'aujourd'hui disponible en fnac au prix de 99 francs, ce qui est plutôt une
bonne et grande nouvelle.
21.09.00
Le titre de P.J. Harvey, A place called home, en boucle toute la
journée.
Après-midi
d'hier passée chez Samuel où j'écoute les bidouillages euphorisants des
maquettes de son groupe, Myold Sofa. Très bonnes chansons, legs
show notamment, la rencontre de Beck l'espiègle et du Folk Implosion
mâtinée de Beatles et Gainsbourg, périodes album blanc et Melody Nelson.
Samuel
le fêtard m'accueille en sortie de bains à une heure de l'après-midi, et je
prends place dans ce repoussoir de génie qui lui sert d'appartement, d'où je
peux identifier et recenser: un big jim pendu au plafond, un aquarium ovale à
poisson rouge rempli à moitié de mégots de cigarettes, des bouteilles de bières
décapsulées un peu partout, des livres de photographie, un pot de nutella avec
une grande spatule emplâtrée dedans qu'on dirait un pot de peinture dans
l'atelier capharnaüm du peintre de Three Studies for figures at the base of
a crucifixion.
Je
lui demande comment il fait quand il reçoit une fille. Il m'assure que quand il
reçoit une fille, il faut s'y prendre trois semaines à l'avance, mais bon, tout
est rangé.
24.09.00
Rentré du bureau de vote j'ai été pris d'une grande fatigue, un point qui me
lançait au dessous de l'épaule gauche. J'ai ouvert grand la fenêtre, deux
filles discutaient dans un appartement voisin. Je les imaginais étendues sur
des sofas, pieds nus, fumant et et se penchant avec souplesse à intervalles
réguliers vers un cendrier marocain posé à même le sol.
Ca
me fait penser qu'hier soir j'ai joué au con avec une américaine et une
française, et y ai gagné, pour une nuit, la double nationalité.
J'écoute
Bob Mould chanter sur l'album the 6ths "Hyacints and Thistles" - doit
on traduire en français par un aussi joli titre que: Jacinthes et filles seules
?
Emmanuel
me téléphone pour m'inviter à une soirée qu'il organise le 28 octobre prochain.
Il me dit gentiment qu'il se débrouillera pour que j'aie du thé, au risque
encore de me faire passer pour un excentrique et me faire haïr par certains des
réguliers des soirées d'Emmanuel qui déjà me haïssent pour ce que j'avais
rapporté d'eux à la date du 16.01.00 .
Cela
dit ça me donne un alibi au cas où ils se jetteraient sur moi pour me lancer:
"Pour qui tu te prends, espèce de connard?" j'aurais la réponse toute
faite et très chic: "Pour quelqu'un pour qui on prévoit du thé à une
soirée de 200 personnes dont la plupart boit de la Heineken au goulot."
Emmanuel
qui a depuis longtemps gagné ses galons d'organisateur de fête, me prévient que
le thème de la soirée sera "Ange ou démon". Si ce genre de thème
facilite dans un premier temps l'illustration des cartons d'invitations, une
fois sur place on se rend rapidement compte qu'il n'y a qu'une seule fille sur
cinquante, plutôt timide et un peu boudinée, qui s'est prise au jeu et est
venue habillée en blanc de la tête aux pieds avec des petites ailes en
aluminium qui lui pendent dans le dos, et bien entendu c'est cruel, injuste et
embarrassant à la fois, mais le fait est qu'elle a l'air parfaitement ridicule.
26.09.00
A Paris, la nuit, les grandes traversées du désert se font, le plus commodément
du monde, un verre à la main.
De
toute façon ce n'est pas le nombre de gourdes qui manque entre deux points de
ravitaillements.
29.09.00
Pour le concert du MCM, comme nous n'avons toujours pas trouvé le bassiste
adéquat et de niveau raisonnable pour se joindre au groupe, nous répétons avec
Jildaz de Nolderise qui est venu nous prêter main forte. C'est un vrai
bonheur de travailler avec Jildaz: ponctuel, inspiré, travailleur et créatif.
Il sera sur scène avec nous le 10 octobre et le 14 octobre.
02.10.00
Un temps de bord de mer entre le boulevard Raspail et le boulevard de
Port-Royal.
Tout
le trajet en voiture j'ai pensé à la souplesse de sa démarche dans la rue, ses
cheveux attachés, ses pantalons amples tombant sur des baskets colorées qu'elle
portait nus pieds, un fin pull beige jeté sur ses épaules.
11.10.00
Partagé sur ma prestation d'hier soir. Il y avait du monde, l'espace était
dilaté et j'ai eu du mal à installer le climat plus serré, chaleureux et
complice, à la fois pertinent et impertinent qui sied à la représentation des
chansons, selon.
Heureusement
le public est plus indulgent que moi et vit les choses dans leur globalité, du
moins dans une durée différente, aussi j'ai eu beaucoup d'échos enthousiastes
et très positifs. Seul Jean-Vic apparemment a bien senti que je n'étais pas
autant à l'aise que d'habitude: fatigué par le travail titanesque de promotion,
les incertitudes quant à l'avenir, les déceptions face à l'indifférence de
certains médias & du milieu, ajouté aux éléments extérieurs - personnels,
politiques, atmosphériques - déchaînés, je suis entré sur scène avec une petite
forme que je n'ai pas réussi à transcender sauf à l'occasion de deux trois
chansons.
Céline
a entendu quelqu'un demander chez qui le disque était sorti et distribué, et
toujours le public qui nous découvre pour la première fois de s'étonner que
nous ne soyons pas encore signés, ce qui a le don d'exaspérer Rodolphe:
-
Le pire c'est que les types des maisons de disques qui ne font même pas
l'effort de se déplacer aux concerts, ils te soutiennent qu'il n'y a pas de
public pour la Pop française!"
Rentré
à deux heures du matin en taxi. Pas réussi à dormir, préoccupé par ma
prestation sur scène qui me donne l'impression d'être resté sur ma faim. Je
repassai le concert dans ma tête. Des réparties encore plus justes - comme une partition-
des attitudes encore plus charismatiques se bousculaient à mon esprit, mais
trop tard.
En
même temps je commence à me faire une idée plus fine du live;
malheureusement nous n'avons avec le groupe jamais le temps ou la préoccupation
d'approfondir.
J'ai
pris le métro à l'aube et ai traversé les jardins du Luxembourg, glacials. J'ai
voulu m'acheter un livre (de plus) sur les Primitifs flamands, mais pas assez
d'argent.
Dans
le métro en rentrant à Auteuil vers 13 heures, j'ai été fasciné par le visage
d'une jeune fille blonde qui dessinait avec un crayon à papier sur un ticket de
métro, discutait plan de coupe avec sa voisine de strapontin qui tenait sur ses
genoux un grand livre avec des textures et des photos de Saturne.
Je
me suis senti une dizaine de fois depuis hier soir, comme un trapéziste volant
à qui l'on a interdit l'entrée du gymnase.
18.10.00
Elle s'est dépêchée de terminer son service. Il devait bien être une heure et
demi du matin. Les autres employés continuaient à ranger, à préparer la salle
qu'il fallait remettre dans un état impeccable pour le lendemain midi. Elle a
ôté sa blouse, pris son manteau sur le crochet et s'est dirigée sur le perron
du Buffalo grill de Coignères. On n'y voyait pas à dix mètres. Un temps humide,
un brouillard épais. Quelques voitures passaient sur la nationale, dans les
deux sens: certaines à tâtons, prudemment, d'autres en trombes, comme des
fusées pressées d'en découdre avec la purée de pois. Les feux tricolores
pourtant très proches étaient invisibles, à peine une lueur rouge dans
l'opacité grisâtre. Elle est restée cinq, dix minutes comme ça, lasse et
impatiente, en bas des marches, à scruter à l'aveuglette en direction du
parking au moindre vrombissement de moteur; puis rapidement a compris qu'il ne
viendrait pas la chercher, qu'il avait sans doute oublié - elle n'avait pas osé
lui passer un coup de fil dans la soirée entre deux commandes, c'était stupide
- au bout de cinq, dix minutes donc, elle a sentie qu'elle s'était montée la
tête avec cette histoire, qu'elle n'était pour lui que menue monnaie.
Plus
personne alors à cette heure-ci pour venir la chercher - elle n'allait pas
téléphoner chez elle et réveiller son père, elle avait fait assez d'histoires
comme ça pour pouvoir être quasi-indépendante à 19 ans, c'est sûr que son père
il lui renverrait dans la gueule, il ferait des remarques tout au long du
trajet, plus qu'elle ne pourrait en supporter - et personne pour la
raccompagner à Rambouillet en pleine nuit à dix kilomètres de Coignères. Elle s'est
retournée vers l'entrée du restaurant, il était deux heures du matin, les
salles s'éteignaient les unes après les autres sous l'impulsion de ses
collègues qui commençaient à s'agglutiner devant la porte, prêts à rejoindre
leurs voitures sur le parking. Elle gravit les marches du perron et dit à la
poignée de garçons qui totalisait avec elle ce samedi soir le personnel du
Buffalo grill de la ville de Coignères qu'il n'y avait personne pour la
raccompagner chez elle, qu'elle ne savait pas comment faire, et après l'avoir
écoutée, sans se soucier finalement de comment la jeune serveuse avec laquelle
ils venaient de travailler allait se débrouiller pour rentrer, tous sans
exception firent la sourde oreille et chacun se contenta d'objecter mollement
qu'il partait dans l'autre sens, qu'il prenait la nationale en direction
inverse, "Tu comprends, ce n'est pas du tout ma route...".
Il
ne lui restait pas d'autre choix que celui de suivre à pied la nationale, dans
la nuit froide, avec au ventre ce mélange de peur, de tristesse et de colère.
Un mélange connu, une sensation retrouvée sur le temps de l'enfance. Elle
marchait tout près de la chaussée, tendant son pouce frénétiquement aux
voitures qui émergeaient d'un bloc de la masse épaisse du brouillard. Effrayée de
tomber sur quelqu'un de dangereux, un homme louche ou une bande de jeunes types
surexcités.
Elle
a marché ainsi pendant près d'un quart d'heure. Elle était frigorifiée,
tremblante et avait le visage secoué de larmes quand Cyrille s'est arrêté en
voiture, dans la nuit de samedi à dimanche sur la nationale 10 entre Coignères
et Rambouillet. Le fait d'entrer dans la voiture, de comprendre qu'elle était
en sécurité et que Cyrille la raccompagnerait jusque devant sa porte, eut pour
effet immédiat de libérer la jeune fille de toutes ses angoisses, ce qui se
manifesta aussitôt par une violente crise de larmes dans laquelle elle
s'abandonna tandis qu'elle s'installait sur le siège avant à côté de Cyrille.
Après un moment, elle retrouva ses esprits et son sourire.
Cyrille,
de s'être arrêté comme ça en pleine nuit sur cette nationale, est devenu mon
héros.
Et
longtemps j'ai rêvé de pannes sèches dans le brouillard humide pour les types
déplorables du Buffalo grill de Coignères en Yvelines.
24.10.00
Fête
avenue Parmentier. Beaucoup de monde entassé dans un espace restreint. Après
s'être fait acculés stratégiquement près du buffet, épaules contre épaules,
nous avons gagné les fenêtres et le balcon - pas plus large qu'un ticket de
métro - sur lequel nous nous sommes vite retrouvés avec l'impossibilité de
revenir en arrière, face au nombre impressionnant de convives, nouveaux venus
et nouvelles Venus qui débarquaient dans l'appartement.
Dans
le catch américain, il y a un jeu qui s'appelle la Royale rumble, deux catcheurs
sont face à face dans le ring et un nouveau belligérant arrive toutes les deux
minutes. Et bien c'était à peu près la même chose à la différence qu'un
deux-pièces du onzième arrondissement de Paris n'est pas un ring et qu'en
conséquence pour faire de la place on ne peut pas envoyer quelqu'un valser par
dessus la troisième corde! Cela étant - au bout de dix minutes- impossible de
se dégager du balcon où nous étions bien une demi-douzaine - et pas que des
poids moyens! - agglutinés dans la douceur du soir comme des parachutistes
attendant de fondre sur une proie hypothétique qu'on ne peut cibler à l'oeil nu
- et ce malgré la vue plongeante du cinquième étage.
Je
songeais soudain avec effroi que ces immeubles datant du baron Haussmann
n'avaient pas été conçus dans la prescience du concept du samedi soir où des
types joyeux et éméchés battent de la semelle sur la compil des tubes de
l'année 1986, et je voyais déjà le balcon se décrocher comme une vulgaire
plaque de balsa et nous entraîner irrémédiablement vers le bas pour nous
transformer en hachis sur l'avenue Parmentier, puis je me souvins des toiles de
Sisley et des Impressionnistes où les bourgeois gagnent les balcons pour
assister aux défilés du 14 Juillet; cet appui si j'ose dire, cette intervention
d'origine esthétique me rassura si bien qu'en rentrant chez moi, dans la nuit
noire argentée vers 1h30 du matin, j'aurais pu crier "je vous aime" à
cette fille assise de face sur le porte-bagages d'un vélo qui filait sur la
piste cyclable de la rue de Rivoli, entre le Louvre et la Concorde.
27.10.00
Lundi
dernier nous sommes restés un bon moment avec X sur le seuil du Ben and Jerry's
de l'avenue des Champs Elysées, dans la file indienne, derrière une fille très
jolie en treillis et coiffée d'une casquette. Quand elle eût pris et emporté sa
commande au bout d'une dizaine de minutes - indécise ou pointilleuse? - et que
fût venu notre tour, nous sommes partis sans rien demander, nous détachant de
la file comme un pan de banquise emporté vers le large, à la stupeur de la
marchande de glaces.
Je
serais bien resté toute une après-midi - et pourquoi pas jusqu'à ce que le
soleil se couche- à quelques centimètres de cette très jolie fille qui n'en
finissait pas de passer sa commande au comptoir du Ben and Jerry's de l'avenue
des Champs Elysées.
29.10.00
St-Germain-en-laye
est une ville bien triste et plutôt glauque le samedi soir. On comprend Louis
XIV qui s'y étant réfugié pendant la Fronde a trouvé l'endroit si sordide et si
froid que son aversion l'a motivé pour construire Versailles et ses
magnificences. Sans être historien, je suis tout disposé à croire que chassé de
Paris par la Fronde, Louis XIV arriva à St-Germain un samedi soir.
Dans
un bar minable où nous nous retrouvons avec l'inénarrable Christian fraîchement
débarqué de Londres, David tire sur une cigarette mouillée en racontant
rêveusement qu'à Cuba on peut coucher avec des filles superbes pour seulement
10 $.
Puis
nous partons dîner dans un restaurant indien cher et infecte, avant de rejoindre
dans une clairière de forêt d'autoroute balayée par la tempête, la fête
organisée par Emmanuel dont le thème aux relans d'Haloween s'intitule Ange
ou démon (voir au 24.09.00), ce qui amène Christian au raisonnement
suivant:
-
Si il y a des filles déjà moches à la base, elles n'ont pas intérêt à venir
déguisées en Dracula!" .
Malgré
toute la sympathie que j'ai pour Emmanuel, je dois bien avouer que sa soirée
était ratée: 200 personnes, ambiance conviviale et bon enfant, ok... Mais qu'il
y ait 200 ou 30 personnes une soirée qui comporte 85 % de garçons est une
soirée ratée, tout du moins totalement dénuée d'intérêt, car vous en
conviendrez on ne va pas dans une soirée de plus de 10 personnes pour faire la
conversation, nouer amitiés sincères et affinités électives.
La
seule présence de Christian cependant nous a sauvés David et moi de l'ennui le
plus morbide. Christian a débuté son festival en s'attirant d'entrée de jeu
l'inimitié du barman (qui était très fier avec sa tenue de chippendale déprimé
- t shirt et pantalons noirs - et son micro casque, un micro casque comme celui
que portait Jean-Luc Lahaye dans Lahaye d'Honneur, et qui devait surtout
lui servir selon l'hypothèse de David à communiquer avec le fond de sa
bouteille) Christian s'est donc attiré les foudres du barman, le blessant dans
son orgueil en lui demandant un gin-tonic... sans gin!
Le
type a haussé les épaules l'air de dire:
-
Mais c'est qui ce débile?" en cherchant mon approbation, moi le bon client
qui avait commandé un coca réglementaire, il a cherché mon approbation, mais ne
l'a pas trouvée.
Au
bout d'une dizaine de minutes, Christian qui n'en est pas à une audace près,
s'aventura athlétiquement une deuxième fois au bar pour commander un...
Schweppesse!!!
En
confiance il se mit à accoster de manière tonitruante les rares filles qui
passaient là où nous nous tenions, c'est à dire non loin de l'entrée des
toilettes, sous mon impulsion, par choix stratégique.
Ainsi,
par exemple, surprenant dans une conversation une fille confirmer à une autre:
"On était ensemble en maternelle" Christian s'interposa incongrûment
et prenant à partie l'une des deux:
-
Ah bon, dit-il, on était ensemble en maternelle?
La
fille surprise mais n'osant le rembarrer lui répondit:
-
Peut-être. Nous, nous étions à la maternelle rue d'Assas.Toi aussi t'y étais?
Et
Christian, définitivement très en forme:
-
Oh, tu sais, moi en maternelle, je ne connaissais pas le nom des rues..."
A
un autre moment, Christian attrape au vol le prénom d'une fille, Ariane, une
blonde pas trop mal, et dix minutes plus tard fonce vers elle avec un sourire
des plus aguicheurs:
-
Ariane!!! Comment vas-tu?! Tu te souviens de moi?
La
fille qui se prenait sans nul doute pour la plus belle fille de la soirée,
avantage qui en toute occasion donne le droit aux pimbêches et aux connes
d'être encore plus pimbêches et plus connes, le dévisage de bas en haut, et
s'exclame:
-
Non pas du tout, on ne se connait pas, c'est con hein?!" avant de
déguerpir dans la foule des convives, fière, ridicule et désolante comme une
petite miss St-Germain-des samedis soirs.
Cela
étant, au final, Christian était bien content de la soirée.
-
Ca n'a pas bougé, c'est exactement le même genre de soirée que quand j'avais 18
ans, le chauffage en moins. En tout cas on a sorti de bonnes vannes. Je vais
vous dire un truc les gars: je suis bien content parce qu'à Londres et dans mon
travail il y a très peu de gens qui apprécie ce genre d'humour."
David
aussi était satisfait de sa soirée. Il a discuté avec une fille qui avait un
grand nez pour finir par la juger d'un trait cinglant:
-
Celle-là, elle peut fumer sous la douche." Dans la voiture, en rentrant
sur Paris, David joyeusement éméché plaque contre mon oreille le haut-parleur
de son téléphone portable où sa copine vitupère un bon quart d'heure en
explosant d'une voix aiguë, hystérique et délirante, sa boite vocale:
"Tout ce qui te restera dans la vie, ce sera tes potes "et ce genre
de reproches si convenus qu'ils en deviennent comiques...d'ailleurs David se
tord de rire. De l'autre oreille j'écoute sur l'auto-radio les chansons
magnifiques et mélancoliques d'Arnaud Fleurent-Didier, mon disque de chevet -
ces derniers temps - avec le nouveau P.J. Harvey of course.
Nous
sommes restés en tout et pour tout trois heures. Je me suis fondamentalement
ennuyé si j'excepte les apartés réjouissantes de mes deux camarades. Pendant
qu'ils parlaient avec la fille au long nez et sa copine, j'ai suivi les
péripéties d'un couple qui a déboulé dans la fête en échappant à la vigilance
de la réception, donc sans payer les 100 francs par tête de droit d'entrée,
mais avant de se fondre dans la masse ils ont été repérés par un type qui avait
un micro casque et qui a ainsi pu en prévenir un autre qui en a contacté un
troisième, et les Bonnie and Clyde des soirées d'Emmanuel se sont faits pincer
en arrivant prêts du bar où le Warren Betty douché au Drakkar noir a dû
s'amender pour lui et sa copine d'un billet de 200 francs. J'ai suivi cette
poursuite policière de trois minutes avec un soupçon d'intérêt qui trahit
probablement mon amour comme ma frustration pour la série policière de David
Milch et Steven Bochco, NYPD Blue, que je trouve beaucoup moins efficace
depuis que Jimmy Smits a quitté la télé pour le cinéma.
C'était
un samedi soir tempête. Une nuit noire et un vent glacial. Je suis allé à cette
soirée par amitié pour Emmanuel, mais aussi il est vrai si je creuse mon état
d'esprit à trois heures du matin, dans le vague espoir de croiser X qui aurait
très bien pu s'y trouver: voisinage, connaissances communes, etc... mais X
n'est pas venue.
C'est
souvent comme ça.
31.10.00
Je
ne peux pas acheter une baguette de pain sans penser au plaisir que j'éprouvais
enfant à dévaler les escaliers de l'immeuble où nous habitions, une pièce de
cinq francs dans mon poing refermé, pour courir jusqu'à la boulangerie à deux
trois pâtés de maisons, dans la nuit froide, précoce et virulente d'un automne
liquide vers les dix-huit heures trente, quand la foule turbulente dans le
quartier de la gare s'activait d'un magasin à l'autre, avant de rentrer chez
soi. Les coupe-vents, les manteaux des dames, chauds et parfumés, les étals
éclairés des marchands, et les intimités brûlantes suspendues dans les étages
dont les fenêtres donnaient sur la rue.
Ma
mission était essentielle pour mon jeune âge et j'en avais conscience: acheter
la baguette de pain, le liant, le lien, le sceptre du souper; seul, comme un
grand, dire merci quand la boulangère me rendait la monnaie ainsi qu'on me
l'avait appris. Puis je rentrais à la maison galvanisé par l'importance qu'on
m'avait donné, ma mission accomplie, ralentissant l'allure devant la vitrine du
magasin de jouets et croquant à pleine dents à l'une des deux extrémités du
pain: d'abord la croûte, dure, épineuse, puis la mie fraîche qui s'amollissait
sous la langue; c'était comme la récompense prise sur la course, le tribut
légitime; on ne se faisait jamais gronder pour ça une fois rentré à la maison,
jamais tiré les oreilles pour avoir décapité la baguette.
Aujourd'hui
encore quand je croise dans la rue des gens qui tiennent une baguette de pain
dont le croûton a été mangé, je ne peux m'empêcher de leur trouver un air et
une bonhomie enfantins, une insouciance et un sens de l'honneur juvéniles, une
forme étrange de liberté, un air étrange de détachement, c'est drôle et à la
fois c'est comme appartenir à un club très fermé, dans la nuit hâtive et
glacée, le club des vieux enfants sages et insouciants à la baguette de pain
rognée.
02.11.00
Dans
l'épisode des Sopranos de cette semaine, deuxième saison sur Canal Jimmy, le
personnage (et l'actrice qui le joue) de la D-girl, très belle, très
excitante...extraordinaire!
En
parlant de filles, un internaute, lecteur attentif, tient à apporter quelques
précisions à propos de la soirée d'Emmanuel que j'ai décrite peut-être un peu
trop lestement à la date du 29.10.00, principalement - je dois le reconnaître -
un passage que j'ai vécu lointainement, sans saisir distinctement ce qui se
racontait, mais qui m'a été explicité par la suite par Christian.
Soucieux
de rétablir la vérité (du moins une autre version des faits) je retranscris ici
son mail dans son intégralité en y laissant en italiques le passage auquel il
fait référence:
------------------------
"
A un autre moment, Christian attrape au vol le prénom d'une fille, Ariane,
une blonde pas trop mal, et dix minutes plus tard fonce vers elle avec un
sourire des plus aguicheurs: - Ariane!!! Comment vas-tu?! Tu te souviens de
moi? La fille qui se prenait sans nul doute pour la plus belle fille de la
soirée, avantage qui en toute occasion donne le droit aux pimbêches et aux
connes d'être encore plus pimbêches et plus connes, le dévisage de bas en haut,
et s'exclame: - Non pas du tout, on ne se connait pas, c'est con hein?!"
avant de déguerpir dans la foule des convives, fière, ridicule et désolante
comme une petite miss St-Germain-des samedis soirs." Ca c'est ta
version, maintenant, voilà ce qui s'est réellement passé puisque j'étais juste
devant toi: "Ariane !!! Comment vas-tu ?! Tu te souviens de moi?"
Réponse: "Quel est ton prénom ?" Christian: "Christian."
Réponse: "Mais on se connait d'où ?!?" Christian: "..." Et
Ariane est partie en rigolant car Christian est resté comme un con sans
réponse. 1/ La fille que tu décris dans ton journal de merde est ma femme 2/ Si
toi et tes potes n'arrivent pas à emballer une nana dans une soirée, ce n'est
ni mon problème ni le sien. 3/ Elle n'habite pas à St Germain et c'est encore
moins une pimbêche (tellement facile à sortir quand on s'est pris un vent en
public). Je vais m'occuper de ton cas, j'ai horreur des abrutis qui se la
racontent sur Internet... au prochain concert..."
-----------------------------
Cet
e-mail n'est pas signé, son auteur a estimé sans doute qu'il était plus
chevaleresque de proférer menaces et insultes en créant une fausse adresse
(joie d'internet) : jerome.attal@caramail.com pour me le faire parvenir.
Cela
se passe de commentaires, si ce n'est celui mélancolique que je devrais
davantage faire attention au caractère inéluctable de ce qu'à mon âge, les
filles que je croise en soirée sont de plus en plus des femmes mariées.
05.11.00
Les Feux de l'amour, suite: Christian me confirme sa version de la
soirée du 28 octobre. Il ajoute: "En plus si le type t'écrit qu'il était
juste devant toi c'est qu'il n'a dû rien capter aux propos échangés, car
toi-même tu te tenais à l'écart, à une distance assez importante pour ne pas
saisir la conversation." Le pire c'est qu'avec son intervention le type en
question met en valeur un petit passage anecdotique qui se serait très bien
noyé dans le flot du Journal. D'autant que je n'ai rien personnellement contre
sa femme, ne lui ayant même jamais adressé la parole (si ça se trouve elle lit
Lucrèce dans le texte, défile pour Jean-Paul Gaultier et tient un discours
intellectuel sur le catch américain), c'est simplement qu'à travers cette
anecdote j'ai voulu caricaturer ou fantasmer un type de personnage qui peut
parler à chacun d'entre nous, une petite miss de banlieue chic. Et je crois que
c'est dans cette intention que Christian m'a relaté cette anecdote, lui non
plus sans aucune animosité particulière pour cette fille anecdotique (j'en
rajoute une couche). Et c'est tellement flagrant que le mari n'a rien compris à
ça, à la littérature, à la poésie, qu'il écrit avec importance: "Elle
n'habite même pas à St-Germain"...
En
fait qu'elle y habite ou qu'elle n'y habite pas dans la vraie vie, on s'en fout
pas mal. Dans le récit le fait qu'elle habite St-Germain fait partie intégrante
du parceque le récit s'intéresse à elle.
Mon
erreur est d'avoir gardé sans doute son véritable prénom. Mais quand on
s'appelle Ariane, avec tout ce backround mythologique, c'est trop tentant. Il y
a une fille que j'aime beaucoup sur Internet, qui s'appelle Frannie (mon côté
Salingérien maybe) et qui tient un Journal intime dans lequel, moins stupide
que moi, elle utilise des pseudonymes à la place des vrais prénoms des gens
qu'elle croise ou fréquente. Il y a dans sa vie un garçon qu'elle appelle
Ulysse. Alors vous comprendrez que moi quand je tiens une Ariane, je ne vais
pas la changer en Brigitte ou en Isabelle, non, quand je tiens une Ariane il
est certain que je ne vais pas la lâcher d'un fil.
Week-end
studieux, pas sorti en raison d'un rhume accaparant qui me laisse depuis
vendredi soir dans un état stérile et comateux. Heureusement j'ai vu Sylvie
vendredi matin et nous avons pu avancer dans les chansons, une que nous
préparons pour Claire et également sur les textes des prochaines chansons de
Vendetta. Travail créatif, très stimulant.
Vu
trois films: Barry Lyndon de Stanley Kubrick (pour la deuxième fois), Europa
de lars Von Trier et Les nuits blanches de Luchino Visconti d'après la
nouvelle de Dostoïevski. Dans ces deux derniers films, tours de force stylistiques
très habiles et très malins. C'était un bonheur, étant donné ma connaissance de
la nouvelle de Dosto, d'évaluer et de comprendre au fur et à mesure du film
tout le travail de re-création, d'inventivité fidèle et d'idées
cinématographiques pertinentes et élégantes de Visconti.
Dimanche
après-midi, je suis sorti confronter ma pâleur à celle de l'automne, un temps
trop clair et venteux avec des bourrasques qui me fouettaient le visage rue
Chardon-lagache, et j'entendais déjà bouillir l'eau pour le thé tandis que,
quelques minutes plus tard, j'écouterais un disque de Chet Baker. En ce qui
concerne Les Argonautes: le sens de la combine ayant depuis trop
longtemps prévalu sur le sens du combat, nous nous retrouvons - sur mon
initiative - à effectif réduit. Etant donné que je ne suis pas très disponible
pendant deux semaines, c'est Cyrille qui prend les rênes et qui est chargé de
relever le niveau. J'espère que nous pourrons repartir d'ici un mois sur des
bases saines, roboratives, avec des musiciens volontaires et intelligents,
motivés et motivants, préparer une tournée et promouvoir l'album comme il le
mérite.
07.11.00
Lundi Christophe R. m'a invité à déjeuner aux Petits carreaux. Nous avons pris
place l'un en face de l'autre au milieu d'une rangée de tables mitoyennes, et
sur la banquette à côté de Christophe il y avait une fille très jolie au teint
de lait, d'aspect nordique, et pas uniquement d'aspect nordique parce qu'elle
déjeunait de toasts au saumon fumé.
Christophe
m'a dit qu'elle avait une petite cicatrice sur la joue droite, détail que je
n'ai pas remarqué. Puis, après une promenade dans un Paris déserté pour avis de
tempête, nous sommes allés prendre un café au Fumoir. Rencontré o.lamm. Comme
nous sommes timides Olivier et moi, et spécialement moi dans les rencontres à
l'improviste, je n'ai pas trop su quoi lui dire en le saluant, sauf le
féliciter un peu benoîtement pour sa sélection à l'affiche des prochaines
Transmusicales de Rennes. Au Fumoir il y avait une fille qui semblait tout
droit s'être échappée d'une peinture de Hans Memling, et cette sensation était
accentuée par l'ambiance de cloître chaleureux et tamisée du Café, la rigueur
des tables éclairées par les seules lumières de petites bougies chauffe plat,
et le vent la pluie au dehors, incalculables, fouettant les grandes vitres; un
temps de mer du nord qui conférait à l'intérieur toute la religiosité d'un
béguinage brugeois.
J'ai
accompagné Christophe à la Fnac Italiens (regardé à tout hasard si mon disque
était en bacs, réponse négative) où il a acheté cet album insensé, kitchissime
au possible, dont Pierre m'avait parlé: en pleine vague rock'n roll (Elvis
Presley), Robert Mitchum joue les crooners sur de la musique traditionnelle des
Caraïbes. Des titres aussi suggestifs et crétins que Coconut water, ou Mama,
looka boo boo.
J'ai
descendu les grands boulevards jusqu'à la sinistre église St-Augustin sous une
pluie battante; les illuminations de Noël des grands magasins, sur les
starting-blocs. Plus tard, David me téléphone pour me dire sa consternation
devant l'imbécile de l'autre jour, et combien Monica Bellucci est belle en
couverture du Elle de cette semaine.
J'ai
pensé à certaines personnes qui avaient traversé ma vie, en voyant le générique
d'un film de cinéma déliberemment accéléré, vitesse x3, x4, par une chaîne de
télévision.
J'ai
pensé qu'en amour ou parfois dans la foule sous la pluie fine, irréelle et
consentante, j'étais comme le Condottière atrocement mélancolique du panneau
central de la bataille de San-Romano, peinte vers 1440 par Paolo Uccello et
conservée aujourd'hui au musée du Louvre. Désarçonné toujours par la bêtise, et
toujours transporté par la beauté.
Absent
car les yeux verts, mais dans les lances hélas.
11.10.00
Mort
de Chaban. Armand Biancheri m'a apprit que les cours de Deleuze étaient
disponibles sur le web. Je me suis empressé d'aller voir, et ayant imprimé
plusieurs cours datant de 1980 sur Spinoza et Leibniz, je passe mon samedi soir
plongé dans leur lecture. Mon héroïne du moment: Camilla, la jumelle de The
Secret History, le roman de Donna Tartt.