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- Journal
/ chapitre 41.
- 05.09.05
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- Les cheminées de Saint-Cloud.
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- Passant
en voiture le pont qui prélude à l'autoroute de l'Ouest, ma maman avisant la
colline de Saint-Cloud me dit qu'avec mon père ils ont failli habiter
là, jadis ; qu'ils avaient visité un appartement, jugé idéal du fait
de la proximité avec Paris, de la vue imprenable sur la ville ; mais une
fois arrivés sur place ma mère s'avançant directement vers les
grandes fenêtres eût loisir d'observer, outre les Tour Eiffel et
Montparnasse, une quantité innombrable de cheminées plantées sur les immeubles
d'en-dessous. Elle se ravisa avec cet instinct noble et tranchant de
la jeune femme de bonne famille wallone, dans l'âme de
laquelle se disputent des origines espagnoles (maternelle) et
hollandaises (paternelle), décidant qu'en hiver la vue serait réduite à un
écran de fumée, un brouillard trop épais pour y voir net, et nous n'habitâmes
pas Saint-Cloud.
- Je
pense aux rendez-vous que nous fixe l'existence. Ceux qui nous paraissent
déterminants, avec le temps, quand on se penche sur son passé - malgré les
écrans de fumée des émotions récentes. Est-ce que ma vie eût été
différente si j'avais passé mon enfance, une partie de ma scolarité, à
Saint-Cloud ? Ou bien, que je la passe ici ou ailleurs, à Paris ou à
Pétaouchnok, quelque événement eût fait que de toute façon je me
fusse retrouvé pour mes dix-huit ans en classe de Terminale au
dernier étage du lycée Notre Dame de Verneuil, environnement qui me
semble incontournable, puisqu'il cristallisa de manière péremptoire ce qui
vivait en moi à l'état d'intuitions.
- Je
me demande si toutes nos routes possibles à partir d'un
seul point, toutes nos routes possibles + celle que nous empruntons,
celle qu'il nous faut bien emprunter, finissent de toute manière par se
rejoindre en un point que celui-là nous ne pouvions éviter : une
rencontre, une clairière ou une blessure obligées.
- J'ai
souvent décelé en la passion amoureuse - quand
elle est partagée - une clairière et une source ; quitte à
ce que les mauvaises herbes de la vie, l'orgueil et le désamour
reprennent le dessus, envahissent la clairière et tarissent la source pour
leur donner l'apparence d'un nouveau chemin plus mince encore que le précédent,
oppressant et sombre.
- Je
n'ai rien connu de plus dur que de voir deux personnes qui s'aimaient
devenir étrangers l'un pour l'autre. Face à l'hostilité et le non-sens du
monde, c'est la perte et la négation de tout refuge.
- L'habitude
délicieuse et pressante que l'on avait de se jeter au cou de l'autre pour
n'importe quel degré de soucis se coupe d'elle-même. On y songe
encore, mais on n'y revient plus.
- Et
ce qui fût beau à deux, cruellement ne le reste plus que pour soi-même.
Les souvenirs aussi perdent du sang.
- Je
n'aime pas cette vie ordinaire qui change le désir et
la présence de l'autre en un état de comédie ; un statut
d'étoile filante ; ou de bibelot pour le coeur. Mais je ne vois
jamais où la vie veut en venir. Il y a des moments je me sens terriblement
seul, isolé, et faible de ne pas savoir ce que je veux. Je veux
le bonheur absolu pour des personnes et il suffit que je les
fréquente d'un peu plus près pour être écoeuré de la manière
dont elles se comportent. D'un côté en amour je veux des
aventures d'une nuit, électriques et ardentes à n'en pas démordre, surprenantes comme le
jeu de la salière en papier avec ses dix points de couleurs, où la
révélation immédiate l'emporte sur la fascination
patiente du hasard ; et de l'autre côté je voudrais passer
toute ma vie au secret, la tête, les mains (et le
reste) fourrées dans les plis et replis de la fille que
j'aimerais.
- Sur
la route incertaine où je me rends, je n'ai pas d'autre choix
que d'enfer. Non, je veux dire : je n'ai pas d'autre choix que d'en
faire. Et je me dirige vers ma prochaine histoire d'amour comme on va
peut-être à l'abattoir. Parce que voilà : Dès les premières
blessures, et plus l'atteinte est profonde, plus les souvenirs aussi
perdent du sang.
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- 06.09.05
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- Le
tournage du clip s'est déroulé à merveille ; toute la nuit de samedi à dimanche
; plan séquence réalisé par Frédéric (Taddéï) ; une dizaine de prises ;
l'appartement mis sans dessus-dessous ; Vahina et Marie qui se croquent ; Je me
faufile entre elles telle une ombre désincarnée ; Je
ferme le rideau pour la tranquillité ; le groupe joue dans la chambre
étouffante comme dans une boîte à musique ; la batterie rouge et blanche
de Cyrille ; j'espère qu'on la verra à l'image ; Olivier (Chini) a organisé les
choses de main de maître ; il y a une fille jolie (Cécile) et elle me
demande de poser mes poignets sur ses genoux pour coudre les manches de ma
chemise aux avant-bras flottants ; Mes poignets fragiles sur ses
genoux rassurants ; Elle me parle de la boutique sexy de Sonia Rykiel, avec les
godemichés chics, donc, je dis : des godemichics ; c'est
remarquable comme tout le monde moi compris vient lui parler, recherche sa
présence, à un moment ou l'autre de la nuit - comme on va chercher un
verre d'eau fraîche pour le coeur ; Il y a des bougies partout dans la
pièce et me faufilant derrière la caméra pour retrouver ma place dans le
cadre, je fais la bourde de brûler la veste qui m'a été prêté par
Sonia Rykiel ; Aïe, le feu des premières fois ; Pascale invente le
maquillage-massage pour le plaisir de nos fronts soucieux ; Frédéric
(Taddéi) secondé de Julien, dégaine la caméra, inspiré et précis dans la
fluidité de l'action ; Fabien (Benzaquen) est un chef opérateur
lumineux ; Marie me raconte par le détail la liste des cadeaux qu'elle a
eus à son anniversaire ; Je lui dis : je suis certain que ton préféré est la
confiture finlandaise et elle me répond oui ; Marie sera en Suisse pour
jouer l'adaptation des Illuminations de Rimbaud
mises
en scène par Thierry De Peretti au moment où nous devrions y être pour les
concerts, alors nous nous promettons de nous voir là-bas, de dîner ensemble ;
en attendant, Olivier (Chini) nous fait des pâtes à quatre heures du matin ;
pendant le maquillage Frédéric (Rouet), Mathieu et moi nous jouons à Qui
va perdre ses cheveux le premier ? ; Je crois bien que j'ai une longueur d'avance
- pour la chute, dis-je, en hommage à Albert (Camus) ; une
longueur d'avance qui étrangement en matière capillaire ne m'aide pas ; je ne
peux pas me cacher derrière ma longueur (d'avance).
- - C'est pathétique ces cheveux qui tombent, se
tourmente Frédéric.
- -
Ne t'en fais pas, réponds-je, c'est signe de créativité et
promesse de succès amoureux ! Hé bien oui regarde Picasso
! Et Yul Brynner, sa femme elle était délicieuse et superbe, Doris
Brynner, très intelligente. Et Marilyn elle ne part pas avec Emmanuel Petit,
Marilyn, mais avec Arthur Miller mon vieux ! Et si tu préfères les filles avec
des cheveux longs, plus tu vas vieillir plus elles vont être attirées par toi.
Et tu sais pourquoi ? Parce que l'amour c'est une histoire de puzzle,
on recherche toujours sa pièce manquante ! Et, de surcroît, c'est
meilleur quand on s'emboîte. La fille qui a des longs cheveux, elle en a rien à
foutre du type qui a plein de cheveux comme elle ! Qu'est-ce qu'elle aura
à lui donner sinon ? Rien. Tandis que là, elle se sentira appelée. Elle te
dira : couvre-toi mon amour, viens sous le rideau de mes cheveux. Tiens,
Natalia Vodianova. Comment ça, tu ne connais pas Natalia Vodianova ? C'est une
bombe mon vieux. Une fille sublime qui a travaillé pour Marc Jacobs et Calvin
Klein. Très joli sourire. Et franchement vivre avec une fille sublime à
l'extérieur de soi, y a pas de quoi se marrer ! Natalia Vodianova sais-tu avec
qui elle s'est mariée ? Avec Justin Portman. Chauve comme un oeuf ! Il est
chauve comme un oeuf Justin Portman ! C'est loin d'être ton cas
mon tendre Frédéric. Tu vois, tu as encore du chemin à faire avant
d'arriver à Natalia Vodianova. Et puis je vais te dire : les filles
qui aiment les types avec de longs cheveux, elles sont : soit des
hippies, soit des narcissiques. Franchement, personne n'a envie de passer sa
vie avec une hippie narcissique ! Regarde tous ces types excellents : Picasso,
Zinédine Zidane, Gabriel Matzneff, Stéphane Million...Les filles
intelligentes, elles aiment les types qui perdent leurs
cheveux ! Comme ça elles se sentent plus près de leurs pensées."
- -
Stéphane Million ne perd pas ses cheveux, objecte Mathieu qui a l'oeil du
photographe.
- -
Oui mon petit mais c'est parce qu'il se camoufle, il se protège. C'est un homme
intelligent, il retarde le moment de se faire mettre les pinces par une Natalia
Vodianova. Comment veux-tu écrire si tu vis avec Natalia ? Tu ne peux plus
écrire, tu as tout le temps envie de t'occuper d'elle. De faire ton possible
pour que la vie ne sois pas trop dure pour elle. Et puis tu as tout le
temps envie de lui faire l'amour. Ou alors, s'il faut poursuivre son
oeuvre, puisqu'il faut bien poursuivre son oeuvre n'est-ce pas ? Tu
lui écris sur la peau. Rien de définitif, mais bon, une petite phrase à se
damner, par ci par là.
- -
Parce que toi tu écris sur la peau ?
- -
A fleur de peau oui ça m'arrive, du bout des doigts."
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- 07.09.05
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- Vincent Lemonnier.
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- Le
disque est arrivé le jour où Vincent est parti. Emporté à
l'âge de 36 ans, des suites d'une longue maladie comme c'est écrit dans
le quotidien Libération ce matin. On ne se
connaissait que depuis quelques mois. Il avait rejoint l'aventure pour
s'occuper des concerts, et c'est lui qui avait booké les dates de mars
2006 au Théâtre de la Coupe d'or à Rochefort et au Théâtre
de Suresnes, lui qui s'était occupé des lundis au Réservoir qui arrivent en
octobre, il se faisait une joie de ces quatre concerts à Paris, car il
allait pouvoir y faire venir tous les programmateurs de salles de
spectacle qu'il avait en tête, et il brûlait de leurs faire découvrir
notre travail, de porter le disque sur une grande tournée.
- Dès
le départ, très pudiquement, il avait voulu me faire savoir par l'intermédiaire
de Rodolphe qu'il était malade, plutôt très malade, et qu'il y aurait
des jours où il n'aurait la force de rien faire. La force, pas le courage.
C'est important, c'est juste la force qui lui manquerait certains jours, pas le
courage. Il avait rejoint l'aventure que je mène avec le groupe un peu
avant que l'on se prépare à concevoir et enregistrer ce
disque, il l'attendait avec une grande impatience. On parlait des idées de
lieux et d'événements qu'on aurait, pour aller chanter notre Chanson de
Noël par
exemple.
- Je
me demande parfois - parfois je suis comme un enfant - pour quelles
raisons les gens s'attachent à une démarche si personnelle au fond,
ont envie de faire partie de cette histoire, et s'y donnent coeur et âme, que
ce soit Olivier, Frédéric (Pertusier) et toutes les autres personnes qui
donnent chaque jour ou sporadiquement plus que d'eux-mêmes pour le
disque, les concerts, l'avancée.
- J'essaye
toujours d'inclure les gens avec lesquels je travaille dans une
aventure, quelque chose de vibrant et de créatif tout le temps, un travail
qui produit du sens, qui s'accroche contre ce qui passe, une vision de voir
les choses peut-être, mais je suis toujours heureux et
surpris de sentir à quel point ces personnes bataillent, et portent
haute en eux et autour d'eux l'histoire de ces grains de sable que
sont les chansons. Peut-être parce qu'ils savent que les grains de sable
sont des éléments les plus proches de l'océan, et qu'ils ont les
déserts dans le dos.
- On
s'écrivait avec Vincent, on s'envoyait des mails ces derniers temps -
je les ai relu la nuit dernière et j'ai regretté je crois que ce ne soit pas
des lettres sur du papier.
- Sans
pour autant dédramatiser la maladie, on en parlait comme d'une présence
indésirable à chasser. Une visite. Je lui disais : Hé ho je sais bien
qu'elle a envie de s'inviter mais y a déjà trop de monde qui bosse avec nous,
alors on va pas lui faire de place à ta maladie, on va l'occire !
- Il
y a des fois où Vincent semblait reprendre le dessus, il s'était marié au
printemps dernier, la présence de sa femme, sa famille, ses
amis, l'équipe de l'hôpital Saint-louis, lui donnaient de l'ardeur,
de l'élan. Et finalement le désistement d'une péniche pour
l'organisation de son mariage ou les types tièdes qui faisaient la sourde
oreille à notre travail, ou ceux qui promettaient de venir au concert et au final
ne venaient pas, le mettaient dans une colère et une rage bien plus
folles que les assauts sauvages et solitaires de la maladie.
- Dans
les moments où il se sentait fatigué, il revenait souvent sur le fait
qu'il ne pourrait se donner à 100 % de manière régulière dans notre
travail, cela semblait le tracasser amèrement. Alors je lui
répondais avec bonne humeur : Ne t'en fais pas, je connais ça,
c'est pareil avec la poésie, il y a des jours où je suis incapable de
rien, parfois une semaine entière, et tout d'un coup c'est reparti, un éclair
et c'est l'usine !"
- Sans
jamais minimiser une maladie brutale et sans pitié que j'avais vu à
l'oeuvre si je puis dire avec mon papa, j'essayais de lui envoyer quelques
petits mots, de temps en temps, dans sa boîte aux lettres
électronique, comme ça, si je sentais le sourire du dernier mail s'effacer.
Est-ce que je me basais sur la durée de vie des fleurs coupées pour
connaître la persistance des mots que j'envoyais ?
- Vincent
me répondait généralement assez vite, des mots pleins d'instinct, d'urgence et
d'avenir. La dernière fois, fin août, il m'écrivait qu'il rageait d'être
scotché chez lui sans pouvoir travailler, le moindre
geste entraînant un essoufflement digne d'un marathon. Je lui ai répondu
aussitôt, et puis une autre lettre quelques jours après
qui m'est cette fois restée sans retour. J'ai appelé Rodolphe
aujourd'hui dans l'après-midi parce que le coup du courrier électronique
m'a travaillé, je ne trouvais pas ça bien le courrier électronique,
susceptible de se perdre, de n'avoir pas de valeur, d'être avalé à tout
moment par l'indifférence blanche des ordinateurs, alors j'ai dit à
Rodolphe : voilà j'aimerais bien mettre nos derniers échanges de mail
avec Vincent, les mettre sur le site, dans le Journal pourquoi pas, pour
qu'il y en ait une trace quelque part (parce qu'en fait j'avais tapé son nom
sur les moteurs de recherche et je n'ai pratiquement rien trouvé ; ce qui
- bêtement peut-être, m'a paru très choquant, comme si on lui
retirait l'existence de son travail dans la musique - mais je ne
sais pas pour l'histoire des lettres à reproduire, c'est peut-être
très impudique ; et Rodolphe m'a encouragé à le faire, mais quelque chose
me retient quand même, alors je me contenterais de ce texte ce soir. Le jour de
grand bonheur où nous avons reçu le disque, il y a eu cette tristesse
infinie d'apprendre le départ de Vincent. Rodolphe a accusé le coup. Pour
Vincent surtout dont il était l'ami proche et puis aussi, parce que c'est
un boomerang par rapport à soi ; et Rodolphe se sent fragile,
souvent, par rapport à ça. La soudaineté et la violence avec
lesquelles on peut concevoir la fin. Je n'arrivais pas à dormir - cette nuit
encore - et j'ai voulu appeler Rodolphe pour lui dire que dans ce disque
je pensais avoir fait quelques chansons pour apaiser la
souffrance amoureuse, pour mettre comme un petit baume sur la dureté
inconsolable de l'amour qui s'en va, que ça pouvait marcher je pense dans ce
disque, pas forcément pour moi mais en tout cas pour les auditeurs je l'espère,
pour qu'on ait pas peur - même si ce n'est jamais enviable - de se retrouver
seul à nouveau ; alors je voulais appeler Rodolphe pour lui dire que comme
j'avais fait ça dans ce disque, dans le prochain je ferai une chanson pour
qu'il n'ait pas peur de la mort.
- C'était
un peu enfantin comme pensée, je m'en suis rendu compte et je n'ai pas
appelé Rodolphe. Peut-être aussi parce qu'il était vraiment tard. Trois, quatre
heures du matin. On appelle pas les garçons à cette heure-là. Tout le reste
oui, mais pas les garçons.
- Et
si vraiment il y a eu trop de choses dégueulasses dans sa
journée pour qu'on puisse fermer les yeux, et qu'on soit dans cette
déveine d'une période où l'amoureuse à venir ronge son frein ou s'en fout
pas mal de n'être pas encore identifiée, hé bien hop : c'est l'écriture.
C'est comme ça depuis l'adolescence : aucun autre choix pour moi, que le
plumard ou la plume.
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- 14.09.05
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- Le retour du poète solitaire.
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- Métro
Sèvres -Babylone (14h37), jeune femme d'une grande beauté
: aplat d'un petit haut rose pâle, fine armature du casque et des
fils d'un baladeur numérique, figure baconienne des petits seins
(i)coniques et mouvants ; élancée comme une virgule prête à tomber dans les
bras d'une parenthèse.
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- Quelqu'un
qui aime vraiment les femmes considère : la tentation de
poursuivre toute sa vie l'amour d'une personne qui se refuse,
et la joie d'aimer toute une vie une seule et même personne
d'un amour partagé, à égalité comme toutes deux de l'ordre du fantasme.
- Pourtant, la
plus belle et la plus haute trahison qu'un homme qui aime les femmes
puisse exercer envers lui-même est de n'en aimer qu'une.
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- Tatiana
A. : Je n'ai jamais connu de femme plus absolue. Elle n'avait de
masculin que cette maladie intense et dévorante de mourir pour quelque chose ou quelqu'un
qui n'en vaut pas la peine.
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- Je
parle cuisine avec Jean-Vic ; je dis que je comprends ces artistes qui font une
première chanson plus facile pour attirer davantage
de public vers des oeuvres plus personnelles, mais que moi je ne sais pas faire
ça ; dans la chanson Comme elle se donne par exemple qui est le
single de l'album à venir, il y a dans le propos outrageusement sexy
une intransigeance dans mon phrasé qui ne se veut pas du tout racoleuse, qui ne
va pas chercher, haranguer le plus de monde possible.
- -
C'est comme avec les filles, poursuit Jean-Vic, il y a ceux qui cherchent
à les attraper tout de suite, qui les étouffent...Et il y a les autres, ça
s'appelle l'élégance.
- -
Tu dois confondre avec la solitude, dis-je."
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- 15.09.05
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- L'épaule dénudée du passé qui n'est plus.
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- L'épaule
dénudée du passé qui n'est plus,
- La
serveuse très sexy du restaurant qui vient d'ouvrir
- Sous
les arcades du marché Saint-Germain
- Le
Caffe Rovi
- Jette
des bouteilles vides dans le contenaire,
- Le
verre se brise comme des étoiles après qu'une maladroite ait secoué
la nappe du ciel
- Dans
le jardin des chuchotements.
- Les
soirs d'automne elle démissionne pour aller coucher avec le premier venu
- Mais
elle ne supporte pas la saleté
- Des
petits matins.
- L'amour
qu'ils donnent lui semble toujours insuffisant.
- Trouver
quelqu'un et ne retenir personne.
- A
l'intérieur des capsules des bouteilles de coca il y avait des points à
collectionner
- Dans
une matière caoutchouteuse.
- Elle
pense à ça pendant qu'il s'occupe du préservatif.
- Elle
est allée avec lui ce soir comme on ouvre le bac à glaces pour attraper un
ice-cream.
- Elle
pense à ce qu'elle portera demain
- -
Nuit noire qu'une bougie démasque.
- Elle
fait le point avec sa garde robe
- Le
point avec l'océan
- Qui n'a
pas de vies parallèles.
- Les
femmes à l'oreille desquelles on ne dit pas de secret dépérissent plus vite que
les autres,
- Et
c'est cela,
- Le
secret.
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- 16.09.05
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- Fête
hier soir dans les magasins Sonia Rykiel du boulevard
Saint-Germain. Boulevard qui me happe depuis toujours et dont j'aime
tant la lumière le soir. Mathilde m'écrit que lorsqu'elle m'aperçoit marcher
dans le quartier, j'ai l'air d'un enfant triste perdu dans les
grands magasins. Avec Nathalie (Rykiel), Frédéric (Taddéi) et Lambert (Wilson)
nous allons voir le clip qui est projeté sur un écran plasma dans la boutique
de la rue des Saints-Pères. Je me confonds en excuses auprès des vendeuses qui
vont se farcir la chanson en boucle, tous les jours, pendant un mois, mais
elles sont très enjouées et, à la fin de la soirée, me disent que le clip a plu
à tous les visiteurs, un tas de monde, l'attroupement constant de
l'exclusivité. Nous sommes très fiers avec le groupe d'être ainsi soutenus par
Nathalie et Sonia Rykiel, et, du coup, même si l'accident sur le
tournage me donne une crédibilité de pop-star
internationale puisqu'il paraît que Michaël Jackson s'est
cramé pendant une pub Pepsi, personne n'a encore osé dire que j'avais
brûlé la superbe veste Rykiel qu'on m'a prêté pour le clip.
- Je
donne en avant-première un disque à Lisa (Arbellot) qui est
resplendissante dans cette foule compacte, légère et irradiante au milieu
de toutes ces filles et types à l'affût d'une
flûte (de champagne), j'embrasse en coup de vent Pauline (Klein) très
jolie toute de noir vêtue, Faustine (Caglia) me dit des choses
gentilles sur mon Journal dont
la lecture est l'un de ces luxes quotidiens..., puis elle me
parle d'un livre où il est question d'amour et de duperie, je lui dis : la
duperie de l'amour consiste à faire croire qu'on peut se rendre irremplaçable,
et la duperie de la rupture est de faire croire qu'on peut rester inconsolable
; après je suis chahuté à droite et à gauche et n'arrive pas à
retrouver Faustine mais je voudrais lui dire que j'ai parlé à la
légère, pour le mot, que bien sûr je ne pense pas vraiment ce que je lui
ai dit, ou alors par grand vent d'amertume, mais que bien sûr il y a
des êtres irremplaçables, et qu'il y aura des êtres et des situations qui
nous laisseront inconsolables ; et qu'il ne faut jamais perdre espoir ; que ce
qui n'est pas grand chose mais déjà à l'état de braises, ardent, peut
devenir un jour le foyer principal.
- Ecartelé
entre des bises et des bulles (à qui pétille le
plus), je cherche intensément X dans la foule, confusément, et
m'accroche enfin à son visage et ses yeux - aperçus sous
une casquette - dont la lumière particulière me blesse et m'appelle, me
tourmente et m'éclaire à la fois. La tentation de créer un
espace tout le temps où ne lui dire que l'essentiel. J'ai
hâte des concerts pour poursuivre et retrouver cette qualité
de lumière.
- J'ai
sur la main droite le parfum de quelqu'un et je ne sais pas de qui. Magda me
dit :
- -
Ce n'est pas comme la chaussure de Cendrillon. Tu ne peux quand même pas faire
essayer ton poignet à tout le monde."
- Même
si j'étais auteur de contes et que j'eusse trouvé plus élégant
d'exhiber son poignet que son pied (quels terribles fétichistes que ces
Grimm et Perrault !), il est vrai que je ne peux pas faire essayer mon
poignet à tout le monde. La pluie de la nuit de toute façon redistribue le
parfum des attentes, des épreuves et des joies.
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- 17.09.05
-
- Le pouvoir sexuel de mes chansons. L'émotion et
la décision. Romain.
-
- -
Je crois que faire un bon concert, je parle en terme d'intensité, c'est
avant tout produire de la lumière.
- -
On se prépare au retour des concerts christiques de novembre 2003. Tu manges au
moins ? demande David.
- -
Il ne mange que des prières, dit Rodolphe assez spirituellement.
- -
J'ai emmené Yelena et sa soeur, poursuit David, regarder le clip dans le
magasin Sonia Rykiel. C'est imparable, quand elles sont sorties rue des
Saints-Pères elles fredonnaient le refrain de Comme elle se
donne.
- -
Tenez, regardez, il y a un mûrier dans le ciel, dis-je.
- -
Quels ont été leurs commentaires en voyant le clip ? s'enquiert Rodolphe.
- -
Waaouh ! Force du plan séquence et c'est du Jérôme Attal bien chaud !
- -
Oui c'est une chanson bien sexuelle mais jamais lascive, crois-je bon de
préciser, et le clip exploite cela très bien. Et j'aime aussi tous les
mouvements qui s'entrechoquent dans la continuité du plan. Après, dans le
disque, il y a aussi Laisse-moi devenir ton homme qui est assez salée. Comme
elle se donne étant une chanson où le désir masculin s'efface, est traité comme
un fantôme, où il ne m'intéresse pas du tout, je voulais vraiment une
ré-appropriation avec Laisse-moi devenir ton homme, quelque chose de brut,
de sexuel et de décidé, de sensuel et d'implacable, parce que je crois que
l'amour c'est avant tout la combinaison, l'enchaînement très court de deux ordres
que le coeur intime : l'émotion et la décision. Donc je
voulais que les types puissent faire écouter ça à la fille dont ils sont
amoureux et que ça marche - que ça marche éperdument - que ça renverse le coeur
des filles, qu'elles veuillent délibérément être celle et la seule à qui
on dira : Laisse-moi devenir ton homme. Tiens par exemple, si
un type faisait écouter ça à Nicole Kidman, tu crois qu'elle lui dirait
oui ?
- -
Pour sûr, défend David, Nicole c'est pas une fille à plaisanter !
- -
Et la fille que tu avais rencardé au Bistrot des dames, la dernière en
date ?
- -
Non ! Les oreilles ensablées et un pois chiche qui fait l'ascenseur entre son
coeur et son cerveau !
- -
Hum. Et Virginie Ledoyen ?
- -
Tout de suite.
- -
Anne Parillaud ?
- -
Rien qu'à l'intro elle te dit oui.
- -
P.J. Harvey ?
- - Elle
te dit oui, en plus dans le journal anglais The Guardian ils écrivent
que tu es un cultish and loveable French artist, alors elle te dit
oui mais il faut attendre le riff de guitare !
- - Oui
c'est plus Pollie. Et Uma ? Uma Thurman ?
- - Je
ne pense pas...émet David après un temps de réflexion, le Bou
Bou Bou va
l'effrayer, elle a besoin de stabilité cette meuf ! Je crains vraiment que le
Bou Bou Bou ne l'effraie.
- -
Anne Brochet ?
- -
Rien qu'au titre ! Rien qu'en lisant le track-listing elle te saute dessus.
Elle est très sensible, Anne. Je l'adore. Et elle a une très jolie voix. C'est
important d'avoir une très jolie voix dans l'amour n'est-ce pas ?
- -
Oui, dis-je, pour entendre, pour récupérer, pour relancer le battement. C'est
très important.
- -
Ce qui est bien dans cette chanson outre le final épileptique c'est tout le
début, dit David, parce que ça raconte que le parcours est aussi important que
la fille. Cela c'est très important.
- -
Oui mais ce n'est jamais un parcours raisonné. Ou alors un parcours où la
raison est chahutée sans cesse, inquiète et chahutée. Je crois que parfois,
quand c'est vraiment le coeur qui parle, il y a une justice ou plus
exactement une vérité dans le déraisonnable. Tu sais il y a cette
très belle phrase de Romain Gary dans Education européenne. Non, parce que dans Comme
elle se donne quand je dis : Tu as vu j'ai mis ce con de Romain sur la
touche je
ne parle pas du tout de Romain Gary ! Il ne faut pas croire ça mon
vieux ! Il y a des choses avec lesquelles on ne peut pas déconner
! Par exemple Houellebecq, ma lecture du dernier Houellebecq elle s'arrête
page 33 quand il commence à s'exciter sur Nabokov, parce que bon il faut
choisir son camp dans la vie et puis surtout parce qu'une seule phrase de
Nabokov m'excite davantage que les 33 pages que je viens de me taper ;
donc bref faut pas déconner avec Romain Gary non plus. Dans Education
Européenne, voici la phrase...Encore un moment : j'étais dans le métro
l'autre jour et je lisais le chapitre 6, et j'étais frappé par le romantisme
absolu du chapitre 6, touché au coeur, et ensuite, plus loin, certains
dialogues entre le personnage principal et la petite Zosia qui
sont vraiment très poignants...La vie...Le hasard je veux dire ça consiste
à trouver des gens à qui on peut dire des choses qui sont de l'ordre de
l'essentiel...voilà mon point de vue, c'est tout, c'est pour ça que j'écris des
chansons et que je fais des concerts : pour trouver dans cette vie faible,
laborieuse la plupart du temps, déloyale dans ce qu'elle a de prévisible ou
d'imprévisible, des gens à qui dire des choses essentielles ; des gens
solides, qui ont de l'appétit pour l'essentiel ; et donc dans Education
européenne, il y a cette très belle phrase de Romain Gary, voilà : Il
savait déjà que la vérité était quelque chose qui se reconnaissait dans les
élans chaleureux du coeur et rarement dans la froideur de la raison."
-
- 19.09.05
-
- Toutes les nuits viennent à ma rencontre.
-
- J'ai
gardé du mariage de Mathieu ma cravate dénouée et un air élégant
mais un peu débraillé, je traîne le long du boulevard, s'ils n'ont pas
encore démonté la cabine de la rue Courty c'est qu'il doit y avoir encore
quelqu'un à appeler. Parfois le ciel est démonté et pourtant. J'ai une angine
qui fait de mon larynx un perchoir à rouges-gorges et les jambes qui
trébuchent de fatigue. Les yeux étincelants de fièvre. Mes pensées s'échappent
de ma tête et font une sorte de cerf volant à plusieurs panneaux dans le ciel
jamais tout à fait noir de la ville. La jeune femme aux cheveux qui tombaient
jusqu'à ses pieds nus et qui est venue ouvrir une porte dans mon rêve de
cette nuit est priée de venir la refermer dans la réalité, c'est une question
au mieux de survie, au moins de politesse. Et puis déjà que je ne retiens
pas tous les prénoms dans la vie courante, si c'est pour qu'il y ait encore de
nouvelles têtes dans les rêves, ça devient fatigant de trouver le sommeil.
J'adore l'automne, même si un nouveau septembre passera sans qu'il y
ait personne à protéger de ses bras. Toutes les nuits viennent à ma rencontre.
Cela va faire deux ans que mon papa a disparu de la surface du quotidien, de
mes appels téléphoniques de dix-huit heures trente, de la nuit qui tombait plus
chaleureusement que les autres jours le jeudi soir ; deux ans qu'il est
éternellement jeune avec son blouson d'aviateur et ses lunettes Ray-ban, en
poste à Tahiti de l'autre côté du ciel. J'ai beaucoup pensé à lui en parlant
longuement avec le papa d'Olivier, jeudi soir, en marge de la fête
Sonia Rykiel. J'aimerais bien qu'il me guide parfois, qu'il m'aide de là
où il est à trouver un sens, qu'il m'aiguille comme il le faisait
avec les Jumbo Jet ou le Concorde sur la piste de Roissy à la fin de
sa carrière. Mais les signes sont si difficiles à percevoir. Salomé me
rencontre pendant que j'écris dans mon carnet Moleskine assis sur des marches
et elle me dit : "Tu réponds encore à des tas de filles qui te
pourchassent..." ; je me vois dans la peau d'un renard aux yeux verts mais
mes seuls poursuivants sont les erynies de mes amours perdues et mes regrets
tremblants. Ce week-end par courrier électronique j'ai reçu quatre lettres
d'amour de personnes que je ne connais pas et j'en ai envoyé une - brûlante
- à quelqu'un que je connais un peu et dont le visage me
hante et les trop rares apparitions me bouleversent. Je voudrais
dormir tout contre elle mais aussi, en écrivant, en faire quelqu'un qui ne
pourra jamais plus être blessé ou atteint par l'éphémère. Faustine me parle du
nouvel album de Paul McCartney, elle me dit : c'est aussi
mélancolique que certaines de tes chansons sauf que quand on écoute les
paroles on se dit que finalement ça parle de choses heureuses, tandis que chez
toi quand on se penche sur les textes il y a quelque chose de vraiment
inconsolable. J'envoie un mail à Philippe (Besson), j'écris une lettre à
Nathalie (Rykiel) pour la remercier de sa bienveillance. J'allume une bougie à
la semaine qui arrive. Qu'il y ait de belles choses pour les gens que j'aime et
quelques fulgurances pour moi qui me fassent sentir mon esprit s'animer, mon
courage ne pas faiblir, et mon coeur battre, plus haut que jamais. Irina,
au téléphone, me récite un poème que j'avais inventé pour son
anniversaire il y a quelques années et qui commençait par : Toutes
les nuits viennent à ma rencontre, et je n'arrive jamais à en choisir une pour
m'endormir...
-
- 22.09.05
-
- Il
n'y a personne ce soir
- Aucun
volontaire pour conduire
- Le
chasse neige de la mélancolie.
- Celui
qui déblaie le jour
- De
la nuit.
- Qui
fait la part entre le possible et l'impossible.
- Si
confus d'ordinaire - dans l'amour.
- Personne
de volontaire
- Pour
recueillir des histoires,
- Et
marcher sur un fil vers la tentation de bras nus.
- Je
voudrais faire trébucher le soleil pour que l'automne s'installe.
- Un
bon croche-pattes à l'ancienne
- Voilà
ce que je voudrais faire (au soleil)
- Sous
les ricanements d'un corps nu, d'une cachette.
- Mais
je dois me porter volontaire,
- Comme
chaque nuit,
- -
Même si le silence des villes, des coteaux, des buildings, glace
-
- Pour
conduire le chasse-neige de la mélancolie.
- Et
je voudrais aussi faire trébucher son coeur pour faire naître le vrai
soleil.
- Celui
qui n'a pas besoin d'être punaisé au ciel pour briller.
- Celui
qui s'appelle : évidence.
- Qui
met un temps fou à venir,
- Et
un temps de travail encore.
- Et
un temps de perdition peut-être.
-
- 23.09.05
-
- Est-ce que ça marche ?
-
- Suite
à mon texte du 19.09.05,
Claire m'écrit : Est-ce que ça se fait, enfin je veux
dire, est-ce que ça marche sans être trop intrusive d'écrire
une lettre (même électronique) " brûlante à quelqu'un qu'
[on] connai[t] un peu et dont le visage nous
hante" ?
- Voici
ma réponse : ça ne marche pas dans le sens où je continue à dormir
seul, mais ça marche dans l'idée que ce visage poursuit son
chemin en moi hors des considérations de l'éphémère.
-
- "Nous ne sommes pas des anges".
-
- L'esprit
et la douceur du portrait que Xavier Demoulins m'a consacré sur Canal
aujourd'hui. Dès que je rentre de l'émission j'écris à Philippe (Besson)
car j'ai appris qu'il en serait l'invité suivant, lundi prochain. Je lui dis
que même si l'émission est très courte, même s'il n'y a
pratiquement que le temps de faire connaissance, pour les gens qui
écrivent j'ai dans l'idée que c'est cent fois préférable à une heure de
commentaires et soupirs autrefois chez Pivot parce que, autour de cette
table, observant Maïtena (Biraben) et Daphné (Bürki) travailler,
il y a dans leur façon de réagir et se tenir, de s'émouvoir et de répondre, où
transparait par fulgurances ce qu'on imagine de leur intimité, de leur
lumière et leur vision du monde, leur sensualité et leur bonté, il y a
: matière à travailler.
- En
sortant j'étais un peu tourmenté de n'avoir pas été aussi éloquent que je
l'eusse souhaité - parce que les moments courent très vite, on voudrait
toujours avoir un peu plus de temps et d'espace pour déployer ses ailes - et on
se sent soudain expulsé de l'ambiance bienveillante et en amorce douce des
rencontres furtives. Je dis à Philippe qu'un des meilleurs moments est - au gré
du tourniquet des intervenants - lorsque Daphné vient s'asseoir à côté de vous
et - comme une piqûre de vie à fort concentré - vous souffle
dans l'oreille que - malheureusement - c'est provisoire.
- Après
il y avait un type qui bougonnait parce que j'ai dit que je préférais les
petits seins et il n'était pas du tout d'accord, lui il préférait quand ça
fleurit, c'était son expression : j'aime quand ça fleurit. Et il se sentait
vraiment insulté par ma réaction, il haussait les épaules, pestait et
râlait contre moi quand je disais que les petits seins sont plus
émouvants. Je me sentais vraiment en sécurité dans cette ambiance à
la fois studieuse et délurée, protégé avec bienveillance, et après je voulais
encore rester dans la proximité de Maïtena et Daphné, je ne sais pas moi
qu'elles m'emmènent acheter un pain au chocolat, puis aller faire mes devoirs -
je veux dire : écrire - pendant qu'elles continueraient à parler tout à côté
en prenant une tasse de thé, en préparant leurs émissions de la semaine
prochaine, et même si on m'avait coupé les vivres - les carnets Moleskine et
les stylos Bic quatre couleurs - et qu'elles m'avaient emmené au square
faire de la balançoire tape-cul tout seul contre le soleil, j'aurais
fait croire qu'un copain allait surgir des buissons pour venir jouer avec moi,
ou même que dans la vie courante le soleil est un partenaire
convaincant.
-
- Le coeur interminable. Princesse dans un lit. Le
doudou qui fuck. Les mannequins d'arrondissements.
-
- Quand
j'arrive dans la fête, surprendre ma silhouette
pâle flotter dans un miroir me fait penser à Léon
Spilliaert, et je me dis que ce soir, dans mes yeux, l'effroi de la
fatigue et l'agonie du jour tirent sur le vert. Je pense
que si je trouve une fille qui me plait, passé le barrage soluble des
conversations d'usage : "Et qu'est-ce que tu
fais toi (dans la vie) ? Et tu connais qui ici ?" je m'endors dans
ses bras ; en réalité je suis tellement fatigué que je me contenterais
même du reflet d'une épaule dans la fenêtre d'une chambre pour
y poser ma tête.
- Pierre
(B) me rejoint à l'écart des petits groupes qui se forment dans le
salon et me dit : "Jérôme, si tu veux je te présente une
japonaise avec des jambes interminables. Je n'ai qu'un coup de fil à
passer !" ajoute Pierre d'un ton impérial.
- -
Tu es gentil, lui réponds-je, mais en ce moment c'est le coeur qui me semble
interminable.
- -
Il y a cette blonde superbe, vous l'avez-vue ? demande David qui surgit
comme un fou.
- -
Oui, magnifique, dis-je. Très belle. Et vous avez remarqué, elle est avec un
type chauve. Exactement comme Natalia
Vodianova !
- -
Je n'ai pas touché une blonde depuis 1998, intervient Pierre, pensif.
- David
me tend un gressin :
- -
Mange-ça, je suis sûr que tu n'as rien mangé depuis trois jours, et ça te va
bien de manger des gressins, c'est la classe !"
- Tout
en faisant des considérations sur la bouffe (les salades
de pâtes c'est super dans les situations de crise) et en regardant de
manière un peu outrancière les cuisses nues et les jambes bottées de la
jeune femme blonde, David descend le bol de gressins comme Bugs
Bunny une plantation de carottes. Au gré d'une de ces
associations d'idées dont elle a le secret, Emma m'accapare et me parle
de fellation et quête du petit nerf. Elle dit : Voilà, pour faire une
bonne fellation il faut trouver le petit nerf qui est sous le prépuce. Le
secret de la bonne fellation c'est le petit nerf." Je songe à m'éclipser
un moment - car j'ai un peu de vague à l'âme - le désespoir de l'amour, la
proximité des écluses ? - mais ce que je saisis de la conversation des
trois quatre personnes réunies à côté de moi est le mot : prime
d'investissement, alors quitte à choisir le sujet je préfère de loin la
quête du
petit nerf. David jauge Emma et lui dit
crânement :
- -
Ce qu'il y a de mieux dans la fellation c'est l'effet visuel, la perspective
!"
- Après,
quand elle est partie, Frédérique dit : "Elle bluffe cette fille, elle se
la joue, ça l'amuse de tenir des propos obscènes devant toi Jérôme, elle
cherche à t'impressionner, mais je pense qu'au lit elle se laisse faire,
elle doit faire sa princesse dans un lit."
- Je
m'isole dans la cuisine - l'un de mes replis préférés - après avoir pioché un
livre de Marguerite (Duras) dans la bibliothèque (réduite à
trois étagères peu inspirées et qui vibrent à chaque coup de sonnette) -
pendant que je relis quelques pages superbes de Les Yeux
bleus, cheveux noirs, Frédérique vient me servir une part de gâteau au chocolat et me
dit gentiment :
- -
De toute façon de tous les écrivains contemporains tu es de loin mon préféré.
- -
Mais je n'ai pratiquement rien publié tu sais, dis-je.
- -
Oui mais ça viendra !" tranche-t-elle avec un ton d'Antigone
bienveillante.
- Alice vient
me parler de sa nouvelle copine, on la distingue près d'un sofa - d'un air
si triste qu'il absorbe ma propre peine - elle végète un peu en débardeur
blanc en marge des conversations, d'un sourire sans y croire.
- -
Je ne suis pas amoureuse, dit Alice, je ne la trouve
pas spécialement jolie, ni passionnante, mais je couche avec elle
parce que j'aime le désir qu'elle a de moi. Tu me trouves dégueulasse n'est-ce
pas ? En fait, pour moi, cette fille c'est comme un doudou qui fuck !!"
- David
qui sert des assiettes de pâtes à tout le monde (l'habitude de gérer les
situations de crise) saisit au passage l'expression "doudou qui
fuck" et me lance des oeillades interrogatives.
- Je
reçois un texto de Julien (Le Monnier). Je traverse le salon et m'isole
dans la chambre qui donne sur le canal pour l'appeler, lui parler un peu
au téléphone. Je pense à ces gens qui ne me connaissent pas, agglutinés
dans le salon un verre à la main, et qui me voient traverser la pièce d'un bout
à l'autre, sans jamais me mêler à eux, pour aller me réfugier soit
dans la cuisine soit dans la chambre, rejoint sans cesse par une
fille ou deux, ils doivent me prendre pour un drôle de type, certains
doivent même commencer à me détester ou penser que j'organise le trafic de
quelque chose d'important, mais je suis si fatigué ce soir que je n'ai pas
d'autre choix que le repli. Après avoir raccroché avec Julien, je retrouve
Pierre qui me parle encore de la japonaise aux jambes interminables. Cela
me fait penser que, ce matin, dans ma boîte aux lettres, de son écriture très
enfantine Sanae m'a envoyé de Kawasaki (2120016 Japon) trois cartes postales
très belles reproduisant des oeuvres du peintre Yuméji Takehisa.
- -
Des jambes interminables, et en plus elle a de petits seins comme tu aimes
!", ajoute Pierre. Je repense à l'émission Nous
ne sommes pas des anges, et au type collé à moi qui rouspétait de tout
son être comme si j'avais insulté le bon goût
masculin (il vient d'écrire un livre qui s'appelle : Les
hommes préfèrent les rondes, alors, forcément) en affichant ma préférence. Je
raconte à Pierre l'épisode avec Daphné, quand Daphné s'assoit à côté de moi,
qu'elle me dit : je m'installe à côté de toi. Que je dis : Chouette !
(comme lorsqu'une fille jolie vient s'asseoir à côté de vous dans le
car de transports scolaires) et qu'elle répond : Oui, mais c'est
provisoire.
- -
Au moins une qui prévient !" dit Pierre très spirituellement.
- Nous
parlons avec un type qui, après dix ans d'une histoire d'amour qui s'est
transformée en totale déconfiture, cumule les fiancées avec une joyeuse
insolence, s'enthousiasme des filles extraordinaires qu'il peut
lever, et nous confie amèrement que quand même, avec les filles, c'est mieux
quand on a de l'argent. Son discours tient en ce triste syllogisme : Il faut de
l'argent pour séduire les filles. Parce que les filles il faut tout le
temps les surprendre. Et il n'y a rien de mieux que le fric pour ça
!"
- Le
héros romantique que mon coeur, au fond, abrite se sent totalement
insulté par une telle assertion - et je lui rétorque que ce n'est pas
spécialement avec les filles voyons, mais de manière générale
- dans la vie - qu'avoir un peu d'aisance et de
facilité financière apporte plus de confort (oui, moi-même je suis
surpris par la pertinence et le haut degré d'originalité de mes réflexions). Et
le type nous parle de sa nouvelle copine - mannequin dans le huitième (je
suppose qu'il s'agit de l'arrondissement) qu'il emmènerait bien en avion à
Biarritz ce week-end s'il en avait les moyens...Devant mon air dépité, David
raconte que pendant six mois il est sorti avec une fille de grande famille,
très belle, mannequin dans le septième, et qui a l'habitude des soirées,
des boîtes, tout le tralala, qu'il l'emmenait dîner dans des endroits
chics trois fois par semaine, que ça finissait par lui coûter une fortune, mais
que le jour où il l'a sentie la plus heureuse c'est quand il l'a invitée chez
lui et qu'il lui a préparé un dîner à base de Picard surgelés !
- Le
type n'en démord pas - voudrait appuyer que les filles sont
aussi vénales et impressionnées par ce qui brille que les garçons sont
concupiscents, mais tel un Bruce Banner déchaîné devant
une forte concentration de bêtise je me suis transformé en héros
romantique (aux yeux verts) et commence à lui expliquer que de toute façon
on s'en fout d'aller faire la dînette dans les endroits huppés du monde,
puisque l'histoire d'amour est déjà une faim (de l'autre) en soi. Ce à
quoi David explose :
- -
De toute façon vous ne jouez pas dans la même catégorie. Jérôme il est
différent, il propose autre chose.
- -
Ah oui, et qu'est-ce que tu leur proposes alors ? défie le type
en me fixant du regard.
- -
L'absolu, dis-je.
- -
Exactement ! L'absolu mon vieux ! jubile David en se servant une louche de
pâtes.
- Ensuite David
m'accompagne dans l'un de mes derniers trajets cuisine-chambre de la
soirée :
- -
Tu sais, il faut me croire Jérôme, ce que je te raconte
c'est pas des bobards ! Avec X, on allait au Fumoir, au Man Ray, au
Buddha Bar, à toutes les conneries de Sushis bars, et elle grignotait. Je te
jure qu'elle grignotait ! La seule fois où je l'aie vue se régaler de bon
coeur, c'est quand nous étions à la maison et que je lui préparais du
Picard Surgelé."
- La
jeune femme élancée, très belle, à côté de laquelle toutes les filles qui ont
voulu faire un effort pour s'habiller ressemblent maintenant à des Spice-Girls,
et dont David a reluqué les jambes une bonne partie de la soirée (ce qui a eu
pour effet que quelques louches de pâtes se répandent sur le parquet), vient me
voir pendant que je prends le pouls du canal et la douceur de septembre sur le
balcon. Elle me dit deux trois choses gentilles, et me demande en portant les
yeux loin devant elle ce que je préfère dans Paris. J'essaye de trouver une
réponse parmi tant de réponses possibles et parle de la petite porte dans le
bâtiment de l'Académie qui débouche directement rue de Seine. Je lui dis :
Voilà j'aime pour rentrer rive gauche passer par cette petite porte.
- -
Je ne suis pas conne tu sais, me dit-elle, je comprends parfaitement
l'allusion sexuelle ! " Et elle me donne son numéro de portable.
-
- 25.09.05
-
- Les
forêts du dimanche se lèvent au seuil de l'insomnie. Dans le beau film de Jim
Sheridan : In America, j'aime bien le passage
où la petite fille chante Desperado.
- J'ai
hâte de la lumière des concerts d'octobre ; on se dirige doucement vers cette
lumière, il faudra créer le lieu adéquat en scène. Une vraie forteresse contre
la matière décevante des jours qui passent.
- Tisser
des liens indiscutables avec les gens qui viendront me voir en
concert sera mon job d'automne.
- En
interview vendredi sur la radio que Télérama va créer pour le web, j'ai
envoyé des messages codés, comme un pilote au dessus de
l'océan, vers le coeur de X.
- Des
rafales de mots (peut-être) perdus. Chaque journée s'ouvre en
deux pour faire naître l'atlantique. Boulevard Saint-Germain
rencontrer à la sauvette des gens qu'on aime bien, un salut lointain, un
baiser précipité, ou se laisser joyeusement convaincre d'un moment
et glisser dans un Café. La première fois que je suis venu dans ce
Café-ci je devais avoir dix-huit ans, et, comme après nous être blessés
et réparés sous toutes les coutures, C. ne m'avait
pas retenu le visage entre ses mains, sortant dans le froid du boulevard
j'avais vraiment eu l'impression que les passants au coeur planqué sous
leurs manteaux étaient tous en sursis.
- Dans
mon rêve d'hier nuit j'ai été élu : L'homme
le plus sexy de l'année qui pousse un caddie dans les allées du
supermarché ATAC du centre commercial Parly 2. Le titre est long, le challenge
ambitieux, mais c'est une toute petite distinction. D'autant que j'ai
gagné il y a quelques mois le titre de Porteur de
panier le plus classe au Shopi d'Orgeval le dimanche matin (l'emportant d'une
voix sur Claude Rich). Et j'ai reçu l'autre nuit un trophée d'honneur
pour l'ensemble de ma carrière dans les rayons de la grande épicerie du Bon
marché (remis divinement par Ann Catherine Lacroix).
- Combien pâles
sont les efforts désolés du soleil pour réchauffer les coeurs solitaires le
dimanche. Quand j'avais quatorze ans une jeune fille de seize ans m'avait emmené
en forêt de Saint-Germain-en-Laye pour d'un baiser m'y enterrer vivant. Je
n'étais pas retourné en classe pendant trois semaines. Faut pas déconner.
Quelle équation mathématique peut rivaliser avec ça ?
- On
est toujours à la recherche de clairières persistantes. Il faut
creuser à même le gris. Se battre contre des sous-marins. Ne jamais se laisser
emporter par le courant de la résignation, braver les ténèbres du dépit, viser
toujours ce qui ne peut pas mourir.
- 26.09.05
-
- Le jour où j'ai failli voler la
vedette au Christ.
-
- Une fois par trimestre, il y avait
une grande messe qui réunissait dans l'une des églises de Saint-Germain-en-Laye
toutes les classes de collège du Privé, une cérémonie durant laquelle, dans la
grande tradition de ce que les Très-chers-Frères-des-écoles-chrétiennes
appelaient : "un temps de partage" quelques fantaisies
étaient cependant encouragées avant le moment solennel de
la communion : extraits d'évangiles lus à plusieurs voix (par les élèves
les plus doués en récitation), chansons jouées à la guitare parmi lesquelles
les tubes planétaires des grands rassemblements de jeunes chrétiens :
L'esprit de fête, La paix c'est comme un cadeau...
- Cette année-là s'affrontaient dans
l'établissement deux tendances : Les Frères très conservateurs se
réclamant de l'enseignement et des valeurs inculqués à Passy Buzenval, et
les adeptes d'une certaine modernité, d'une plus grande souplesse, qui
prônaient la mixité en classe et l'intégration d'airs beaucoup plus
modernes au répertoire chanté durant les cérémonies. Au grand damn des
conservateurs menés d'une main de fer par Frère Anicet, c'est à Frère
Thibaut - un doux et bienveillant excentrique grand dépeceur des
songbooks des Beatles - qu'avait été confié l'organisation de
la dernière messe inter-collèges de l'année, fin mai-début juin.
- Comme depuis
mars il avait fait grand bruit que j'avais, en cours de musique,
massacré Yesterday à la guitare (merde, un accord par mot quand
même !) pour les beaux yeux de Marie Fusesseri, et que mes yeux verts
et mon aplomb de prophète à sortir des phrases définitives (qui
s'avéreraient exactes) sur le destin de mes camarades, impressionnaient parfois
; tandis que certains professeurs affirmaient que par amour
j'étais capable de jeûner pendant toute une année scolaire (il fallait voir
aussi ce qu'on nous servait à la cantine) et qu'une femme de ménage avait même
raconté à un des Très-chers-Frères dans un de ces moments d'intimité dont ils
partageaient le secret et obtenaient l'absolution immédiate qu'elle
m'avait vu léviter au-dessus de mon pupitre - j'ajouterais à cette litanie
de phénomènes étranges que jusqu'à ma majorité ma mère n'ouvrit jamais la
porte aux témoins de Jéhovah, soupçonnant que ceux-ci étaient
en vérité des moines tibétains qui souhaitaient m'enlever
pour m'emmener sur les hauts plateaux de Dharamsala y accomplir quelque
sainte destinée - je fus donc tout naturellement choisis ce jour-là
pour interpréter en pleine cérémonie une chanson des Beatles censée
réconcilier la jeunesse impatiente avec le temps assez lent
à occuper jusqu'à l'eucharistie, et, comme chanson des
Beatles, je choisis : Hey Jude.
- Je tiens à signaler ici qu'à
l'époque mon niveau d'anglais était vraiment faible, et je ne me
souciais guère des paroles des chansons, sinon, à l'évidence, j'aurais
compris ce qu'il y avait d'absolument déplacé à chanter la phrase : Don't
carry the world upon your shoulders à l'intérieur d'une église.
- Marie Fusesseri portait le plus
souvent des chemises de garçon au col très déboutonné qui vous donnait envie
de la protéger du vent. Elle jouait très bien de la jupe traversière. Et de la
flûte, aussi. En ce jour de printemps elle portait une robe
aussi courte qu'une journée d'anniversaire.
- Quand après le sermon du prêtre on
me fit signe que c'était à mon tour de passer, j'arrivais devant
l'autel guitare en bandoulière et m'avançant vers le micro qui
ressemblait à un robinet de salle de bains - les paroles du Seigneur sont de
l'eau fraîche au coeur de celui qui sait s'y pencher - je livrais une
interprétation de Hey Jude si poignante, si forte et si
démesurée que quelques applaudissements frénétiques ne purent
s'empêcher de retentir dans l'église (Je voyais le pauvre Frère Anicet,
rouge de la tête au pied, s'agiter entre les rangs, séparer les mains des
enfants qui les joignaient dans l'émotion, en hurlant : Pas comme ça
! Pas comme ça les mains ! On applaudit pas dans une église !).
Et, du lieu où je me trouvais, cherchant désespérément le regard
et la passion de Marie, je la vis couvrir son visage de ses mains
pour y recueillir ou cacher les quelques larmes blanches qui
lui tombaient.
- Je triomphais - un peu
trop. Dès la fin de la cérémonie, quand les rangs se dispersèrent et les
élèves des différentes classes de collège s'ébrouèrent sur le parvis de
l'église, Frère Anicet fonça droit sur moi tandis que je rangeais ma
guitare dans son étui, et, furibard, hors de lui, éructa :
- - Faux larron tu m'fous la
honte ! Tu as volé la vedette au Christ !"
- Alors, tandis que le
Très-cher-Frère me crachait des injures que le maître des enfers eût prises
pour des bijoux, et qu'il souleva sa grosse main sèche et massive
pour me frapper la joue droite, s'exécutant, je lui tendis la gauche.
-
- 27.09.05
-
- Est-ce que deux corps de
s'être trop frottés l'un à l'autre condamnent le bonheur à l'usure ?
-
- Quand l'avaleur de sabres n'a plus
de lames à disposition c'est le gris de la vie qui a sa préférence.
-
- Si j'aime tant les femmes c'est
parce qu'il y a quelque chose dans l'émotion qu'elles me procurent qui est de
l'ordre de la promesse et du passage. Quelque chose qui me bouleverse et que je
voudrais garder toujours. Quand je tombe amoureux de quelqu'un, je voudrais la
garder toujours. Les simagrées du destin du monde n'ont pas de prise. Ensuite
il y a une histoire, une intimité qui se noue, une forteresse de jours, de
désir et de besoin de l'autre, et alors un deuxième mouvement : les
simagrées du destin du monde reviennent me concerner dans l'espoir
que je pourrais toujours en protéger l'objet de mon amour.
-
- 28.09.05
-
- Sortie en kiosques de la
revue New Comer, six pages m'y sont consacré : chronique du disque
et morceaux choisis (et récents) du Journal.
-
-
- Rencontre avec Patrice Chéreau sur
le plateau de l'émission Le set, sur Pink TV. Juste le temps de lui dire
que, bien qu'assez hermétique au théâtre, il y a quelques années sa
mise en scène de : Le Temps et la chambre de Botto Strauss au
Théâtre de l'Odéon m'avait beaucoup impressionné et marqué durablement. Enfin
je ne lui dis pas comme ça, je ne lui dis pas : moi qui ne suis pas très
sensible voire totalement hermétique au théâtre, parce que bien sûr
nous sommes dans des conditions où nous n'avons pas vraiment le temps de
philosopher, alors Patrice serait rentré chez lui en pensant : J'ai rencontré
un type qui n'aime pas le théâtre. En fait je crois que c'est une
question de durée et de situation, contrairement à la peinture ou la
littérature, le récit du théâtre m'échappe, je ne peux pas faire
vivre en moi - au rythme que je désire - les émotions qu'il transmet, et
surtout, je n'ai pas le pouvoir de panser sa violence.
- C'est devenu aussi une affaire
personnelle. Au temps où j'étais amoureux de X et que j'étais allé la voir
jouer une pièce au théâtre, un rôle assez violent où elle se traînait à terre
et laissait exploser de la passion à l'état brut, cela m'avait profondément
bouleversé, je ne comprenais pas, je me disais : Mais d'où lui vient ce
tourment, d'où sort cette folie, cette peur, alors qu'elle dort dans mes
bras si elle le veut la nuit...Je ne comprenais pas, cela dépassait
mon rôle, je trouvais ça à la fois immense mais aussi d'une certaine manière
faux, étriqué, c'était tout ce contre quoi je me battais en la prenant
contre moi pour dormir.
- Sur Pink TV pendant
l'émission il y a eu un défilé Gilles Rosier, des tenues de sa nouvelle
collection portées par trois filles qui faisaient un petit tour sur
elles-mêmes avant de traverser le plateau et de disparaître (je n'en conclue
rien vous voyez, n'en tire aucune analogie avec ce qui se passe dans la vie, je
reste très sage). C'est le côté bonne surprise des plateaux télés, la
délicieuse beauté de ces trois filles qui, dans la salle de maquillage, réclamaient
des peignes comme de parfaites new-yorkaises et s'éclipsaient des
sourires discrets que nous échangions en coulisse pour
aller fumer des cigarettes en ne pensant à rien.
- Trois filles
plastiquement belles à se damner - mais qui veut vivre avec du plastique,
ou encore qui souhaite se damner pour un point de vue aussi monomaniaque
et versatile que la beauté ? De toute façon j'ai mieux sur la
pochette de mon disque.
- Rodolphe veut me présenter sa
cousine qui, à son avis, me plairait. Sauf qu'il y a un problème.
- - Le problème, me dit-il, c'est
qu'elle a deux enfants : un dans le ventre et un ailleurs !"
- Il me raconte ensuite qu'il s'est
fait outrageusement dragué dans le métro :
- - Une fille superbe, assise sur le
strapontin en face de moi. Elle avait des yeux verts, très mignons.
- - C'est surtout très
inconscient, dis-je (d'avoir les yeux verts).
- - Entre deux stations, avant que
la rame n'arrive à Odéon, elle s'approche de moi et me dit à l'oreille :
"C'est là que je descends".
- - Incroyable ! C'est le monde à
l'envers ! Si ce genre de trucs arrive aux managers, ça ne sert plus à rien
d'être chanteur !
- - Mais ce genre de trucs
t'arrive...soutient Rodolphe.
- - Impossible ! Je ne descends
jamais à Odéon, dis-je - de la bonne foi la plus absolue. Je descends toujours
à Mabillon c'est beaucoup plus discret. Beaucoup moins tape-à l'oeil que de
descendre à Odéon !"
- Reçu ce matin un mail très
drôle de Robert en provenance du Québec :
-
- Cher Jérôme,
Ta vie semble si excitante en ce moment d'anticipation de la sortie du nouvel
album et des concerts d’octobre que j'en ai presque honte de vivre une vie si
routinière...
Mais considérant ton talent d’écrivain, je me dis que tout ceci n’est peut-être
qu’une invention, que Jérôme Attal n’existe pas.
Que la seule vérité est celle du docteur Marsault...
Je t’envoie une tresse (photo jointe
d'une jeune femme vue de dos coiffée en tresse) saisie sur le vif à Riga cet été. Parfois j’appuie -
clic! - et je me dis que si tu avais été là, tu aurais eu un commentaire sur ce
qui attire mon regard.
Je t’envoie ce message, très bref, espérant que ça va me déverrouiller, il y a
plusieurs messages qui sont restés en intention, pas rédigés, ces dernières
semaines.
Ciao ciao!
Robert
-
- Oui
il faut déverrouiller nos envies de messages, d'envoyer du sens et des
nouvelles. Et déverrouiller la nuit pour que le jour suivant apparaisse
(léger).
-
- 30.09.05
-
- La solitude n'aggrave rien.
-
- Tourmenté par
la mauvaise angine des avant-concerts. Les arbres en sucre roux du boulevard,
l'automne se met en place à grands coups de vent, et j'ai les manches
trempées, le cuir fusillé pendant une promenade jusqu'à la voiture de
Mathieu, où je le raccompagne après notre café traditionnel du
vendredi de fin d'après-midi au Vieux Colombier, le café d'après répétition.
- Je
me fraie un passage au sec sous les stores et les auvents des boutiques, les
échafaudages des bâtiments en travaux. Textos qui tintinabulent pour me
souhaiter la Saint-Jérôme. Chez Emilie il y a une table dressée mais tout le
monde a vite fait d'assiéger la partie du salon plus cosy avec ses
grands coussins marocains sur le sol, et c'est le squat chaleureux
sous les lustres grand siècle. Dînette au champagne. L'appartement se remplit
vers 22h et ça devient comme dans le métro à heure de grande affluence, on
finit par se lever poliment et prendre appui entre les grandes vitres
qui donnent sur la rue balayée de pluie. Camille dit que j'ai des poignets
fins comme ceux d'une jeune fille et des mains (égonschiliennes) spécialement conçues
pour aller vous attraper le coeur sous le pull ou le manteau.
- Je me
souviens de ce qui nous avait fait beaucoup rire avec David à la sortie
d'un concert au Bar 3, il y avait une fille qui
m'avait fait un compliment sur mes mains et très crânement j'avais répondu :
- -
Oui j'ai des mains egonschiliennes !"
- Ce
à quoi elle s'était exclamée, les yeux écarquillés :
- - ça alors ?! Toi aussi tu viens du Chili ?"
- Camille
me demande :
- -
Tiens, à propos Jérôme, tu m'emmèneras voir les Egon Schiele au Grand
Palais cet automne ?
- -
Oui, dis-je, et en prime tu auras les Kokoschka ! " Disant cela je pense
presque immédiatement à mon poème : Vendredi que j'avais écrit dans ce
Journal en souvenir des années 96-97 et qui, par la suite, a été mis en
musique et chanté si
joliment par Bertrand (Soulier) - comme à ce
temps d'éclaircie convaincante aujourd'hui effacé qui revient de
manière si brutale que j'ai soudain les joues trempées et pense que
quelqu'un vient d'ouvrir une fenêtre en grand.
- Stéphanie
me demande si j'ai des nouvelles de X qu'elle connaissait un peu pour
l'avoir vue quelques fois avec moi, quand elle venait me rejoindre à La
Palette
ou, plus rarement, au Café à l'angle des rues de L'arbalète et Mouffetard. J'ai
envie de répondre que je ne l'ai pas prise dans mes bras depuis plus de deux
ans, mais je dis simplement que je ne l'ai pas revue depuis juin. Ce qui n'est
pas un mensonge mais une autre vérité. Je n'ai jamais compris l'aisance ou la
fascination des gens pour le mensonge. Dans bien des cas, on n'est
même pas obligé de mentir. La vie est si lâche, il y a tellement de
relâchement, d'éloignement tout le temps, qu'on peut très bien remplacer une
vérité par une autre.
-
- Fabien
me demande si je peux écrire quelque chose, un petit mot ou un poème improvisé,
dans une carte d'anniversaire pour un nouveau pote qu'il connait juste depuis
quelques semaines et qui, à ses dires, est un de mes grands aficionados.
- Alors
j'écris :
-
- Un nouvel ami c'est bien
- Parce que ça fait un nouveau numéro à entrer
- Dans son téléphone portable.
- Mais c'est parfois pas sympa, voire même
dégueulasse,
- Parce que ça connait rien de ta vie,
- Et ça pose les questions qu'il faut pas,
- Et qui t'angoissent.
-
- Amitiés,
- jerome.
-
- David
- qui vient d'arriver - cristallise d'emblée sur une fille très
belle qui se tient à califourchon sur l'accoudoir d'un canapé, et qui se
fait draguer par deux types.
- -
C'est le retour des bottes, dis-je, c'est-à-dire : du prolongement.
- -
J'adore ses cheveux blonds, un blond châtain distingué.
- -
C'est intéressant le concept du blond distingué. Tu dirais que le blond est
distingué et le noir profond ?
- -
En attendant, constate David sans prendre la peine de répondre à mon
interrogation, elle n'arrête pas de te dévorer des yeux.
- -
C'est une nouvelle amie, intervient Emilie, elle a travaillé pour Versace
la saison dernière. Je lui avais dit que tu viendrais ce
soir, bien qu'avec toi on ne sait jamais prévoir, et elle aime
beaucoup ce que tu fais, on était ensemble l'autre nuit pour
t'écouter parler sur France Inter, elle voudrait bien t'être présenté,
Jérôme...
- -
Nouvelle amie ? reprends-je, hé bien justement je viens d'écrire un poème
pour elle qui circule quelque part en ce moment sur une carte d'anniversaire.
- -
Elle te dévore vraiment des yeux ! poursuit David. C'est indécent !
- -
Hé bien sers lui une part de quiche, ça lui calera l'appétit ! dis-je, me
prenant les foudres amusées et sévères d'Emilie, foudres qui se
traduisent par un O circonflexe de prude remontrance inscrit de
sa bouche jusqu'à ses fins sourcils.
- -
Tu ne vas pas bien du tout, je m'inquiète ! gronde puis
tempère David.
- -
J'attends les concerts avec impatience. Je n'en peux plus. Et je croyais que
c'était le temps d'avant les concerts qui était très dur, je veux dire beaucoup
plus âpre et insurmontable qu'après, et tout à l'heure Damien
(Almira) m'a rappelé que c'était encore plus difficile
après parce que tu te retrouves seul avec l'intensité, seul avec l'intensité
démantelée. Et il n'y a plus que des gens pour comprendre vaguement.
Ce qui est dur dans la vie c'est qu'il y a souvent des gens autour de
toi pour comprendre, mais seulement pour comprendre vaguement. Et puis je
viens de me rappeler cette phrase de
Deleuze, vous savez.
- -
Il faut qu'on trouve des meufs ! dit David. Des meufs valables ! Des meufs
stables !
- -
Des meufs stables ?! Vous me faites rire ! intervient
Jean-Vic au moment où il passe entre nous pour aller vérifier s'il y
a des disques qui dépotent dans la discothèque d'Emilie. La dernière fille avec
laquelle je suis sorti, ça fait deux semaines que j'ai pas de nouvelles, vous
vous rendez-compte, deux semaines que je n'ai aucune nouvelle, et cette
conne elle m'envoie ce matin un texto qui commence par : Mon
chéri...
- -
Les filles sont barges, dis-je.
- - Tu
n'es pas dans ton assiette Jérôme parce que tu ne dors
plus, diagnostique David, tu passes trop de temps à réfléchir...
- -
àréfléchir qui ? Quoi ? Mais
c'est vrai, je dormais mieux quand j'avais des fiancées, on allait plus vite au
lit...
- -
Normal, synthétise David, quand t'es avec une femme tu deviens un ours !
- -
Non, quand même, tu ne peux pas dire ça ?!
- -
Parfaitement ! Repense-toi quand tu es avec une femme... Tu es un ours ! Tu as
une tanière ! Tu pousses des râles ! Je vais te dire : les filles elles te font
devenir ours, elles te lobotomisent le cerveau.
- - Tiens
puisque tu en parles, je suis certain que si la fille là-bas, en
blond distingué qui défile pour Versace, si elle te demandait de venir lui
lécher du miel entre les jambes tu traverserais le salon à quatre pattes !
- -
Très drôle ! se renfrogne David. Mais oui, tu as raison, j'irais ! Ou peut-être
que j'irais pas du tout parce que je vais te dire un truc Jérôme, un truc que
tu ferais bien de retenir : Les filles, elles donnent une mauvaise image de
l'amour ! Voilà ! Une mauvaise image de l'amour ! Sur ce, file-moi ta coupe, je
vais nous chercher du champagne !
- Arnaud
(L) vient me trouver :
- -
Jérôme tu connais ce poème de Drummond qui s'appelle Destruction.
- -
Oui, justement, j'ai croisé Juliette (Cadaÿs) rue Cler l'autre jour et je lui
en ai parlé :
- Ils s'aiment cruellement les amants
- Et, de tant s'aimer, ils ne se voient pas.
- L'un s'embrasse sur l'autre, réfléchi.
- Deux amants, que sont-ils ? Deux ennemis.
- -
C'est très beau n'est-ce pas ? me demande Arnaud comme s'il pensait tout haut.
- -
Oui et la suite du poème me fait penser à certaines toiles d'Egon Schiele.
Seulement voilà, c'est très beau mais ce n'est pas vrai. Je veux dire : l'amour
n'a rien à faire de gens qui ne se voient pas. Je n'y crois pas une
seconde en ce poème. Au contraire je crois que les gens qui s'aiment absolument,
se voient. Et si à un moment de cette vie difficile, secouée par les séductions
inutiles, l'un des deux a une poussière dans l'oeil, hé bien il faut être
capable de voir pour deux, voilà ce que je crois.
- -
Les filles ça donne une mauvaise image de l'amour !" psalmodie David
quelque part au loin, en insistant pour remplir des verres
à un couple qui vient d'arriver, amusé semble-t-il par son comportement
bord cadre.
- -
Je peux t'embrasser ? me demande Margaux qui s'approche doucement, alors
que je suis complètement dégoupillé par le champagne. T'embrasser pour te
guérir des douleurs du monde. N'ajoutons pas au monde une douleur
supplémentaire, dis-je. Ou juste un court baiser alors, et on ira pas plus
loin parce qu'un seul baiser c'est le terminus pour mon coeur malade
- je parle d'une voix qui n'est pas vraiment la mienne, très pâle il
me semble. L'infirmière d'une poignée de secondes. Emilie s'interpose,
elle veut qu'on aille boire un verre quelque part.
- -
Mais on est chez toi, dis-je, tu ne peux pas t'enfuir comme ça ?!
- - Tu
as encore beaucoup de choses à apprendre sur les filles, répond-t-elle.
- Mais
je renonce à aller boire un verre quelque part. C'est le problème de ces
quartiers où il y a toujours des quelque part pour aller boire
des verres, et toujours des bras, des entretiens avec la
douceur, pour se laisser porter ; sauf qu'il y a maintenant
comme une pyramide de champagne en moi qui au moindre geste brusque, à la
moindre dégringolade d'escaliers se renverse et emporte un
morceau de coeur (qui se brisera comme une dent) dans sa chute. Alors je
m'éclipse doucement, sur la pointe des pieds, seul dans la nuit froide. Et
puis je renonce aussi à la suivre parce que dans l'état de
désordre et de tristesse dans lesquels je me trouve en ce moment, la solitude
n'aggrave rien.
-
-
- retour menu :
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-