Chapitre 42.
     
    03.10.05
     
    Samedi : Pull vert qui dépasse d'une veste en daim, jeans, sac orange en toile qu'elle porte en bandoulière ; bras qu'en cas de rencontre il serait crétin de confier une seconde fois au hasard.
    Dimanche : je fais bouger Pierre (B) du Café où il m'attend (Vieux Colombier) parce que j'ai repéré une fille très belle dans un autre (Café de la Mairie) - cheveux noirs, air brun de faon, enveloppée dans un long manteau rose fuchsia ; et je me souviens du jour où pour un rendez-vous de travail j'avais fait déplacer une dizaine de personnes d'un restaurant à un autre, parce qu'en passant j'avais vu à travers les vitres de l'établissement une jeune femme dont le visage appuyé sur un poignet nu m'avait transpercé - je les avais fait se lever sur un ton impératif, prétextant je ne sais quelle excuse tandis qu'ils passaient commande, ou pas d'excuse tout aussi bien, mais cela se voyait à ma mine défaite, à mon coeur fiévreux : je ne pouvais faire autrement.
    Musique. Mise en ligne des entretiens que j'ai donné pour la Blogothèque. La Blogothèque m'a laissé la place d'être qui je suis (ce qui est rare en interview). Et j'entends vraiment ma voix lorsque Manur me dit à propos de l'émotion que nous procure une inconnue : Je ne la reverrai jamais, et que je lui réponds :
    -  Le destin fait qu’on ne sait jamais ces choses là, mais dans la plupart des cas, oui. (...)"
    04.10.05
    Un grand amour donne au moins l'illusion d'être compris. Jusqu'à ce qu'il s'en aille et laisse derrière lui une somme phénoménale d'incompréhensions.
    05.10.05
    La méprise d'Olivia.
    Une petite fille me demande si ce sont les châtaignes ou les marrons qui ont des piques et je lui réponds c'est la vie.
    Oui, chaque journée a ses piques...pas ses pics, mais ses piques - et je trouve qu'il faut avoir une forte carapace ou beaucoup de courage (ou quelqu'un de valable à proximité) pour ne pas se laisser transpercer.
    Dans le flot des corps qui se pressent aux derniers tintements de l'open bar, je cherche Olivia (de Dieuleveut) pour aller l'embrasser (c'est mon sauf conduit dans cette journée maussade pleine d'aspérités, de nouvelles qui me font bondir et retomber dans le gris).
    Vous savez, quelqu'un de valable à proximité c'est mieux qu'une forte carapace, même si c'est moins simple que le courage.
    Fabien me dit qu'il vient de rencontrer une fille qui aime la transparence. Je lui rétorque qu'il n'y a qu'au niveau de la robe que la transparence est intéressante chez une fille. Je serre la main à David (Brun Lambert) qui me semble très doux et très affectueux. Je retrouve Olivier près d'une fille en turquoise qui a l'air de s'ennuyer (mais s'ennuyer en turquoise peut déjà paraître distrayant) et je dis à Olivier - dans un grand moment de tristesse que la nuit cajole : il n'y a pas grand monde de valable tu sais.
    - Allons, me dit Olivier, il y a juste assez de personnes valables pour rendre la vie sympathique."
    Je ne relève pas, lui souris avec bienveillance - mais pense en mon for intérieur : Alors c'est ça qu'il faut demander à la vie ? D'être sympathique ?..."
    Je cherche Olivia et tombe sur Stéphane qui porte sous sa veste un maillot de l'équipe de football du Brésil. Après quelques (joyeux) dribbles et de beaux mouvements d'épaules il me conduit vers mon but en quelques secondes et je dis à Olivia qu'elle est la plus belle fille de la soirée (Parce que je le pense et aussi parce que quand elle rougit elle devient de toute façon la plus belle fille de la soirée).
    Olivia refuse de me croire, me sort trois quatre prénoms que je n'entends pas, et dans l'idée de me convaincre me prend par la main et m'emmène aux quatre coins de la fête me présenter à des filles, des copines, soit-disant plus jolies qu'elle. Si bien que je me retrouve à faire la bise à de grandes tiges incalculables mais à chaque fois je reviens vers Olivia et lui dit : non je ne suis pas d'accord, elle n'est pas plus jolie que toi.
    La méprise d'Olivia vient que souvent les gens ne savent pas ce qu'est la beauté. Je veux dire au Louvre la plupart des spectateurs filent vers la Joconde sans même jeter un oeil au Paolo (Uccello). Alors d'accord c'est très beau la Joconde, mais le dialogue de la beauté qui est fait de frontière et d'absolu, d'impact et d'appel c'est avec le Paolo qu'il se fait plus intensément (pour moi). La beauté c'est la beauté + le souci qu'on s'en fait et le soin qu'on lui apporte. De toute façon, tranche Stéphane devant Olivia, Jérôme est très amoureux en ce moment. Oui, dis-je avec une autorité antigonale, mais derrière cette autorité absolue c'est comme si une blessure se rouvrait en moi à la vitesse d'une tirette éclair.
    Arnaud m'accapare pour me demander lourdement comment il doit s'y prendre pour aborder la fille en turquoise. Je suis vraiment le dernier à qui on doit demander comment on fait pour aborder quelqu'un. Je me fous d'aborder, ce que je veux c'est transpercer. Mais comme Arnaud insiste et commence à déballer des insanités sur la majorité des filles présentes dans notre périmètre je me contente de lui dire :
    - Lance toi ! à défaut de tenter quelqu'un, il faut bien tenter quelque chose !"
    Je brûle du concert de lundi, saurais-je trouver l'aisance et la lumière adéquate ? Saurais-je créer cette clairière à coups de foudre ? J'ai pris un café au Vieux Colombier samedi avec Claire et Samuel - que je croise souvent dans le quartier - et ils étaient vraiment impatients du concert, ce qui est toujours d'une grande douceur, et force à l'exigence - savoir qu'il y a des personnes dans ce monde qui ont fait de mes concerts des rendez-vous importants dans la vie qui passe, des points d'eau. Alors c'est pour cela que je suis dévasté quand je n'arrive pas à produire la lumière que je souhaite, ou quand j'ai l'impression qu'on m'a mis des bâtons dans les roues pour définir cette lumière, et que le seul lieu où le chagrin passe, où la vie n'a pas de piques, a été gâché puis démoli par la négligence et le pis aller.
    Je pense aux bras de X dans lesquels je voudrais m'endormir, à la lumière du concert que j'aurais à produire lundi, aux arbres désolés d'Egon Schiele -désolés comme des corps qui réclament tantôt la douceur tantôt la blessure du regard, avide d'un grand amour que la nuit n'apporte pas mais que le coeur projette.
    06.10.05
    En l'absence d'un prix Nobel.
    C'est au moment où se précise mon désir de déménager, de quitter Auteuil pour retrouver le quartier de Sèvres-Babylone (mais les loyers sont si chers c'est désespérant) que le destin fait apparaître au moins trois nouvelles résidentes dans mon immeuble, jolies dans le coup de vent d'une descente d'escalier. Et puis je croise Anne à qui j'ouvre la porte de la cour - et je ne lui dis pas : j'ai beaucoup pensé à vous ces dernières années, la lumière de vous apercevoir accompagnait mes journées et nourrissait mes yeux verts tant qu'après dans la rue, pour les autres filles que je croisais, j'étais devenu irrésistible.
    Alors voilà : mon immeuble se gorge de jolies filles au moment où je songe sérieusement à m'enfuir, une dernière salve d'applaudissements, un fou rire d'érynies, ou les efforts désespérés que fournit la mécanique des regrets pour s'attacher à ma personne.
    J'achète un blouson d'aviateur chez Christian (R) pour les nuits que je passerais encore à envoyer des messages à X, pour renverser son coeur jusqu'à l'évidence, et atterrir un jour - si le destin n'est pas trop con - dans ses bras désarmés.
    L'automne gagne du terrain dans les jardins du Luxembourg. Et mes théières qui sont dans une vitrine du magasin Sonia Rykiel...
    Il doit y avoir des cartons de photos, des albums de famille à étiquette rouge où mon papa trône à côté de ses avions en blouson d'aviateur et lunettes Ray-Ban, mais sa disparition est trop récente encore pour que j'ai le courage de plonger dans les photos. C'est assez dur d'être enfant unique, parce qu'il y a une enfance à ne partager avec personne, ni pendant, ni après. Il n'y a personne pour prendre le relai de la tristesse, de temps en temps.
    Pierre (Guimard) m'envoie une très belle musique pour écrire une chanson à proposer à quelques pointures de la variété française, et j'écris le texte en très peu de temps, dans mon blouson d'aviateur, très vite comme un télégramme d'amour ultime à passer en boucle. J'ai un mal de tête inouï alors je me dis que la prochaine fille que je croise, là, boulevard Saint-Germain, je lui demande si elle peut poser ses mains sur mon front et mes tempes, si elle peut prendre soin de ma tête et l'enfouir dans ses lainages (mes mains et ma bouche suivront de près), je suis vraiment dans l'état de le faire et puis me rappelle quand même que je n'ai aucun goût pour les missions suicides et le n'importe quoi en amour.
    Avec Stéphane (Million) nous passons rue des Saint-Pères regarder le clip dans la boutique Rykiel et les vendeuses m'apprennent qu'hier il y a eu une cliente outrée, qui s'est offusquée devant les images ne comprenant pas comment deux femmes pouvaient se livrer entre elles à une telle partie de plaisir. Problème d'ailleurs avec la Télé qui semble ne pas vouloir prendre de risques avec le comité des mères de famille visionneuses de programmes, et donc beaucoup d'incertitude quant au destin télévisuel du clip. J'y vois quand même une grande hypocrisie parce qu'il y a des clips américains bien plus indécents (à tout point de vue) et là, certainement, comme c'est chanté en français, il y a quelque chose de plus nettement et de facilement condamnable du fait de la proximité. Rien de définitif mais en attendant on se rattrapera dès lundi soir au Réservoir en diffusant le clip en intégralité sur écran géant avant le concert.
    Ce soir tous les agents de police de la ville de Paris ont examen de matraque dans ma tête, à moins que ce ne soit deux filles qui se bastonnent à coups de polochons ; dans le premier cas je ne sais plus où j'ai rangé mon bouclier, et dans le second je ne sais pas si j'ai le droit de les rejoindre et si oui par où ?
    J'écris beaucoup mais je crois que dans cette vie (pleine de piques) j'aurais passé le plus clair de mon temps à aimer. Leur douceur brune et leur autonomie. J'ai toujours aimé regarder la fille dont j'étais l'amant, l'amoureux, marquer sa sensibilité au quotidien, et dans les petits instants de la vie m'oublier, vivre hors moi, s'affranchir de notre éprouvante faim l'un de l'autre, pour en un geste, une parole, et parfois quelque chose d'absolument instinctif, me revenir.
    Il n'y a rien de plus inquiétant et de plus beau à voir. Une discussion ailleurs au téléphone, avec une amie, allumant machinalement une cigarette et répondant à un coup de fil pour le travail, quelques gestes simples qui lui sont propres, mais qui m'apparaîtront d'une autre dimension, petite sphinge d'un avenir incertain, une conversation où les accents de sa voix diffèrent de nos habitudes prises l'un de l'autre, pour tout d'un coup me revenir fulgurante.
    C'est ce que je sais faire de mieux, aimer quelqu'un. Longtemps j'ai passé mon temps à ça, à cette recherche, et la fac n'était qu'une couverture, qu'un moyen de donner le change, mais ma véritable recherche à toujours été la part de hauteur et d'immortalité qu'il y a dans l'amour, ce qui fait battre le coeur et transcende la laideur du monde ou le dépit, ce qui peut rendre tout sans exception supportable, et parfois ça n'a pas marché, l'expérience n'a rien donné ou dans le temps produit l'effet inverse, le temps qui a tout corrodé, mais il y a eu aussi des moments d'une parfaite équation et voilà que j'apprends aujourd'hui qu'il n'y a pas de prix Nobel pour ça. C'est ridicule. Est-ce cause ou conséquence du désarroi du monde que personne n'ait pensé à décerner un prix Nobel aux grands amoureux ?  
     
    07.10.05
     
    Rongé par l'impatience du concert de lundi. Triste comme le grand bassin de la Concorde dans les jardins des Tuileries. Le défilé Sonia Rykiel est une pause enchanteresse, une fête de couleurs quand apparaît sur le podium le manteau en plumes d'autruche rouges. La beauté fulgurante du mannequin qui portait le modèle n°21, la longue robe débardeur noir et blanc. Sonia Rykiel arrive sur une version live de Barbara de : Ma plus belle histoire d'amour c'est vous, suivie de la cohorte fragile de mannequins qui ont revêtues pour le final des t-shirt : J'aime - le chocolat - le sexe - la Tour Eiffel - la bonté - la beauté - un homme - la musique etc. Placé au deuxième rang j'ai été bien choyé. Je crois que si une fille existe et si elle veut m'épouser ce sera dans la robe trench en taffetas de soie rose pâle, robe admirable et touchante comme le regret d'un dessert de l'enfance. Après cette courte apnée en pleine beauté je reprends contact avec la ville en descendant le boulevard Saint-Germain. Stéphane me raconte l'histoire d'une fille qui pleurait au téléphone et je voudrais aider. Je voudrais faire quelque chose pour que les filles ne puissent plus pleurer, même si, de temps en temps, ça fait du bien. Je ne sais pas où aller, je voudrais travailler pour quelqu'un, écrire un amour. J'ai besoin de la terre eschyléenne du concert de lundi. De la scène territoire du Réservoir. Et puis voilà, le disque sort lundi aussi. Je voulais faire le disque le plus sexy et le plus profond qui soit, le plus amoureux et le plus sombre. Mais s'il est un peu profond et très sexy, ça me va.
     
    09.10.05
     
    Le disque avec ses onze chansons paraît demain. Je suis dans l'appel au désir et l'immédiate prédation de Comme elle se donne ; dans l'intransigeance, la décision de l'absolu, la liberté et l'engagement, l'évidence, de Laisse-moi devenir ton homme ; on me trouve dans la tristesse infinie, la blessure persistante de Demain sans importance, je lutte contre tout ce qui passe et se perd comme dans La théorie des nuages, et reste dans l'adolescence multiple et forcenée, la résistance par tout ce qu'on peut grappiller à la vie, résistance au Monstre sous la palissade, je suis dans un désir infini d'apporter protection aussi ; je me reconnais dans l'amour plus haut que tout, qui survit aux démissions du quotidien et dont je parle dans Quand tu ne m'aimeras plus ; aux liens infrangibles ; au désir encore brûlant et au refuge tant convoité d'une étreinte au Pays des filles qui sentent bon ; je monte la nuit dans la solitude calme et les hauteurs désolées du Jeune homme changé en arbre, et je mourrais pour les clairières et la pénombre et les genoux d'Au plaisir ; et puis je voudrais toujours que l'ironie soit vaincue par la douceur comme dans La chanson de noël...
    Mais ce que je suis de plus profond depuis maintenant deux ans, et ce que je crois de la vie, se trouvent dans La prémonition.
     
    11.10.05
     
    Il m'est souvent difficile de surmonter les grandes journées désertiques d'après-concert. Il faudrait que je puisse réduire les signes que je tente de produire dans ce que je fais, dans des tâches de la vie futiles, mais je n'ai jamais envie que la vie passe futile.
    Vu que cette fois les concerts sont étalés sur quatre lundis et que le disque est à peine sorti en bacs, l'affluence était moindre que les dernières fois où nous avons joué au Réservoir, à refuser du monde dans des climax définitifs d'une soirée unique, mais le public était magnifique d'attention et de présence, et très avide d'intimité, aussi j'ai beaucoup parlé entre les morceaux, j'ai essayé de créer un climat et je suis à peu près arrivé à ce que je voulais faire. Mes musiciens étaient très heureux du concert et c'est une des choses primordiales pour moi. Après, je voudrais réduire en éclats et recomposer dans le même mouvement, ce qui est très périlleux. Je ne me rends jamais compte si je touche comme je le souhaiterais, ce que je laisse (en termes de résonances). Mais je pense que c'est comme dans n'importe quelle rencontre, on ne sait jamais vraiment ce qu'on atteint et ce qu'on laisse chez l'autre, à quelle intensité réellement.
    Il y a toujours à chaque concert la fidélité de certaines personnes qui me porte et me rassure comme une deuxième enceinte (la première étant celle du groupe). Les concerts suivants vont être très particuliers je crois, avec cette histoire de chaque lundi, cette récurrence impitoyable, ils vont se nourrir des événements heureux ou tristes de la semaine, de ce que je suis dans le mouvement de ce que je souhaite, et c'est promis pour les gens qui viendront à chaque fois j'essaierai d'être plus brûlant et incisif, protecteur et définitif, comme lorsque l'on est amoureux et qu'on ne peut pas faire autrement que d'être toujours à la hauteur des sentiments qui nous dévorent.  
    Je voulais aller trouver X récemment et lui dire à l'oreille un mot comme : C'est nul, il y a trop de temps qui passe entre nous, porté par ce coeur intransigeant et terrible que j'abrite - auquel je sers d'enveloppe ; mais c'est comme si mon assurance s'était éparpillée en chemin et quand je suis arrivé devant elle j'étais devenu fragile comme la pluie.  
     
    14.10.05
    Pourquoi le concert de lundi sera brûlant et magnifique ? Parce que la semaine entière produit des petites coupures qu'il faudra bien panser ; parce que la plupart des gens filent directement vers la Joconde et passent devant le Uccello sans le voir ; parce que je voudrais qu'elle m'ordonne doucement de poser une main sur son front fiévreux et de ne la retirer jamais - ou alors lorsque la maladie se sera endormie au-delà de son propre sommeil (comme un nuage à saisir du poing) ; parce que l'impatience porte une lumière trop vive qui blesse mes yeux (verts) ; parce que le passé est champ de mines ; parce que je voudrais réussir là où Nicolas de Staël s'est abîmé (en pleine musique, en plein ciel, en pleine mer) ; parce que les forêts d'Au plaisir sont une barque immense et secourable ; parce qu'il y a des soirs où la mélancolie pose ses lèvres sur l'existence ; parce que je voudrais que ma colère soit vaincue par les gens qui seront présents ; parce que je n'ai pas le choix.
    16.10.05
    Tentatives de réponses.  
    Chaque jour sur Google et divers moteurs de recherche des internautes posent des questions essentielles qui les conduisent directement sur ce site. Comme j'imagine que la lecture de mon Journal ne répond pas de manière très directe souvent à leurs interrogations, qu'il faille s'y plonger dedans avec ferveur en quelque sorte, j'essaierais aujourd'hui d'apporter quelques brèves tentatives de réponses aux visiteurs impatients sur les questions posées depuis le début du mois d'octobre.
    Qui chante la chanson la sérénité ? Certainement pas moi.
    Combien de temps vivent les vautours ? Aussi longtemps que tu laisseras pourrir mon coeur au soleil.
    Dans quel club de liverpool les Beatles ont débuté ? Le F.C. Liverpool mais Lennon bottait tout le temps en touche.
    Comment est mort Will Bill Hickock ? Fastoche. Aux tables de poker il s'asseyait toujours sur la chaise contre le mur pour ne pas se faire tirer dans le dos (l'Ouest est cruel mais sous toutes les latitudes l'homme est un lâche). A la fin de sa vie, par lassitude ou négligence il faillit à la règle qu'il s'était imposée, et, assis à une chaise quelconque, dos à la salle, il se fit shooter en pleine partie. (Les amateurs de rhétorique apprécieront mon : "A la fin de sa vie")
    Pourquoi n'entends tu pas mes cris ? Parce que le silence me parle de toi.
    Pour une femme quoi d'autre qu'un godmichet pour bien se masturber ? Les mains de Jérôme Attal. 
    Qui a peint le songe du roi Constantin ? Piero della Francesca.
    C'est quoi le nom de famille d'Antigone ? Miller (comme June et Lee), Steiner (comme Aurélia), ou Scholl (comme Sophie)
    Comment se rendre à la discothèque Le Colibri ? En gazouillant.
    Où Keira Knightley montre ses seins ? Dans mon rêve de cette nuit mais je n'ai pas d'images.
    Comment s'occuper d'un poisson rouge ? Ne pas chercher à le noyer. Ne pas laisser le bocal sur un radiateur pendant qu'on lit Schopenhauer. De toute façon, espérance de vie semblable à un grand amour (je déconne).
    Triolisme ? Effets sur le couple ? Bien la nuit, dévastateurs le jour.
    Photos de bonnes meufs avec un corps sexy ? Aucune section sur ce site où mes lectrices laissent leurs photos. Je le regrette.
    Virginie Ledoyen Cellulite ? Pour la croiser de temps en temps rue de Rennes ou rue du Bac je dirais : Pas un gramme, il y a erreur sur la personne.
    Marguerite Duras s'est-elle sentie trahie ? Par moi, jamais.
    Comment donner rendez-vous à la personne qu'on aime ? En règle générale ne pas trop compter sur le hasard. Ou alors foutre des coups de pied au cul au hasard, faire du destin son valet, surtout si comme l'écrivain Marcel Moreau et moi-même vous éprouvez : de la répugnance à prendre les devants. (Marcel Moreau, Nous amants au bonheur ne croyant...)
    Mais on n'est jamais à l'abri qu'un jour, pourtant, tout complote à notre bonheur.
    Comment se tourne un film porno ? Investir sur le casting plutôt que sur le dialogue. (Mais bon, cette réponse vaut aussi pour la plupart des films traditionnels aujourd'hui. C'est en ce sens qu'une grande partie du cinéma est devenue pornographique).
    Jérôme Attal compas qui trace chacun de nos pas ? Ah oui, c'est un joli poème que j'avais fait, chapitre 31.  
    Le point sensible et le point g chez la fille ? Deux des trois points de suspension. (Le troisième étant le point de non retour).  
    Texte sur le mariage d'une soeur pour son frére ? La côte sauvage, Jean-René Huguenin (réponse un peu ironique)
    Modèle pour un poème pour l'anniversaire de ma copine je suis sa bonne amie ? "Dors ici Dolores, il n'y a plus de métro...etc."
    nastassja kinski jerome attal ? Bien sûr, bien sûr...
    Quoi faire si la copine de mon ami me fait des avances ? Tout dépend de son derrière.
    Pourquoi on a pas payé le tableau la ronde de nuit a Rembrandt ? Parce que certaines oeuvres sont inestimables.
    Où est prise la photo pochette beatles Abbey Road? Rue de Seine ?
    Trouver des filles japonaises pour la correspondance ? Autant écrire à des françaises c'est souvent du chinois.
    Est-ce que l'amour vrai existe ? A mon corps défendant, pas encore.
    Comment supporter les remontrances de sa copine?? En en prenant une autre.
    Grosminet faisant l'amour avec titi ? Il y laissera des plumes.
    Comment rendre une fille amoureuse ? Ce sont les filles qui décident, de toute façon. Et il n'y a rien à rendre. Je veux dire, il n'y a que la Justice qui se rende. L'amour se donne et la justice se rend.
    Comment chanter juste ? Comment chanter juste dans un monde injuste, est une question que je me pose fréquemment.
    Rituel bougie pour retrouver son amoureux perdu ? Autant laisser le feu prendre et brûler jusqu'au dernier souvenir.
    18.10.05
     
    C'est comme si parfois vous étiez projeté par le vent, dans le sens d'une vie, sans aucune prise pour vous arrêter un moment, pour dire les choses avec le calme et l'intensité qu'elles méritent - la peur de tout déballer et la frontière avec, peut-être ? - et les gens que vous croisez, que le désir, le coeur, ou la fraternité si rares rapprochent de vous, s'éloignent un beau jour, plaqués au sol par la vie ou s'enfuyant les mains impuissantes le visage aspiré dans les coulisses et les limbes du spectacle de votre passé ; dans d'autres quartiers de votre ville ou de votre mémoire ; et j'ai toujours l'idée que les concerts sont le lieu de l'abolition de la mécanique froide du temps qui passe.
    Hier le public dans sa grande partie avait un goût de lapin tantôt fou tantôt mort, alors on a essayé de faire ce qu'on a pu, on a rué dans les brancards, à un moment j'ai lu un texte de Michel Foucault, je ne pensais pas le lire entièrement mais j'avais tellement l'impression qu'il ne se passait rien de l'intensité ou de la justesse recherchée avec le public, qu'ils se sont farcis le texte de Michel (Foucault) - oui, comme on farcit une dinde ou un lapin - dans son intégralité - c'était à la fois une ironie (le cadavre) et un cadeau, cadeau parce que c'est le texte que j'adore sur le cadavre et le miroir, et qui donne une entrée aussi par ce qu'il raconte et par l'objet miroir au texte de Comme elle se donne. Mais souvent - c'est cela qui est triste - les gens qui se croient malins choisissent toujours l'ironie plutôt que le don.
    C'était un concert rugueux, et il y a eu des moments définitifs quand même, de grands assauts avec la batterie de Cyrille bien cuisante et les lances des basses et guitares.
    Si mes mains se fanent souvent dans l'attente d'un amour immense comme un petit secret dont deux bouches prendront soin sans laisser l'extérieur en rien le corroder, l'orchidée aux fleurs blanches piquetées de mauve s'est changée en rosier grimpant dans la nuit, il y a des fleurs qui montent dans le gris de la ville depuis ma fenêtre, sans me dire de quoi elles présagent. Je vais sans doute passer l'après-midi à errer dans mes quartiers de prédilection, fantôme d'émotions sans cesse remises au lendemain alors que l'on souhaiterait simplement qu'elles soient remises à jour.
    Stéphane (Million) me téléphone pour me dire qu'il vient d'écrire un article sur moi pour un magazine féminin, et qu'il l'a titré : Jérôme Attal, l'amoureux en lambeaux.
    19.10.05
    Les jardins du Luxembourg.
    Les dénivellations du coeur épousent
    Le contour blanc du soleil.
    Nos réticences tombent comme les feuilles des arbres en automne.
    Si on interdisait l'accès des jardins aux fumeurs
    Les garçons ne pourraient plus
    Demander du feu aux jeunes femmes
    Et du coup la drague aurait les bras ballants
    Et le coeur pareil à celui des statues.
    - D'une part et d'autre des jardins, me dit Chloé,
    On peut acheter ton disque :
    D'un côté Gibert, de l'autre la Fnac Montparnasse.
    Et ce qui est super c'est pour la dédicace,
    Car on peut toujours te trouver
    Avec tes yeux impossibles
    Dans les parages, tu as un stylo sur toi n'est-ce pas ?
    Jérôme ?"
    Les bonnes nouvelles : leur façon d'exister s'ouvre la plupart du temps
    Comme une boîte de conserve à mains nues.
    Et parfois comme le zip d'une robe.
    à ton cou les filles de peu d'amour ont surjoué leur énigme
    Tu es en colère contre la vie,
    Contre l'effacement
    L'effacement des soins prodigués à la part fuyante de l'autre.
    Platitude des miroirs dans lesquels ne déteignent même plus tes hautes fissures
    Tas de feuilles au bord des Tennis
    Chez tes intimes la vie produit des étrangers auxquels il faut toujours tout réexpliquer, tout réapprendre.
    Le regard oblique des amoureuses qui portent des gabardines
    S'attache à ton visage fiévreux d'une absente.
    Où est-elle ?
    Dans ce nouveau froissé des solitudes brûlantes ?
    Dans les crépitements du désir que la nuit élime  ?
    Dans les coutures apparentes de son coeur que ton amour révèle ?
    Ou bien dans ce Café qui ne dit pas son nom.
    Je croise des filles dans les rues qui cernent les jardins et je me demande :
    - Y a-t-il quelqu'un dans le soir pour prendre soin d'elles ?"
    L'exil pur de ne jamais se revoir.
    Les jardins du Luxembourg.
    20.10.05
    Journée maussade et décourageante à bien des égards. Il faudrait un climat suédois, pour que le rideau tombe plus vite, à partir du moment où l'on comprend que la journée sera médiocre en surprises, en fêtes, en douceurs.
    J'étais heureux que Tarek (Issaoui) vienne au concert lundi dernier parce que Rodolphe a pu lui dire de vive voix combien il a aimé un de ses textes. Je trouve qu'on ne passe jamais assez d'une vie pour dire aux gens qu'on les aime, et pour le dire sur le moment. Surtout en littérature, c'est comme si on ne pouvait rencontrer les auteurs qui nous touchent qu'après leur disparition...Ce que je trouve à la fois confortable et tragique.
    Ils ont été très précautionneux chez Sonia Rykiel en enveloppant mes objets personnels - carnets, théières, photos, peinture de mon grand-père - qui trônaient depuis un mois dans une des vitrines du magasin du boulevard Saint-Germain, le temps de l'événement Quoi de neuf cette rentrée ? - dans des kilomètres de papier à bulles bardé d'étiquettes : Fragile. 
    J'étais très près de leur demander s'il n'en restait pas un ou deux mètres, pour coller sur moi, de ces étiquettes Fragile par les temps qui courent.
    Mais je ne suis pas si fragile que ça. Ma grande sensibilité se dirige toujours vers la colère plutôt que vers la fragilité ; et quand ce n'est pas l'amour de quelqu'un qui m'inspire, hé bien ce sont mes colères des amitiés, des amours de peu d'envergure, ou d'une vie qui se traîne et que je trouve décevante, médiocre ou inappropriée, qui me font réagir et travailler.
    Hier avec le poème des Jardins du Luxembourg, j'ai écrit celui des Jardins de l'Observatoire, en respectant les proportions de chaque jardin.
     
    Les jardins de l'Observatoire.
     
    On est fait pour dormir avec une fille,
    Voilà,
    La seule observation
    Que je me suis faite aujourd'hui.
    En courant dans les jardins (de l'Observatoire) sous la pluie.
    Et le bonheur a des points de côté
    De ne pas confondre
    Celle que j'aime.
    23.10.05
     
    Petite maladie des grands voyages.
     
    Très bon accueil du Fri-son, la salle de concerts rock de Fribourg (Suisse). Public attentif, écarquillé, auquel nous avons livré un set électrique, sans concessions, une bonne dose d'adrénaline qui nous a laissé ensuite, le groupe et moi, heureux mais sur le carreau. Milieu de nuit regroupés dans une des chambres de l'hôtel à boire des verres et regarder des chaînes de clip - Shakira, Britney Spears - le son coupé, remplacé par des titres de Serge Reggiani en boucle sur l'I-pod.
    Manu m'avait apporté un thermos plein à rabord du délicieux thé à la cannelle que prépare Emilie, thé à la cannelle incroyable qui est ma potion magique suisse, et que j'ai avalé en quelques tasses réparatrices.
    Pas beaucoup dormi comme à chaque fois que nous jouons à l'extérieur. Depuis l'enfance je crois je n'ai jamais réussi à m'endormir ailleurs que dans un lieu où j'avais des repères, une histoire de sommeils et une histoire de rêves.
    Alors le désastre c'était les colonies de vacances, deux semaines sans fermer l'oeil, des cernes pas possibles, une addiction contractée à la pâleur et la mauvaise habitude prise de trop réfléchir la nuit. 
    C'est une des idées que j'exprime dans la chanson Le pays des Filles qui sentent bon, quand je dis : "Et pour s'endormir plus besoin de compter les moutons, au pays des filles qui sentent bon". D'accord il y a une perspective un peu sexuelle, mais aussi l'idée que seuls les bras de quelqu'un qu'on aime sont le lieu des souffrances désamorcées et de tous les replis. Plis du corps, replis de la vie.
    J'ai toujours trouvé la sensation des voyages très hostile à ce que je suis. Je n'ai jamais envie de partir de là où je me sens bien. Enfant à Noël quand j'arrivais au dernier cadeau à ouvrir, triste projet, c'est comme si tirant la ficelle toute la somme et l'ensemble des cadeaux précédents venaient à s'évanouir.  
    Et puis je trouve que les voyages n'ont de goût que lorsqu'il y a quelqu'un qui nous attend à la maison, au retour. Dans ce cas-là les voyages sont un allié, un mercenaire à rendre le trajet épique et le coeur palpitant. Dans les périodes de la vie où personne ne nous attend alors il faut s'entendre avec son propre revenant.
    Et c'est ce qui me plait tant dans les grands récits de mythologie grecque, c'est qu'il y est question d'une intelligence du retour. C'est la soif d'un retour qui nourrit et éclaire, inspire et détermine le héros. Bien sûr le pays des filles qui sentent bon est un pays d'où quelqu'un comme moi, lorsqu'il l'aura atteint, ne voudra pas revenir. C'est le joli conte écrit par Novalis aussi : l'histoire qu'on s'en va toujours chercher au plus loin ce qui se trouve tout près de nous.
    Ce qui me blesse dans les voyages c'est que c'est un temps mou, inopérant, que je ne peux pas utiliser à écrire ce que j'ai dans le coeur.
    Enfin pour la Suisse, ce week-end, ça valait vraiment le coup. Même si après l'émotion du concert et durant le voyage de retour, j'ai été malade il m'a semblé comme jamais.
     
    26.10.05
     
    La République des soupirs.
     
    La nuit tombe si vite en ce moment, avec une vigueur de couteau, que je me sens blessé, exsangue, habitant de la république des soupirs.
    Enfant je régnais déjà sur un imaginaire démobilisé.
    J'appelle X, tombe sur son répondeur. Je lui dis ça : Que je l'appelle parce que la nuit est en train de tomber et j'ai peur que la nuit ne l'avale. Que cette pensée me blesse.
    Je peuple les nuits de mots pour éviter le rapt des vies que je croise et qui me bouleversent. Rapt du hasard monté de toutes pièces et secondé par d'autres que moi plus inconséquents. Par les porteurs du soir délétères. Par les hommes-ténèbres qui rôdent dans le cimetière de la Garenne-Colombes les poches pleines de graviers sans chemin.
    Jusqu'à disparition de ce monde, devant le 29 rue de Buci on croisera mon fantôme impatient, préoccupé mais volontaire, orgueilleux lui dire au téléphone : "Je te protégerais toujours".
    Nos bras n'ont de grâce et d'utilité que pour enserrer quelqu'un. Je le sais depuis le début. La vanité de tout autre usage ne m'a jamais intéressé ; à peine excité mon mépris de ce monde.  
    Un jour comme je crevais d'impatience de dormir tout contre elle, à bout de forces je lui avais dit :
    - Bon, alors si tu as mieux à faire de tes nuits, présente-moi au moins une copine belle et gentille qui voudrait bien d'un type comme moi." Et elle m'avait répondu aussitôt :
    - Impossible mon amour, je n'ai que des copines belles et très cruelles. "
    Plus tard encore je lui avais écrit que la beauté, de toute façon, ce n'est que le produit de deux ; et quant à ses copines cruelles qu'elle en mette une en ma présence et qu'elle nous laisse seule à seul alors elle comprendrait comment je suis capable d'enlever leur cruauté comme un accessoire, comme une robe tiens. Oui, voilà, je lui arracherais sa cruauté comme une robe.   
     
    27.10.05
     
    Le dernier cran de protection d'une étreinte.
     
    Le couteau cran d'arrêt du temps qui passe
    Toujours au bord du vertige - ô comme nous nous aimerons.
    Des témoins de ce qu'est la vie rapportent
    Que tout est égal.
    Et ce savoir
    M'est,
    Tu le sais,
    Insupportable.
     
    La vie je trouve que c'est toujours au bord de se perdre.
    Au bord de passer à côté des choses, au bord que jamais tu ne me prennes en pleine conscience.
    Au bord de foncer vers la frontière de ce qu'on peut supporter,
    Et ensuite plus rien.
    Le désert de refaire un nouveau chemin
    Et parfois
    Le dernier cran de protection d'une étreinte
    Nourrit d'une courte flamme
    L'espoir.
     
     
    29.10.05
     
    Vendredi matin dans un Café du quinzième à travailler avec Yelena sur le texte d'un duo pour son album. Nous parlons de l'amour, du désir et de la souffrance, et à un moment Yelena me dit :
    - Peut-être que la fille pourrait chanter qu'elle est prête à prendre toutes les souffrances du garçon, elle pourrait lui dire : Je vais porter toutes tes souffrances ?"
    - J'aime bien, réponds-je avec une pâleur sincère, mais ce n'est pas du tout réaliste..." 
     
    Samedi après-midi à baguenauder avec Tarek (issaoui) dans les galeries du quartier du Marais. Rue de Turenne, chez Emmanuel Perrotin, une magnifique Anthropologie de l'époque bleue d'Yves Klein (collection Claude Berri) qui date de 1960. Sur fond de gouttes de pluie séchées, le jaillissement de la partie angélique d'un corps de femme. Une projection, un élan et un plongeon de l'ordre du souffle et de la flamme.
     
     
     
    Entre deux visites nous parlons Tarek et moi de sujets et d'autres pour, à chaque fois, constater avec amusement que nous avons deux tempéraments opposés. Tarek a une soif inextinguible de comprendre le réel, de trouver en toute chose une explication sensée et en quelque sorte de s'en satisfaire, d'en éprouver du bonheur ou du moins de la consolation, tandis que moi je ne suis jamais satisfait et je vois en toute explication une limite par rapport à ce que je porte et ce qui s'agite dans mon coeur ; je veux dire je suis un turbulent, un impatient de l'imaginaire, et Tarek est un patient du réel.
    Il me parle des astro-physiciens, de cette façon qu'il partage avec les astro-physiciens de reconnaître la beauté dans ce monde et de l'apprécier sans pour autant vouloir y placer une histoire, un récit, une volonté personnelle. Et en ce sens, du fait que moi je ne me satisfait jamais de ce qu'on me raconte et suis toujours en colère contre la vie, ou la beauté, telle qu'elle se donne, Tarek pense que je suis un romantique absolu. Le dernier des romantiques absolus.
    Je parle d'une épaule, je dis combien je peux être chaviré, bouleversé par le dessin mouvant d'une épaule, et écrire c'est avoir la sensation magique de retenir cette épaule, de l'avoir pour soi, de la protéger de la corrosion d'un temps indifférent à son destin, oui de la protéger ne serait-ce que par ce qui reste - en l'occurrence l'écrit - et ce qui fixe à jamais l'émotion en lui donnant une structure, une histoire et un imaginaire. C'est aussi vouloir rendre un moment unique, transcender la brutalité et l'épuisement du quotidien. Et Tarek lui pense que s'il y a eu apparition d'une épaule une fois, s'il y a eu un tel jaillissement d'émotion, un impact sensible en moi, hé bien la nature est ainsi faite que cette épaule réapparaîtra ailleurs, et d'autres fois encore, dans d'autres circonstances, l'épaule d'une autre personne tout aussi belle et tout aussi prometteuse d'émotions. Et c'est en ce sens qu'à l'inverse de Tarek je suis absolument romantique. C'est que lorsqu'une personne me touche - je veux dire me touche à ce point qu'une épaule - je ne pense pas qu'elle réapparaîtra ailleurs, dans d'autres circonstances et à l'infini, je souhaite qu'elle soit unique et, au cas où elle ne le serait pas, mon travail, ce que j'écris, ce que je fais, comme ce que je suis et ce que je pense, la rendront unique.
    De savoir que cette émotion puisse se répéter de la même manière encore, tout aussi bien, me blesse.
    - D'accord me dit Tarek, mais tu as été quand même amoureux plusieurs fois, ça n'a jamais fonctionné pour toujours ?" 
    Il y aurait beaucoup de choses à répondre à ça, beaucoup de nuances à apporter mais d'un bref aperçu sur ce que j'ai été et ce que je suis, j'ai envie de répondre à Tarek que si ça n'a pas tenu ça n'a jamais été de ma faute. Je sais que c'est une pensée très orgueilleuse, infiniment orgueilleuse et cruelle, mais je dis ça à Tarek.
    Je comprends que le temps qui passe - qui scalpe tout inexorablement - fait qu'il est presque impossible de garder une intensité de départ dans l'emploi de nos toujours. Et pourtant, il y a quelque chose d'impérieux qui tambourine en moi et dit à Tarek : Je n'ai jamais l'impression que ce soit de ma faute.    
    Mais peut-être au lieu de faute, faudrait-il employer le terme : volonté.
     
    30.10.05
     
    Très fiévreux de tout le week-end, je n'ai pas su faire grand chose. Parfois quand je pense à mon papa, les larmes me montent aux yeux. Je souffre d'un manque de signes, d'espaces ou de moments à percevoir sa présence même en filigrane, comprendre qu'il ouvre des portes, aiguille, intercède. J'ai du mal à admettre aussi ce flot continu de petites déchirures qu'est la vie, ce manque de correspondances entre les moments passés et la vie d'aujourd'hui. L'autre soir X m'a demandé ce dont j'avais manqué dans l'enfance. J'ai eu envie de lui répondre que je pourrais aller chercher jusqu'à très loin au fond de moi le manque de m'endormir dans ses bras, mais bon, j'ai joué le jeu, et à son grand étonnement j'ai répondu : rien. Il m'a semblé ne manquer de rien dans l'enfance ; grande production de vignettes heureuses. Et puis comme le dit si justement François (Truffaut) dans le monologue final de L'argent de poche, c'est après que ça se gâte, par un drôle d'inversement les personnes qui ont eu une enfance heureuse semblent moins bien armées pour la vie. Tout d'un coup je me suis retrouvé seul avec la mort de mon papa ; il n'y avait pas de frères et soeurs avec lesquels continuer à habiter quelques souvenirs ; à simplement poser deux ou trois chaises dans quelques souvenirs ; ou les habiller d'un châle de larmes ou d'un gilet de rires les soirs de grand froid. J'étais tout seul. Je rentrais le soir et voilà, il n'y avait que l'écriture ou les cent pas sur le boulevard.
    Alors parfois j'aimerais bien sentir un signe, quelque chose qui tout en faisant resurgir une part de passé guide mes pas au travers des brumes présentes, et puisse me sauver de ces moments perdus où je n'ai même pas la force de répondre au téléphone pour les affaires courantes, pour les ami(e)s qui cherchent à me joindre et à qui j'en veux, peut-être, de n'être pas mes frères et soeurs.  
     
    Samedi soir j'étais tellement fiévreux que j'ai failli glisser de l'accoudoir du canapé où je m'étais perché ; il y avait ces deux filles (jolies) qui parlaient de la neige - mais pas en termes poétiques, je veux dire : l'une s'interrogeait : est-ce qu'il y a déjà de la neige ? Et l'autre lui répondait crânement : Oui, oui sur le glacier" ; il y avait Y qui racontait que bien qu'il ait vécu sept ans avec une femme, le fantasme de toutes les femmes restait de "se faire prendre par un voyou à grosse bite sans manières et rustre" - et ce constat de Y m'a beaucoup remué ; il y avait Z qui venait me voir toutes les cinq minutes pour me demander si je voulais d'une fille très belle - grande brune au visage de faon et aux yeux chinois - et je ne voulais de personne mais Z insistait et venait encore et encore me trouver pour me dire : Tu es sûr que tu n'en veux pas ? Parce que vous iriez bien ensemble ça saute aux yeux...mais bon si tu n'en veux pas je vais tenter quelque chose parce qu'elle a des lèvres on dirait des petits coussinets...Tu te rends compte, des petits coussinets !" ; Au téléphone Matthieu (C) me racontait que les filles aujourd'hui sont carriéristes, qu'elles ne se laissent plus emporter même pour les choses agréables, et que de toute façon la plupart des femmes respire l'ennui : "Tu ne les as pas encore touchées que déjà tu sais que tu vas t'ennuyer au lit !" ; pour finir par me dire : "Tu sais Jérôme, faut arrêter de dire que la vie est décevante, ce n'est pas la vie qui est décevante ce sont les gens !" ; J'ai juste trouvé la force de remonter le moral d'Emilie qui, en larmes à cause d'un crétin, se mouchait dans un tas de contraventions à l'arrêt ou au stationnement ; et j'ai donné à Florence le DVD de Bande à Part de Godard en collection Criterion que j'étais venu lui apporter. En rentrant à pieds vers minuit et demi j'ai relu les notes prises dans mon carnet suite à l'après-midi passée avec Tarek. J'ai parlé de quelqu'un à Tarek et je lui ai dit : Si elle me le demande, je serais capable de l'aimer pour l'éternité. Et Tarek m'a répondu aimablement : jusqu'à la prochaine !
    Alors j'ai noté la formule complète que j'ai trouvé belle : "Pour l'éternité jusqu'à la prochaine", belle parce qu'on ne sait pas si l'on parle avec défaite d'une prochaine personne (le sens de Tarek), ou de la persistance du sentiment malgré l'arrivée d'une prochaine éternité.
    Et puis j'ai dit à Tarek qu'il faudrait écrire un livre ensemble qui rende compte de nos conversations où bataillent férocement nos points de vue opposés ; et que l'on pourrait appeler ce livre : Pour l'éternité jusqu'à la prochaine.
    Dans une page entière de mon carnet moleskine j'ai aussi écrit que Tarek était un patient du réel (en assumant le double-sens du mot patient) et que pour ma part j'étais plutôt un impatient de l'imaginaire, un insurgé du réel.  
    Sur la page d'à côté j'ai écrit : C'est la démission du réel qui donne un corps et une impulsion à notre imaginaire. 
    J'ai laissé deux trois pages vierges, et j'ai écrit enfin : Je ne me satisfais jamais de ce qui apparaît aux autres merveilleux.  
     
    03.11.05
     
    Chahuté entre la confiance la plus vaillante et un profond abattement.
    On me donne rendez-vous au drugstore des Champs-Elysées et j'ai l'impression d'avoir dix-sept ans. Sauf que tout a bien changé, et les garçons du restaurant c'est tragique prennent les commandes sur des Palm-pilot - ce qui semble très compliqué et leur donne une raison valable d'être stressés et peu prévenants.
    Dans les jours de grande sensibilité c'est comme si pour quelques secondes j'attrapais la vie des personnes que je frôle - la liste des choses qui leur passent par la tête, qui leur traversent le coeur ; je fais des croix rouges à côté du mot amour.
    Je n'ai jamais l'impression que les choses me traversent le coeur, mais qu'elles y restent coincées comme un caillou dans une chaussure. Si parfois je suis dur avec certaines personnes j'aurais tendance à dire que c'est parce qu'elles ont compris trop tard ce que la vie attendait de nos rencontres.
    Les crépuscules d'automne à Paris, je ne peux rien faire d'autre que sortir, attendre comme un loup-garou le moment d'écrire. Parfois je rencontre une connaissance, une ou un ami, et nous allons prendre un café ; alors l'écriture patiente, mais il suffit du gouffre d'une absence, d'une blessure entre ce que l'on désire et ce qui n'est pas donné, pour qu'elle revienne, rapide, moqueuse, incessante et écarlate. On écrit à l'horizontal parce qu'on ne sait faire que des passerelles au-dessus de nos gouffres.
    Et souvent les gens n'ont aucune espèce de précaution, ils vous balancent leur vie comme un pourboire sans se douter des terrains glissants que cela ouvre en vous, des failles, des pentes et des pensées insupportables.
    Le mot "connaissance" me plait assez pour parler de ses amis qui ne sont pas considérés tels. Parce que c'est vraiment tout sauf de la connaissance. Et même je dirais que la plupart de nos amis font preuve à notre égard d'une stricte connaissance, ils nous enferment dans un schéma confortable. Et être ému par quelqu'un, souvent, c'est deviner à ses dépends que le schéma ne tient pas.
    La première fois que j'ai vu X, voilà, j'étais bouleversé - malgré la cannibalisation altière de l'instant que lui conférait sa beauté - par cette absence flagrante de digues, de remparts. C'est pour cela qu'Antigone suit Oedipe je pense, parce qu'elle ne supporte pas de le savoir hors les remparts. Elle veut faire rempart de ce qu'elle est, et de ce qu'elle deviendra. à deux si le chemin se trouve.
    Quand on aime quelqu'un peut-être une vie ne suffit pas à construire des remparts. On échoue lorsqu'on devient plus fragile que sa construction. Alors on verse dans la folie ou l'on sombre dans l'interruption.
    Le soir je croise des silhouettes de femmes qui me plaisent, des visages à la dérobée, et je m'imagine dormir dans les bras de celle-ci, préparer un repas tout simple mais merveilleux pour celle-là au terme de sa journée. J'ai les bras ballants du possible. Et le coeur en charpie.
    Avec la sortie du disque maintenant nous entrons dans l'ère du "j'aime" ou "j'aime pas". C'est-à dire que le premier type venu va avoir en quelques secondes un verdict sur mon travail. Et ensuite il y a une dictature du "un tel a aimé ou pas". La plupart du temps - c'est normal - ce sont souvent les personnes avec lesquelles je travaille qui sont sensibles à cette dictature, et du coup ça rejaillit sur moi car je suis gêné pour elles en cas de commentaire négatif. Personnellement qu'un tel déclare qu'il ait aimé ou pas, ça n'a aucune importance. Bien entendu c'est préférable qu'il ait aimé, surtout s'il est du métier, cela nous ouvre des portes - qu'on nous referme à la gueule en cas d'avis contraire. Mais bon, vraiment qu'on ait aimé ou pas, c'est de l'ordre du rejet ou de la politesse (oui de la politesse quand on a reçu le disque gratuitement ou qu'on a été invité au concert). En revanche ce qui m'importe c'est de quelle manière on a aimé, pourquoi, les images, les idées, les désirs que cela a provoqué en soi. La façon dont on en parle, ce qu'on en dit. Et jusqu'où sur la durée va-t-on être capable d'aimer.
    Je ne voudrais absolument pas faire quelque chose qui soit de l'ordre de la séduction, mais pour les gens qui s'attachent à mon travail, je souhaiterais qu'il y ait une reconnaissance, un attachement profond, (les autres passeront leur chemin), et quelque chose qui se poursuive en terme d'engagement. Je reconnais que j'en demande peut-être un peu beaucoup.
     
    05.11.05
     
    Merci à cette jeune femme magnifique qui, au Café, a retiré la baguette de ses cheveux blonds, les a laissé se déployer - effaçant la douceur d'oiseau de sa nuque, puis les a renoués juste pour moi il m'a semblé, pendant que son copain indifférent à l'instant condamnait déjà peut-être leur futur (à l'antérieur) ; mais loin de désirer cela j'ai savouré le dénouement qui se jouait uniquement pour mon regard et ma respiration interdite à s'y plonger.
    Les deux derniers concerts du mois d'octobre furent fiévreux et étincelants ; de l'avis des fidèles l'avant-dernier fut le meilleur, le plus inspiré ; mais l'ultime d'octobre a marqué également pas sa tristesse et la dureté que je n'essayais jamais de chasser, de réduire ; juste tenté de les éclairicir un peu pour proposer quand même un espace fiable, un territoire qui tienne la route. Oui, car même le spectacle de la déroute doit tenir la route. Le dernier soir nous avons fait une version de Laisse-moi devenir ton homme sur les charbons ardents. 
    Pour faire une analogie avec les cartes du Tarot divinatoire, je dirais que le concert du 10 octobre s'est rapproché de l'image en devenir du Bateleur ; celui du 17 a oscillé entre le pape et la maison dieu ; le concert du 24 octobre a convoqué l'impératrice, le diable, et l'étoile ; et celui du 31 : le diable, la mât, et la lune. J'en suis sorti vidé.
    Aujourd'hui répétition au Studio Bleu rue des Petites Ecuries avec Marie-Amélie (Seigner) qui m'a gentiment invité sur une émission télé qui lui est consacrée lundi soir, sur la chaîne Direct 8. Elle souhaite reprendre en duo avec moi L'anamour de Gainsbourg, et m'offre la possibilité d'interprêter en direct deux titres de mon album. On va donc essayer de faire un show inspiré, et nous allons jouer les chansons calmes (Le jeune homme changé en arbre, Demain sans importance) de peur que l'immeuble de Direct 8 ne s'écroule avec les morceaux plus rock. Je prends cependant toujours beaucoup de plaisir à jouer une chanson comme Le jeune homme changé en arbre à la télé qui, même si elle n'est pas représentative de la nécessité rock de l'album, reste pour moi une citation de Serge Gainsbourg interprêtant de manière très classe à la télévision : La noyée.
    Deux concerts se programment heureusement pour la fin novembre, fin décembre ; on essaye de monter un concert privé à Paris, et le concert de noël de la revue New Comer qui aura lieu au Point Ephémère. J'ai hâte de renouer avec l'intensité des concerts. Je n'ai jamais envie de perdre cette intensité quand les moyens me sont offerts pour qu'elle soit réalisable. Je pense que la musique rock me permet d'aller à l'essentiel, il y a quelque chose d'immédiat et de nécessaire, qui s'apparente à la tragédie grecque - verbeuse par mégarde - dans l'intensité qu'elle peut produire, il n'est pas question de se disperser dans une mélodie faite d'infinies relances et de couplets à s'étendre, mais il faut frapper juste en très peu de temps, c'est ce qui m'intéresse, atteindre avec très peu d'effets dans l'écriture le coeur de la personne - inconnue ou délibérée (oui, car je n'aime pas tant les femmes libérées que les femmes délibérées) - à laquelle je m'adresse, et pour moi la musique rock est le meilleur outil pour ça. Je n'ai plus de temps à perdre avec les tâtonnements, et ce qui me sollicite entièrement je dirais, à présent dans la vie, c'est changer la moindre blessure en feu poétique. Rendre coup pour coup, avec ce que je suis et ce que j'en fais.
     
     
     
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