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- Chapitre
44 - janvier 2006
- 03.01.06
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- La
fenêtre fine de lumière, rien ne dépasse qu'un trait et je sais qu'elle est
habitée par une personne qui me plait ; pas celle non qui m'a croisé à la
tombée de la nuit et à lèvres basses a murmuré : I
dreamed of you ; non pas celle qui m'a demandé si j'étais seul ce soir, et ce
soir oui j'ai congédié mes fantômes ; mais la fille qui vit derrière la
fenêtre éclairée dans la noirceur radicale de
la cour d'immeubles - le puits sans fond de la cour d'immeubles
- fait déborder un sentiment plus grand qu'une ombre au soleil.
- Est-ce
que cette fenêtre m'apparaîtrait aussi proche si elle était éclairée
en permanence ? Sept jours sur sept ? Et si je ne pouvais dessiner en
moi les contours et définir le coeur de la jeune femme qui
vit en son écorce, et que j'ai détachée de la foule en quelques regards.
- Nous
voulons des visions qui donnent au délit d'être soi une douceur, qui
donnent à notre solitude une espérance.
- Il
y a tant de vacarme, de conversations creuses et sans tendresse, tant de
problèmes idiots à résoudre, d'attentes envers l'absente et peu de
protection finalement, mais derrière cette fenêtre il y a une occupation du
temps qui m'échappe. Et je n'en demande pas trop, alors je ne souffre pas. Et
je n'aimerais pas que mes chansons soient comme des écorces vides, il faudrait
qu'il existe des personnes même alternativement pour en prendre soin, pour s'en
émerveiller, en révéler la lumière toujours. La poussière tombe sur nos
histoires, le brouillard s'étend comme chez Homère sauf qu'aucune déesse ne
m'emmène à l'abri ou alors je ne m'en souviens jamais - voilà
pourquoi je sais que ce sont des déesses - la pluie ne survient que
pour se demander qui peut nous recueillir durablement dans ce monde
(c'est pour moi l'expérience de ce Journal), et le soleil qui croyait
faire sécher nos plaies finit par les étaler, les faire reluire
; griffures sans nombres, porte-flingues, passage à tabac du temps
vécu pour un amour qui n'arrivait jamais ; un baiser n'est pas une
porte qui grince ; la fenêtre baignée de lumière s'éteint.
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- 05.01.06
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- Le suppléant.
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- Les
ténèbres semblent décider de la journée, les flocons d'une neige
froide n'ont pas plus de consistance que temps qui passe, que bras qui
s'enroulent dans des histoires de courte haleine ; je rentre et surprends
le voisin d'en bas en train d'agresser la terre entière - concentré
d'injustice, de méchanceté et de racisme jamais rassasié ; dans ma boîte
aux lettres m'est revenue une enveloppe que j'avais envoyé à X qui a subi
une petite intervention chirurgicale cette semaine, un envoi qui devait
tomber au bon moment, coïncider avec des tas
d'autres signes pour faire de la journée une poésie vivante, et
puis l'enveloppe me revient avec la mention : n'habite
pas à l'adresse envoyée, et de l'envoi qui contenait un livre précieux et tout un
tas de friandises douces et délicieuses, tout un lot de surprises trop bien, il
ne reste plus que le livre (intact) et la lettre qui l'accompagnait,
ouverte. Comme si c'était l'enveloppe qui avait subi l'intervention
chirurgicale en quelque sorte.
- C'est
ma journée de lundi que j'avais passée à m'enquérir aux quatre coins de la
ville de ces petites surprises délicates à glisser dans une enveloppe
- on aime toujours avoir des surprises quand on sort de l'hôpital - ma journée
de lundi qui vient d'être mise à sac par le larcin d'un postier.
- Il
m'a retourné le livre et s'est rué sur le périssable,
pauvre truand prévisible. Cela me fout un bon coup au moral, tout ce
que j'avais imaginé du moment où X trouverait mon envoi, le sourire
protecteur de cette expectative, tout cela vient d'être ruiné par
la découverte du paquet détroussé. Et je n'ai plus de refuge direct
pour contrebalancer et supporter la haine du voisin d'en bas entraperçue
et qui agit comme une déchirure, une ouverture directe sur ce qui me
semble intolérable et difficilement atténuable dans la nature humaine.
- Il
n'y a que Nina Simone qui a cette force de conviction et cette
grâce pour transformer toujours un air banal, un cliché cent fois
rabattu, en une mélodie extraordinaire ; Nina Simone et quelques autres.
- Au
Grand Palais, à l'expo Vienne 1900, je montre à David les dessins qui me
plaisent le plus. Il s'approche, regarde et me dit :
- -
Toi du moment qu'il y a de la caille, t'es client !"
- Comme
David essaye de me questionner, voyant bien qu'en ce moment j'ai un
moral des plus sombres, il s'exclame :
- -
Pas de bêtises Jérôme. Tu ne peux pas tout laisser tomber maintenant. Tu
es l'un des 36 justes !
- -
C'est quoi cette histoire ? m'enquiers-je alors que nous arrivons
à l'autoportrait aux alkékenges.
- -
C'est un passage du Talmud. Il suffit de l'existence sur terre de 36 justes
pour que le monde puisse durer. Par leur seule qualité les 36 justes assurent
le maintien, la permanence de ce monde. Ce sont des gens comme toi et moi,
enfin surtout comme toi en l'occurrence, ils se glissent dans l'anonymat et
assurent secrètement la survie, la continuité du monde. Par leurs
pensées, leur caractère, et le simple fait qu'ils existent, ils font que ce
monde ne sombre jamais irréversiblement dans le délire.
- -
Mais je suis dans VSD avec Astrid,
je peux pas être un des 36 justes !!! dis-je pour ma défense.
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Ce n'est qu'une couverture...
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Non ce n'est pas encore la couverture...
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Une couverture à ce que tu es ; il y a plusieurs accès à ce que tu
es...Sauf que pour celles et ceux qui s'y aventurent on
arrive tout de suite au chemin principal, et alors ça saute aux
yeux que tu es l'un des 36 justes ! D'ailleurs les 36 Justes ils
peuvent avoir des occupations un peu exposées parfois, mais ce que je
veux dire c'est que ce ne sont jamais des leaders, ils ne font pas de
politique par exemple...
- -
Donc, imaginons que parmi les 36 justes il y ait effectivement un chanteur...
Est-ce qu'il faut chanter juste pour être un des 36 Justes ?
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Pas de systématisme.
- -
Oui, c'est bien. Pas de systématisme autre que celui du coeur. Et les
autres Justes dis, je les connais ou pas ?
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Non tu ne les connais pas. Vous êtes disséminés aux quatre coins de la planète.
C'est une question d'équilibre.
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Mais si j'en rencontre un par hasard ? S'il y en a un qui vient en
vacances à Paris et que je le rencontre à l'angle de la rue de Buci et de la
rue de Seine au moment où j'achète des clémentines, est-ce qu'on se
reconnaît, est-ce que tous les deux on comprend que l'on fait partie des 36
justes qui assurent la pérennité de ce monde ? Je veux dire,
existe-t-il des signes tangibles et concrets qui font qu'on se
reconnaisse ? Que l'on puisse échanger quelques impressions, trouver du soutien
en se disant par exemple : C'est pas tous les jours facile d'¨être un des 36
Justes."
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Je ne sais pas. Mais Dieu lui vous reconnaît !
- -
Alors dans ce cas Dieu sait très bien que je ne suis pas un
des 36...
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Qu'est-ce que t'en sais bordel ?! Mais qu'est-ce que t'en sais ?! T'en sais
rien du tout ! Je vais te dire : les Justes ils ont pas conscience
d'être Justes ! Ou alors c'est assez naturel comme processus. En tout cas, ils
ne sont pas dans la revendication.
- - Je
ne crois pas être l'un des 36 Justes...Ou alors si ça te fait
plaisir je veux bien être le 37ème. Le suppléant.
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Regarde ta vie, tu verras. Tu peux pas dire comme ça. T'es pas
ordonné Juste parce que soudain t'as mal au ventre...
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Est-ce qu'on est Juste quand on est amoureux ? Est-ce qu'être amoureux
c'est être Juste ? Je veux dire pas forcément avec soi-même, mais avec
l'univers... ?
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Non, c'est pas d'être amoureux qui fait qu'on est Juste, c'est la façon
dont tu es amoureux. T'as plein de mecs qui peuvent être amoureux.
Mais c'est la manière de l'être qui distingue le Juste.
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Il faut être un amoureux absolu alors.
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Pas forcément. Moi je ne crois pas aux vertus de l'absolutisme, dit David.
A mon sens l'absolutisme c'est de l'égocentrisme exacerbé, c'est pas
forcément une qualité.
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Mais c'est vouloir surtout vivre l'instant totalement, et quelque
part, le transcender. L'égocentrisme c'est du spectacle. En dehors de ça,
l'absolu peut s'exprimer sans la nécessité de faire du spectacle. Parce
qu'on est comme ça, depuis toujours, dans l'absolu. C'est-à-dire qu'on ne
peut pas faire autrement que de vouloir vivre le présent sur un mode
exacerbé, et c'est ça qui est beau dans la valeur absolue d'être amoureux. Que
le futur se confonde avec la manière dont tu tolères le présent. En fait, être
un amoureux absolu c'est quand l'avenir est confondu avec l'instant que
tu voudrais vivre. Qu'il n'y a pas d'autre issue, d'autre avenir possible,
que la réponse affirmative de l'autre. Son affirmation.
- -
Je ne sais pas, c'est trop dangereux...
- -
C'est ce qu'il y a de plus fort à vivre, même si on en
revient jamais indemne... Bon, tu vois bien, je te déçois, je ne
suis pas un des 36 Justes.
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Mais si voyons ! Ce n'est pas dans ce registre qu'on peut savoir. Ce n'est pas
important.
- -
Mais il y a plein de choses qui m'ont échappé dans ma vie, plein de
moments sur lesquels j'ai ripé...Et où je n'ai pas été présent comme il l'eût
fallu certainement.
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Etre Juste ce n'est pas être parfait. Tu es un homme. Ce qui est important, ce
qui fait de toi un Juste, c'est la trace que tu laisses, le sillon
que tu creuses !
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Le microsillon ! Hum. Oui mais alors est-ce que la trace que tu
laisses c'est la même chose que le sillon que tu creuses ?
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Bhein ouais ! T'as tout compris !
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Mais moi je ne creuse pas de sillon...
- -
Qu'est-ce que t'en sais ? Attends y a plein de gens qui te lisent, qui
t'écoutent ; qui font de ton travail quelque chose d'intime et de
précieux ; les gens autour de toi, regarde comme ils voient la vie
différemment à ton contact...C'est simplement que tu n'es pas quelqu'un de
revendicatif, tu ne dis pas : Moi je creuse mon sillon"...Et c'est
justement ça qui fait de toi un Juste. Tu vois, le Juste il a pas besoin d'être
dans la revendication ou dans la justification pour créer. C'est pas Fidel
Castro le Juste !!
- -
Fidel Castro n'est donc pas un des 36 justes ?
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Non, non, t'inquiètes pas...Toi tu revendiques rien pour les autres, tu fais
ton truc sans rien prétendre pour les autres...
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Oui. Mais souvent je suis en colère de la manière dont les autres se
comportent ou réagissent.
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Souvent ? Tu charries : Tout le temps oui !
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Oui, tout le temps, dis-je.
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C'est parce que quelque part ton humanité est mise à l'épreuve, alors tu
creuses encore plus profondément ton sillon. Tu ne réagis jamais dans le
vide. Il en sort toujours quelque chose qui va inspirer d'autres choses,
d'autres personnes. Et quand tu réagis durement, tu as toujours du recul sur ta
dureté même si tu la trouves fondée et que tu la suives la plupart du
temps ; quand tu y renonces, c'est parce que tu ne peux pas
faire autrement que d'y renoncer, parce que c'est ce qu'il y avait de plus
juste à faire ; voilà pourquoi encore tu es un des 36...
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Est -ce qu'il y a des filles parmi les Justes ?
- -
Ah non ! ça m'étonnerait franchement !" dit David avec autorité.
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Alors les 36 Justes sont condamnés à la solitude...
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Je crois que c'est très dur...
- -
A moins que la vie soit si injuste avec les filles qu'elles
recherchent à tout prix à tomber amoureuse d'un des 36 Justes...
- - Oui
et non, au contraire, c'est parce que les filles sont parfois très
injustes dans la vie qu'elles adorent sortir avec l'un des
36 ! ça leur donne un équilibre mon vieux. C'est comme une
conscience.
- -
Oui, dis-je, mais une conscience qui les baiserait souvent."
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- 08.01.06
- Les
deux branches armées de mon existence.
- Il
y a des moments où j'ai beaucoup travaillé, écrit, puis d'autres où j'ai
beaucoup fait l'amour, et où je me suis occupé de cette activité et
cette passion dévorantes : aimer quelqu'un. Et peut-être que ces
moments n'ont pas coïncidés, se sont succédés, les uns appelant les autres
dans un ordre magique ou pas ; et peut-être qu'arriver à une forme de
plénitude serait justement que ces moments coïncident, que ces deux branches
armées de mon existence se rejoignent : Tomber très amoureux et que
ça fonctionne, et qu'en même temps cela me fasse travailler et que cela
fonctionne - c'est-à dire que je sois satisfait de mon travail en terme de
désir et de résultat, et qu'il y ait des retombées qui me permettent de
poursuivre.
- J'avance
dans les journées avec beaucoup de choses à faire, à produire, d'idées à
mettre en mouvement, et j'en arrive à un point où il me faut éviter la
dispersion, bien que sollicité en permanence par diverses
personnes (qui veulent que je leur écrive des textes de chansons par
exemple), mais maintenant il y a des choses que je ne sais plus
faire, je n'ai plus envie de faire des choses qui ne servent à rien, qui ne me
correspondent pas, où je sais d'instinct que je ne me sentirai pas plus
impliqué que ça dans le résultat final, où les contraintes qu'on m'imposera ne
donneront qu'une version frileuse de ce que j'aurais pu faire, et
aussi où je n'ai pas la place de glisser des idées ou des choses qui
m'aideront à tenir. A tenir de tout ce qui m'écoeure ou me fout par
terre dans ce monde. Comme à tenir du manque de X dans mes
nuits, par exemple. Je crois encore qu'adolescent on se définit par ses
espoirs, on se construit sur sa capacité à espérer, ou à changer très
rapidement l'orientation de ses espoirs, et c'est comme ça qu'on s'en
sort, et il y a un moment dans l'âge adulte où on comprend aussi que l'on se
définit par ses manques. Qu'ils nous composent, et nous chavirent de ce qu'ils
sont plus solides, coupants et moins submersibles que nos états de grâce ;
et que le manque de quelqu'un qu'on adore nous donne à tout moment de la
journée la stature, l'emploi du temps et le territoire, d'un prince en
exil.
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- 09.01.06
- Des
amoureuses c'est tout.
- J'aimais la
fragilité de ses seins et la pointe qui pouvait se durcir, devenir tétine
souple ou mèche de bougie, sous le traitement de mes doigts. J'aimais sa façon
de revenir vers les choses accidentelles ou les choses domestiques de la
vie une fois que nous avions fait l'amour, comme si elle venait de
descendre d'une échelle, pieds nus. Comme si son intention était de dire
que ce n'est jamais domestique de faire l'amour, jamais accidentel non plus.
- Pour
son appartement, je m'étais demandé si je lui faisais mieux l'amour chez elle
ou chez moi, s'il y avait une donnée psychologique à cela ; et puis il n'y
avait plus eu de frontière, qu'une chambre en ce monde celle de
l'impossibilité de se passer l'un de l'autre trop longtemps, jusqu'à nouvel
ordre.
- Elle
avait voulu se faire baiser par une autre fille devant moi pour - m'avait
elle dit, me donner un réservoir de souvenirs érotiques pour dix ans, quand la
vie serait trop dégueulasse avec nous, dans les périodes où je serais seul et
qu'il faudrait bien que je fasse cela tout seul, comme un grand ; hé bien grâce
à elle j'aurais un réservoir de souvenirs érotiques pour dix ans - et en
échange je te donnerais quoi ? Ce que tu me donnes et me
reprends sans cesse : du bonheur et du chagrin comme personne
jusqu'au restant de mes jours - oui, un réservoir de souvenirs érotiques
consultable à demande et je pourrais lui dire merci, merci, et encore merci. Le
problème c'est que l'autre fille s'était révélée plutôt nulle, impatiente et
brouillonne, et elle avait dû faire tout le travail. En société
elle ne s'encombrait pas deux fois de quelqu'un qui l'avait ennuyé un
quart de fois et, en plus, elle avait le culot de me mettre ça sur le dos,
déclarant que c'est moi qui déteignait sur elle. Elle étouffait les choses dures
de l'existence dans un rire, et tout finissait par un geste de la
main qui voulait dire : par dessus l'épaule. Très belle, et quand
elle l'était un peu moins elle tranchait : Je me sens moche aujourd'hui si ça
se trouve tu ne m'aimeras plus avant la tombée de la nuit. Et puis elle se
ravisait, ça la faisait rire d'être injuste avec les autres, mais terriblement
souffrir d'être injuste avec elle-même (contrairement à ce que la plupart des
gens admettent ou déclarent), elle revenait vers moi en disant : de
toute façon je sais très bien qu'il n'y a pas que la beauté qui compte
pour toi. Pour toi la beauté ça ne suffit pas. Rien ne te suffit jamais de
toute façon, tu en demandes toujours davantage des gens que tu brûles,
c'est épuisant. Pour la beauté il te faut autre chose, c'est ton histoire
avec la peinture, quand tu me racontes ce qu'est la peinture ça parle de ça.
- Elle
disait qu'elle ne voudrait jamais habiter une rue où il n'y avait pas un
magasin de chaussures à son goût. Elle interdisait à sa petite soeur de me parler
car elle entretenait une théorie comme quoi que les petites soeurs
tombent toujours amoureuses des copains de leurs grandes soeurs, et puis
elle convenait qu'en lui interdisant de me parler elle était sûre que sa
petite soeur tomberait encore plus amoureuse de moi, alors que c'était terrible
car il n'y a pas de plus ou moins amoureuses chez les filles, il y a des
amoureuses c'est tout, et que c'est un cercle vicieux, et que dans le cercle
vicieux le cercle c'était le monde et le vicieux c'était moi !
- Comme
il y a un "i" dans Marina, elle voulait toujours en mettre un quelque
part dans Tsvetaeva.
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- 10.01.06
- Antigone
de mes nuits.
- Je suis rentré à pieds
- du Paris-Paris avenue de l'Opéra jusqu'à Auteuil - en
pleine nuit, passant par la rive gauche ; tout le temps du trajet
porté par sa voix et notre conversation au téléphone. J'aurais pu avancer les
yeux fermés. Je lui ai dit : C'est ça qui est beau dans la vie : être
porté.
- 11.01.06
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- A l'arrivée de chaque instant.
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- Rentrant
d'un tournage pour la télé qui avait lieu dans le quartier du Palais Royal,
j'ai fait exactement le même chemin à pieds que la nuit dernière, mais cette
fois ci sans que je sois porté par elle, et le trajet m'a paru
interminable.
- C'est
un trajet que je connais bien et qui, s'il a déjà pu me paraître
relativement long, m'a toujours semblé plaisant ; il devient
dorénavant inséparable du souvenir de l'avoir fait au moins une
fois porté par elle.
- Il
aurait pu durer dix ans qu'il m'eût semblé à ses côtés un trop court moment.
Ainsi tiennent nos perceptions et s'évaluent nos existences.
- Je voudrais
dire encore que si parce que l'autre nuit le chemin m'a paru
dérisoire, avalé en un temps infime, c'est parce qu'elle était
peut-être là, à l'arrivée de chaque instant.
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- 13.01.06
- La
maladie des Taxis.
- La répétition avec
l'humeur massacrante des uns mais les nouvelles chansons avancent quand même,
trouvent leur lumière ; les gens, les ami(e)s à voir qui sont à
différer parce que je ne sais pas faire autrement en ce moment ; l'horoscope
d'un programme télé outrageusement optimiste pour 2006, penser à l'accrocher
sur le dos de la porte pour le prendre de plein fouet au moment de
sortir ; le thé Pu-Erh acheté en quantité astronomique rue du Cherche Midi
; tout le travail qui me semble superflu ou dénué de sens que
j'envoie maintenant sans regret valser, aux oubliettes ; les pantalons
rouges et le pull noir ouvert sur l'abîme magnifique du corps de cette
jeune femme qui révisait son droit constitutionnel hier soir dans un Café d'Alma
Marceau ; la maladie des taxis ; vouloir la joindre comme si la vie en
dépendait, et puis y renoncer comme si la vie en dépendait tout aussi
sérieusement ; le réconfort des femmes qui reste bloqué quelque part mais
je n'aime pas trop y réfléchir car j'ai des conclusions cinglantes sur le
sujet qui reculent à plus loin encore ce quelque part dans le
temps ; des conclusions qui ne sont pas des pronostics heureusement ;
penser à placarder ce foutu horoscope, si nécessaire l'apprendre par coeur ;
Philippe (Besson) connait des passages de livres par coeur, c'est très
impressionnant, L'amant de Marguerite (Duras) par exemple ; la
soirée en compagnie de Philippe, charmant et incisif, sur la chaîne télé
Direct 8 ; Mes yeux verts que tout le monde croit bleus ; Demain
sans importance que je chante comme si elle me regardait mais j'ai trop tendance
à jouer à ce jeu comme à la roulette russe ; les seins légers comme
une devinette d'une des deux maquilleuses ; Emma que je retrouve,
sublime, à la cafétéria où il y a toujours le même assortiment de
tartes industrielles (je parle des gâteaux, et pas des filles qui sortent
d 'on ne sait où, qui vont on ne sait vers qui, mais qui circulent
inlassablement) ; penser à demander l'asile poétique à Direct 8, car il y
a des filles et des pâtisseries - que demander de plus dans une vie ?
Un peu d'eau pour faire passer ? ; Rachel qui me raconte l'histoire
atroce de la petite fille triste, triste d'apprendre malgré elle, et
un sentiment de colère et de révolte monte en moi comme si j'étais ce Big Jim
dont il suffit de tourner le bras pour voir apparaître le visage fier
et frondeur d'Antigone ; Philippe qui me dit qu'il a dîné hier soir
avec Anna Mouglalis et qu'ils ont parlé de moi ; Je dis à Philippe : Tu
parles, j'ai rencontré Anna dans les coulisses de l'Elysée Montmartre elle
m'a serré la main de sa voix terrible et après tellement
sous le coup de l'émotion j'ai fait un concert pourri ; il faut que je
garde l'expression : Elle m'a serré la main de sa voix
terrible,
pour parler d'Anna ; la maladie des taxis ; Audrey Marnay au Flore ; Lysa
qui n'est jamais là quand j'ai besoin d'elle à en crever.
- 14.01.06
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- Poursuivre.
-
- Dernier
métro du samedi soir : assise en tailleur sur le quai, une fille en pleurs
épaulée par deux copines qui font ce qu'elles peuvent pour la consoler, dans
l'attente d'une rame. Elle nomme celui qui vient de rompre avec elle : le
mec. Voix entrecoupée de sanglots :
- -
J'ai l'impression d'être rien..Je ne comprends pas...Le mec il a rien à me
reprocher..."
- Je
suis comme happé par son chagrin absolu - que je reconnais tout de suite, je
comprends tout de suite de quoi il s'agit, avant même que je n'ai pu entendre
les premiers mots, rien qu'aux inflexions de la voix - chagrin intolérable et
expansif qui semble tout remettre en cause, nier sur l'instant ce qui pourra
suivre. Je m'approche, je suis irrésistiblement attiré par cette voix dans les
larmes, larmes qui secouent, chavirent, emportent tout le corps, je reconnais
la voix de X autrefois, bouleversante quand elle craquait entre mes bras,
m'appelait à n'importe quelle heure et même après, au bout de huit mois
sans me voir, m'appelait la voix déchirée de larmes comme si j'étais le
dernier rempart ; cette voix dans les sanglots qui me semble être la
même chez toutes les filles et qui me transperce tellement, me met hors
d'état du monde, toujours. Elle se déchire :
- -
Je n'y arrive pas...Je ne comprends pas. Le mec il a rien à me reprocher...Tu
restes avec quelqu'un, tu fais tout pour que ça marche, et ça marche
pas..."
- -
Mais il ne te respecte pas ce mec ! " tente l'une des deux copines,
désemparée.
- -
Mais je sais qu'il ne me respecte pas, il me l'a dit ! Ce qu'il dit aussi c'est
qu'il me jette parce qu'il va pas bien dans sa tête. Il me jette parce que
lui il ne va pas bien...
- -
C'est une excuse ! tranche l'autre copine, tout aussi muette en définitive.
- -
Je ne comprends pas. On a beau tout avoir, des études à 5000 euros par an, une
vie, et avec les mecs ça marche jamais...ça prouve que ça sert à rien de
s'investir dans quelque chose...Je vais pas y arriver...je ne comprends
pas... je suis toujours au bout du rouleau..."
- Outre
cette envie de me tenir droit, ardent non loin du lieu où elle
pleure, comme si mes yeux verts et ma tenue pouvaient absorber son
chagrin telle une éponge, il me passe par la tête l'envie de lui offrir mon
disque. Comme une consolation. Je suis sur ce quai de métro et ce qui
me traverse l'esprit c'est lui offrir mon disque ! Je me
surprends même à chercher dans la poche de mon manteau pour
me convaincre du fait que je n'en ai jamais sur moi. Lui offrir
mon disque comme une protection. Quelle idée ? Comme si je pensais que mon
disque puisse servir à ça, à soigner à tenir, dans l'idée de cette
forteresse...qui n'est cependant jamais la forteresse espérée.
J'en parlais dans la soirée avec Stéphane, je lui disais que souvent
c'était terrible j'avais l'impression que mon travail ne me tenait pas, n'était
pas suffisant pour me tenir de tout ce qui m'atteint, et Stéphane me répondait
que c'était normal dans un sens puisque je travaille avant tout sur mes
failles.
- Il
y a cette voix dans les larmes qui me blesse et me désarme tant. Et ces paroles
: Je n'y arrive pas, je suis au bout du
rouleau, j'ai l'impression de n'être rien, que je voudrais pouvoir effacer d'un
regard ou d'un geste, effacer par ce que je suis - j'ai toujours
eu cet orgueil face à la vie, (ou plus que de l'orgueil, cette position) d'aussi loin qu'il m'en
souvienne - et c'est une drôle d'idée finalement de vouloir offrir mon disque
comme forteresse à cela, un chagrin si puissant qu'il nous exclue du monde et
de nous-mêmes, parce que dans mon disque je ne dis rien d'autre que ça
: que ça ne marche pas ; oui, que ça ne marche pas, et que lorsqu'on
déplie le chapiteau les clowns n'ont rien à craindre, ce sont toujours les
trapèzes qu'on décroche en premier.
- Je
suis passé en fin de soirée rue Guisarde embrasser Peggy (Olmi),
Olivier (Chini), et Julien (Roche) qui dînaient avec des amis
et Peggy tirait à boulets rouges contre une grande radio
parisienne qui ne diffuse pas mon disque parce que selon le
programmateur tout puissant il n'y a pas assez de second degré (comprendre
: pas assez de trucs marrants dans le sens des textes certainement). Et
finalement je disais à Peggy que je comprenais la position de ce type,
que même si c'était dommageable pour moi, si la position de ce type
aux commandes de sa radio est de passer des trucs où il y a du
"second degré", alors c'est normal qu'il passe à côté de mon
travail, parce que ce n'est pas le propos de ce disque de faire du second degré
de boulevard, je veux dire La prémonition par exemple ça dit ce
que ça a à dire, sans vouloir amuser la galerie, même chose pour La
théorie des nuages, ou Au plaisir. Après ça n'empêche pas
qu'il y ait des astuces, de la subtilité ou différentes pistes dans les
chansons, mais du second degré comme ce type l'entend ce n'est pas mon
propos.
- Je
crois qu'il y a des choses très dures dans ce disque - et depuis l'état des
lieux ne s'est guère amélioré - pourtant j'espère toujours être
contredit par la vie, par le travail, les rencontres, par un appel inespéré de
celle dont je rêve en pleine nuit, une décision un coup de maître,
toujours être surpris par l'existence de Dieu, par une réponse
affirmative, comme par tout ce qui est à portée de hurlement. Et si le
travail n'est jamais une forteresse suffisamment valable pour moi - tout
se délite sans gravité, tout le monde laisse faire et en premier celles et ceux
auxquels on tenait le plus c'est à vomir - ou bien si les
chansons et l'écriture ne sont qu'une catapulte à ajuster
sans cesse qui me permet de hurler plus fort, plus haut, j'aimerais
qu'elles consolident un peu des moments dans la vie de ceux qui s'y
attardent ou s'y réfugient. J'aime d'ailleurs l'idée de celles et ceux qui
ferment la porte d'une chambre ou de quelque part pour écouter mon disque, lire
mon Journal, à l'abri, au secret. Et même si je ne cesse de dire que ça ne
marche pas, je voudrais le dire avec suffisamment de vigueur, pour que ça
déchaîne la vie, que ça renverse les obstacles ou les réticences, une fois
que le disque est passé, oui avec assez de vigueur pour que ça marche.
- 15.01.06
- Histoire
de la peinture.
- Nous
sommes au bar - ice cold Martini pour moi - un coude légèrement
appuyé sur le comptoir, surplombant les canapés rouges de hall d'aéroport
qui encerclent cérémonieusement le dance floor. J'ai une sorte de coupure dans
la bouche, une blessure et j'ai dû chanter Comme
elle se donne pour la télévision, j'aurais préféré interpréter un titre plus
triste ; l'état de mon palais aurait donné une résurgence, une fraîcheur,
à la douleur gravée pour toujours dans la chanson.
- -
C'est parce qu'on ne t'embrasse pas assez, dit Sébastien. Tu devrais te laisser
embrasser par plus de filles au lieu de faire ton type inaccessible toujours
enfermé dans ses tourments. Tiens regarde cette fille, là, sur la piste...
- Une
blonde magnifique, dont les cheveux semblable à des cordes
(appât grossier pour marins) se dandine dans un rythme qui
n'appartient qu'à elle, s'oublie dans les mouvements effrénés de la musique qui
nous arrive comme désactivée et par éclaboussures, vagues
sculpturales amoindries qui s'échouent, avec une récurrence
hystérique, sur la jetée des regards.
- -
Cette fille, poursuit Sébastien, j'aimerais bien la suivre jusque dans les
toilettes. Qu'elle s'installe, qu'elle baisse son collant, délie sa culotte,
qu'elle me demande de la regarder en train de pisser, et qu'ensuite je
lui mette ma queue dans la bouche pendant qu'elle pisse.
- -
Il y a un truc qui ne va pas avec ton histoire, dis-je, ce
qui est excitant quand une fille pisse pour nous c'est d'avoir
l'entière perspective, la façon dont elle se tient, l'écartement des
jambes, l'expression du visage, il faut être suffisamment éloigné
pour la voir entièrement assise dans l'acte, il faut que tu prennes ça en
compte, si tu lui mets ton truc en bouche, qu'est-ce que tu vas voir ? Une
vue plongeante qui sera moins appropriée pour l'excitation. A moins que tu aies
l'oeil du peintre...
- -
L'oeil du peintre ?
- -
Oui, que ton oeil assimile la distance, l'écart nécessaire à la vue d'ensemble
de la toile, et s'en souvienne quand il s'approche pour poser le pinceau.
- -
Ah !
- -
Si tu n'as pas l'oeil du peintre mon vieux, ça ne marchera pas. Quand tu
t'approcheras pour lui mettre ton truc dans la bouche, tu ne seras plus du tout
excité, ce sera la catastrophe.
- -
Jérôme, dit Julie (B) qui nous a rejoint, je n'ai pas encore eu
l'occasion de te féliciter mais j'aime beaucoup la chanson de noël
sur ton disque, je trouve que tu arrives à saisir parfaitement toute la
mélancolie qu'il y a à cette période.
- -
Oui, la mélancolie.., dis-je dans un sourire, c'est terrible.
- -
De toute façon cette histoire de chiottes ça ne marche pas, soutient
Fabrice. Avec la porte du chiotte qui se rabat, on n'a pas la place
que tu dis nécessaire à l'excitation.
- -
Tu en connais beaucoup des filles qui te laissent la place nécessaire à
l'excitation ?
- -
Non mais sans rigoler, les filles elles pissent pas toutes en cercle en se
regardant dans le blanc des yeux ; y a pas encore de toilettes en
open space, alors c'est ça qui fonctionne pas, t'es engoncé à deux dans
une cabine pourrie et t'auras jamais la
distance nécessaire...
- -
C'est pour ça qu'il faut que les filles nous ramènent chez elles. C'est une des
raisons, mon vieux. Une des raisons pour lesquelles il faut se laisser emmener
chez les filles. Parce que bon, on y va pas pour les livres quand même...
- -
Et la brune, sur la droite, à côté du type qui ressemble à rien, vous
la trouvez comment ? dit David qui vient d'arriver. C'est tout à fait ta came
Jérôme. Grande, fine, grande bouche, longs cheveux, des seins qu'elle a oublié
dans son placard, le style mannequin mais trop orgueilleuse pour en faire
sa profession. Elle est pour toi ! Tu veux qu'on lui dise qu'elle est pour
toi ? Si y a bien un truc qui me révolte c'est que les filles qui sont pour
toi, elles devraient le savoir d'elles-mêmes ! T'es un Juste, quoi, bordel !
- -
Injuste ? Envers qui ? demande Julie.
- -
Non. Un juste ! Putain, Julie, tu lis pas le journal de Jérôme ou quoi ? T'as
autre chose de mieux à foutre le soir, peut-être ? Je comprends pas, dit David
en s'adressant à moi, comment tu peux continuer à fréquenter des gens qui
ne te lisent pas. Enfin, ça montre bien que t'es un des 36 Justes ! A
ce propos dans ton Journal, il faut que tu m'expliques la passage sur le
trapèze, le passage d'hier soir qui parle du trapèze, c'est très beau.
- -
Ô tu sais parfois ce n'est pas la peine d'attendre qu'ils plient le chapiteau.
Tu es sur le trapèze et tu t'aperçois que ta partenaire s'est envolée,
redescendue par l'échelle, je veux dire qu'il n'y a personne pour te
rattraper, pour te recueillir. La haute voltige ça se rétame bien vite la
gueule faute d'être deux. Alors après, ils peuvent bien démolir le chapiteau,
t'en as plus à rien à foutre.
- -
Et la partenaire qui s'est envolée...Elle est retournée...Elle est retournée
parmi les clowns...???
- -
Parmi le sourire des clowns.
- -
Ah !
- -
Le sourire des clowns qui n'est jamais un sourire à une face.
- -
Ah !
- -
Dans le sourire du clown balance le souvenir du trapèze vide.
- -
Mais Jérôme, c'est terrible !
- -
Et c'est quoi la particularité d'être un des 36 Justes ? s'enquiert
Julie.
- -
La solitude, réponds-je.
- -
Bhein oui Julie, s'anime David, réfléchit deux
minutes Julie ! C'est la solitude ! Y a pas de machine à café
pour les Justes ! Le matin les 36 Justes ils se retrouvent pas à la
machine à café pour discuter le coup. D'ailleurs ils se retrouvent pas. Y a que
Dieu qui y voit clair dans toute cette zone à laquelle on participe. Hey,
matez la fille là-bas elle a de bonnes gougouttes comme j'aime ! Vous avez
vu comme ça remue, comme les tétons doivent se sentir à la fois portés et
comprimés, c'est la liberté et son contraire !
- -
Oui, c'est Saint Just, dis-je.
- -
Mais elle a un trop petit cul ! Remarque David. En même
temps l'avantage des filles qui ont un petit cul c'est que t'as
l'impression d'avoir un gros sexe ! Quand je baisais X, c'était ma première
fille à petit cul, j'avais l'impression d'avoir un sexe énorme !
- -
Pourquoi la taille est si importante ? demande Julie.
- -
Parce que ce sont les soldes, réponds-je.
- Je
quitte un instant la petite troupe, mon verre de Martini blanc à la
main, et m'approche de David (P) que j'ai repéré à quelques mètres de là,
adossé contre une colonne près de l'escalier qui conduit
aux vestiaires. Dans l'intervalle je regarde sur mon téléphone si j'ai
reçu un message.
- -
David, je voulais te demander, tu te souviens de cette fille qui habitait
l'immeuble...Une eurasienne très belle, fine comme la pluie, très douce et très
altière à la fois, aux longs cheveux noirs...
- -
Oui je vois de qui tu veux parler...Enfin très belle, ça ne concerne que toi...
- -
Tu ne la croisais jamais dans le hall ?
- -
Si, bonjour au-revoir, entre deux portes. Pas plus belle qu'une autre. Normale
quoi. Chaque jour je suis certain que tu en refuses des dix fois plus jolies !
- -
Hum. Mais dans le hall, elle t'a déjà souri, et ça ne t'a rien fait ?
- -
Rien du tout.
- -
Alors pourquoi moi ça me fait tant ?
- -
Je sais pas. T'es peut-être malade."
- 17.01.06
- Est-ce qu'on peut s'arrêter pour pleurer ?
-
- Est-ce
que c'est toi - qui passe sous la pluie,
- Qui
a volé mes mains pour la journée ?
- Ou
bien n'ai-je pas su les retirer du feu à temps ?
- Avant
que je ne sois fasciné.
-
- Et
ces grandes parties muettes qui émergent dans l'existence
- Par
la vitre de la voiture
- Je
sais maintenant les habiter.
- Est-ce
qu'on peut s'arrêter pour pleurer ?
-
- Ton
rire sert de coupe-papier, ton absence de déchirure,
- Est-ce
qu'on peut aborder comme ça des femmes dans la rue
- Pour
leur demander de dormir dans leurs bras ?
- C'est
une façon comme une autre d'aborder l'existence,
- Tu
me diras.
- Le
soir est apporté par quatre brancardiers,
- Me demanderas-tu
encore d'entrer et de sortir par une porte qui n'existe pas ?
- J'écris
une histoire qui ne pourra être lue que chuchotée
- Qui
parle de remonter tes jambes et d'atteindre ton sexe,
- Et
de boire longuement
- Sa
pénombre brune et rose.
- Avant
d'atteindre la région de tes lèvres où j'irai porter mes baisers,
- Avant
d'aller vers la falaise de ne jamais s'aimer autant que maintenant,
- Est-ce
qu'on peut s'arrêter pour pleurer ?
- Le
jour est cru pauvre amour,
- Ton
rire appelle déjà demain,
- Tu
dis qu'il nous faudrait pouvoir accorder l'immunité à certaines personnes
- Qu'il
ne leur arrive jamais rien.
- La
maison où tu es née borde la nationale.
- Qui
de valable en ce monde,
- Pour
accepter la sympathie du vent
- Sans
prendre peur ?
- Est-ce
qu'on peut s'arrêter pour pleurer ?
-
- Je
cherchais dans Paris pourquoi il pleuvait tant
- Et
j'ai vu cet enfant au sommet d'une grande roue
- Verser
ses pleurs.
- Dans
le moment où il s'est retrouvé seul et où il a décidé que ça méritait bien de
pleurer
- Dans
ce court moment de suspens,
- Qu'on
reconnaît chez les enfants,
- Entre
l'étonnement de s'être blessé et le dénouement de céder à la douleur,
- C'est
là que j'ai décidé,
- D'habiter.
- Passe
me voir de temps en temps.
Mes mains, qu'en as-tu fait ?
- J'aimerais
bien regarder sous ton pull si elles sont aussi incandescentes
- Que
lorsqu'elles me brûlaient.
- Brûlaient
de ne pas te tenir.
- Je
ne tenais plus de ne pas te tenir.
- Et
je ne pouvais expliquer ça à personne sérieusement.
- Tout
le monde serait passé d'un sujet à l'autre,
- De
toi à ce taxi qui mettait un temps fou à venir,
- A
ce type à convaincre de nous donner son aide,
- Au
ciel qui chavire et il faut s'abriter
- Tout
cela ne m'est pas supportable tu sais.
- Est-ce
qu'un jour je passerais à une autre que toi
- Aussi
facilement.
- Ce
ne sera pas de ma faute tu sais,
- Ce
ne sera pas de ma faute.
- Avant
que l'on prolonge le moment de se perdre,
- Avant
qu'à d'autres on parle de l'immortalité,
- Est-ce
qu'on peut s'arrêter pour pleurer ?
- 22.01.06
- Le monde, le mat, le soleil.
-
- Pour
la conception d'une chanson avec les répétitions qui s'espacent à intervalle
d'une semaine souvent, la nécessité des mots sur ce qui semble insurmontable,
les urgences à dire, varient en cours de route ; les mots qui se
hurlent prennent du plomb dans l'aile ; et donc il en faut trouver de
suffisamment solides qui tiendront le choc malgré et au-delà la démission de
tout ce qui nous entoure. Malgré et au-delà la démission des impressions,
des élans et des blessures, qui font émerger ces mots. Malgré la
démission d'un sourire qu'on voulait hors de portée de ce qui passe, de ce
qui tue ou pour le moins déçoit. Une des grandes leçons de
l'existence tiendrait d'ailleurs dans l'idée que ce qui déçoit, passe.
Mais aussi pour moi, à un certain niveau d'intimité et d'engagement, ce qui
passe : déçoit.
-
- Vendredi
après-midi dans la verrière du Café de Flore : jeune femme aux longs cheveux
noirs attachés dont quelques mèches tombent (pour le plaisir des doigts),
une peau très blanche, des bras longs et fins - à demi-nus sur un pull gris aux
manches retroussées ; elle tient dans ses mains - qui ressemblent
à des étoiles de mer, une tasse de thé brûlante ; il y a trois oeufs durs posés
sur sa table ; elle lit des feuillets, des épreuves ? -
celles qu'elle pourrait me faire subir (à en rougir).
-
- Elle
me demande mon interprétation d'un tirage que lui a fait
Jodorowsky mercredi dans un Café. Le monde, le mat, le
soleil.
Je lui en donne une différente chaque jour.
-
- Ces
dernières nuits furent traversées les yeux fermés de se parler. Oui, c'est
cela. Les yeux fermés de se parler. Quatre, cinq nuits d'affilée. Nous ne
pouvions plus faire autrement.
- Et
dans la journée la fatigue passait toute seule, c'était de la bonne fatigue. La
vraie fatigue c'est la nuit que nous n'avons pas passés l'un à l'autre pendus,
la vraie fatigue c'est soudain et toujours redoutée : l'interruption.
-
- 23.01.06
- Au Fumoir avec Lysa, tandis que
Paris verse dans le sommeil, dimanche nuit. Nous buvons des Martini (ice-cold
Martini, en l'honneur d'Uma Thurman dans le film Beautiful
girls)
puis des chocolats chauds. Comme le coeur passe parfois par-dessus les lèvres,
elle inonde d'un fond de chocolat la mousse blanche qui palpite en
surface.
- Pour
les nouvelles chansons. Le désir d'aller encore plus loin dans ma recherche (la
recherche d'un refuge ?) mais vu le sort que la plupart des
programmateurs radio, du moins ceux qui ont le pouvoir de faire un succès ou
non, réservent à Comme elle se donne qui est quand même un
méchant bon single, je me dis que ça va être difficile de faire exactement ce
que j'ai envie de faire et surtout à la vitesse que je le souhaiterais. Il
y a les délais de la confidentialité à subir. Si le titre passe en radio -
conditions la plus fulgurante pour que les ventes s'accélèrent - alors je
gagnerais en liberté pour poursuivre mon travail, en réduisant ainsi les
distances qu'il y a entre les idées que j'ai, les désirs de chansons, et le
moment où elles verront le jour ; une distance qui souvent
ébranle mon travail, me blesse, m'insécurise.
- Avec
le groupe nous pourrions tenter le single facile, une superproduction
de rien dans l'unique but de séduire le grand nombre (des
programmateurs) et ainsi pouvoir dévier sur des choses plus profondes la
partie du public qui dépassera l'objet ; mais là encore c'est une
stratégie dont je ne suis pas capable, j'ai besoin que tout participe à quelque
chose de plausible, c'est dans ce sens d'ailleurs que je dis souvent à propos
du disque que je n'y ai fait aucune chanson qui soit de divertissement.
Peut-être Le pays des filles qui sentent bon, et encore...
- Tous
les jours c'est le combat pour faire gagner la cause des chansons. Et
toutes celles et ceux qui ont envie de me voir continuer à travailler - les
disques, le Journal, les concerts - sont invités à secouer l'arbre aux
indifférents, à propager le feu.
-
- 24.01.06
-
- Ce soir l'interruption d'une semaine de nuits
blanches.
-
- Elle
m'a rendu malheureux l'interruption. Je savais qu'elle viendrait d'elle. De moi
c'était impossible. L'interruption viendrait d'elle. Les jambes de cette course
effrénée l'un vers l'autre seraient coupées. La fatigue m'apparaîtrait
nouvelle, me resterait entière.
- 25.01.06
- Je suis pris entre deux
feux. Celui qui donne et celui qui enlève. C'est très difficile d'être pris
entre deux idées du feu. Celui qui avance et celui qui réduit en
cendres. Au milieu de la violence incohérente de journées et de
nuits sans refuge je voudrais m'accrocher à mon travail
; qu'il m'emporte loin du feu quand c'est un feu qui enlève, au
coeur des flammes quand c'est un brasier qui réchauffe. Je
voudrais m'accrocher à mon travail mais je m'aperçois que mon travail, c'est le
feu même.
- Je foudroie du regard un
type qui, Place Jean Lorrain, donne des coups à un arbre pour rengainer une
canne amovible. Puis je vais caresser l'arbre du plat de ma main à l'endroit du
coup. Oui, comme Nietzsche va pleurer à l'oreille du cheval battu. Sauf que le
canasson peut toujours ruer et l'arbre ne peut rien faire - que durer plus
longtemps que les hommes pour se défendre. Qui a déjà versé dans la mélancolie
sait que c'est la plus boîteuse des défenses. Alors je vais caresser l'arbre.
Comme Nietzsche (en plus sexy). Et cette phrase de Nietzsche : Ce
qui ne nous tue pas nous rend plus fort, c'est vraiment la phrase d'un puceau ; d'un
puceau qui n'a jamais connu l'amour, son absolu et sa démission ; qui
ne s'est jamais donné corps et âme dans le vertige de l'autre, qui n' a
jamais risqué sa peau pour la passion.
- Pour le rock'n
roll : Hurler dans le temps d'un concert est plus solide que passer dans
le temps de la vie.
- 26.01.06
-
- Dîner
au Fumoir d'un club-sandwich pour deux et d'une multitude, d'une fontaine
bien délibérée, d'ice-cold Martini. Je dis à Lysa : Attention, dès la
deuxième fois c'est de l'ordre du rite incompressible." Ensuite, sous un
Paris désertique en raison des températures glaciales, elle
m'entraîne jusque sur les Champs Elysées pour acheter mon disque,
reprenant ainsi la portion de la rue de Rivoli à l'endroit exact
où nous l'avions laissé en juin dernier.
- Stéphane
furibard puis, assez rapidement, furidoux. Je lui dis : voilà, pour toi,
j'invente l'adjectif : furidoux. Le pont des Arts
que j'enjambe en un souffle. Ma Nouvelle qui sortira dans un
mois dans la revue Bordel s'appelle : Le
poids de l'existence vu d'une chaise d'arbitre de Tennis. Je l'ai écrite en août
dernier. Dans le temps mort entre l'enregistrement du disque et la
série automnale de concerts. Il y a toujours la grande inconnue des délais
quant au travail, la sagesse du temps ou bien sa rigueur, son désarroi ; est-ce
que quelque chose écrit en août est toujours aussi brûlant, participe de la
même urgence, six mois plus tard ? Dans le cas de ma Nouvelle, oui. Il y a
toujours la même urgence à dire l'insupportable beauté de
l'amour fou.
- Et
dire aussi que, tant qu'on a de forces, il faut lutter contre la tentation de
la disparition.
- Il
y a également les délais des émissions de télé, enregistrées souvent plusieurs
semaines, des mois à l'avance, et qui rappellent le moment de leur
enregistrement, ce qui nous occupait ou nous démontait l'esprit, les
sédiments du quotidien, tout cela cristallisé sur mon pauvre visage et
que je retrouve en allumant le poste comme si c'était du pur
présent.
- Ces
bonds en arrière parfois me rendent triste. Bonds à rien en arrière.
- Je
demande à Philippe (Besson) s'il est possible d'écrire Agatha ou La
maladie de la mort, sans devoir faire au préalable Le barrage
contre le pacifique. Voilà j'aimerais beaucoup écrire La
maladie de la mort, immédiatement, sans l'encombrement du barrage. Impossible, me dit
Philippe, goguenard et malicieux, il faudra d'abord faire le barrage ! De toute façon lui
réponds-je, tous les gens qui écrivent, je veux dire qui écrivent réellement,
écrivent Le navire night sans le savoir.
- 28.01.06
- Ballade
pour l'insomnie.
-
- Sortir
du lit est un projet.
- 1h18.
3h40. 5h29.
- Dernier
métro. Premier métro.
- Penser qu'elle
n'existe peut-être jamais qu'à l'état de délivrance.
- D'un
seul côté.
- Se
tourner. Changer de côté.
- Apprendre
que les fantômes se traînent, puis quand ils ont fini de se traîner,
- Savoir que
les poubelles se roulent.
- Vérifier
tous les téléphones.
- Les
yeux frits.
- Laisser
des messages à personne.
- Trouver
un angle et le détruire. Trouver un coin et l'abolir.
- Pas
un seul livre qui ne convienne, et pas un souvenir qui n’apaise.
- Aucune
perspective qui guérisse.
- La
tête qui bat plus violemment que le coeur.
- Les
sanglots amers de la nuit.
- Blessure des
blessures, reine déshydratée.
- La
fièvre s’invite à la fête.
- L'envie
de se tuer qui passe.
- Bailler
plus grand que son visage.
- L'absence
saillante comme une écharde, et lancinante comme une foule.
- Ce
que Giacometti a fait de l'anecdote d'un départ.
- Ca
lui aurait coûté quoi à cette conne de revenir en arrière et de lui rouler
une pelle ?
- Un
bon coup porté à l'histoire de l'art, mais quand même, il y a des
circonstances où on en a un peu rien à foutre de l'Histoire de l'art.
- On
peut d'ailleurs très bien la confier au Caravage ou à Velazquez,
- Et
son énigme à Piero (Della Francesca).
- Trouville
sur mer, qu'est-ce que viens faire Trouville sur mer dans mon insomnie ?
- Ses
mains sont des cataclysmes quand elles sont loin de ma vie. Dites-lui.
- Le
jour prédit - dans son insupportable confiance en lui-même : une
autre nuit.
- Vouloir
se foutre par la fenêtre mais il fait trop froid pour l'ouvrir.
- Premier
métro. Dernier métro.
- Je
ne peux pas me reposer sur elle,
- C'est
ce que vient me dire à l'oreille,
- La sombre
voix de l'insomnie.
-
- 30.01.06
- Bosses laissées à la seule connaissance des
lèvres.
- Il faudrait que la
saison des clémentines dure toute l'année ; il faudrait plus d'un orage pour
débarbouiller le coeur ; il faudrait que les programmateurs des radios en
France se décident à passer Comme elle se donne à fond les ballons
(multicolores) ; il faudrait que je puisse renverser les carences en magie
de l'existence, par ce que je produis, ce que je touche ou, plus précisément,
par la façon dont je touche ; il faudrait que j'arrête d'être blessé par
de fausses impressions ; il faudrait que, pour Olivier, Pauline rentre de
New York maintenant, cela a assez duré ; il faudrait que j'évite
d'être triste de n'avoir aucun signe de mon papa depuis sa disparition
terrestre il y a deux ans ; il faudrait que j'arrête d'y penser la nuit, ou
alors pas sans consolation ; il faudrait qu'avec le groupe nous écrivions
une chanson aussi jolie que Lime tree arbour de Nick Cave ; il
faudrait que je trouve quelqu'un en qui croire pour en écrire le
texte et elle apparaîtra peut-être plus facilement ; il faudrait que
X vacille de ne pas s'endormir dans mes bras ; que son coeur plie bagages,
fasse ses valises, se désolidarise de sa tête parfois, que ses bras
découragés fanent de ne pas être à moi ; il faudrait que ça la
brûle à un degré comparable au feu qui dévore et efface mes
mains de ne pas la tenir la nuit, de ne pas s'arrimer à son dos, son
front, de ne pas caresser son sexe et englober ses seins ; il
faudrait qu'en pleine ville, une après-midi, il y ait des grâces même en
trombes comme un jour de pluie soudaine ; il faudrait que Pollie Jean remette The
dancer
dans la set-list de ses concerts, et c'est promis je ré-envisagerais La
pornographie ; il faudrait une joie et une confiance qui me
fassent inventer des rites magiques chaque jour comme le voeu
exaucé si on ne se retourne pas tout le long de la rue Visconti,
ou toucher le pied du Centaure de César qui, comme l'Histoire de France,
a pléthore de balais dans le cul ; il faudrait que je puisse pour mon
prochain album écrire une chanson magique qui, pour
qui l'écoute, obligera instantanément la personne à qui l'on
pense à nous téléphoner ou nous rejoindre sans délai, à faire un signe pour
notre survie (bancale), pour plier les faiblesses du jour, ce sera la chanson magique, elle sera dans le
disque, bien sûr je ne dirais à personne à quel emplacement, ça incitera
tout le monde à écouter l'album dans son intégrité, et ça
marchera ; il faudra bien que ça marche, un jour ; il faudrait qu'il y ait
un peu plus de vie par vie ; il faudrait qu'il y ait des tapis roulants pour le
travail, des tapis volants pour les rencontres (mauvaises ou bonnes), et des
tapis à se rouler dedans pour les grandes amours ; il faudrait
qu'elle me laisse l'embrasser partout, dans tous ses coins, tous ses replis, et
sur les bosses invisibles à l'oeil nu, les bosses laissées à la seule
connaissance des lèvres ; quitte à laisser ma bouche en elle
toute une journée entière ; il faudrait que j'écrive un seul roman comme
Charles Laughton a fait un seul film et ce fut : La
nuit du chasseur ; il faudrait que je passe une journée entière, oui, avec
elle, une journée entière fermée aux autres pour faire l'inventaire de ses
grains de beauté ; il faudrait qu'on me parle de mes chansons le coeur
tremblant comme le fit la jeune étudiante allemande de Marly Le Roi ;
il faudrait que je choisisse un jour entre accorder trop d'importance aux
blessures et être blessé de ce que le temps justement leur retranche
de l'importance ; il faudrait que je fasse de mon prochain concert quelque
chose d'intense.
- 01.02.06
- Je
me souviens avoir inventé pour elle l'histoire de l'héroïne russe prise au
piège des guerriers Tatars et qui hurlait sous les liens (et sous l'emploi du
temps, et la grisaille parisienne) :
- -
Je pourrai endurer les pires tortures du moment que j'épouse un type qui a de
belles mains."
- 02.02.06
- Schopenhauer.
- On
m'a transféré un lien vers le blog d'une jeune
femme qui s'interroge à propos d'un passage de mon Journal et dont le
petit texte commence par : Si prétentieux
et suffisant, et pourtant que j'adore. Malgré le petit effroi que me font les deux
premiers adjectifs, je trouve la fin épatante et suis heureux
à l'idée que lorsqu'on m'adore, on dépasse les premières impressions
d'agacement.
- En
même temps je n'ai jamais l'impression d'être prétentieux. J'évolue souvent
dans des sphères où la plupart des gens que je rencontre sont à mon
sens mille fois plus prétentieux que moi en valeur de ce qu'ils font
(d'accord, je reconnais la probable prétention de cette phrase) ;
et je crois encore moins pouvoir être taxé de suffisant
- pour la simple et bonne raison que, pour moi, ce n'est jamais
suffisant. Hé bien oui, c'est pour ça que je continue, parce que je trouve que
ce n'est jamais suffisant ! Voyons !
- Il
est vrai que je ne m'interdis pas grand chose dans l'écriture de ce Journal car depuis le début de
cette expérience j'ai eu le sentiment qu'il fallait miser sur la
sensibilité des lecteurs, sur leur attachement, et j'aime beaucoup les lecteurs
assidus, de longue date ou plus récents mais qui font de ce Journal une visite récurrente
dans leur vie, car ainsi je peux aller directement au but, je n'ai pas à
expliquer mon attitude, à craindre quoi que ce soit, pas besoin d'encombrer le
texte de smileys pour signifier l'ironie par exemple, je peux me permettre
beaucoup de choses, et avec le temps jouer aussi sur ce que je suis devenu et
où je voudrais aller, en écri-vivant.
- L'idée,
dès que j'écris peut-être, c'est pour chaque entrée trouver une
issue dans le labyrinthe de ces huit ans de Journal. Heureusement c'est
impossible, parfois cela me tue.
- Pour
la prétention je conçois que chacun, à l'aune de ce qu'il vit et de ce qu'il
ressent, puisse trouver certains de mes passages un peu forts et
encore j'avance toujours librement car je me dis que les personnes qui
pourraient me faire un tel procès n'iraient de toute façon pas s'encombrer à
lire plus de trois lignes. Cela étant, je suis très heureux de
cette jolie phrase qui se clôt sur : mais pourtant
que j'adore, cette idée de transcender, de faire exception, d'échapper à la
règle, me ravit et ne vas pas - j'aime autant le dire - me guérir
tout de suite de ma prétendue prétention.
- Le
problème de l'image est toujours vaste et complexe : quel problèmes ou quelles
attentes vis-à-vis de soi met-on dans l'idée que l'on se fait de l'autre ?
Pour l'amour, on fourre tout évidemment. De manière suicidaire quand c'est bien
fait. (je pense cela à moitié)
- Dans
les critiques musicales qui courrent sur le net par exemple,
je suis souvent effaré par le caractère léger, superficiel, les
raccourcis qui sont pris, principalement quand ça vient de chroniques
du disque ou de mon travail. Parfois j'aurais bien envie de faire une
rubrique sur ce site : "Critique des critiques" mais déjà quand
je lis un texte de Michel Foucault sur scène, les gens avec lesquels je
travaille hurlent et m'en font la remontrance, alors je vais attendre
un peu pour mon idée de rubrique...
- Il y
a un moment où je ne peux plus lire un article sur moi sans qu'y soit
apposé le substantif : Dandy. Quelles idées et quelles réalités fusent dans la
tête de ceux qui emploient ce terme à mon sujet ? Je reconnais que je suis le
premier, il y a quelques années de cela, à avoir écrit une chanson
qui s'intitulait : Le Dandy laisse sa peau mais jamais sa
chemise aux vestiaires. Plus tard j'ai fait une chanson qui s'appelle Le
jeune homme changé en arbre, et bizarrement personne ne parle de moi en
disant : L'arbre Jérôme Attal. La plupart continue à dire : Le dandy Jérôme
Attal. C'est là que je m'aperçois que j'ai un peu râté mon coup. Oui, personne
à mon sujet ne parle d'arbre - même celles qui m'ont planté. En fait je ne
suis pas outrancièrement surpris de récolter parfois des critiques très
superficielles sur le disque, même si, sur le moment, cela peut me paraître
blessant. J'arrive à l'âge où les journalistes sont les lycéens d'autrefois que
j'ai fréquenté et qui en classe à mes côtés faisaient des exposés oraux.
Je veux dire : Schopenhauer se serait peut-être offusqué s'il avait pu
assister aux dix minutes de prises de parole durant lesquelles la petite
Aurélie Arnaut a synthétisé à sa sauce Le monde comme volonté
et représentation. Alors, faute de trouver du temps pour le lire, je pense souvent
à Schopenhauer en lisant les critiques de Comme elle se
donne.
- En
ce moment, travail acharné, brûlant et préoccupé, sur de nouvelles
chansons. Dans l'idéal il y en aura deux de prêtes pour le grand
concert du 1er mars au Café de la Danse. J'essaie toujours d'aller plus
loin dans ce que j'aimerais faire pour les chansons, et ça ne va pas
forcément vers la plus grande facilité commerciale, du moins dans la direction
où elle est dictée. Alors comme je sais que le disque actuel se vend à
petit feu (cela est dû à plusieurs raisons qui malheureusement s'additionnent),
et qu'il faudrait que les ventes soit multipliées au moins par dix, par vingt,
que les radios entrent dans la partie pour que ce soit l'embrasement, et
que pour l'instant cela reste confiné à un petit cercle d'initiés, quand je
parle avec les gens qui travaillent avec moi et qui investissent sur le projet,
au lieu de parler de mon travail en cours, des directions que
je souhaiterais prendre, des idées qui me viennent, j'ai toujours envie de
m'excuser de n'être pas Ricky Martin.
-
- 03.02.06
- Du courage pour rien.
Courrier qui s'accumule auquel il faudrait que je réponde. Aucun repos depuis
longtemps. Les soirées ont leur lenteur désarmante, les visages sont traversés
comme les chambres d'une même suite. Personne à retrouver. Je regarde les gens
dans la rue ou dans les fêtes et je me demande comment font-ils pour tenir
le coup, pour exercer leur part, s'il n'y a pas derrière la mécanique
et la sauvegarde d'un grand amour. J'ai toujours eu la
sensation que les activités humaines n'étaient que marionnettes
aux ficelles de l'émotion d'un grand amour. Autrement, que de détours
invivables. De turbulences pour du vent. Autrement, on ne cesse de rentrer dans
le décor. L'urgence d'hier s'est perdue en route, l'idée de se fixer (un
rendez-vous), les baisers comme bouquets de roses dans la ville fluide ;
tout cela s'en va un jour. Et ce qu'on inventait pour l'autre n'est que
souvenir crevé ou sourire enseveli sous les larmes ; on s'amuse
tristement du passé, on se réduit à des photos. Même prendre un repas froid est
épuisant. Les monuments qui disparaissaient comme une salière d'une table
dressée, retrouvent leur place dans le quotidien. Les carrefours reviennent
s'imposer avec leurs statues, leurs fontaines et leurs encombrements. Tout
reprend sa fonction passagère. Le labyrinthe n'a plus de sens. Le corps de
l'aimée ne fait plus jonction. Que tout paraît lent quand le coeur n'est plus
précipité.
- 04.02.06
- Le
hasard vit de petits larcins, rarement de coups de maître.
- Seul l'intensité
amoureuse permet de nous faire vivre au-dessus de nos moyens, mais
également, et c'est de là que vient le tragique, au-delà de nos
possibilités.
- 05.02.06
- Un
nénuphar dans l'emploi du temps.
- Sur
son répondeur je laisse le message suivant : Que tenir à elle me guérit des
petits déraillements de la vie, et que le grand déraillement, lâche et muet, et
n'en finissant pas de se fracasser dans le vide sera celui où, à bout de
forces, je n'aurais plus besoin d'elle pour me guérir des petits déraillements.
- Et
aussi qu'il faudrait qu'elle vienne dormir avec moi la veille de ne pas se
voir pendant quelque temps, que son odeur imprègne mes nuits jusqu'à ce qu'elle
s'efface totalement et alors ce serait le signe de son retour, là, juste
avant le dernier point d'effacement.
-
- J'aimerais
que le disque fonctionne puissance mille comme avec le groupe, Olivier et
Rodolphe, nous pensons qu'il le mérite, et qu'ainsi on m'offre
la possibilité d'en faire un nouveau rapidement. J'ai l'urgence
à crever de nouvelles chansons à émettre. La seule chose qui me travaille
à intensité égale du chemin pour arriver à déployer le coeur de
X comme un nénuphar dans l'emploi du temps est le continent inexploré des
chansons à venir, que je perçois, que j'aborde et qu'ensuite avec le
groupe nous changeons en forteresse et en issue, en éternité
prêt-à-porter.
- Mais
tout me semble si difficile et si lent ; toute attention paraît tellement diluée.
Les gens qui pourraient nous aider véritablement font languir leurs
échelles. Il faut frapper au carreau tous les jours avant qu'on se décide à
vous ouvrir la porte. Et quand bien même elle serait grande ouverte,
ça participerait peut-être au courant d'air. Les choses existent avec le
vent.
- Je
n'ai pas envie de faire des disques pour les étagères. L'idéal pour un disque
serait de contenir le suivant à l'état de question. Il faudrait que chaque
nouveau disque soit comme un dernier amour ; dans l'idée que le dernier amour
en date semble toujours le plus impérieux et le plus cruel
; le plus léger et aussi le plus insurmontable ; et devant tant
d'intensité on est prêt à donner sa mémoire à ceux qui n'en ont pas, toute la
pile des disques précédents je la donne contre cette chanson qui tournera en
boucle dans la voiture le temps que j'aille là où je dois me
rendre ; je serai prisonnier d'un disque comme du désir d'un corps
qui nous fait vivre au-dessus de la réalité des corps ; oui, l'amour
nous fait vivre au-dessus de la réalité des corps ; que les chansons vibrent,
que le ciel se découvre, et que le coeur de X s'ouvre pour moi
comme un nénuphar dans l'emploi du temps. Fatigué de ne pas atteindre au degré
où je le souhaite (très haut bien sûr), usé de ne pas l'emporter, c'est
l'hiver épuisant où je me serais battu contre la tentation que rien n'a
d'importance, contre la tentation de penser que nous sommes faits de
passages qui ne coïncident guère et ne débouchent sur rien ; malgré
l'épuisement je dois continuer à travailler car jamais je ne renonce au vertige
d'être plus solide que le vent.
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