La Seine

APOLLINAIRE, ALCOOLS, « LE PONT MIRABEAU »

Sous le pont Mirabeau (1) coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

APOLLINAIRE, Alcools (1913), « Le Pont Mirabeau », © Gallimard.

MEUSE

Péguy a mis dans la bouche de Jeanne d'Arc, née à Domrémy sur la Meuse, les vers bien connus :

Adieu Meuse endormeuse et douce à mon enfance
Toi qui demeures aux prés où tu coules tout bas
Adieu Meuse! j'ai déjà commencé ma partance
Vers des pays nouveaux où tu ne coules pas.

GARONNE

Claude Nougaro
C'EST UNE GARONNE


Moi mon océan
C'est une Garonne
Qui s'écoule comme
Un tapis roulant

Moi mon océan
C'est une Garonne
La grande personne
Dont je suis l'enfant

Ma Diterranée
C'est une Garonne
Née comme trois pommes
Dans les Pyrénées

Un berceau de roc
Pour un filet d'eau
Trois syllabes d'oc
Et vogue le flot

C'est une Garonne
C'est une Garonne

Moi ma mer Egée
C'est ce fleuve lisse
Dont je suis l'Ulysse
Sans exagérer

Le ciel sur son dos
Et la pollution
Allant à Bordeaux
Trouver solution

Moi ma caravelle
C'est sa rive belle
Là où l'hirondelle
Vient pondre son oeuf

Ma vague émeraude
C'est une Garonne
Quand elle se fait chaude
Au bras du Pont-Neuf

C'est une Garonne
C'est une Garonne

Et faut pas qu'oublie
Quand elle bouillonne
Comme une amazone
Chevauchant son lit

Mon Old Man River
C'est une Garonne
Quand elle ronronne
Tout près de mon coeur

Ma mer océane
C'est une Garonne
Quand elle résonne
D'un air de tam-tam

C'est une Garonne
C'est une Garonne
C'est une Garonne...


Le Rhin:Apollinaire : Alcools :

La Loreley

A Jean sève

À Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde

Devant son tribunal l'évêque la fit citer
D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté

Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcelerie

Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri

Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie

Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley
Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé

Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège

Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien

Mon coeur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j'en meure

Mon coeur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là
Mon coeur me fit si mal du jour où il s'en alla

L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu'au couvent cette femme en démence

Vat-en Lore en folie va Lore aux yeux tremblant
Tu seras une nonne vétue de noir et blanc

Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatre
la Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château

Pour me mirer une fois encore dans le feuve
Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves

Là haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley

Tout là bas sur le Rhin s'en vient une nacelle
Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle

Mon coeur devient si doux c'est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin

Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Apollinaire, Alcools, La Loreley

Apollinaire : Alcools : Mai

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j’ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières

Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s’éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment

Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes

Apollinaire, Alcools

Les sapins


Les sapins en bonnets pointus
De longues robes revêtus
Comme des astrologues
Saluent leurs frères abattus
Les bateaux qui sur le Rhin voguent

Dans les sept arts endoctrinés
Par les vieux sapins leurs aînés
Qui sont de grands poètes
Ils se savent prédestinés
A briller plus que des planètes

A briller doucement changés
En étoile et enneigés
Aux Noëls bienheureuses
Fêtes des sapinsensongés
Aux longues branches langoureuses

Les sapins beaux musiciens
Chantent des noëls anciens
Au vent des soirs d''automne
Ou bien graves magiciens
Incantent le ciel quand il tonne

Des rangées de blancs chérubins
Remplacent l''hiver les sapins
Et balancent leurs ailes
L''été ce sont de grands rabbins
Ou bien de vieilles demoiselles


Sapins médecins divaguants
Ils vont offrant leurs bons onguents
Quand la montagne accouche
De temps en temps sous l''ouragan
Un vieux sapin geint et se couche.

Guillaume appolinaire