La fenêtre

Scène 1

Une façade avec trois fenêtres balcons. La fenêtre de droite et celle de gauche s'ouvrent, Hyppolite apparaît dans l'une et Carlos dans l'autre. Par des gestes analogues, ils grimpent la rambarde et s'apprêtent à sauter.

Hyppolite

Bonjour, belle journée, n'est-ce pas?

Carlos

Oui, tout à fait.

Silence.

Bien qu'elle pourrait être meilleure.

Hyppolite

Oui, si ce n'est quelques petits détails sans importance.

Carlos

Dont on se passerait bien, faut bien l'avouer.

Hyppolite

Des détails agaçants.

Carlos

C'est le moins qu'on puisse dire.

Hyppolite

Des détails qui vous gâchent la vie.

Carlos

Qui vous poussent à en terminer avec la vie, carrément.

Hyppolite

Très juste.

Carlos

Bon, allez, finissons-en.

Hyppolite

Allons-y, à trois. Un...

Hyppolite et Carlos

... Deux... et... trois !

Ils n'ont pas bougé.

Hyppolite

J'ai écrit une lettre d'adieu. Je crois que je l'ai assez bien réussi. Vous voulez l'entendre ?

Carlos

Oui, bien sûr.

Hyppolite

« Après des nuits blanches et des jours d'épuisement mental, physique, spirituel et sentimental ; une réflexion approfondie sur l'existence et surtout le néant de l'existence à cause de l'absence d'une femme, que je ne nommerai pas, je suis arrivé à la conclusion qu'il était nécessaire pour ne pas dire indispensable de mettre fin à mes jours, pour pénible qu'il ait été d'arriver à telle décision. »

Hyppolite et Carlos

Pour pénible, douloureuse et choquante que puisse paraître à ma famille, mes amis, mes collègues, mes voisins, mes connaissances, l'exécution de cette décision ; je me vois dans l'obligation de la mettre à l'œuvre.

« Ainsi donc, je dis à tout mon entourage : je... »

Hyppolite

Vous l'avez déjà lu, ma lettre d'adieux ?

Carlos

Non. Mais je la connais, j'ai écrit la même.

On entend des sirènes.

Carlos

Ecoutez, des sirènes.

Hyppolite

Les pompiers.

Carlos

Ca y est, ils viennent pour nous.

Le son des sirènes devient plus fort, puis diminue jusqu'à disparaître.

Carlos

Non. Ce n'est pas pour nous.

La fenêtre du milieu s'ouvre, Sygne apparaît.

Sygne

Salut, les hommes.

Elle commence à faire les carreaux.

Sygne

Qu'est-ce que vous faites ?

Hyppolite

Oh ! on prenait l'air.

Carlos

On admirait les oiseaux migrateurs.

Hyppolite

On s'est dit qu'il serait dommage de ne pas profiter du soleil.

Carlos

Puis on regardait les gens passer.

Sygne

Ah bon.

Sygne finit de faire les carreaux. Elle entre.

Hyppolite

Qu'elle est belle, ravissante...

Carlos

Ah ? c'est aussi la cause de votre futur... euh ?

Hyppolite

Oui, vous aussi ? ça alors ! quelle coïncidence.

Carlos

C’est instructif de rencontrer quelqu’un dans la même détresse que soi.

Hyppolite

Cela permet d’apprécier le suicide d’amour sous un angle différent.

Sygne réapparaît.

Sygne

C'est pas vrai, c'est pour moi que vous êtes là ? C’est à cause de moi que vous voulez en finir avec vos petites vies ? Ma foi, que c'est flatteur !

Hyppolite

Vous êtes un rayon de soleil qui illumine les tréfonds de mon âme. Un aura invisible dont la présence fait mal et dont l’absence me déchire. Un aura qui m’attire dans un champ d’orties, en brûlant ma peau elles me font hurler de bonheur.

Carlos

Acceptez mon sacrifice volontaire sur l’autel de mon amour dont l’infini se mesure à l’aune des cauchemars dont vous êtes l’héroïne.

Sygne

Que c’est beau.

Elle entre à nouveau, puis elle ressort avec trois verres et une bouteille de vin. Elle sert aux deux hommes et à elle-même.

A votre santé.

Elle boit.

Scène 2

Il fait nuit, Hyppolite et Carlos sont toujours chacun à sa fenêtre.

Hyppolite

Il est peut-être temps de rentrer.

Carlos

Rentrons.

Rideau.