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J’entrai dans la petite salle de réunions de notre laboratoire avec dix minutes de retard. Elle était vide, Gérard, notre directeur juridique, le seul juriste survivant du dégraissage qu’on nous avait imposé, n’était pas encore arrivé. Je m’installai avec mon gobelet de café, je sortis les dossiers que je devais voir avec lui. D’abord, le dossier d’homologation de notre nouveau produit, qui ne s’appelait encore que XD1001 - prononcez « x d dix zéro un » -, notre épine dans le pied la plus douloureuse. Il fallait obtenir son homologation avant notre départ pour Oslo trois jours plus tard, alors que les tests n’étaient pas encore terminés ; comment le seraient-ils, le XD1001 n’était pas encore au point. Gérard et moi devions jouer de toute notre influence, de tous nos amis, de tous nos contacts, de tout notre prestige, pour y parvenir. Et ce n’était pas encore gagné.

Ensuite, l’argent pour les filles. La maison mère, Norsk Industri, nous avait demandé de débloquer des fonds pour payer les deux call-girls qui allaient tenir compagnie aux deux Allemands de GTMC, candidat à l’achat de notre laboratoire, Laboratoires Martinez et Fils. Les Norvégiens n’avaient pas la possibilité comptable d’enregistrer le prix de passes et nous avaient demandé de dénicher dans la nôtre les liquidités nécessaires pour les payer, avec la promesse de nous rembourser. Vu la façon dont Norsk Industri nous avait pressurisés pour contribuer à redresser leurs résultats depuis deux ans catastrophiques, le seul endroit que Gérard avait trouvé était mon service. Les passes des filles allaient passer pour des frais de recherche. Gérard avait vu là le moyen d’une petite vengeance pour ce qu’ils nous avaient fait subir depuis quelques temps : il allait nous faire rembourser des frais que de toutes façons nous déduirions par la suite de nos impôts.

La porte s’ouvrit et Gérard apparut, d’une main il tenait son attaché-case et un sachet de viennoiseries, de l’autre un gobelet de café.