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Lucas "récupère" le bouquet
tricolore destiné à de Gaulle ... pour l'offrir à Mlle Carlier-Besnar dont
c'est l'anniversaire. Le clergé a déserté le choeur, les orgues se sont
tues. Le service d'ordre fait sortir le dernier flot de foule en demandant
l'identité de chacun. Nous sortons en troupe, ne possédant pas toutes nos
papiers sur nous. Et nous nous retrouvons à nouveau dans la cohue. Sur le
Parvis quelques chars sont encore là. On entend tirer d'un peu partout.
Tours Notre-Dame, maisons, toits de l'Hôtel Dieu. Ce crépitement de balles ne nous gêne plus. Nous respirons à pleins poumons l'air pur et frais de cette belle soirée d'août très ensoleillée. Sur la place, sur les ponts, derrière la statue de Charlemagne, dans les rues, les gens sont encore apeurés, accroupis, à plat ventre, à quatre pattes. Des voitures circulent à toute allure au milieu de cette foule paniquée.
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18h00 : Nous rentrons en groupe à la PP et restons un moment sous le porche. On amène une femme blessée à la jambe puis un de ceux qui ont essayé de tirer sur de Gaulle. Des FFI se jettent sur lui en l'injuriant. On en amènera quatorze paraît-il. Nous remontons à la crèche. Par la fenêtre d'un escalier donnant sur le quai nous voyons des femmes et des enfants encore blottis sous un gros camion militaire. Signes désespérés au conducteur à ce sujet. Il comprend enfin ... Ouf ! Coups de feu. Les balles sifflent. Sur les toits de la PP et de l'Hôtel Dieu des FFI , revolvers au poing, essaient de dénicher les tireurs des toits. Nous regardons un instant cette chasse à l'homme.
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18h30 : Des
gardiens nous demandent nos noms et adresses. Nous leur indiquons notre
bureau. Ils disent : "On vous reverra donc à la PP ?" Nous leur expliquons
que nous sommes à leur service et qu'ils peuvent nous trouver escalier H,
troisième étage. D'autres flics nous arrêtent encore :
- Quand tout sera fini, on n'entendra plus parler de vous toutes alors ? - Mais si, nous avons un bureau au Cabinet du Préfet, vous n'aurez qu'à vous y rendre - Mais alors, vous étiez déjà là avant la bagarre ? Première nouvelle pour beaucoup. Nous ne savons pas à quoi ont servi les brochures sur le Service Social, l'Entraide PP. Décidément ! Heureusement nous emportons la certitude que maintenant bien des gardiens savent que le Service Social à la PP existe. C'est un résultat qui nous remplit de satisfaction. 19h00 : Un FFI nous crie : "Personne ne doit circuler dans les couloirs, on fait l'épuration de la PP". Le personnel convoqué ce matin à 10h00 est à nouveau renvoyé. Qu'est-ce que ça veut dire ? Rien de bon certainement. Pourrons-nous rentrer chez nous ce soir ? C'est peu sûr. Mauser est d'une humeur de chien car sa femme n'a pu pénétrer dans la PP après le Te Deum pour le rejoindre. Toujours l'épuration. Nous rentrons au PC flapies, sans voix; chacune se laisse tomber sur un siège quelconque. Ce soir nous sentons réellement notre fatigue. Dernière réunion. Mlle Carlier-Besnar essaie de mettre au point la constitution de l'équipe qui assurera une permanence jusqu'au lundi. C'est peu facile. Elle voudrait faire reposer chacune. Comment concilier l'intérêt du Service et celui des unes et des autres ? Elle reçoit sans arrêt des coups de téléphone au sujet de la réouverture des Mess de la PP. La vie matérielle reprend le dessus. Les temps héroïques sont révolus. La vie normale va reprendre à la Préfecture. Tant mieux et tant pis. Tant mieux parce qu'il y a eu assez de sang versé, assez de souffrances et de fatigues, assez de petites histoires pas toujours très belles autour de nous et entre nous. Tant pis parce que nous toutes qui avons vécu ces heures inoubliables, nous ne saurons certainement plus faire équipe d'une façon aussi intense lorsque nous aurons repris le petit train train journalier, nos occupations habituelles et que les semaines auront passé. Tout cela est humain, hélas ! Bientôt la dislocation. Plusieurs des nôtres sont déjà reparties à pied ou à bicyclette vers leurs "chez elles", heureuses au fond d'être enfin seules pour savourer la joie d'un Paris pavoisé, libéré. Retrouver leur famille ou la petite chambre de foyer. Contentes de pouvoir se laisser aller et de se dire que la bagarre est finie pour le moment. La dislocation ? Oui, mais pas pour longtemps. Car le travail se fait pressant. Nous retrouverons bientôt dans une PP redevenue normale nos bureaux, notre fichier, les permanences, les visites et nous ne serons pas longues à reprendre nos habitudes. Souhaitons seulement qu'après avoir vécu ensemble d'une façon aussi permanente, intime, nous pensions qu'il est temps, grand temps, de faire équipe la main dans la main comme pendant ces huit journées.
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20h00 : "La voiture est
en bas, descendons !", nous dit Mlle Carlier-Besnar. Cette fois-ci
l'aventure est bien terminée. Nous quittons la Cité dans une luxueuse
automobile trop douce. Nous yeux se ferment tout seuls. Quelques aperçus
rapides sur le Quartier Latin en liesse et pavoisé. Partout des restes de
barricades, des traces de lutte, des débris d'engins de guerre. Au milieu
de tout cela, le flot interminable de l'Armée Leclerc et du matériel
américain. Partout des Parisiens endimanchés, des FFI en loques, des
combattants fatigués avec ou sans uniforme.
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Nous pensons à tout ce peuple
des barricades d'août 1944, à nos tireurs de la Préfecture, à tous ceux
qui finissent ces journées glorieuses sur un lit d'hôpital, à ceux qui
sont tombés, à nous-mêmes. A mille autres choses encore et à ce mot de
Duhamel qui servira de conclusion à notre journal de bord :
"Il n'y a point eu ici de saints, de héros, mais seulement des misérables créatures qui cherchaient le bonheur à tâtons". |
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