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Montée sur la terrasse pour voir ce qui se passe dans la Grande Cour. Des quantités de prisonniers, les mains sur la tête, sont rangés le long du mur à l'ombre. Des gardiens les fouillent, d'autres leur donnent de l'eau dans un seau. Ils la boivent avidement. Sans cesse des Allemands arrivent puisque toute la garnison de Paris s'est rendue. Il y a de tout, soldats, sous-officiers, officiers. L'uniforme vert domine. Très peu d'hommes de la Luftwaffe. La vue de ces prisonniers nous remplit de sentiments divers où la pitié domine. Une foule de FFI regarde ces hommes. Le haut-parleur mugit : "Ne stationnez pas devant les prisonniers !"  

 

 

 

Nous sortons boulevard du Palais où une foule très dense est massée devant cette porte par laquelle est entré de Gaulle. Paris pavoisé nous apparaît mieux. Cette foule endimanchée et tricolore nous remplit de joie.

Quai du Marché Neuf, nous inspectons l'extérieur de notre PP. La lutte a été rude. On voit de nombreuses traces du combat. Juste au dessus de la Porte Saint-Michel, une énorme tâche de sang.

Le 21 août, à 15h00, le gardien de la paix Marcel Ternard a tenté de sortir par cette porte pour effectuer une mission de liaison. Sa voiture a été criblée de balles.

 

 

 

Dans la Cour du 19 août, une foule de badauds curieux cherche à s'introduire. On les refoule. Les prisonniers sont partis. A leur place, vestiges de leurs poches retournées par les gardiens chargés de la fouille, débris de photos et de papiers allemands. Nous n'avons presque plus de voix. Mal de gorge. Sensation de chaleur, d'abrutissement.

 

 
20h30 : Dîner excité et bruyant. Un peu précipité car nous avons l'autorisation de sortir jusqu'à la tombée de la nuit. Nous voilà bientôt dans la rue, Mascotte en tête. En route vers le Châtelet, Hôtel de Ville. Au moment de franchir la Seine, Saunière tombe en arrêt sur un soldat, en kaki, en train de graver un nom sur son fusil. Elle lui dit : "Bonzour ! Bonzour, petit Américain" ... on a l'impression qu'elle parle à un gosse de deux ans, à un animal ou à un jouet. Cette façon de faire nous amuse et nous horripile tout à la fois.

Quai de Gesvres nous voyons la carcasse du char que nous avons vu brûler récemment des toits de la PP. Partout des blindés français et USA, entourés d'une foule de gens. Nous nous frayons un passage. L'Hôtel de Ville tout pavoisé nous paraît presque beau.. Ce monument a un peu souffert lui aussi des récents combats. Nous gagnons la rue de Rivoli sillonnée de voitures FFI et d'une foule joyeuse. La guerre semble à la fois très loin et très proche. On se croirait revenu en un 14 Juillet du bon vieux temps de paix. Au balcon d'une maison, un homme allume des pièces de feu d'artifice. Nous poussons des Hourras ! La Mascotte et ses ... fiancées aborde une marchande de drapeaux, cocardes.  "Combien, ça ? Dix francs ! Je vous l'achète 9,95 ..." La marchande se sauve et nous aussi.

Une bande de pompiers nous embrasse. Rasés de frais, les gars ! Au pas, bien en rang, nous rebroussons chemin car la nuit tombe. Nous rentrons sagement en chantant Madelon, Marche Lorraine. Les gens applaudissent. Trois très jeunes filles nous emboîtent le pas. Mauser donne des ordres : "A gauche ! A droite ! Arrêtez ! Tournez !" Le crépuscule descend peu à peu sur Paris en fête. Nous traversons en chantant le Parvis où sont massés quelques blindés et fonçons droit sur le porche de la PP. Les A.S rentrent au bercail à l'heure dite sous la conduite de leur mascotte numéro 1 qui a délaissé pour un soir son fusil. Quel sacrifice !

 

23h00 : Au PC, portes bouclées. Pouillet arrive heureusement avec la clef. Nous nous laissons tomber sur les sièges. Mauser s'installe au bureau, torse nu. Il met les lunettes de Mlle Carlier-Besnar et imite une réunion, la façon de téléphoner de Mlle Carlier-Besnar ... il distribue les tâches. C'est très amusant de le voir.

Mlle Madelaine, qui nous a quittées, avait l'air radieux. Peut-être pensait-elle aux vers du poète ...

 

  Il valait bien la peine, il valait bien l'ouvrage

Et la sueur des jours et les veilles des nuits

Il valait bien la peine, il valait bien l'ouvrage

La calomnie et les sombres ennuis

 

 
Ce chef d'oeuvre, c'est un peu nous qui l'avons fait !

 

 

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