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La déclaration de guerre nous surprend à Gargilès, dans la Creuse, où nous sommes en vacances. Pour nous protéger, Papa nous installe à Bourg le Roi, un petit village près d'Alençon. Il a pu louer un morceau de terrain et cultive un potager. Je suis inscrite dans la classe unique de l'école (cinq divisions différentes), j'apprends à faire de la bicyclette et .. à porter des galoches cet hiver... Au mois d'août 1940 nous rentrons à Paris. Les Allemands sont là, qui ont réquisitionné les machines de la Maison Henri Manuel.

Papa entre au Service du ravitaillement et est nommé, quelques mois plus tard, chef de district du 7ème arrondissement.

 

 

 

 

Dans les papiers de Maman je découvre cette "fiche de renseignements concernant l'état des services d'un membre des FFI".

Je peux y lire qu'il adhère, en novembre 1943,  au Groupe Libération du 7ème arrondissement commandé par Monsieur Avignon, futur Président du Comité Local de Libération et maire du 7ème. Le matricule 632 lui est attribué.

 

... et ce "Certificat provisoire d'attestation de service dans les FFI"

 

Raoul Marcel, Charles, André a servi volontairement du 18 août 1944 au 25 août 1944, avec honneur, dans les FFI ...

Vincennes le 18 avril 1946

 

 

 

... et encore cette attestation de Monsieur Ange Cadet, responsable Préfecture de Police du 6ème arrondissement :

Raoul Marcel, demeurant 8 rue de Tournon à Paris 6ème s'est mis à notre disposition le 19 août 1944. Il a combattu les Allemands avec le groupe des barricades Saint Michel. A été tué le 21 août 1944, rue des Quatre Vents (6ème) par un coup de feu tiré d'un char allemand.

Témoins : gardien Chedaille et brigadier Job du commissariat du 6ème.

 

 

... et cet ordre de mission daté du 21 août 1944, jour de sa mort :

 

Laissez Passer

Monsieur Raoul Marcel, n° matricule 632, chef de district du 7ème arrondissement, pour se rendre aux Halles Centrales pour les besoins du ravitaillement de l'arrondissement.

Le Président du Comité de Libération

Oui , comme je l'ai dit plus haut, à la maison nous ignorions tout de ses activités dans la résistance, de son engagement dans les premiers combats de l'insurrection ... J'avais le souvenir d'un père toujours gai et souriant, touche à tout et sachant tout faire, à l'occasion la cuisine mais tous les dimanches le dessert, allant chercher le charbon à la cave, cirant nos chaussures et même donnant un coup de chiffon sur les meubles quand la femme de ménage était absente... jouant avec nous aux dominos, aux petits chevaux (qu'il avait d'ailleurs fabriqués lui-même), chantant avec nous les airs de l'époque, nous promenant dans Paris ... que de tours de balançoire au Jardin du Luxembourg et de glaces en cornet ... et de gaufres.

Mes parents - je ne les ai jamais entendu se disputer -  m'ont prodigué amour, compréhension, tolérance et surtout ... surtout m'ont appris qu'il ne faut jamais se croire supérieur aux autres.

 

Papa était en pleine forme physique, avait un moral d'acier, une foi inébranlable en la France ... et ne supportait pas la vue du drapeau nazi sur le Palais du Luxembourg à quelques centaines de mètres de son balcon. Je ne l'ai vu soucieux qu'une fois. Il devait prouver à l'administration qu'il n'était pas juif. Auvergnat de naissance, les demandes d'extraits de naissance de ses parents, grands-parents et arrière grands-parents mettaient quelque temps à lui parvenir de zone libre. Tous les soirs il interrogeait Maman : "C'est arrivé ?". Ses activités résistantes ne devaient pas être étrangères à son besoin pressant d'établir qu'il n'était pas juif ...

 

Lorsqu'il quitte la maison en ce début d'après midi du 21 août 1944, à des amis qui lui font remarquer qu'il y a danger à se risquer dehors, il répond : "Je vais faire mon devoir".  Muni de son brassard FFI et de son ordre de mission il se rend vraisemblablement aux Halles Centrales pour s'occuper du ravitaillement de son district. En fin de soirée, tandis qu'il tente de regagner notre domicile, un char allemand remonte la rue de Tournon en direction du Sénat et tire en enfilade dans la rue des Quatre Vents... Papa s'écroule, atteint d'une balle dans le front.

Il est transporté immédiatement au poste sanitaire de la Défense passive installé dans la Faculté de médecine mais les secouristes ne peuvent que constater son décès.

 

A 21h15 un employé du poste glisse dans cette enveloppe, qui sera remise à Maman plus tard, les effets personnels trouvés sur son corps :

2 mouchoirs

1 paire de gants

1 paire de lunettes avec étui

2 paquets de farine (il avait pensé à nous pendant sa mission)

1 carnet de notes avec une carte textile

1 portefeuille en cuir (65 francs)

1 carte d'identité et 1 carte de service

1 alliance

1 montre avec trousseau de clefs

1 stylomine

et de la menue monnaie (15 francs 20)

 

 

 

 

 

 

Le 11 novembre 1945 eut lieu l'inauguration d'une plaque commémorative, rue des Quatre Vents, en l'honneur de mon père.

 Maman a conservé les brouillons des discours qui ont été prononcés ainsi, d'ailleurs, que les nombreuses lettres de condoléances reçues à l'occasion de ses obsèques un an auparavant.

Papa est décrit comme un homme disponible, gai, souriant. Sa disponibilité, son sens du devoir, sa modestie et sa discrétion en faisaient quelqu'un sur qui l'on pouvait compter.

 

Mon père ... cet inconnu ... ne l'est plus maintenant que j'ai découvert cette période de sa vie que j'ignorais en grande partie; cela m'a confortée dans mon souvenir d'un homme extraordinaire....
Je voudrais associer à cet hommage le demi frère de Papa, Eugène Thiallier, enterré vivant durant la Grande Guerre et amputé d'une jambe, ce qui ne l'empêcha nullement de me faire souvent monter sur son vélo bricolé, son pilon ne lui permettant pas de pédaler correctement, et de m'emmener pour de longues promenades....

Au coeur de la Forêt de Fontainebleau, avec son groupe de résistance, il réceptionnait le matériel parachuté par les avions anglais. Dénoncé en 1943, il est arrêté et déporté à Buchenwald. Il en revient miraculeusement en 1945. A la Gare d'Orsay, où nous l'attendions Maman et moi, la première chose qu'il nous demanda fut : "Où est Marcel ?" ... avant de remarquer que Maman était de noir vêtue et que nous étions très tristes... il avait compris... et détourna la tête, les yeux pleins de larmes...

 

Bien après la disparition de Papa, plusieurs personnes nous ont demandé d'où pouvait bien venir l'expression qu'il utilisait en guise d'au revoir : "Sans adieu" ... Ni Maman ni moi ne le savions.

Un jour, en vacances dans ma belle famille en Auvergne, qu'elle ne fut pas ma surprise d'entendre un client quitter le café où nous nous tenions en claironnant "Sans adieu !". Mon père tenait donc cette formule de ses racines auvergnates...

 

Dans mon salon trône depuis toujours, en bonne place, un cadre contenant la photo de la plaque commémorative, sa croix de guerre, son brassard FFI et une photo le représentant à l'âge de trente ans ... avec ce sourire qui lui était habituel. Depuis son départ je l'ai toujours senti près de moi et chaque fois que j'ai eu un gros problème (Dieu sait si la vie n'en est pas avare), grâce à cette présence j'ai pu faire face ... et ce soir je peux dire à mon père :

"c'est sans adieu ...."

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