CHAPITRE
XI
L’ « EPOPEE » PREND FIN
1964
Si 1963
nous avait permis de porter encore attention aux évènements extérieurs, l’année
nouvelle allait
nous tourner tout entiers vers ceux de notre
cellule familiale.
J’avais
salué l’aube de l’année nouvelle avec une joie mêlée d’espoir. Il me semblait
que tout allait de nouveau devenir possible. Mais les péripéties de notre
cauchemar agricole, allaient constituer la trame
de fond de tout ce qui allait arriver.
Les premiers
mois se déroulèrent sans anicroche, contrairement aux précédents que des accès
de
mélancolie
de mon Père avaient obscurcis. Pourtant, un nouvel accès surgit, soudain et
sans signes
précurseur. Un jour, je fus averti par ma Mère que la Doctoresse,
prévenue par téléphone, conseillait
des dîners
avancés à 19 heures, afin d’obtenir des couchés plus réguliers et des repos
plus prolongés.
Une
exception serait faite pour le mardi dont l’horaire était trop difficile à
aménager pour le vieil Henri
qui, du
premier étage, montait à mes parents deux parts du dîner de famille.
Le
« lit d’honneur » de la salle à manger fut doté de draps pour que je
puisse y dormir après m’être
rassasié
de Télévision, les programmes étant
plus fournis en soirées.
Cette
nouvelle dépression de mon Père devint presque publique au moment de la mort,
hélas attendue
d’Oncle
Michel : le 12 mars.
Celui-ci
avait vu arriver sa sœur Simone, et avec résignation, il avait accueillit la
raison laborieusement
donné de
sa présence, par ces mots :
-« Tu a bien appris ta leçon, pas la peine de
te donner tant de mal. Je sais bien que je suis foutu ».
Pendant ces
tristes évènements, mes parents s’étaient attelés aux comptes. Profitant d’une
Interruption de séance, ma Mère était venue voir quelques instants la Télévision, je lui
demandai
-« Alors qu’est-ce que ça donne » ?
Elle me répondit en allemand :
-Schevein…(C’est
cochon)
Et cela m’ouvrit d’autres champs de réflexion quand
à la fin de l’expérience.
En guise
d’œuf de Pâques, on sut très officiellement que pour des raisons financières,
il fallait faire
cesser l’aventure.
Pour qu’un aussi important changement s’effectue dans
les meilleurs conditions, il aurait fallu la
présence continuelle du « Maître ».
Malheureusement, mon Père était loin de
pouvoir fournir un tel
effort. Il eut été imprudent de le laisser
conduire ;- il avait été mis sous tranquillisants. On trouva dans
la famille une conductrice qui prenant le volant de
l’I.D, accompagna mon Père, à La Glazière, autant
qu’il était
nécessaire.(Le plus souvent trois par semaines).
Un mystère
plane pour moi sur la suite. Après bien des années d’interrogations
silencieuse, 1964, reste
pour moi pleine d’obscurités.
Forte de l’enseignement de mon expérience de la
solitude de 1962, une grande partie de ma famille crut
soulager mon Père en lui enlevant le souci que je
représentais pour lui. On me « proposa » donc un séjour
de vacances à Tonnens, dans Lot-et-Garonne.
Il faut avoir vécu le degré d’intimité qui unissait
notre trio, pour mesurer ce que pouvait représenter
Ce sacrifice demander sans autres préambules qu’une
préparation accéléré et de ce fait très contraignante.
Ma Mère et moi, nous étions opposés à ce projet.
Mais pour des raisons différentes. Ma Mère, à cause d’un
réflexe de excessif de maternité,-et moi, par la
crainte de devoir quitter le cocon familial. En outre j’avais peur
de ces malades auxquels on m’avait dit et répété
que je ressemblait si peu….Et c’est d’ailleurs pour combattre cette ignorance
que des gens bien intentionnés me conseillaient ce « séjour
probatoire » ;
peut-être par pressentiment de ce que serait
inneluctablement un jour mon avenir. L’intention était
bonne, mais eurent-elle raison de choisir pour une
telle année ;-et nous imposer un tel effort ?
Je persiste à penser que intention et sa mise en
œuvre si rapide étaient prématurées. Pourquoi
ne pas avoir laisser faire, le Temps et la
Nature ? Aurai-je été plus malheureux si j’avais été versé
sans en rien savoir dans ce milieux, si différend
du mien… ? Je ne sais. Mais je me souviens avoir
craint cette installation au foyer de Paris, en
me rappellent, les mauvaises heures de
Tonnens.
Sur le plan
professionnel, notre trio touchait sans doute aux limites de l’effort possible.
Mais
peut-être allait-il franchir le col de son chemin
douloureux. Mon Père, d’une part, s’apercevait
qu’il fallait quitter un métier que dans un coin
secret de lui-même, il continuait d’aimer.
D’autre part, il avait conscience de la rareté des
offres que pouvait lui présenter la Providence.
A mon
avis, il aurait fallu à l’être sensible qu’il était un concours plus attentif,
et surtout plus
docile à notre expérience et à mon passé. La bonté
ne palie pas tout…
En fait,
ce voyage imposé à Tonnens, où il eut à cœur de me conduire lui-même, le
déchira.
Il toucha du doigt la misère physique, celle de mon
état, que tout le monde s’attachait à lui
dissimuler. Il revint bouleversé. Et durant le mois
d’Août qui suivit, il glissa sur une mauvaise
pente psychique. J’avais quitter le 3 Août ,
un convalescent en puissance. Je retrouvai le 28
un pauvre homme qui se traitait de criminel pour
avoir livré lui-même son fils à un milieu pour
lequel il ne l’avait pas élevé. Peut-être un
certain snobisme joua-t-il aussi….Une telle différence
de milieux…Presque une déchéance….
Il était bien évident que, toute modestie mise à
part ; ma présence à ses côtés, si prenante qu’elle
fût, était pour lui une (sombre) joie,- et je
m’efforçais de mon mieux à y correspondre.
Une lettre
de la Doctoresse attendait mon retour
pour être portée au Docteur Boutier, un
Neuro-psychiâtre,- le dernier qu’eut trouvé notre
amie Faine, avant décision plus
énergique.
Cette consultation, et ces soins radicaux que nous
voulions éviter, n’étaient pas du tout prévues
lors de mon départ.
Il y eut, dès son trajet de retour à La Glazière,
un nouvel effondrement nerveux. Il avait sa place
le cadre de cette dépression spécifique et de
caractère cyclique, pour laquelle on tentait de soigner
mon Père depuis mars dernier.
Pour être
encore plus clair et selon l’expression même de la Doctoresse quelques jours
après mon retour :
« Il fit une dépression dans sa
dépression ».
Et c’est là le sujet de plainte qui monte en moi.
Pourquoi, chère famille, avoir tellement insisté
pour un telle séparation ?
N’était-il pas évident que mon Père, votre frère,
votre cousin, n’était pas, - où ne paraissait pas être
dans son état normal ? On ma dit, certes,
qu’une expérience sociale m’était nécessaire…Mais mes
parents ne m’avaient-ils pas ouverts largement tous
les moyens de créer des contacts enrichissants
et intéressants ? Quitte à en faire par la
suite la critique, avec humour.
Le passage entre les mains du Docteur Boutier
n’a laissé aucun souvenir. De guerre lasse et devant la
complexité du cas, il ordonna une vague boîte
d’ampoules dont le nom m’a complètement échappé aujourd’hui. De cette période
ne me reste la mémoire que d’une longue lutte de deux mois. Ce fut
comme en Histoire, La Longue Marche.
Laissons-là cet imbroglio psycho-médical et revenons aux choses claires.
A notre grande joie, mon
Père avait repris sa place au volant. Il en profita
pour me faire faire une tournée « Triomphale » à travers
famille et relations, - disant combien j’avais été
admirable de courage et d’obéissance ! Et c’est ainsi que
j’entrevis la Ferme du Golf de Chantilly où ma Mère
s’était couverte de gloire sur les greens de cette banlieue
parisienne. Je n’y rencontrai que Madame Paul
Regnaud, une vieille amie d’enfance de ma Mère, qui s’y remettait de la perte
récente de son mari qui avait été Ingénieur Général de la Marine.
Un
dimanche, nous tentâmes même l’expédition d’Orgeval. Au détour d’une rue je
remarquai une
ambulance. Embarquait-elle ou débarquait-elle un
passager ? Dans ce dernier cas, je me réjouissait
pour lui à
mi-voix. Mais arrivés à la maison, nous trouvâmes tente Denise assez
survolté ; l’ambulance
en question ne contenait rien moins que
« Notre Belle-Mère » disait tante Denise, à mon Père.
Ma Grand’Mère était tombé au pied de l’escalier, en
disputant sa canne à un porte-parapluie
trop accapareur….
Oncle Jean
était parti immédiatement pour accomplir les formalités d’usage, laissant Tante
Denise
accueillir les ignorants que nous étions. Elle
s’offrait maintenant à guider mes parents jusqu’au cabinet
du médecin,-où pensait-elle, devait se trouver
encore. Pour gagner de la place et du temps, on me laissa
à la maison. Je me souviens d’un temps de solitude
interrogative.
En fait , notre Citroën dut courir jusqu’à
Saint Germain ou Poissy pour rattraper l’accidentée que le
Diafoirus local avait préféré mettre dans une
clinique ;-on vient de me rappeler qu’il s’agissait d’une
clinique de Poissy.
De retour
à Orgeval, on se mit à table. Le repas fut morne ;- les convives ne
pouvaient se dissimuler
l’importance d’un premier vrai accident à la tête
de notre Douairière, qui avait 88 ans. Mon Père tint
à me conduire en visite à Grand ‘ Mère, d’où un
passage rapide, au retour, par la clinique. Et ce fut la
première fois que je la vie alitée, la tête
enveloppée d’une bande aussi blanche qu’elle-même. De cet
entretien, je ne conserve aucun
souvenir ;-sans doute y eut-il une réédition de la gentillesse du
« Bonhomme ».
Cette chute
avança le retour de Grand’ Mère à Paris. C’est là qu’eurent lieu les véritables
retrouvailles
au cours d’un déjeuner intime dans la salle à
manger bleue.
Pour bien comprendre l’anecdote qui va
suivre , il faut savoir que mon Père avait pris un vrai dégoût de
Tonnens en voyant mes « camarades »
consacrer toute leur journées à la belote.
Pour finir le récit de mon été, Grand’ Mère me
demanda :
-« Enfin mon chéri, à quoi occupait-tu tes
loisirs ? »
Je connaissais son fort penchant pour le
bridge ; je ne pus me retenir de rire en renversant la tête en
arrière, et je lui jetais :
-A la belote, Grand’ Mère.
-A la be…(Visiblement, elle na savait ce que
c’était).
Le gendre intervint alors :
-C’est un jeu de cartes affreusement
populaire , ma Mère.
Malgré son dégoût pour la chose mon Père lui en
expliqua brièvement les règles, où se mêlé ironie et courroux ,contre ce
passe-temps.
Evidemment les Tapisseries à sujet de chasse à
courre 18e siècle qui garnissaient les murs n’avaient jamais
entendu parler de belote…Alors la joueuse de bridge
se détacha incontinent de mes loisirs….
Tout ce que je peut affirmer ici, c’est que mon
« déplacement » à Tonnens, semble pour Grand ‘ Mère une grande honte,
(ou du moins elle l’avait vécu comme tel). Je n’en veut pour preuve que rapide
entretient qu’elle
eut avec moi quelques semaines après le retour.
Elle me confirma qu’étant dans le milieux qui m’entourait, je
ne manquerait jamais de rien. Ce qui devait me
permettre, selon l’avenir qu’elle voyait pour moi, d’éviter à jamais de tels
séjours. C’était compter sans l’évolution redoutable de l’époque, et des
meurs !
La "Colminière"apparenant à l'Oncle
Pierre.(Le colonel P.Burôt-de-l'Isle Chaland ). Il nous y recut souvent.
comme ici en Septembre 1963.
Mon
« tour d’honneur à la romaine trouva sa dernière étape dans le
grand cimetière d’Orléans pour l’inhumation de l’Oncle P.B.I. Pierre Bureau
de l’Isle) bêtement écrasé dans sa bonne ville de Tours en
revenant de poster une lettre.
Il avait perdu successivement son fils unique Alain
en 1957, puis sa femme, Tante Jehanne. Sa solitude
L’avait rendu plus disponible encore à autrui. Il
s’attacha avec tout son cœur à notre trio ; et fut l’un de nos
plus sûrs réconfort dans les derniers mois de notre
« chaîne » agricole. Il vint en effet presque tous les mois
prendre de nos nouvelles, à partir de 1962. Tante
Jehanne était morte en 1959 .
Ainsi pour la deuxième fois, dans l’année, la mort
avait remué sa faux en notre défaveur.
Il faut maintenant en venir à la cession.
Derrière le décor que j’ai peint, le temps de la cession
approchait.
Daté se battait avec le temps et avec les hommes.
D’abord avec le Temps, pour éviter à mon Père une
nouvelle campagne qu’il redoutait d’ailleurs. Ensuite avec
les hommes. Il fallait trouver l’oiseau rare
capable d’assurer la transition d’une génération à l’autre,-le moment
venu,-tout en étant de rapports agréables avec
toutes les parties en causes.
Tard dans l’arrière saison, Jean Daté nous présenta
enfin l’homme de la situation ;-le dernier qu’il eut découvert. C’était Daniel Tournay, de vieille famille
d’exploitants agricoles,- et aussi bourgeois de Paris
semble-t-il.
A la fin
d’octobre 1964, trois personnes entraient donc à La Glazière : Messieurs
Daté, Peuchot, marchand
de biens à Melun,-et Tournay, notre repreneur et
client de Mr Peuchot. Deux séances de travail seulement
furent nécessaires pour se mettre d’accord. Seul le
cheptel fit problème. Il fut cependant convenu, que son
rachat se ferait dans les meilleurs délais et en
prenant pour base le prix de la viande des derniers jours de
l’année qui précèderait le paiement.
On notera
au passage que le nouveau bail était consenti pour une durée de 18 ans à
compter du 1er
Janvier 1965. La même date, nous conduisaient à
1983… Ce qui paraissait un siècle !
Aussi mon Père fit-il la plaisanterie qui lui était
alors familière :
-« A
cette époque-là, Vous et moi, Jeannine, nous serons sous la butte » !
Commentaires inutiles…
On se donna alors rendez-vous à Paris, (Devant
Grand’Mère, qui voulait être la première à signer le document). Le point le
plus important était, je m’en rends compte aujourd’hui, l’indexation du loyer
sur
le prix de la viande en fin d’année.
Au cours d’un raide sur Paris, pour y déposer
quelques bagages (mon Père et moi), nous apprîmes
que la tradition de l’Arbre de Noël, annuel offert par ma Grand’Mère à sa
famille, vivait en ce mois de
décembre, ses dernières heures. On chuchotait même
que le fameux dîner du mardi était menacer à
terme de suppression lui aussi.
Triste
retour que cette rentrée dont je m’étais fait une si grande joie. Du second
étage, montait
une odeur d’abandon. Quels mardis ? Il
laissait peut-être présager ce que seraient désormais beaucoup d ’d’autres…..
« L’épopée » a pris fin. Puis-je tourner cette page de notre
vie à trois sans en tirer la « philosophie, » le
mot est à la mode.
Mon Père ne cessa d’incriminer la Nature. Elle l’avait mal servi, c’est
indéniable. Mais
faut-il n’incriminer que la Nature ? Je ne
crois pas à la trahison déterminée des éléments naturels. I l y eut
autre chose.
Je pense
que le Temps est un facteur déterminant de la vie agricole. Les vaches maigres
et les vaches
grasses se succèdent.. Mon Père ne connut que les
premières sans atteindre aux secondes. Un citadin
vit à court terme. Mon Père, ne pouvait avoir la
« patience campagnarde ».
Peut-être
aussi mes parents furent-ils victimes du mythe bucolique du « retour à la
terre »….L’illusion
charmante d’une nuit fraîche…Ma Mère ni mon Père ne
mesurèrent les vraies conditions de la vie terrienne.
Un autre
handicap pesa sur mon Père. Sans doute avait-il conservé de son éducation une
certaine candeur
qui le plaçait en état d’infériorité devant le
Secret, les vues lointaines, la roublardise de ceux qui doivent ruser
avec
l’incertitude des choses des champs ;-Isolés, réduits à leur seul flair,
riche d’une longue expérience et
d’une prudence méfiante. Mon Père se trouva désarmé
devant de tels interlocuteurs, dont Banier était un
modèle accompli. Devant ses calculs, un homme de
métier ne s’y serait pas trompé. Ils n’avaient pas la même logique. Mon Père
connaissait mal les règles du jeu. Cela devint une trappe où il tomba tête
baissé…
Quand à ceux qui le conseillèrent,-peut-être le
crurent-ils plus averti ?
peut-être n’osèrent-ils pas, par discrétion, paraître
lui donner des leçons ?
Ce fut la « Journée des Dupes ».
Quant à ma Mère, trop absorbée par les soucis de sa
propre santé, elle ne mesura pas ou ne voulut pas
admettre le décalage qui exista entre elle et mon
Père. Plus que lui, elle avait le goût et un certain sens de
la Terre et de ses contraintes. Mon Père, lui,
avait besoin du « lèche-vitrine » des potinages parisiens, des
concerts, des expositions, du bavardage, souvent
moqueur du vrai citadin,-et par-dessus de la proximité
des gens qui partagent ses goûts…
Ma Mère recula devant l’évidence.( 1)
Quand à moi, j’étais pleinement le fils de mon Père
et j’asphyxiais dans cette solitude. Mes infirmités
m’interdisaient de jouir des plaisirs du jardin. Le
clôitrage s’ajoutant à ma totale dépendance faisait un
prisonnier. Je finis par perdre pied. Ma détresse
morale, quelque effort que fasse, était évidente.
Elle s’ajouta à celle de mon Père et la fit déborder.
Oui, vraiment, dès le départ le jeu était faussé !
FIN de la PREMIERE PARTIE
1J’ai
parfois interroger ma Mère sur les motifs qui l’avait conduit à prendre
un telle décision. Elle me répondit toujours des Raisons
politiques diffuses l’avait menée vers cette déroutante option
agricole.
Et qu’elle pensait avoir
agit pour la tranquillité de notre cellule familiale.