CHAPITRE XXII

EST IN LUMINE

1980


Si j’ai pu traiter avec humour les évènements des années antérieures et les animer par

de bonnes histoires, ce serait plus de mise désormais. Nous approchons d’une des disparitions

que je pouvais prévoir depuis longtemps et dont j’appréhendais l’échéance.

 

Non nous n’imiterons Louis le Grand.

 

     Comme tous les Premiers Janvier, notre trio assista au Concert de Valses retransmis

de Vienne. Et ce devait être pour la dernière fois, si ma mémoire est bonne. Mais nos trois

pensées étaient ailleurs à Fontainebleau.

    

     Les rumeurs concernent notre construction devenaient de vraies nouvelles. Ma Mère, se

croyant toujours protégée par une certaine « Baraka » du temps où elle était Archéologue distinguée, de

fadait fort de « Retourner » l’intraitable Architecte Départemental.

      Le principe d’une entrevue avait été arrêté. Elle devait réuni ma Mère, Monsieur de Bergevain accompagné

de son Adjoint – un certain Monsieur Ouzout dont l’orthographe du nom m’échappe – et l’homme de base : Parquet.

    

    Un rendez-vous chez Garin, Appareilleur-Orthopédiste, nous avaient dispensés, mon Père et moi,, de ce

Conseil. La grande salle à manger était occupé par le Censeur et sa suite. C’est donc à la cuisine que Jehanne

nous servit à mon Père et à moi, un rapide repas, en attendant l’ambulance qui devait nous emporter à Paris.

 

    La réunion architecturale s’étant – hélas- terminée très tôt, nous vîmes ma Mère nous rejoindre à la cuisine Peut-être eût-elle tort de clamer aussi haut qu’elle le fit :

-« Fallait revendre le terrain ».

   Et qu’elle allait prendre rendez-vous avec l’Agence « Cabaret » pour ce faire. Malgré le Témesta, je garde

de cette journée un souvenir très minuté. Elle fut importante pour l’avenir de notre trio. 

 Rapide histoire du terrain.

 

    Lundi 3 Janvier 1980. Je revois mon Père piquant du nez sur ses Petits Suisses, comme accablé par

cette nouvelle trop brutalement assénée. Il songe probablement à toutes les difficultés dont ce terrain à

été l’occasion. Il faut donc ouvrir une parenthèse et retracer en résumé l’Histoire de ce terrain.

 

   L’annonce d’un terrain à vendre à Fontainebleau a été découpée par ma Mère dans son quotidien favoris

en février 1975. Elle était encore sous le choc de la décision des Tuhault de partir en retraite. L’échec de nos

recherches d’appartements ou de maisons prêtes à être habités l’avaient poussée à envisager cette autre

possibilité :

 

Pourquoi ne pas construire nous-mêmes .?

 

C’était parier sur notre jeunesse, et faire confiance à notre longévité respective. Il fallait tenter le coup !

Mais dès le mois de juillet  suivant : mois de la signature d’acquisition, il s’avéra que ce terrain était bardé

d’interdits de toutes sortes. Et le dernier en date provenait de la Municipalité elle –même. Il fallait non seulement

l’accord de Bergevain, mais aussi son intervention directe auprès du Conseil pour obtenir qu’on ferme les yeux

et qu’on autorise cette construction qui nous tenait tellement à cœur.

Et Bergevain se faisait fort de nous obtenir cette dérogation quelques mois avant ce trois janvier qui pour nous

fut tragique,- n’ayons pas peur des mots…Les P.T.T. venaient de découvrir que le sous-sol de l’Hôtel d’Estrées

en principe notre voisin pouvait fort bien abriter un de leurs Standards ultra-modernes. Demander deux

passe-droits à la même Assemblée touchant le même quartier relevait de l’impossible. Il fallait sauver le

Monument d’art et d’Histoire laissé par la belle Favorite du Roi Henri IV.

Et c’est ce que Monsieur de Bergevain venait expliquer à ma Mère en ce jour fatal,  en lui expriment ses regrets

de ne pouvoir mieux faire. Il fallait donc revendre ce terrain devenu –pour nous- inutilisable. Mais était-il nécessaire de le dire de façon si brutale et si précipitée ?

 

  Mon Père m’accompagna donc à mon rendez-vous d’orthopédiste. Mais déjà isolé du monde des vivants et

tout entier absorbé par sa déception, il ne participa pas en m’aidant aux corrections voulues pour ce corset.

Il s’assit près du Poël allumé derrière la porte du corsetier. Celui-ci, Georges Hansil, fit tit rapidement,- de son

mieux… Il devina chez ses deux clients un malaise certain. Il espérait peut-être retoucher une dernière fois son,

hâtif travaille. Ce rendez-vous ultime n’eut jamais lieu[1] et ce corset mal adapté me gêna constamment .Il est juste de dire qu’il ne fut jamais appliqué que dans une période riche en tension nerveuse et grande émotions.

 

 Du trajet de retour ne me reste qu’un souvenir : une discussion du chauffeur ( qui n’était pas le chauffeur habituel ) et son aide sur un film : « La fièvre du samedi soir » et son principal interprète, un homme, vedette

à succès des années 79-80.  2

   Mon pauvre Père ne faisait plus figure du tout. Il devait avoir durant ces deux trajets réfléchi ou plutôt

ruminé en silence son anxiété.

 

  Ce terrain lui avait paru la « Terre Promise », le lieu de notre sécurité… Tout lui paraissait s’écrouler.. et

la nouvelle l’avait atteint ave une telle brutalité.. Que serait son avenir et le notre, et surtout le mien,-moi si

vulnérable… ?

 Il avait hâte de se retrouver chez lui à la Maison. Là il pourrait, en tête à tête avec son interlocutrice préférée

chercher l’ébauche d’une solution pratique pour rattraper le temps perdu et enfin découvrir une installation citadine.    

 Si cette conversation eut lieu, elle n’apporta aucun apaisement à mon Père. Dès lors

la voie de son agonie était ouverte,- et même précipitée. Les récentes opérations subies

par ma Mère et la déception de ce pas de clerc momentanément atteints les facultés intellectuelles de ma Mère aussi.

 

Pour trouver une solution, il aurait fallu du temps. Et cette denrée, le Docteur Roux

allait justement nous la mesurer.

 

La petite idée du Docteur Roux..

 

       Ma Mère déconcerté par le peu de ressort de mon Père profita sans doute d’un visite du Docteur Roux

Pour lui en faire part  J’avoue que de ces jours je ne conserve que des souvenirs discontinus ;- des « instantanés ».sans aucune cohésion, -saisis sur ce lit de ma Mère où j’était installé depuis le 1er

Janvier. Pourtant ces images éparses sont d’une grande précision ; c’étaient des conversations, dans

les deux grandes salles du rez de chaussée. Le Docteur Roux y paraissait aux moments cruciaux.

 

Au Jour de l’An un dîner restreint eut lieu. Ce fut le détonateur pour ma Mère. Elle en entretint dès qu’elle

le put le Docteur Roux. Celui-ci savait parler bas. Pourtant, je l’entendis murmurer à ma Mère :

 

-Je voudrais vous parler.

 

Et il l’aida à se transporter dans la salle à manger. Ils choisirent le côté droit,(en y entrent depuis le salon côté jardin  probablement pour échapper à ma vue .Quand les deux interlocuteurs revinrent, ils achevaient leur

conversation.

-          De toute façon, j ‘aimerais en parler à Monsieur de Maindreville, dit-il

-          Comme vous voudrez, Docteur. Si vous voulez aller le chercher nous pourrons en parler aujourd’hui

Cela vous éviterait de revenir.

                                        

    Le Docteur sortit donc pour y aller. En effet mon Père ne se sentait plus sûr de lui pour descendre les quelques

marches qui nous séparaient de l’autre partie de la maison.

 

               Durant ce « blanc » j ‘interrogeai ma Mère :

-Alors ?

-Eh bien, Roux vient de me dire qu’il était désormais impuissant à tirer votre Papa d’affaire ;-et qu’il fallait

s’attendre à une fin prochaine.

-Mais qu’est-ce qu’il entend par fin prochaine ?

-Un an. Peut-être moins, peut-être plus.. Mais il ne le pense pas. Il m’a fait envisager au contraire des Fêtes de fin d’année assez pénibles. Ou s’il a de la force la première semaine de janvier…Mais Roux ne le pense pas…

Voilà bonhomme » ! acheva-t’elle.

Elle ajouta quand même que par acquis de conscience le Docteur voulais ordonner un examen  médical général

pour être tout à fait sûr.

 Je restais silencieux. Quelque chose commençait en moi à se fendiller. Mais il n’était plus temps de parler mon

Père et le Médecin revenaient

 

  Telle est  la première image qui me reste dans l’esprit.

   La « diapo » suivante nous réunit à quatre. C’est le Docteur Roux qui parle :

-Monsieur, il y a longtemps que vous n’avez eu d’examen de santé. Je vais vous faire une ordonnance pour

La Salpetrière.

-Pour le Professeur Marteau précise ma Mère

-Oui, pour le « Père » Marteau confirme le Docteur d’un ton subitement rêveur.(Sans doute était –ce ainsi que

l’appelait –en cachette-ses élèves dans le temps).

 

   Un simple examen de santé ? Je sais maintenant qu’il ment et que le résultat des examens allait être alarmant.

Roux n’était tout de même pas un idiot dans sa spécialité ! Le verdict était donc là maintenant. Il fallait d’onc s’attendre à une disparition qui ne pouvait être que cruelle… La mort allait nous de nouveau nous frapper de très près cette année…

   Telle était donc la « petite idée » du Docteur Roux à demi-estompée par le Docteur Roux dès octobre 1979.   

 

Notre plan ORSEC S’organise.

       Quand il s’agissait d’aider ou de se tirer d’un mauvais pas, ma Mère avait un esprit pratique et de décision

Hors pair.  Mais dans ce cas-ci, il fallait qu’elle y ajoute une bonne dose de douloureuse énergie.

     La triste occasion qui se présentais allait lui permettre de donner la preuve pour la dernière fois, de ses

 

   La troisième photo intérieure de ses tristes jours qui se présente à mon souvenir est sombre. Elle est faite

de nuit et a pour cadre ma propre chambre. Mon Père a encore un suprême sursaut pour assurer ma toilette

et mon coucher ! Le sommeil viendra-il ? Pendant que j’attends ce capricieux sommeil, ma Mère entre.( Elle a

la délicatesse de ne pas allumer pour nous permettre à l’un comme à l’autre la discrétion d’une émotion

s’il y a lieu). Je me la rappelle assise au bord de mon lit ; et elle bâtit une solution pour parer à l’mmediat :

 

-          J’ai bien envie de demander à Dominique de Maindreville son aide. Vous vous souvenez de Dominique

n’est-ce pas.. Il vous a conduit au mariage de Sonia ? Il avait bien su vous porter sans vous faire mal..

Et puis il doit savoir soigner puisqu’il soigne les Lépreux…

 

 En entendent la dernière raison invoqué par ma Mère, pour me covaincre, j‘imaginais aussitôt un infirmier couvert des plaies popularisées par les Livres Saints et la littérature qui en avait découlé.

 

D’où le scepticisme de ma réponse :

 

-Oui, peut-être… ?              

 

Mais tout au dedans de moi, je me libérais difficilement de la sensation et de l’empreinte des bras paternels.

Dès le lendemain ma Mère téléphona à Dominique sa réponse fusa dans l’appareil :

 

-« C’est entendu ma Tante j’arriverai Dimanche avec l’abbé Jeantet ».                                                                 

Les « moments privilégiés » .

 

    Le reste de la semaine, quatre jours environ, fut constitué par ces « moments privilégiés » comme les

appelaient ma Mère. Nous profitions de nos derniers instants de solitude à trois. Nous écoutions de la

Musique…

Pourtant ces moments de calme bonheur étaient troublés par les crises d’impatience dont souffrait mon

Père…..

 

  Un chevalier de Malte à La Glazière.      

  

        Un des premiers Dimanche de février 80, Dominique fit son entrée à La Glazière ; - non sans l’aide

technique d’un ami.

 

        Une période commençaIt.  Combien de noires péripéties seraient  traversées en la compagnie de ce

cousin ;- et en partie grâce…Avec Dominique l’Ordre de Malte entrait à la maison : mais cela importe peu.

Sa continuelle bonne humeur allait essayer de secouer la lourde ambiance dans laquelle nous vivions.

Et pourtant, il me le pardonnera j’espère, malgré son joyeux compagnonnage ces années demeurent pour

moi des années de glace.

       

                Au début de cette partie de mon récit, j’évoquais un champ de laves. Il va se transformer, à partir

de la mort de mon Père, en une étendue glacée. Parfois limpide, belle et lisse ; le plus souvent encombré

de gros blocs qu’il faudra soulever : les ennuis qu’il faudra dénouer avec une énergie épuisante.

 

              C’est aussi à partir de 1980, au dire des commentateurs, que les fortes certitudes se feront moins

nettes ; que de petites ou de grosses erreurs de raisonnements se manifesteront.  

Là-bas.

 

      Assez philosophé…

Le mercredi suivant, le ménage Droulers emmena notre malade vers Paris et la Salpetrière ;- Première station

d’un chemin très secret et intérieur, où ma Mère et moi nous ne pouvions l’accompagner que par la pensée.

 

   A partir de ce jour-là, les nouvelles de mon Père me furent données avec moins de précision. Ma Mère

grâce à une affectueuse chaîne familiale et amicale était tenu au courant de ce qui se passait à Paris.

Mais à quelques années de distance, je gage qu’à cause de son fragile état de santé, on devait à elle

aussi lui filtrer les nouvelles. Après quoi on me distillait en fonction des capacités que j’aurais à les

« encaisser » ;- capacité toujours variable selon les jours…

Ainsi Madame Tavier devant qui je m’effrayais d’un certain examen dit scanner. Mais elle me dit se

réjouir de voir notre malade bénéficier grâce à son séjour à Paris de la toute dernière-née des techniques

scientifiques. A l’entendre, mon Père allait faire partie de la première génération des malades examinés au

scanner ;- c’était au début de 1980. C’était évidemment l’examen général du cerveau qui devait faire l’objet

de cette recherche tout à fait sophistiquée.

 

     Ma Mère et moi, nous attendions avec anxiété le résultat de ces examens ; - le reste des « épreuves » n’ayant

 pas, je crois, apporté de révélations extraordinaires. Ma Mère toutefois ne se faisait aucune illusion sur les conclusions qu’on en tirerait. Elle faisait tout de même entièrement confiance à la sûreté du premier diagnostique.

 

Quant à moi, je me raccrochais aux progrès de la médecine moderne. Elle permettrait peut-être une dernière guérison. Tout en acceptant en surface l’inéluctable, je me refusais en profondeur à cet inéluctable.  

 

 

Qu’on rie pas de mon pauvre savoir scientifique et humain. Ma naïveté même me permit de tenir pendant la

totalité presque de ces 12 mois. Evidemment , la chute ensuite n’en sera que plus dure. Cependant, en y

réfléchissant, j’ai toujours estimé 1980 moins accablante parce que plus naturel ;- alors que les avatars de

1978 et 1979, avaient été plus hérissant,  parce que plus imprévisibles. Cette année-là avait été plus inorganisée

plus subie qu’acceptée.

 

 

     Pendant ce temps, La Glazière….

                  Entre parenthèses courte biographie de Dominique de Maindreville.

                                        

      Dominique est le Petit-Fils du frère de mon Grand-Père paternel. Il avait fait un essai de vie contemplative

chez les Bénédictins à partir de 1974. Puis il revint à la vie du monde. Vers 1978, il ré endossait donc le costume

d’Homme de Loi et fut Premier Clerc de Notaire dans une Etude proche de notre « home ».  Ma Mère, toujours au fait des évènements de famille, avait alors risqué le tout pour le tout en lui faisant appel ; et, mon Dieu, avait

encore une fois réussit.

                Comme on l’a vu, Dominique accepta notre double charge,- peut-être sans y réfléchir, - et fut pour la

Mère comme pour le fils un discret et heureux conseiller, tout autant qu’un joyeux compagnon.

                             

  Comment vivait-on donc à La Glazière ?

 

      Dominique prenait la voiture dès 7 heures du matin pour se rendre à l’Etude. Il ne revenait qu’à 6 heures

du soir pour savourer un thé tardif qu’il savait conservé à son goût. Ma Mère et moi, nous passions donc des

journées assez  solitaires. Par un heureux hasard ses rhumatismes lui l’essaient plutôt la paix cette année-là.

Elle en profitait pour faire ce qu’elle appelait des rangements ;- en vue de je ne sais quel avenir…Occupant

comme je l’ai dit son lit, nous aurions pu parler éternellement de la situation ; mais d’un commun accord nous

avions résolus l’un et l’autre d’attendre les « résultats » ;-et en même temps les réactions de notre cher absent.

 

    Ces résultats tombaient avec une désolante banalité ; du moins à en croire ma Mère qui peut-être les « arrangeaient» à mon égard. Ils indiquaient un état extrême de fatigue ce dont nous nous étions aperçus

avant l’hospitalisation. Le véritable juge suprême devait être ce Scanner. Il parla enfin !

 

    Ma Mère me parla d’un déplacement en avant de la masse cérébrale….Pesant sur la voûte sourcilière….

Sans doute était-ce là la conséquence de chemin de fer subi en 1921 et des multiples chutes faites par mon

Père.

 

   Je pense aussi les fatigues accumulées et l’âge avaient également joué leur rôle en provoquant une

sclérose cérébrale. La situation était donc sans recours.. Et le Docteur Roux, sans connaître du passé se.

son patient avait vu clair.

  Me relisant je remarque la sécheresse et l’imprécision de ces dernières lignes. Elle ne sont que le

Reflet des explications que me donna ma Mère ;- complétées par mes réflexions.

 

Après la mort de mon Père, pendant 6  ans et demi que dura sa vie solitaire, ma Mère garda une reconnaissance

particulière au Docteur Roux, pour la façon délicate et humaine dont il avait user pour l’avertir des lourds

nuages qui s’accumulaient sur notre foyer. Il eut alors droit aux « Grandes Entrées » comme on disait au

XVIIe siècle. Cela est si vrai que ma Mère le réclamait encore à l’Hôpital de Melun. (Mais n’anticipons pas).

 

 

   Deux généalogistes passionnés.

 

                En entrent à la maison, Dominique apportait son aide généreuse mais il apportait aussi des renseignements familiaux qui manquaient peut-être à ma Mère. Après sa journée de travail, ma Mère

et lui conjuguaient leurs savoirs et se perdaient avec passion dans le dédale des vieux papiers.

C’est au cours d’une de ces soirées que le téléphone sonna. C’était Françoise Ahrenchiagues qui de

passage à Paris était allée voir son oncle. Elle avait constaté l’arrêt des examens. Très discrètement

elle estimait que le malade serait mieux entouré au sein de sa famille et qu’il était peut-être temps de

le ramener parmi nous !

 

Si j’en crois mon souvenir, ma Mère temporisa encore un peu. Puis, un autre correspondent ayant plaidé

dans le même sens, elle ne put que se rendre et alla le chercher elle-même en ambulance. Ce retour en

ambulance fut pour les deux époux leur dernier voyage ensemble. Certes ; il devait plus tard y en avoir un

autre ; mais ils seraient dans deux voitures différentes et son but devait être funèbre.         

 

      Durant ces deux mois d’hôpital, les Pange avait fait eux aussi souvent le trajet de Mimouche à la Salpetrière

pour entourer leur vieil ami. Il leur était resté dans l’oreille le bruit d’une canne qu’on avait glissé dans la main du malade pour des raisons évidentes, d’aide dans sa démarche. Ils me l’avaient dits et je me préparais stoïquement à voir mon Père débarquer muni de cette assistance. Pour m’encourager, je me répétais

la charade du sphinx hellène :

 

-« Quel est l’animal qui marche à quatre patte le matin, à deux patte à midi, et à trois patte le soir ? »

Bien sûr c’était l’Homme. Seul Œdipe avait trouver la clef de l’énigme qui accès à la Citée…

Je m’attendais donc à voir mon Père faire son entrée appuyé sur cet accessoire qui proclame la

vieillesse de son propriétaire. Quelle ne fut pas ma surprise en voyant un homme atteint certes, mais

se débrouillant tout seul, après avoir confié sa canne à la première personne rencontrée ;probablement

Jeanne.   

Et de fait, par coquetterie, sans doute, je ne le vis jamais utiliser aucune canne, ni demander aucun concours.

Et tous ces efforts tendaient, je crois à ne pas me révéler trop brutalement sa situation. Ce ne pouvait être que

pour cela, car je conserve de lui le souvenir d’un homme trop intelligent pour cette fois, il ne se pose pas des

questions sur les précautions dont il se voit entouré. Vers la fin de son séjour parmi nous, en été, ma Mère

lui ayant un peu représenter le danger qu’il courait, il accepta le secours d’une personne pour gravir les 6

marches qui conduisaient à la chambre Empire.

 

Me restent dans les yeux trois souvenirs. Ils sont tous du même jour.

 

Le soir même à l’heure du dîner, mon Père s’approcha du lit de la grande salle à manger sur lequel j’étais allongé :

 

-Aller bonhomme ! je vais vous asseoir.

Rendu craintif par les mises en garde maternelle, et plus encore à la pensée de ce mois de repos musculaire  je répondis qu’on attendrait Dominique qui assurerait la manœuvre.

-Non ! non ! vous avez peur ?   

                                                                                                                                                                    

Je sentis que c’était lui donner une preuve de confiance en acceptant sa proposition . Comme jadis il

M’enleva donc dans ses bras apparemment ,avec autant  de sûreté qu’auparavant mais retentit derrière

Moi un vrai glapissement :

-Dominique ! vite le fauteuil ! Tu vois bien ce qu’il est en train de faire !  

Le brancardier se précipita avec l’objet demandé et je fus assis, sans que mon Père eut trop à attendre..

Cependant,  il ne recommença jamais, sans doute très vite repris par les lassitudes « Glazièriennes »

Cela reste dans ma mémoire un souvenir doux et amer.                                                                      

Et vint le second souvenir. A la fin du repas, on servit un copieux gâteaux au chocolat, la friandise préférée

de mon Père. Naturellement le plat circula une deuxième fois. Dominique avant de se resservir lui-m^me en

offrit poliment à mon Père

 

-Non merci. Je me suis bien servit au premier tour. Je n’ai plus faim.

 

Dominique commença donc à se servir ;-sous les regards hésitants de mon Père.

 

-Oh Eh bien si ! donnez-m’en un peu…

Et il termina gaillardement le plat….

 

La troisième image me représente mon Père, bien rassasié, monta se coucher. Dominique qui  le suivait discrètement me rapporta plus tard qu’il avait monté l’escalier non seulement sans aide, mais deux marches

par deux marches ! Tant la joie d’être chez lui était grande !

     Cet homme devait s’être ennuyé à mourir à l’hôpital ! Peut-être avait-il demandé qu’on intervint auprès de

ma Mère pour être ramené en Seine et Marne.

Quelques instants après, allongé dans ma chambre, il me parut évident que j’avais eu raison de mettre mon

espérance dans les progrès de la médecine.

-Vous le voyez bien dis-je à ma Mère, la Médecine est en progrès ! Peut-être s’est-il trompé ? Il connaissait

Papa depuis si peu de temps ! Il ne s’attendait sûrement pas à une pareil réaction…

 

J’avais bien sur oublié un peu vite le l’incroyable résultat du scanner. Celui-ci avait prouvé la sûreté de vue

Du jeune médecin. Quoiqu’il en soit , je m’endormis presque assuré de son erreur.

A ma connaissance, ces épisodes rassurants ne se répétèrent jamais ;-ni ensemble ni séparés, ni en aucune

manière. Nous nous engageâmes dans un printemps de plus en plus marécageux. Quant mon euphorie du

premier soir, elle s’évanouit plus vite encore….

 

Lorsque ma Mère avait eu l’idée de faire appel à Dominique, c’était bien entendu à titre expérimental.  Il se pouvait en effet que pour une cause ou une autre le projet échouât. Nous nous serions alors trouvés dans

situation très particulière et qu’il vaut mieux ne pas même envisager.. Autrement dit le coup de Dés tenté

par ma Mère avait réussit…

 

  Mais tout ayant bien marché, l’ambiance familiale jouant, Dominique accepta de rester quelques semaines

de plus à la maison ;- pour les week-ends il rentrait pourtant à Neuilly auprès de ses Parents. Il ne fallait tout

de même pas abuser ! Dominique avait demander à sa Tante de lui rendre une complète liberté pour la quinzaine

Pâcquale, période qu’il souhaitait passer à Rome. Ce dernier « îlot »de calme familial ne pouvait donc durer.

 Ma Mère se mit en quête de Personnes capables d’assurer la garde du Pavillon et nos toilettes à tous deux.

Il était souhaitable qu’elles entrent donc en fonction avant Pâques.

 

  Depuis septembre 1979, Une jeune femme habitant le quartier neuf du Châtel en Brie, venait faire le gros

du ménage. Elle se nommait Liliane. Notre offre intéressa sa sœur et son beau frère,. Jean-Claude Lançon 

et sa femme occupèrent donc le logement laissé libre par les Tuhault  5 ans avant. Ils furent les premiers

Gardiens de cette époque. Durant  6 mois, ils nous escorteront et nous aideront à traverser l’un des pires

moments de notre Histoire.- d’avril à décembre 1980.

 

En outre, nous étions surveillés du coin de l’œil par certains habitants du nouveau quartier de notre Chef

Lieu de Canton. Il y avait Madame Tavier ; et surtout le si précieux Jean-Pierre Louchart.  Celui-ci se

chargeait depuis le printemps 79 de conserver-comme il le pouvait- son caractère Grand-Siècle au ;

petit jardin qu’avait voulu mon Grand-Père.  Cette entretient nécessitait de multiple visites ;et cette

régularité assurait une connaissance et une confiance réciproques.. J’ai en tout cas la faiblesse de

le croire.       

   Telle était la toile de fond. On peut désormais revenir au quotidien et à ses problèmes

Dominique toujours passionné de Recherches, passa un de ses week-end parisiens à

Vincennes aux Archives Militaires. Il en rapporta la photocopie des élogieux Etats de

Services de mon Grand-Père paternel. Il espérait susciter une réaction d’intérêt….

En fait, mon Père regarda ces précieux papiers d’un œil déjà absent. Après sa mort

ce fut ma Mère qui entretint ses propres souvenirs familiaux ; elle y consacra ses

nuits d’insomnies,- ( que j’imagine nombreuses)  rêvant autour de ces glorieux brevets.

Ce fut par un samedi des Rameaux véritablement pluvieux que le nouveau ménage de

Gardiens s’installa.. Fallait-il y voir un présage des heures difficiles qu’il devait y vivre ?

En tous cas leur arrivée permit à Dominique d’emmener sa Chorale à Rome et d’y être

Exact avec elle à la Bénédiction Pontificale du matin de Pâques. Avant d’y partir il tint à

rencontrer Christian Droulers qui, cette fois, vint accompagné de Monique. Le dîner se

déroula normalement, sans la moindre gêne apparente. Peut-être fut-il marqué seulement

par un peu plus d’attention en direction du rescapé des Hôpitaux qui continuait sa descente

solitaire. Des souhaits de prochain revoir terminèrent cette soirée du Mercredi Saint 1980…

 

    Le Tuteur Brisé.

           

          Avant de perdre son Epoux, ma Mère devait voir s’éloigner pour toujours celui en qui

mes deux Parents avaient placé tous leurs espoirs pour les remplacer à côté de moi le moments

venu.

La triste façon dont je vient de parler de Christian laisse deviner que quelque chose menaçait ce

cher cousin tragique pour les siens et consternant pour ceux qui avait placé en lui le repos de leur

esprit pour l’avenir.

Il nous quitta donc Puis cinquante jours s’écoulèrent qui nous conduisirent de Pâques à la Pentecôte.

Le printemps s’était installé, bien morne. Or, un samedi matin, le téléphone retentit. D’après les premières

phrases ou exclamations de ma Mère, je compris que son correspondant était Nicole Gdest ; son message

fut court . A peine avait-ele  raccrocher que ma Mère me lança :

 

-« Christian est à l’Hôpital pour des examens généraux. C’est très grave » ! 

 

Annoncé de cette façon, la nouvelle me parut tellement forte et extraordinaire que je ne voulut pas y croire.

Quant nous nous rejoignîmes à midi, ma Mère me confirma la gravitée de la situation : bien qu’en observation

Christian était jugé perdu ;-atteint par un cancer déjà généralisé.

                 

Avec son caractère pessimiste ma Mère ne nous lassait donc que peu d’espoir. En effet, 48 heures après ce coup de fil alarmant, Nicole annonçait la mort de son Beau-Frère Christian Droulers…

Il fallut du temps avant que n’entende ma Mère parler de cette disparition. Elle m’en parla cependant une

fois en 1986. J’y reviendrai peut-être.

Ainsi, comme beaucoup des années dont nous avons fait le récit, 1980 serait donc marqué par la mort.

Deux décès Capitaux. La disparition de Christian engendrera une particulière perplexité de ma part

lorsque 7 ans plus tard l’Hôpital de Melun réclamera le nom d’un correspondant avec qui s’entretenir.    

 

Je n’ose imaginer ce que furent pour ma Mère les mois et les années qui suivirent les départs de son

mari, après ce neveu qu’elle avait choisi pour parer à tout malheur naturel.. Chantal de Pange me

confia plus tard, que ma Mère avait été littéralement « faucher sur pied » par ce coup du sort.     

France ! France ! qu’as-tu f ait des promesses de ton baptême…. !

 

 

   Tandis que La Glazière se voilait de sombre, Paris se paraît, afin d’accueillir le plus dignement possible

Jean-Paul II ;- premier Pape à fouler le sol de la France depuis Pie VII.

 

   Le voyage du nouveau Pontife n’aurait été pour nous, campagnards, qu’un déplacement officiel supplémentaire ;- occasion d’un programme Télévisé spécial, si le journal « Ombre et  Lumière »

n’était venu charitablement nous tirer de notre glèbe physique et morale.

 

  Les choses prirent tournure très spontanément. Une série de coups de téléphone entre les Michel de

Laval et ma Mère remplacèrent les appels angoissés de ces derniers jours. Ma Mère, Tante Jeannine

dut téléphoner la première pour informer les Laval du triste état dans lequel se trouvaient les « Cousins

de Seine  et  Marne » 1. Bien sûr à ces nouvelles s’ajouta un tour d’horizon sur les affaires générales

courantes. Ainsi fut évoqué la visite Pontificale.

 

-Oui, répondit Yvonne de Laval, épouse de Michel. Nous sommes chargés par Marie-Hélène,( Mattieu )

d’organiser tout deux une ligne de cars, de la gare Montparnasse au Bourget, Martial peut-il venir ?

  

   Malgré la gravité de nos soucis, ma Mère ne fit guère de difficultés. Elle pensait à juste titre qu’une telle

rencontre nous aiderait à surmonter les autres évènements trop précis qui se profilaient pour nous à l’horizon.

C’était bien de promettre mais il fallait tenir.   Et C’est encore chez les irremplaçables amis Aubé que ma Mère

frappa. Très amicalement, Bruno accepta de se trouver dans notre cour à 5 heures du matin, pour m’emmener

à ce rendez-vous peu ordinaire.

 

     En guise de Veillée d’Arme de cette journée Pontificale, une Messe fut célébrée pour les Travailleurs Français

et Immigrés, sur le Parvis de la Basilique de Saint Denis. Sans doute dans son homélie, le Pape parla-t-il du monde ouvrier. Mais le souvenir qui me reste de cette Messe est ce singulier ensemble de couleurs des

draperies dressées devant les portes de la Basilique Royale. Une symphonie de blanc et d’écarlate : le

blanc de l’autel et des ornements et l’écarlate des grandes tentures qui flottaient. Cela se déroulait sous un

ciel d’un bleu ardoise chargé d’orage, le 31 mai. Tel fut le lever de rideau que je vis à la Télévision.

 

      Le nouveau Gardien et ma Mère crurent me réveiller le lendemain Dimanche 1er juin, mais à la vérité

J’avais peu dormi, anxieux de savoir quel serait mon comportement pendant la fameuse journée. En effet

je n’étais plus sorti, ni seul ni accompagné depuis bien des mois. Et ce Dimanche allait constituer l’une des      

cinq ou six sorties que j’allais faire au cours des 7 années qu’il me restaient à vivre à La Glazière.

Quoi qu’il en soit, Bruno Aubé fut scrupuleusement exact ; et nous voilà en route pour cette gare qui allait

devenir un éphémère Relais Routier.

 

Ensuite ce fut la recherche du Point de Départ ;- puis la montée périlleuse à bout de bras dans le car le

2ème – il y en avait au moins 7. Ensuite ce fut la joie grave d’aller où nous allions. Joie aussi partagée

avec une délégation de « Foi et Lumière » de la chère ville de Chartres, récupérée par je ne sais quel

hasard ! Enfin c’est l’arrivé au Bourget et mon premier contact avec des… Handicapés !

 

     A la descente du car, le ciel est chargé et l’air humide. On cherche une place en pataugeant dans la

boue.              

                                                                                                                                   

Il a plu cette nuit et il pleuvra tout à l’heure encore. La Télévision profite d’une relative accalmie pour

faire des essais en profil perdu. Cela me vaudra une courte célébrité en Seine et Marne et ailleurs. On

finit par se caser et commencent  2 heures d’attente. L’auguste visiteur aime à s’attarder avec ses Ouailles

précédentes. ( Surtout lorsqu’il s’agit des compatriotes du Pape, comme je crois que c’était le cas ce matin-là

pour la Colonie Polonaise de Paris )… Enfin ! Le voici… !

 

         Quand je dis le Pape arrive, en fait je n’entends qu’un bruit. Il arrive par derrière nous, car nous sommes

adossés à un mur humain. Il m’est difficile à moi et à mes voisins de nous retourner et à travers cette masse de

« voir » l’arrivée. Un crépitement roulant d’applaudissements accompagne sa progression vers le terre-plein où

a dressé l’autel. J’entrevis plutôt que je ne vis la « Jeep » blanche entièrement découverte et un Evêque déjà

revêtu des ornements sacerdotaux. Le moderne carrosse file droit vers la légère plate-forme où s’élève un autel

nappé de blanc et surmonté d’une grande et simple croix de bois brun.

 

  Alors commence la « Messe pour le Peuple de Dieu ». Puis c’est la célèbre homélie et son interrogation aussi

sévère qu’inquiète : « France ! France ! Qu’as-tu fait des promesses de ton Baptême ? » suivie d’ailleurs presque

immédiatement d’une presque excuse d’être allé peut-être un peu loin en posant si brutalement sa question…….

Et je vois dans cette courte excuse la marque de son éternelle politesse,- dont il aurait pu se dispenser car il

parlait là en maître et en éducateur.  

    Vers la Consécration, un léger parapluie blanc ( naturellement ) vient préserver le Célébrant et son Auguste

Visiteur du léger crachin qui débute.

 

Est-ce que j’accorde trop d’importance à ces conditions climatiques qui marquent cette journée ? Peut-être.

Mais après 12 ans de réflexions, je me pose la question de savoir si ma Mère n’eut pas tort d’accepter pour

Moi sortie, alors que j’étais sous l’empire des « dépersonnalisants ». ?           

Bien sur j’ai vu le Souverain Pontife et j’eus même l’honneur de communier de sa main…mais je le voyais comme en rêve. J’étais pourtant bien présent- et attentif. Mais  j’était déjà tout entier tourné vers cette fin

d’année pontificale…J’aurais voulu pouvoir faire part des soucis qui ne me quittaient pas à cet homme en

 blanc qui la-bas priait pour eux sans les connaîtras…Ce ne fut qu’après le passage du Pape près de moi

que je pris conscience de l’occasion qui peut-être s’offrait de parler.. Mais déjà il était passé. C’était  fini.

Il ne reviendrait pas…1

                  Bruno et moi, nous trouvons en regagnant nos places dans le car un grand rouleau : c’est une

Photo du Pape, drapé dans le grand manteau rouge de ses voyages. Ce « poster »tiré en hâte par le journal

« L’Expresse », veillera sur mes nuits et mes jours pendant les six prochains mois  il sera exposer sur un certain

« transat »-rangé je ne sait pourquoi dans le vestibules- ,il servit à ma Mère pour se détendre pendant et après lz

guerre.

Et pour finir c’est à travers un rideau de franche pluie que j’aperçois un vieux Monsieur. C’est Jean Vanier, fils

du Général Vanier ancien Ambassadeur du Canada en France. Jean Vanier paraît tout heureux de nous avoir

rendus heureux..

 

   Vers 5 heures, c’est le retour à Paris, escorté par Nicole de La Soudière dans les bras de laquelle je suis

tombé dès le départ du Saint Père.  Elle paraît très au courant de la pénible situation des hôtes de

La Glazière ; elle m’exhorte à vivre courageusement cette épreuve. Afin de prolonger cette cousins, Bruno et

moi nous la déposons à sa porte et reprenons le chemin de Seine et  Marne. Au court de ce trajet je parle

avec Bruno du Tri-Centenaire de Saint Benoît ; il fait partie du Comité des Fêtes. A la maison, mon Père

attend la voiture Aubé avec un mélange de joie de m’avoir su là-bas mais aussi beaucoup d’étonnement

de ne pas avoir été sollicité comme indispensable dépanneur. C’est autour d’une réconfortante tasse de

thé que, mon chauffeur et moi, nous entreprenons de raconter les principaux moments de la journée ;-

cependant que tombent au téléphone les messages de sympathie. Tous s’inquiètent du sort de la « vedette »

qu’ils ont vu ce matin à la Télévision ;- sans oublier les attendrissements bien inattendus dont c’est l’occasion.

 

   Le jardin des adieux.

 

       Quel souvenir de Paix ce juin n’aurait-il pu laisser si le contexte familiale avait été plus favorable ! En fait

il ne va plus me rester qu’à être le témoin des dernières visites que reçut mon Père ;  et dont malheureusement

il ne sera plus que le simple spectateur, déjà presque absent. En voici les principales :               

 

   Les premiers échos des solennités Papales nous furent apportés par notre ami. Et je nous revois, tous trois

adossés à la façade côté jardin. Certes, il n’en avait pas profité comme il l’aurait voulu.. Mais dans sa Paroisse

il fallait bien « Garder la Maison » comme Cendrillon…  

                 En tout cas est-ce jour-là que le reconduisant et se ressaisissant pour quelques instants, mon lui

demanda, avec des larmes, de me suivre le plus longtemps qu’il le pourrait… ? C’était supposer à mon Père

une connaissance de son état plus exacte qu’il ne pouvait se la formuler clairement.

Cette rencontre poignante eut lieu, je pense, le 5 juin 1980. C’est à dire dans la semaine qui suivit les Fêtes

Pontificales.

 

                    Le 8 juin, ce fut à moi de faire une visite d’adieux . Adieux au Château de Beaulieu. J’y fut

ce jour-là triste voire nerveux, comme dans tous les épisodes de cette amère période, je sentais trop bien

que ces instants qui m’étaient offerts ne reviendraient pas. C’était pour moi une sorte de devoir d’entourer

celui qui bientôt ne serait plus là. Selon mon raisonnement de l’époque, tout instants passé loin de lui était

un instant volé. Par ailleurs, en toute bonne foi et de façon peut-être un peu naïve, je me croyais d’une grande

aide pour ma Mère. C’était absurde. En bref, je craignais qu’en mon absence quelque chose ne se passa.

Mais je n’était pas responsable des invitations puisque ma Mère les acceptait en mon nom.

         

  En août, le ménage Jean Schelcher vint aux nouvelles. Ce dernier revoir fut marqué dans mon souvenir

par une lourde chute que fit le Maître de Maison sur la bordure de pierre qui s’étendait au pied de la façade

côté jardin.

 

   Le troisième « au revoir » annoncé fut rapide comme un échange de balles au tenis. Chantal de Saint Remy

passa en coup de vent, en fin août ; revenant de chez  ses amis Géliot où elle avait probablement disputé un

« set ». Le souvenir me la restitue habillé de blanc avec un tricot bleu de roi. Au moment de partir, elle le salua

de loin d’un « Au revoir, Oncle François ! »..Mais Oncle François, ne répondit pas, déjà trop enfoncé dans un

inquiétant sommeil discrètement, elle insista pas, et s’en fut.    

 

 

   Ainsi s’épuisaient les jours ;- au rythme des deux principaux repas.

Ce sont les deux seuls moments qui l’intéressent encore. Nous essayons bien de capter son attention et son

esprit grâce aux Journaux Télévisés. Là, il manifeste encore des préférences : ainsi, il s’énerve presque toujours

devant le tempétueux  Yves Mourosi, et son « bonjour ! » trop bruyant et trop peu réservé à son goût.  En

 principe, par contre, le calme revient avec le paisible Roger Gicquel…L’un et l’autre disparaîtront de nos Ecrans,

me semble-t-il, avant la fin du mois de septembre.

 

   Quant à moi, je lis beaucoup, pour la dernière fois assis. Le dernier tome des « Racines du Ciel » sous-titré :

Marie Bon Pain. Je sentais bien à hauteur des hanches et des reins une douleur. Je l’attribuais au corset, hâtivement et pour ainsi dire pas corrigé.

 

   Tout cela nous mena au mois de septembre.   

                                                                                                                                                                 

Ce n’est qu’un « au revoir »….

 

   Vers le mois de septembre, les jours étant plus mornes, le malade descendit d’un degré… Le 2 septembre, en

parla par téléphone aux Cugnac.

 

-« Dans le fond, lui répondit Jackie, vous avez besoin d’une aide supplémentaire, je viendrai tantôt avec Henry, et

nous verrons ce que nous pourrons faire.  Ils vinrent donc comme promis, amenant Madame Deniset. Sa venue

marque pour moi un tournant décisif dans notre vie à trois. Ainsi achevant avec mon Père une courte promenade, je l’entendis dire à mon Père, qui lui demandait toujours un peu rêveur ce qu’on allait faire et où l’on allat.

 

-« Eh bien maintenant nous allons prendre un bon petit goûter ».

 

   Mais c’était dit sur le ton et avec cet accent que reconnaissent tout de suite les habitués des hôpitaux. Ma

Mère dut sans doute aussi le saisir, et lire sur mon visage un certain désarroi. Ce qui l’encouragea dans un                       

premier temps à ne pas retenir l’idée d’une infirmière à demeure. Ce refus exprimait-il à plus long terme la

prise d’une décision plus radicale encore, mais dont elle ne me fit pas part tout de suite ? En attendant, on

laissa repartir la dame sous je ne sais quel prétexte. Bien qu’elle proposa de faire chaque jour les 18 kms

de Fontainebleau à La Glazière à vélomoteur. C’était carrément injouable.

 

  Pendant l’épisode du goûter, j’avais entre-aperçu le grand bureau-cylindre qui autrefois meublait la chambre

de mes Parents à Paris,- aujourd’hui on l’évacuait de la chambre Empire vers La Tanière, pour faire de la place.

Or, mon Père et moi, nous en avions fait le symbole de l’élégance décorative qui avaient été les nôtres jusqu’en

1972. 

Mais trêve de nostalgie, il faut revenir à un quotidien consternant..

 

   Le dImanche 3 septembre fut décisif,-irréversiblement, mon Père qui depuis trois jours vivait en costume de nuit, tomba en se levant de la table du déjeuné. Malgré son âge,  il tint à se relever seul, et y parvint. .Il quitta la

pièce escorté par Lançon, inconsciemment, et sans avoir veiller au bon français de ma phrase je prononçai :  :

 

-« Mais qu’est que ça va devenir »?

Ce qui en sous-entendu signifiait qu’allons-nous devenir ? En posant cette question dans ce français

approximatif, je voulais faire sortir ma Mère de son mutisme, sans doute désespéré mais digne et résigné.

Pour moi, en effet, il était inconcevable de rester à La Glazière, en tête à tête, ma Mère et moi, si notre chef

de famille devait la quitter.

J’obtins une réponse que je n’attendais pas :

 

-Oui, commenta ma Mère, c’est affreux. Ne m’en parlez pas. Je me demande si on ne va pas être obligé de le

mettre à l’Hôpital. Imaginez qu’il tombe la nuit en voulant descendre l’escalier ! Je ne pourrais pas l’aider à se

relever ».

. 

Elle donna  2 coups de téléphones : un à La Salpêtrièrie et un aux Ambulances Ferry . Malheureuses, toutes les

voitures étaient sorties ce jour-là ; ce qui fit remettre le transport au lendemain lundi 4 septembre. Pour attendre,

ma Mère eut l’idée de faire coucher quelqu’un dans la deuxième chambre à côté de celle du malade afin d’éviter

l’accident qu’elle redoutait tant.                                                                                                                                      

Ma Mère se lança alors dans nouvelle série de coups de fil, pour demander le secours  de bras forts1    près avoir fait le tour 

   

des gens  disponibles, elle dut se rabattre sur… Tuhault. Il fut le seul à accepter,- sans peut-être bien comprendre. Le vieux paysan n’allait pas tarder à être au courant….

Comme convenu avec ma Mère, il fit mine de passer nous voir, pat surprise, vers 20 heurs et proposa à mon

Père de l’aider à se coucher.                                                                                                                                                                      

Le lendemain, il témoigna à ma Mère avoir passé une nuit très agité. Monsieur de Maindreville l’avait passée toute entière à préparer d’imaginaires bagages, et ceci au grand effroi de son compagnon d’une nuit. Il conclut

à la nécessité d’hospitaliser mon Père. Avait-t’on prévenu le malade que le Professeur Marteau désirait le revoir ? En tout cas, il parut sur le moment avoir compris et accepté la nécessité d’un changement.  

 

 

   Vers 15 heures l’ambulance arriva. Notre histoire voulut que Jean-Pierre Louchart conduisit cette voiture.

Mon Père descendit donc, accueillit au bas des marches par ma Mère qui répondit à son étonnement en

Lui disant :

 

-Oui, François, Monsieur Marteau vient de téléphoner. Il aimerait vous voir dans son service. Ces Messieurs

vont donc vous emmener. D’ailleurs vous connaissez Jean-Pierre qui conduira.

 

Peut-être trompé par la tournure de phrase de ma Mère, Jean-Pierre joua le jeu. .

 

-Oui, Monsieur, on va y aller vite fait comme ça vous  serez renter ici pour dîner.

.

   Perdu à ce moment dans une biographie du Cardinal Woityla devenu le Pape Jean-Paul II, je levas pour la

dernière fois vers mon Père.

Il demanda où il devait se mettre : pendant qu’on le lui expliquait, je constatai que sa chère robe de chambre

bleue avait un trou… ! ces détails auxquels soudain on accroche sa mémoire pour ne pas réfléchir !

La réflexion devait venir ensuite. Elle dure encore tant d’années plus tard ! 12 ans au moment où j’ai écrits

ces lignes. ( Et  24 au moment de leurs relectures ).

 

       Ma Mère depuis le perron assistait à son embarquement, me raconta qu’ayant envoyer un baisé du bout

 des  doigts au cher partant, il y répondit par un signe de la main. Ainsi, il saluait une dernière fois son Amour…

 Ce geste semblait dire : « A tout de suite !» A sept ans près ( mesure humaine ) ce fut presque vrai.

Quant ma Mère revint au salon elle me dit :

 

-Voilà. Il est parti.

 

J’essayai de la soutenir d’un mot approprié, peut-être bête :

 

-Il reviendra peut-être. On ne sait pas…

 

-Ce n’est pas souhaitable. Il ne faut pas qu’il revienne, je vous ait expliqué pourquoi Bonhomme…Ce tendre rappel me remis devant les yeux L’ESCALIER , principale raison de cette séparation, et tout ce qu’il pouvait entraîner comme complications et désagréments. Ayant cette fois définitivement comprit, je n’insistait pas. .

  

     Un no man’s land.

 

           En quittant La Glazière, mon Père nous mettait dans un no man’land, No Man’ Land en effet que

ces quelques semaines, peuplées seulement d’informations relatives  à l’humeur ou au confort du malade

 température etc.    .… Vers octobre pourtant une précision se dressa sur cette platitude : on avait transporté

mon Père dans une « maison de repos … Plus adéquat à son état. » Ce sera sa dernière étape.

C’était à La Celle Saint Cloud. Il y fut, je crois, bien entouré ; peut-être par les personnes qui n’habitaient

pas Paris,- les « banlieusards » Parmi ces gens de bonne volonté, citons Gilbert de Lavigerie qui poussa

souvent la porte de l’établissement, Chantal de Saint Remy, et surtout, surtout, Nicole Godest qui plus tard    

 m’apprendra tant de choses, étant l’hésitante et triste accompagnatrice que l’on devine.

 

 

    Pendant ce temps, à La Glazière, la porte ne s’ouvrait déjà plus que pour les chers habitués :

Pange, Chevron-Vilette, Madame Besson femme du Notaire du Châtelet, sans oublier Daniel

Hardeiller qui veillait plus régulièrement sur la maison et ses habitants.

 

   Au cours des années suivantes, les parisiens reparaîtront, ( comme un encouragement pour moi, à être patient). En premier lieu Monique Droulers et sa sœur Nicole Godest. Suivront Oncle Jacques de Dreuzy

escorté successivement de Tante Monique, sa sœur ou de Tante Geneviève, sa femme. On notera quelques

visites de Monsieur le Conseiller d’Etat et de Philippe son fils..

 

 

     Le dernier tour « d’honneur ».

                                         

   Mais pour le moment, je conserve avec prédilection, quoiqu’elle en dise, le souvenir du passage du ménage

Saint Rémy, accompagné des jeunes Albane, Marie-Hortense et Théodore. Tous les cinq ,me firent faire la

dernière grande promenade1 que j’ai faite avent de quitter à mon tour la propriété.

 

   Le salut adressé à notre terre, nous conduisit, jeunes et plus âgés vers la célèbre allée des Pommiers que

nous enfilâmes dans les deux sens : il fit aboutir après le rituel tour de parc, sur la margelle de la pièce d’eau.

Le groupe de la Mère et de ses enfants, flanqué du « non noncle » fut tourné en cinéma amateur par le Père

de famille.. J’ai même aussi le souvenir d’avoir été filmé en gros plan.. Si j’insiste, sans discrétion, sur cet

instant de « pub » personnelle c’est que ces quelques images constituent le seul témoignage palpable, animé

ou fixe me concernant qui subsiste pour la période 1977 à 1987.             

   Après ces essais de « star » de l’écran, nous revenons lentement vers la maison. Au cours de nos différends

Trajets, les deux Parents, n’eurent de cesse de me faire accepter un fauteuil électrique ;-un client de mon cousin

François, en tenant à sa dispositions.- Avec courage, je défendit la position que l’on connais. Ils ne se découragèrent pas pour autant puisque arviés devant la porte d’entée doté d’un plan incliner Chantal

qui me pousse me dit à l’oreille :

 

-« Tu vois, si tu avait un fauteuil électrique je n’aurais pas besoin de faire d’efforts pour te faire entrer »

 

    Un peu agacé par tant d’entêtement, je lui répondit :

 

-« Ecoute Chantal ! Papa ne veut pas que j’en ais, d’autre part je n’ais jamais connus mes Parents assez sadiques pour m’interdire quelque chose par plaisir de me contredire. Pour cette question de fauteuil il doit

y avoir quelque chose qui m’est contraire ! L’Abbé Jeantet m’en à apporter un en 76, on l’a ranger sans que

je puisse m’en servir. Il est dans la pièce à gibier2 voulez-vous le voir ? »    Ils acquiescèrent. Je les accompagnai donc à cette remise, maintenant devenue un débarras où l’on avait Exilé l’appareil maudit. Après examen je les vis ressortir plus perplexe qu’à leur entrée. U expression dubitative répondit à mon interrogation muette de ma part.                                                                                              

 

-Oui, évidemment, commentèrent-ils nous n’insisteront plus.

 

   Sitôt rentrés à la maison, François et moi, nous écoutons une des cassettes édités pour le voyage du Pape

pendant que ces dames préparent le thé. Il est bientôt temps pour nos visiteurs de partir. Il faut arracher Albane

de la Télévision où passent « Starky et Huch » le feuilleton T.V. des années 80.

    

     Ne pouvant être ramené après leur départ, dans la salle à manger, c’est de cette pièce que je leur souhaite

bon retour. De loin j’entends quand même le conseille qu’en guise d’adieu François et Chantal donnent à ma

Mère :

 

-          Tante Jeannine, Installez-vous à Versailles ou à Saint-Germain en Laye, les enfants entoureront plus facilement Martial le soir en rentrant de leurs cours.

 

L’idée sembla sourire à ma Mère qui m’en parla de façon positive dès que nous fûmes seuls.

Mais le lendemain matin, pour des raisons essentiellement de confort due aussi à l’attachement qu’elle avait

pour Jehanne, et l’absence d’ennuies que cette femme représentaient pour elle, ma Mère avait donc changer

 d’avis.

    La soirée de ce dernier Dimanche d’octobre 1980, fut occupée par un film :  «  La Fille au Cœur cousu de File

Blanc ».C’était l’histoire d’une jeune fille qui avait un accident de la route et dont le Père découvre qu’elle avait une vie amoureuse qu’elle avait réussi à tous ses proches. Pourquoi ai-je retenu ce titre de ce film et sa banale intrigue ? Sans doute les images de l’enterrement (de l’héroïne ), sur lesquelles on revenait sans cesses, me

faisait-elles pressentir l’œil du cyclone dans lequel j’allais plonger. Mystère de la mémoire !   

 

Si tu retiens les fautes Seigneur

 

       Quoi qu’il en soit, le souvenir de ce dimanche familial m’aida à glisser sans trop d’appréhension jusqu’à ce fatidique 22 novembre.

Dès le 19 ou le 20, ma Mère entreprit de me préparer à l’idée d’une mort imminente de mon Père. La tâche était

ardue, car ma dépendance à la drogue était telle que je plaçais toujours quelques espérance en je ne sais quelle

guérison… Aucun homme de mon âge ( 41ans) et doué de bon sens ne l’aurait fait au point où nous en étions.

 

   Pour commencer, ma Mère me dit qu’une jeune aide-soignante, profitant d’un moment de lucidité plus prolongé

de mon Père, lui avait proposé la visite de l’Aumônier qui se trouvait justement dans l’établissement ce jour-là.

Je ne sais si mon Père reçut pleinement le « Sacrement des Malades » selon l’anecdote un long regard entre

les deux hommes aurait rassurer le « partant ».La lucidité du mourant s’étant déjà envoler. Il se peut qu’il y ait

eu autre chose ou que j’ai mal comprit. On ne m’a jamais rien confirmer. Selon ce qu’on apprit à ma Mère la

nouvelle lui avait procurer une grande joie à la pensée que « son François » avait retrouver la Foie

traditionnelle que tous deux avaient partagés pendant les 48 ans de leur mariage.

                                                                                                                          

   Samedi 22 novembre 1980.

 

   Nous nous retrouvons tous deux pour déjeuner. A  la question :

 

-          Alors Quelles Nouvelles ?

Elle répondit :

       

-          Pas fameuses, il s’affaiblit…

Et elle ajouta pour me mettre à l’aise :

 

-          D’ailleurs , si vous ne pouvez pas ou ne voulez pas venir à l’enterrement, je suis sûre qu’il comprendrait ce sera plus dur pour moi…Mais je comprendrais que vous n’en ayez pas la force… J’aimerais pourtant

bien que vous puissiez m’accompagner.

 

Je me promis à moi-même de faire ce gros effort. Je n’eus pas le temps de le lui dire. Jean-Pierre Louchart

de passage poussait la porte. Je le revois encore, adossé au chambranle qui séparait le salon de la salle à manger. Répondant aux questions qu’il nous posait sur notre grand souci, ma Mère lui dit :

 

-Jean-Pierre, il est plus que probable que je sois, ou que nous soyons tous deux, obligés d’aller en Sologne

        la semaine prochaine. Quelle jour pouvez-vous être libre ?

C’est à ce moment que s’est vraiment gravé en moi une « photo » : notre visiteur, la tête appuyée, la jambe

droite replié sous lui, cherchant une date ou un jour qui put convenir… Le mercredi  26 fut d’abord retenu.

Il fallait que ma Mère soit tellement certaine de la fin du malade pour en décider ainsi…

 

 

   Il fit nuit plus tôt ce jour-là.

 

  Jean-Pierre reparti, l’après-midi commença à s’étirer pour chacun de nous : l’un et l’autre le nez dans son

occupation quotidienne : couture pour ma Mère, lecture pour moi.

                Il avait été convenu avec Paris, que Nicole Godest, visiteuse assidue de La Celle Saint Cloud, se

chargerait du message. Curieusement, ce furent des amies de ma Mère qui annoncèrent « officieusement »

la chose, à la surprise embarrassé de la correspondante.

 

Ce fut d’abord «  Tante » Paulette Pelletreau :

 

-          Dite-moi, Jeannine. Je viens d’apprendre par Marie-Anne que François était mort, Quel charmant garçon…etc.. Et le petit, comment supporte-t-il la chose ?

 

Et ainsi, trois fois de suite.

 

Finalement, une dernière le téléphone retentit :ce fut la voix de Nicole Godest à l’autre bout du fil :

 

-Tante Jeannine…Il ne souffre plus.

 

Ma répéta la conversation autant qu’elle le put afin que comprenne, et que j’y participe au maximum. Elle

ajouta cependant :

 

  -D’ailleurs a-t-il physiquement souffert ces derniers mois ?                                                                                         

Nicole reprit :

 

-En tout cas dites bien à Matialou que son Papa avait l’air heureux , reposé et qu’il n’a pas souffert. Le reste

du coup de téléphone fut assez long,-ou du moins me parut tel. La lumière me sembla tomber plus vite.

Etait-ce une impression psychique ? était-ce une réalité ? Il est vrai  que nous étions en novembre. Je fermais

« La Grange aux Loups » ma lecture du moment : et même des années plus tard je ne l’ais jamais reprise.

Pour conclure cette triste conversation, ma Mère ajouta :

 

-Ma pauvre chérie, que veux-tu ! Il a enfin trouvé la lumière qu’il a tant cherchée.

 

Le silence une fois retombé, la vieille dame se tourna vers moi et murmura :

 

-Voilà, nous sommes seuls maintenant tous les deux. Vous êtes maintenant le seul homme de la maison… Mon

petit homme », termina-t-elle en me câlinant un peu.

 

Elle chercha brusquement à s’isoler à la cuisine. A ma grande honte, j’avoue m’être un peu révolté contre cette

première solitude où ma Mère voulait momentanément me laisser… Elle pourtant, elle était la veuve…

 

Puis très courageusement, elle contint ses larmes afin de ne pas provoquer les miennes. J’avais 41 ans et

4 mois. 

 

Vers l’heure du dîné elle me conduisit à table et voyant mon air pensif elle me dit :

-Dites-vous que vous auriez pu le perdre en 44, lorsque les Allemand l’on arrêter. Heureusement il a eu la

chance d’être libérer. Ce qui vous à permis d’en profiter encore pendant  36 ans, mais ça à été moins cinq1

Vous devriez plutôt remercier le Bon Dieu de l’avoir protégé pour vous le garder plus longtemps.

   Bizarres dualités.

 

                   Lorsque ma Mère m’avait en quelque sorte « sacré » seul homme de la maison, j’avais aussitôt

ressenti toute la dérision de cette appellation. Pour moi, et dans de telles conditions, être appelé « homme »

 signifiait être une aide. Cela signifiait être capable de suppléer pour démarches administratives trop lourdes

ou trop astreigneigbantes. Enfin et surtout, cela signifiait contribuer à la prise des décisions que la suite des

temps imposeraient.

 

   Or, étant donné ma situation physique, et l’éducation maternisante que ma Mère ne renoncera jamais à

m’imposer, je serais toujours tenu éloigné des heureusement rares décisions qu’elle aura à prendre.     

 

 

   J’étais effectivement l’homme de la maison, mais un homme qu’on aura toujours à dominer. Ma dépendance du

Temesta rendait les aisées à ma Mère. Je recevais donc là un titre et un rôle purement honorifique.

  

Un feu de paille au coin d’un étang.

 

 

    Le lendemain, 23 novembre, Dominique, aussitôt prévenu, et aussi les Oncles Schelcher vinrent nous entourer

nous présenter leurs condoléances,- ce qui me prouva la réalité du drame qui venait de se produire. Petit détaille

touchant  conté par Oncle Jean : lors de sa dernière visite à mon Père le ménage Jean, trouva le malade si mal

qu’ils avaient estimés pendant leur voyage de retour, l’avoir vu pour la dernière fois. Revenu chez eux ils fouillèrent dans leur tiroirs et trouvèrent un chapelet. Oncle Jean, seul, retourna à La Celle afin de laisser

un objet religieux auprès de son lit. Quant il entra dans la chambre mon Père était déjà mort.. Il enroula

donc le chapelet autour de ses mains, fit une première prière. Combien fus-je ému de cette délicate attention 

dont je lui gardai reconnaissance. 

 

   Et c’est en attendant le déjeuner que l’Oncle Jean assez ému nous raconta l’anecdote. Pendant ce temps

prosaïquement, Dominique, à la cuisine battais rapidement une omelette, car la visite des deux oncles avait

été une vraie surprise ! Le repas fut mondain et lent. C’était un jour de chasse pour le groupe Hardeiller.

Lui-même, retenu par d’autres obligations, avait laisser à Tuhault la direction de la journée. Celui-ci vint

prendre des nouvelles et fut très étonné de trouver « ces Messieurs » attablés à La Glazière alors que

ni eux, ni nous ne lui avaient signalé leur passage en Seine et Marne. En s’approchant du lit où ma

Mère était resté pour déjeuner, il eut l’explication de cette présence inhabituelle. A la question maintenant

rituelle comment va Mr ou François selon l’interrogateur,  ma Mère répondit :

 

-Eh bien Tuhault, Monsieur de Maindreville nous a quittés hier à quatre moins le quart…

 

Le pauvre homme que nous saviois fort émotif, pivota littéralement sur ses taons avec un « Oh » de surprise

et s’en retourna tout de suite sans pouvoir nous saluer.   

 

       Afin de laisser les visiteurs en tête à tête avec leur sœur, Dominique m’emmena brûler les papiers d’identité

de mon Père, Carte Nationale, Permis de Conduire et Carte de Maire. Ce dernier document servait à mon Père

à faire sauter les contraventions qu’il lui arrivait d’écopé, quoiqu’il n’exerçât plus aucune fonction depuis une bonne trentaine d’années… !

  Dominique trouva un endroit assez abrité du vent, dans anfractuosité du mur de la pièce d’eau. Ce fut un feu

de papier sinistre. Il me semblait perdre une seconde fois mon Père. Ou bien réalisai-je mieux alors que cette fois c’était fini…  Ma Mère avait voulu cette destruction, plus personnelle encore. Peut-être voulait-elle désormais se

forger à elle-même une image nouvelle de celui qu’elle avait perdu, et ainsi ne garder souvenir que du grand bonheur qu’elle avait vécu.

 

   Nos visiteurs nous quittèrent trop tôt ! Les embouteillages de la rentrée rendaient (et rendraient à l’avenir),

nécessaires cette hâtive retraite. Et nous nous retrouvâmes seuls, ma Mère et moi ;seuls jusqu’au lendemain,     

mise à part la présence de nos Gardiens dont il faudra redire la situation.

 

   Qu’on excuse la précision de ces souvenirs. C’étaient ceux d’une solitude qu’il nous restait à traverser..    

                                                                                                                                                                       

   

Le bon-sens de Jehanne

 

    Sachant   qu’elle devait revoir notre cuisinière dès le lundi matin, ma Mère s’épargna la peine d’un coup de

téléphone pénible. Il aurait fait double emploi avec les nouvelles que Jehanne ne manquerait pas de demander

à son arrivée.

Le lundi matin en effet, j’entendis entre Jehanne et ma Mère le dialogue qui suit :

 

-          Madame a-t-elle des nouvelles de Monsieur ?

 

Comme la veille pour Tuhault, ma Mère eut la même réponse :

                                                                                                                                                     

-          Jehanne, Monsieur nous a quitter samedi à quatre heures moins le quart

Jehanne :

 

-          Si Monsieur est  mort, c’est à cause des hôpitaux de Madame en 1978 !

 

La réponse de ma Mère vint, incrédule, incroyable et déconcertante :

 

-          Oh Jehanne, croyez-vous ? je crois que c’était son heure…

 

Notre Aide Jehanne s’en fut dans cuisine accrochée à son jugement que je partageai entièrement . Je

ne me souviens pas avoir eu l’occasion de le lui dire.

              Ma Mère passa dans la matinée me dire bonjour. J’entendis alors de sa bouche le stupéfiant

             commentaire qu’elle donnait à cet épisode :

                                         

             -Jehanne, crois que votre Papa est mort à cause de mes séjours à l’hôpital en 78 ?

         

             J’abondais dans son sens, mais ne convainquis pas mon interlocutrice.

 

 Fatalisme résigné, peut-être après 2 ans ma Mère n’avait-elle pas tiré les leçons des cruelles heures de

1978.

 

 

 

     A partir de ce lundi 24, tout alla très vite. Il y eut d’abord l’enterrement, retardé de 24 heures précédé du

départ de La Celle Saint Cloud pour lequel je dois demander le témoignage de ceux qui y ont participés.

 

     Fidèle à sa promesse, Jean-Pierre Louchart vint prendre sa passagère, il fut assisté pour cela  par Brno

Aubé qui m’embarqua ensuite à son bord.

   Nous allions ainsi rouler l’un derrière l’autre une bonne partie de l’après-midi. Ce n’est que très peu avant

Sennely que le fourgon retrouva notre pauvre caravane. Il faisait beau…. Mais peut-il faire soleil le jour où l’on

perd un être cher ? Ma Mère désira que nous entrions Ensemble sur la terre familiale. Elle me fit donc installé

près d’elle dans la voiture de Jean-Pierre. C’est ainsi que je partageai, avec elle l’accueil chaleureusement grave

de l’Oncle Pierre de Dreuzy, et son immédiate et simple proposition :

 

-Jeannine, Voulez-vous que je dise un mot ?

 

-Oh oui, Pierre ! merci !

Mon cher François, Mon vieux Kiki,

Te voilà donc revenu, après un long et parfois douloureux périple, à ton point de départ. Te voilà revenu dans cette vieille Turp,
où tu as fait tes premiers pas, connu tes premières joies et premiers chagrins, au milieu d'une nombreuse bande de frères et sœurs,
de cousins et de cousines, sous les yeux attendris de Bamette et le regard vigilant et affectueux de Tante Vette.
Te voilà revenu dans cette Chapelle, où tu as, comme nous, appris les rudiments du catéchisme et aussi à servir la Messe du bon abbé Théau,
dans cette Chapelle qui est le centre de nos liturgies familiales ( où il y a 51 ans hier, Simone se mariait avec le cher Jacques ).
De combien de tendresse tu dois te sentir entouré aujourd'hui ! La tendresse de Jeannine et de Martial, portant le poids de
leur lourde peine au pied de cet autel, la tendresse de tout ceux et de toutes celles, sœurs, beaux-frères, belles-sœurs, cousins,
et amis qui sont venus jusqu'ici ou qui sont présents par la pensée et par le cœur. La tendresse aussi de tous ces morts qui reposent
sous ces dalles et qui sont nos intercesseurs, la tendresse enfin de Celle à qui est dédié ce sanctuaire et dont l'aide et la protection
ne nous a jamais manqué. Notre-Dame de la Turpinière : Elle t'ouvre les bras vers le Ciel. Quel te soit légère, mon cher Kiki,
cette terre de Sologne où tu as choisi de reposer et où nous avons tous de si profondes racines !
Quel te soit légère en attendant le jour de la Résurrection qui nous réunira tous dans la Vie Eternelle.

La Turpinière Jeudi 27 Novembre 1980.

Ces phrases affectueuses ont prononcées par Pierre Aupépin de Lamothe Dreuzy auprès du cercueil de son Cousin-Germin François Doë de Maindreville

 

Et la longue descente des voitures commence. A peine sui-je installer sur mes «  quatre roues » je vois arriver

Nicole Godest que j’embrasse en la remerciant du grand secours qu’elle nous a prodigué.                                                           

 

-Tais-tois ! Tais-tois ! Tu ne sas pas ! Je viendrai te voir.

    Du fourgon descendent ceux ont accompagné le corps, Dominique de Mainfreville et l’Oncle

Rémi Schelcher,(Oncle Jean retenu par un accroc est absent). Et ensuite le cercueil. Je remarque

que le fourgon est un Citroën. Demander par ma Mère à l’entreprise de Pompe Funèbre, mon Père

ayant été toute sa vie fidèle à cette marque… Puis on me signal la haut, dans le ciel, passe un vol

d’oiseaux ; non pas de Cigognes mais de Canards exposés à être tirés par les Solognots…Quels

détails viennent ainsi capter note attention, même dans les heures les plus graves

 

Puis vint l’allocution convenue avec ma Mère, et ensuite la Messe en latin, célébrée par Monsieur le

Curé de Sennely.

 

   Si je comprends bien et accepte l’événement, il ne m’en fait pas moins me poser une terrible question :

«  Mais Pourquoi nous avez laissés dans cette situation ? J’espère au moins que nous n’allons pas rester

seuls là-bas, dans cette Glazière ! »

 

   Fini le Cimetière, j’ai hâte de pouvoir lécher ces plaie ouvertes en moi depuis cinq jours…. J’assiste comme

en un rêve au goûter chaud- -d’ailleurs sympathique – qu’a prévu Tante Marie-Thérèse. Cette réunion sera

comme je l’ai dit quelque part, l’occasion pour ma Mère de revoir sa Belle-Famille au grand complet. Nous

aurons certes ensuite les visites dont j’ai parlé, mais c’est ce jeudi 27 novembre que mes Parents firent leur

dernier salut à la Société.

 

   Que fut le retour ? Une véritable fuite, ou une chute dans un trou noir. Et cette impression devait me rester

longtemps ;-malgré soleils successifs et saisonniers qui devaient marquer les années suivantes.  

 

    Une perche tendue et non saisie.

 

       Le lendemain de cette éprouvante journée, le Docteur Roux vint donner consultation à ma Mère. En

la quittant, il passa me voir et m’ausculta aussi. Quant l’examen fut terminé je questionnai le médecin sur

l’état de ma Mère. Malgré la fraîcheur de nos relations personnelles, j’attendais, j’espérais, qu’il me demande

le nom et les coordonnées d’un membre quelconque de l’une des deux familles qui pût lui servir d’interlocuteur

et de conseiller devant les jours de plus en plus sombres qui ne manqueraient pas de s’ouvrir à propos de la

santé ma Mère,- voire de la mienne.   

 

Dans cette vue, j’essayais de provoquer ses questions :

 

-Comment la trouver-vous, Docteur ?

 

-Je la trouve mieux que je ne pensais

 

-Mais n’y a-t-il rien d’autre à faire ?

 

Je voulais m’entendre poser la question : « Avez-vous un parent qui puisse m’éclairer de ses avis, maintenant

que je suis seul à décider de quoi que ce soit ? » Au lieu de cela, il termina sa phrase en me disant :

 

-          Il n’y a rien d’autre à faire. Nous allons continuer comme avant .

 

( A force de réfléchir à  cette phrase, j’y ais trouver un autre sens. Sans doute le Docteur Roux jugeait-il avoir

fait assez en avertissant ma Mère des grandes peines qui l’attendaient. Peut-être fut-il surpris lui-même de la

passivité de nos réactions, il n’osera plus intervenir par suite. C’est là une hypothèse de Travaille gratuite.

 

Peut-être comptait-il sur le Professeur Menkès pour prendre une décision le moment venu….             

 

   Il faut savoir à ce propos qu’au cours de sa dernière visite à Cochin, et parlant de l’état désespéré de son

mari, ma Mère avait eu du Professeur cette réponse :

 

-Laissez passer ce triste événement, mais après en cas de « pépin » grave faite-le-moi savoir et je vous reçoit

ici, à l’Hôpital, Vous et à votre Fils.

 

   Il est important, je crois, de mentionner cette promesse. Elle explique la confiance manifestée par ma Mère

lors de notre hospitalisation commune à Melun. Elle comptait fermement sur notre transfert à Cochin dans les

deux ou trois jours qui suivraient notre hospitalisation. Nous étions des inconnus dans cet Etablissement … 

 Ma Mère fit-elle part de cette promesse de Menkès au Médecin traitant ? Celui-ci se sentait-il désormais

 Tranquillisé d’ores et déjà par cette ressource ? ou ignora-t-il la perche tendue ? Elle aurait sûrement contribué

  à apaiser ma crainte et mon inquiétude.

  

  Madame de Pange avec laquelle j’évoquais beaucoup plus tard ce mutisme incompréhensible, me dira que

  c’était justement ce défaut de caractère ou cette trop grande timidité qu’elle n’aimait pas chez ce jeune Docteur.

  Elle me dit aussi que si nous avions eu la chance d’avoir à nos côtés jusqu’à la fin la Doctoresse Faine, elle                                      

  n’aurait pas hésité à me mettre devant les plus grandes responsabilités.

 1980 et ses conclusions . 

 

 

                                        L’année allait vers sa fin. Naïvement, je pensais avoir fait le plein de ses épreuves, vu

le nombre restreint des jours restant à courir jusqu’à son terme. Pourtant, le souvenir me reste de trois moments

 difficiles.

 

   Selon la formule mondaine, il avait été dit « qu’une Messe serait célébrée ultérieurement ». Ma Mère avec l’aide de Chantal de Pange, s’en occupa dès le lendemain de l’enterrement. Quelques difficultés surgirent du

fait de la période de l’Avent où nous venions d’entrer. Le nouveau Curé, l’Abbé Le Henaff, se montra assez à

cheval sur le principe qui voulait qu’on ne célébrât aucun office funèbre ( ou post-funèbre ) avent Noël. Heureusement la diplomatie de Madame de Pange fit merveille. Le récalcitrant ecclésiastique – un ancien

Gendarme- finit par se convenir qu’il y avait toujours des accommodements avec le Bon Dieu dont il était le

Ministre. Il fit donc son entrée à La Glazière. Il aidait le Père Cambon mieux connu de mon Père puisque

Celui-ci avait souhaiter l’avoir comme Pasteur des Ecrennes dont il était alors le Maire.     

   Il y eut donc une messe pour le repos de l’âme de mon Père,-dernière allusion publique et officielle à celui

qui se faisait appeler Oncle François ou Oncle Kiki, selon les groupes familiaux auxquels il s’adressait.

      Ce fut seulement au cours de l’en-cas qui suivit l’Office que je réalisait pleinement que c’en était bien

fini matériellement de mon Père. « Ils » parlaient déjà d’autre chose…1 Une ultime tasse de thé ou un dernier

verre – selon les goûts –et c’est déjà l’heure des adieux. Se trouvent dans cours avec Chantal de Saint Remy,

Madame de Pange interrogea pensivement :

 

-Et maintenant que vont-ils devenir ?

 

-Ne vous faite pas de soucis, Madame. Nous sommes là et nous serons là quant il le faudra…. Répondit ma cousine en montant dans la voiture qui regagnait la Région Parisienne.

 

  Cette réponse permit à nos amis exploitants de revenir à Mimouuche le cœur moins lourds et rassrés.2                                                                                                                    

                                                                                                                                                                                                                                    

 

Survint ensuite une vérité aveuglante, et imprévue.

 

   Le décès de mon Père allait nous propulser, ma Mère et moi, dans des ennuis que je n’avait pas soupçonnés

aussi clairement qu’ils s’affirmèrent.. Et ce furent les Gardiens qui déclenchèrent la mécanique.                                                             

   Il faut savoir que les deux isolés que nous étions devenus connaîtront en 7 ans .trois ménages, qui avec

nous menèrent le combat contre le Temps et les autans. Dans les mois qui suivirent la mort de mon Père, et

mon propre départ de La Glazière.

 

J’aperçus bien un quatrième couple. Il arriva comme les Carabiniers trop peu de temps avant la fin de la

bataille ;- troupe fraîche pour une autre mêlée, celle du déménagement qui suivra la mort de ma Mère. Mais

nous n’en sommes pas encore là !!

 

      En attendant, dès septembre, le jour du départ de mon Père de La Glazière, le jeune Jean-Claude Lançon

Se raidit dans une attitude assez négative, peu à peu assez pesante. La mort de mon Père et les cérémonies

qui  l’accompagnaient ne provoquèrent chez lui qu’une pitié semble-t-il mondaine et de commande. Pour ma

Mère la situation ne manqua pas d’être embarrassante. Elle se faisait une obligation de chaque jour de refouler

 un chagrin pourtant bien naturel. Mais ses rapports avec ses alentours deviendront progressivement plus lourds,

les soucis s’aggravant sans cesse. Sa parole se fit plus cassante et ses jugements plus expéditifs. Il y eut donc un état de crise avec les Gardiens qui explosa le 24 décembre (80). Une lettre remise à ma Mère en fut le détonateur. Elle annonçait le départ des Lançon pour le soir même et se terminait par une série d’injures :

pour ne pas dire de noms d’oiseaux…

   Depuis quelques jours déjà, ma Mère sentait craquer la glace et m’en avait prévenu, annonçant comme

quasi-certitude l’imminence d’un départ prochain. Elle avait donc discrètement préparer la relève ;-mais sans

oser trop croire à un pareil événement, et si vite mené…

 

   C’est ainsi que je vis arriver Monique ( ? ) jeune infirmière originaire de l’Ille Maurice. Elle viendra donc aussi

régulièrement que possible jusqu’en bravant les arguments frappants d’un mari jaloux et enfermé trop longtemps

dans ses meurs insulaires…

 

       Puis advint quelque chose comme une bonne plaisanterie du Bon Dieu.

 

La fameuse lettre de départ avait été remise en main propres par son auteur, et en présence de deux témoins :

Hardeillier et Jehanne. Ils devaient devenir dans l’avenir ses tout premiers conseillers. Le hasard voulut que pour

la dernière fois avant de longs mois j’assiste à leur conciliabule.

 

   Ayant examiné avec attention la teneur de cette lettre, ils tombèrent d’accords pour préconiser un changement de Gardiens. Mais personne ne savait comment les remplacer…. Pourtant, le ras le bol de ma Mère à leur endroit

était si évident que toute prolongation de leur tête à tête paraissait peu souhaitable.

 

      Alors se manifesta à nouveau une bizarrerie de mes pensées, (qu’aucune autre occupation ne sollicitait vraiment ), j’avais fait preuve d’un certain stoïcisme devant la mort de mon Père. Ne m’imaginé-je pas maintenant que Dieu qui nous l’avait pris nous le rendrait à l’occasion de Noël ! L’épreuve de sa mort n’eut été alors qu’une

provisoire et fine plaisanterie du Créateur… Les « victimes » seraient ainsi récompensées de leur Foi.

   Je caressai cette idée… Sans trop oser y croire… J’avais conscience du caractère irréversible de l’événement

de novembre…Pourtant..

  Et cette chimère d’un Retour à l’occasion des Fêtes qui se succèderont dans l’avenir me visitera, quoiqu’en

s’atténuant,  mais ne disparaîtra complètement, qu’avec la mort de ma Mère.                                                                      

   Effectivement le lendemain  25 décembre jour de Noël,  il ne se passa rien d’extraordinaire.

Mise à part une charmante invitation des Aubé qui me permit de vivre la journée moins solitairement..

Je vécus cependant cette suite d’heures comme derrière une glace, tant j’avais hâte de me retrouver

En tête à tête avec ma Mère pour partager sa peine, et aussi la veiller.

     En revenant, Bruno Aubé me fit visiter les travaux déjà commencés du T.G..V. qui devait traverser

un jour l’extrémité de la propriété.

    Ma Mère aida sans doute Monique à me dévêtir puisqu’elle remarqua la première trace d’une escarre.

Il me fut alors proposer un abandon ;-qu’on pensait momentané, du corset.

 

  La fin de cette importante année approche. Il est temps de tirer les leçons qu’elle comporta pour les

habitants de La Glazière.

 

Pour lui, mon Père, le « temps de l’épouvante » est clos. Hélas pour nous, il ne l’était pas. Notre angoisse

avait été telle qu’elle continua à nous assombrir. Le souvenir de nos anciens entretiens à trois continuait de

nous poursuivre ;-et à m’assombrir encore davantage..

« La Prison de Feuillage », « Le Temps de l’Epouvante » voici le double titre que j’ai choisi pour cette partie de

mes Souvenirs. Ce n’était fini : j’avais connu les inquiétudes de mon Père,-celle de ma Mère me seront beaucoup

plus dissimulées. En effet, elle me voyait tellement « plat », tellement fragile, qu’elle réussit à me cacher l’essentiel de ses préoccupations.

   Comme on me le fit remarquer plus tard, c’est du départ de mon Père, que datent ses premières graves errances, d’ordre matériel ou d’ordre intellectuel

quoiqu’il en soit, nous étions partis tous deux pour le Temps de la Régence.

 

 

 

                                                               Fin de la Troisième Partie

 



[1] Pendant cet  « essayage » Georges Hansil me confia à l’oreille que ce corset était le dernier qu’il me ferait.                   

Il souhaitait prendre en effet sa retraite au cours ou à la Fin de l’année 1980, qui venait de débuter.

2 Il s’agit de John Travolta.

 

1 Au cours de ce même hiver ma Mère avait fait venir les Jacques de Dreuzy, et leur avaient demander de laisser

courir et de confirmer pour la famille parisienne le triste diagnostic qu’elle tenait du Docteur Roux non corrigé par La Salepétrière.             

.

1 Ces commentaire peinées sont sans doute influencé par l’Epreuve familiale vécu. Il en va autrement 24 ans

plus tard à l’heure des de la relecture de ces souvenirs.

 

 

1 Dan un premier temps ma Mère avait d’abord penser à Chantal de Saint Rémy. Mais sa vie de mère de famille

et la crainte d’une agitation de plus en plus grande toujours possible chez le malade, lui firent abandonner l’option à laquelle elle avait pensé.                                                                                                                       .                                      

 

 

1 Mais je n’en réalisait pas sur le coup l’importance.

2 Pièce fermée où l’on entreposait autrefois le gibier non distribuer jusqu’à commercent de Melun se charge d’écouler ce surplus..

                                                                                                                                                               

 

                                                                                                                                     

1 cf. Lettre à un Ami exilé.                                                                                                                                                

                                                                                                                                                                                

 

 

       1Notamment des « Deux Alpes » qui venaient je crois d’être lancer.

2         C’est Chantal de Pange elle-même qui me rapporta ce court dialogue et l’heureux effet qu’il eut sur elle.

                                                                                                                                                                         

Voulez-vous me suivre encore un peu ? Cela me ferait plaisir...