L'université de Paris-VII débarque en force dans le 13e
arrondissement. Une bonne partie de ses unités de physique et de
chimie devrait être installée sur la zone Paris Rive gauche.
Quatre concours d'architecture ont été lancés et leurs
résultats seront connus en janvier 2002. Deux bâtiments neufs
sont à construire du côté du médiocre immeuble
Unibail planté au bord de la Seine, non loin du boulevard Masséna.
Deux autres sont à réhabiliter : la Halle aux farines et les
Grands Moulins de Paris. Ces édifices accueilleront laboratoires,
salles de cours et bibliothèques universitaires, fréquentés
par un public d'une bonne trentaine de milliers d'étudiants.
Profitant de la restructuration complète de Jussieu ­p; désamiantage
oblige -, la refonte du campus conçu par Edouard Albert à
la veille de 1968 permet d'étendre le Quartier latin vers l'est de
Paris où la Bibliothèque nationale de France (BNF) constitue
déjà un pôle du savoir et de la recherche.
Cette opération, encore dans les limbes, constitue un virage pour
l'éducation nationale. Dès les années 1960, le ministère
avait prôné le "campus à l'américaine",
jugé plus moderne, aux conditions de vie "plus saines"
et plus "détendues". Transposés en France,
ces ensembles universitaires étaient devenus autant de petits ghettos.
Les uns exilés loin des centres-villes, histoire d'éviter
les débordements d'une population estudiantine contestataire; les
autres, au cur des cités, mais bouclés sur eux-mêmes
comme des forteresses. Jussieu, avec ses douves, ses murailles, ses cours
intérieures et son donjon, est un exemple achevé de la seconde
solution. Le plan de Jean Nouvel consiste à ouvrir la citadelle.
Cette ancienne frontière du Quartier latin historique ­p; la Halle
aux vins d'antan ­p; devrait donc être la première manifestation
d'un retour à un urbanisme traditionnel. Puisqu'il s'agit de retrouver
les vertus de l'antique montagne Sainte-Geneviève qui, depuis Abélard,
a toujours mêlé les lieux d'enseignement au tumulte de la ville
active, avec ses commerces, ses bistrots, ses jardins, ses librairies, ses
lieux de divertissement, ses monuments (la Sorbonne, le Panthéon,
Saint-Séverin) et ses officines à la réputation plus
sulfureuse.
LE CASSE-TÊTE D'AUSTERLITZ
Pour pouvoir exister, ce Quartier latin en devenir devra d'abord éliminer
toute une série d'obstacles. A commencer par le bastion de Jussieu
que Jean Nouvel va revisiter. Puis le Jardin des Plantes, prestigieuse propriété
du Museum d'histoire naturelle, qui a le défaut de n'être vraiment
ouvert que du côté de la Seine. Il faudra lui assurer un lien
avec le nouveau Jussieu, à travers la rue Cuvier : une opération
délicate, l'artère bordée de hauts murs est une des
rares voies parisiennes à conserver son côté campagnard.
Vient ensuite la gare d'Austerlitz : ce "débarcadère"
mal-aimé, sans façade monumentale, n'a jamais réussi
à engendrer un quartier spécifique comme c'est le cas des
autres gares parisiennes. Aujourd'hui, privée de trains à
grande vitesse, Austerlitz a perdu plus de 50 % de son trafic. La SNCF a
demandé à Jean-Marie Duthilleul, son architecte maison, de
réfléchir à une rénovation de la gare ­p;
un casse-tête.
Pour gagner la terre promise, c'est-à-dire les alentours de la Bibliothèque
nationale de France, il faut encore franchir un autre verrou, celui de l'hôpital
de la Salpêtrière dont la restructuration est depuis longtemps
à l'ordre du jour. La course d'obstacles n'est pas gagnée
pour autant. "Nous arrivons très tard sur cette zone gérée
par la Semapa", note Christian Dupavillon, qui est chargé
de suivre les questions d'architecture au sein du cabinet de Jack Lang,
ministre de l'éducation nationale. "La plupart des choix
sont faits et beaucoup de terrains sont désormais retenus. En dépit
de la nouvelle station de métro et de RER, le quartier reste mal
desservi par les transports en commun. Il subsiste enfin une série
de handicaps, dont le principal est constitué par l'avenue de France."
Cette voie, épine dorsale de la zone à aménager, surplombe
en effet les voies ferrées et oblige à des ruptures de niveaux
qui viennent rompre l'horizontalité de cette plaine alluviale.
"On a aussi beaucoup détruit, constate Christian Dupavillon.
Notamment des petits bâtiments qui, sans avoir un intérêt
architectural de premier plan, avaient une présence, une épaisseur
historique. Celle-ci permettait d'ancrer le nouveau quartier dans une continuité
temporelle. La rue Watt, célébrée par Henry Miller,
a entièrement disparu."
De trop rares édifices, préservés à grand-peine,
joueront ce rôle de repère, de passeur de mémoire. La
masse des Grands Moulins de Paris, même amputée de ses silos,
dresse toujours sa silhouette pseudo-médiévale sur les bords
de la Seine. Quelques-unes de ses anciennes machines, restées sur
place, attesteront de l'ancienne vocation des lieux. La Halle aux farines
sera réaménagée dans le même esprit. La belle
architecture métallique de la Sudac, une ancienne usine d'air comprimée
inscrite in extremis à l'inventaire supplémentaire des monuments
historiques, abritera peut-être une école d'architecture. Ne
faut-il pas plutôt la reconvertir en un espace ludique, pour un public
jeune, se demande Christian Dupavillon ? "Ce qui manque ici,
explique-t-il, ce sont des lieux animés, y compris la nuit, des
commerces, une vraie vie de quartier. La présence de l'université
est nécessaire, mais pas suffisante. Actuellement, cette zone est
une sorte de désert peu engageant où la Seine ne joue aucun
rôle. L'environnement de la Bibliothèque nationale de France
reste aussi réfrigérant."
La présence du Batofar, esquif culturel "alternatif" amarré
sur les quais du fleuve, ou le complexe cinématographique de Marin
Karmitz qui doit sortir de terre derrière la BNF sont des éléments
jugés positifs par le conseiller de Jack Lang. Comme la présence
des artistes qui se sont maintenus, contre vents et marées, dans
les anciens entrepôts frigorifiques du quai Panhard, interdisant ainsi
leur démolition. Une présence d'autant plus pertinente que
la rue Louise-Weiss commence à être un des hauts lieux de l'art
contemporain à Paris, grâce aux galeries qui se sont installées
ici à l'invitation de Jacques Toubon, alors maire du 13e arrondissement.
Ce no man's land encore informe réussira-t-il à se transformer,
en quelques décennies, en carrefour de tous les savoirs ? On sait,
hélas, qu'une telle mutation relève d'une alchimie largement
imprévisible.
Emmanuel de Roux
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