· ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 06.06.02 de "Le Monde"
"Le nucléaire compte sur la Finlande pour se relancer
en Europe"
Seize ans après Tchernobyl, Helsinki est la première capitale
occidentale, hormis Paris, à autoriser la commande d'un réacteur.
Le français Areva, numéro un mondial, compte concourir à
l'appel d'offres avec l'EPR, jamais lancé officiellement.
Seize ans après Tchernobyl, un pays européen - autre que la
France -, la Finlande, a décidé de construire une nouvelle
centrale nucléaire. Par 107 voix contre 92, le Parlement d'Helsinki
a voté, le 24 mai, un projet de loi pour doter le pays d'un
cinquième réacteur. Aussitôt, les industriels du nucléaire
se sont félicités d'entrevoir enfin la fin de "l'hiver
nucléaire" dans lequel cette source d'énergie était
entrée après l'explosion de la centrale ukrainienne, en avril 1986.
"Parmi les pays de l'OCDE, de nouvelles capacités ont été
commandées dans seulement trois pays au cours des deux dernières
décennies : la France, le Japon et la Corée", souligne
un rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) publié
en 2001. Trente-deux réacteurs sont actuellement en construction
dans le monde, mais aucun en Europe de l'Ouest ni aux Etats-Unis.
C'est dire si les industriels fourbissent leurs arguments pour tenter de
donner à ce contrat finlandais le maximum de lustre. L'événement
politique est considérable : pour la première fois une
démocratie a voté, par la voix de sa représentation
nationale, en faveur du nucléaire. Deux ans après la décision
historique de l'Allemagne de fermer toutes ses centrales à l'horizon
2020, on mesure le retournement potentiel de tendance. Certes, la Finlande
présente des particularités géopolitiques - notamment
sa grande dépendance énergétique à l'égard
de sa voisine la Russie - qui interdisent d'en faire un modèle pour
le reste de l'Europe. Mais au-delà du symbole, les industriels veulent
faire de la construction du cinquième réacteur finlandais
la démonstration de leur capacité à assurer la relance
de cette énergie dans des conditions viables économiquement
et à la sécurité irréprochable.
(...)
Après quinze ans de gel quasi total de toute commande en Occident
- à l'exception notable de la France, qui a mis en service 20 réacteurs
depuis Tchernobyl -, l'industrie nucléaire a dû opérer,
au cours de la dernière décennie, une phase de concentration
qui ne laisse plus qu'une poignée d'acteurs d'envergure mondiale.
Des groupes qui ont parfois dû sacrifier leur potentiel industriel,
sinon leur savoir-faire. "BNFL/Westinghouse n'a plus d'usines et il
n'a pas construit de réacteur depuis vingt ans", souligne un
expert. Le français Areva, adossé au colosse EDF, son premier
client, a pu préserver son outil de recherche et de production, et
continuer à exporter sa technologie, notamment en Chine, où
il participe actuellement à la construction de deux réacteurs.
Né en 2001 du rapprochement des trois opérateurs publics
français du secteur, le Commissariat à l'énergie atomique
(CEA), la Cogema (société de production et de retraitement
de combustible nucléaire) et Framatome-ANP, constructeur de centrales
(allié jusque-là à l'allemand Siemens), le groupe dirigé
par Anne Lauvergeon est aujourd'hui, sur le papier, le leader mondial. Areva
va retrouver sur sa route, en Finlande, ses traditionnels concurrents :
l'américain General Electric, le britannique BNFL (qui a racheté
le nucléaire de l'américain Westinghouse et du suédois
ABB), et leurs alliés respectifs, les japonais Toshiba-Hitachi et
Mitsubishi. Et un outsider de plus en plus menaçant, la Russie, qui
avait déjà construit, du temps de l'URSS, deux des quatre
réacteurs finlandais en activité.
(...)
Dans l'attente, Areva compte bien profiter de la Finlande pour relancer
son projet de réacteur de nouvelle génération, l'EPR
(European Pressurized Reactor). Lancé en 1989 par Framatome
et Siemens, ce projet de réacteur à eau pressurisée,
dont le développement est achevé, attend toujours sa première
commande. En décidant de le proposer à l'appel d'offres des
Finlandais - en même temps qu'un autre modèle, plus éprouvé,
le SWR 1 000 (un réacteur développé naguère
par le seul Siemens) -, Areva va tenter de forcer la main d'EDF et du gouvernement
français pour qu'ils décident de lancer enfin officiellement
l'EPR. Difficile, en effet, d'imaginer qu'un client étranger achète
un réacteur nucléaire français que la France elle-même
n'aurait pas adopté. Un peu comme si Alstom essayait de vendre un
TGV que la SNCF rechignerait à utiliser... Le sujet EPR devrait resurgir
très vite dans l'agenda du futur gouvernement, entre l'ouverture
du capital d'EDF et la mise en Bourse d'Areva. Cette fois, le lobby nucléaire
se remet en branle.
8,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2001 (dont 77 %
dans le nucléaire).Le groupe français est le seul à
intégrer la totalité de la filière. Il a repris le
nucléaire de l'allemand Siemens, via Framatome ANP.
BNFL.
Chiffre d'affaires 2001 : 3,3 milliards d'euros. Le britannique
a repris les activités nucléaires de l'américain Westinghouse
et de l'helvético-suédois ABB.
General Electric.
La division GE Power systems du conglomérat américain
a réalisé un chiffre d'affaires de 21,5 milliards d'euros
en 2001.