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L'océanographie mise à contribution pour étudier le climat de la planète.

BREST, de notre envoyé spécial

Le sommet des pays industrialisés de Denver a remis à des jours meilleurs un éventuel accord de lutte contre l'effet de serre et le réchauffement climatique. Le second Sommet de la Terre, qui vient de se clore à New York, n'a pas été davantage suivi d'engagements politiques à la mesure des risques écologiques qui pèsent sur notre planète. Les travaux des océanographes engagés dans le programme international WOCE (World Ocean Circulation Experiment) et réunis récemment en colloque à Brest permettront-ils, dans un proche avenir, de mieux éclai-
rer les décisions des chefs d'Etat et de gouvernement ?

Les océans, qui couvrent près des trois quarts de sa surface, forment probablement le plus puissant moteur de la gigantesque machine thermique que constitue le globe terrestre. Ils entrent en effet pour moitié, à égalité avec l'atmosphère, dans les échanges d'énergie qui s'établissent entre les régions équatoriales, baignées de soleil, et les froides latitudes polaires, l'Atlantique intervenant pour environ 50 % dans cette régulation aquatique. De surcroît, l'atmosphère elle-même n'est pas tant chauffée par le rayonnement solaire, qu'elle laisse en partie passer, que par le rayonnement infrarouge que renvoie la Terre et quelle arrête au contraire (effet de serre), ainsi que par l'évaporation des eaux de surface. C'est en somme l'océan qui, par ses interactions avec l'atmosphère, gouverne le climat de la planète bleue.


Les courants chauds de surface se refroidissent en remontant vers le nord de l'Atlantique et plongent vers les abysses marins pour redescendre vers le sud, avant de refaire surface dans le nord du Pacifique plusieurs siècles plus tard. Si cette représentation simplifiée (schéma 1) demeure valide, les océanographes savent aujourd'hui que le brassage des eaux est rendu infiniment plus complexe par des mouvements troubillonnaires et des échanges verticaux (schéma 2)

Or, si les phénomènes atmosphériques sont connus, grâce à l'existence depuis près d'un siècîe d'un réseau de milliers de stations météorologiques, il n'en va pas de même des mécanismes à l'oeuvre dans les profondeurs du milieu océanique, qui demeurent fermées à l'observation des scientifiques. Ceux-ci ont construit un modèle très schématique de « tapis roulant » (conveyor belt), selon lequel la chaleur stockée par les eaux de surface dans les zones tropicales est redistribuée vers le nord par le Gulf Stream, puis la dérive nord-atlantique.
En se refroidissant, ces eaux supérieures se font plus denses et plus lourdes - l'évaporation les chargeant aussi en sel - et plongent alors, au niveau des mers de Norvège, du Groenland et du Labrador, jusqu'à des profondeurs de 2 000 à 4 000 mètres. Elles s'écoulent ensuite vers le sud et, rejoignant le courant circumpolaire antarctique tournant d'ouest en est, sont entraînées vers l'océan indien et le sud du Pacifique, avant de remonter en surface dans le Pacifique nord puis de rejoindre les courants chauds qui, passant entre les îles indonésiennes et contournant l'Afrique, remontent enfin vers l'Atlantique, bouclant ainsi la boucle.
Cet ample et lent brassage, dont le cycle complet dure un millier d'années, n'est pas aussi simple qu'il y paraît. « Ce que nous avons surtout appris ces dernières années, c'est que les processus sont beaucoup plus compliqués que nous l'imaginions», résume l'Américain Carl Wunsch, professeur au Massachussettts Institute of Technology et l'un des pères du projet WOCE. Celui-ci, lancé en1990 dans le cadre du Programme mondial de recherche sur le climat et mobilisant vingt pays, arrive au terme de sa première phase: la collecte de données. «En sept ans, nous avons accumulé plus d'observations qu'il n'en avait été recueilli par le passé », se félicite Yves Desaubies, directeur du Laboratoire de physique des océans de Brest.
Le lancement des'satellites européens d'observation météorologique ERS-1 (1991) et ERS-2 (1995), ainsi que du satellite franco-américain Topex-Poséidon (1992), a donné des yeux perçants aux océanographes, qui connaissent désormais, avec une précision de quelques centimètres, les variations du niveau de la mer imputables aux courants de surface ou aux écarts de température qui font que l'eau se dilate ou, au contraire, se contracte. Des systèmes acoustiques spécifiques leur ont servi d'oreilles attentives pour sonder les profondeurs marines que les ondes électromagnétiques ne parviennent pas à pénétrer. Des campagnes en mer leur ont aussi permis d'amasser un grand nombre de mesures de température, de salinité ou d'autres qualités physico-chimiques.

Les milliers de résultats amsi rassemblés ont confirmé que « la circulation océanique, loin de s'effectuer de façon linéaire, est rendue complexe par des mouvements tourbillonnaires, des systèmes de bifurcation et des échanges verticaux liés, notamment à la topographie des fonds marins. L'équateur, en particulier, est une zone critique de transfert entre les deux hémisphères », décrit Pierre David, président de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). Les scientifiques disposent à présent, pour la première fois, d'une photographie globale des flux océaniques à la fin de ce millénaire. Cet « état des lieux » leur servira de référence pour évaluer leurs modifications ultérieures et apprécier ce qui relève de la variabilité naturelle ou d'éventuels changements d'origine anthropique.
Dans une deuxième étape - à partir de 1998 et jusqu'en 2002 -, cette moisson de données doit être exploitée pour mettre au point des modèles numériques à haute résolution de la circulation océanique, couplés, à terme, aux modèles de circulation atmosphérique. L'objectif est de mieux comprendre, et si possible de prévoir les évolutions climatiques.
La « réponse » de l'océan à l'augmentation de la concentration, dans l'atmosphère, des gaz à effet de serre et en, particulier du dioxyde de carbone, pourrait déterminer, sur une longue échelle de temps, l'amplitude et les conséquences du réchauffement planétaire. Or cette réponse est aujourd'hui difficilement prévisible. Paradoxalement, de même qu'aux périodes glaciaires la plongée des courants chauds vers les froids abysses marins a été contrariée par l'avancée des glaces, on peut craindre qu'une élévation de la température de l'air n'aboutisse à un résultat identique, en empêchant les eaux de surface de se refroidir suffisamment pour entretenir la continuité de ce cycle.

Pierre Le Hir (Le Monde 2 juillet 1997)

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Que deviendrait l'Europe sans le Gulf Stream ?


LE MONDE | 14.08.02 | 11h47

(...)
Ce puissant courant chaud réchauffe la façade ouest de l'Europe (Royaume-Uni, côte atlantique française, Pays basque espagnol). Sans lui, cette zone serait aussi froide que le Canada, qui se trouve à la même latitude. Le Gulf Stream prend naissance dans le golfe du Mexique, longe les côtes américaines et se disperse au niveau du Labrador pour laisser la place à la dérive nord-atlantique, qui file vers l'Europe et le nord-est de l'Atlantique.

Les eaux chaudes de ce courant très puissant perdent baucoup d'humidité pendant leur évaporation, rendant la mer plus salée. Dans l'Atlantique nord, au niveau de la Norvège, le flux d'eau lourdement salée devient assez froid pour s'enfoncer en engendrant un courant océanique profond, appelé le North Atlantic Deep Water (NADW). Ce dernier fait partie de la grande circulation océanique mondiale. Il agit en tant que mécanisme de traction sur le Gulf Stream et, en maintenant sa direction et son intensité, contribue à la conservation d'un climat doux sur l'Europe de l'Ouest. A plusieurs reprises dans le passé, le NADW s'est interrompu sous l'effet des variations climatiques mondiales. Affectant le Gulf Stream, ce phénomène a provoqué un refroidissement du climat des côtes ouest de l'Europe. La poursuite du réchauffement climatique actuel favorise le renouvellement de ce processus.

Christiane Galus (Le Monde 14 août 2002)

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