La Terre pourrait perdre le Nord magnétique
· LE MONDE | 24.04.02 | 12h44
La terre est-elle en train de perdre la boussole ? C'est ce que pourrait
amener à penser une étude de chercheurs du département
de géomagnétisme et paléomagnétisme de l'Institut
de physique du globe de Paris (IPG), qui viennent de publier leurs travaux
dans la revue Nature.
Nous baignons tous dans le champ magnétique terrestre, sans nous
en apercevoir. Nous en prenons conscience essentiellement lorsque nous devons
nous orienter à l'aide d'une boussole. C'est la manifestation la
plus évidente de l'existence du magnétisme terrestre, qui
existe depuis plus de 3 milliards d'années et qui est engendré,
à 3 000 kilomètres sous nos pieds, par l'agitation
du noyau de fer liquide de notre planète. Du fait de la présence
de ce fer liquide (qui se transforme en une graine solide à partir
de 5 000 km de profondeur), celle-ci se comporte comme un gigantesque
aimant dont les lignes de champ sont actuellement bien organisées
en un dipôle, avec un pôle nord et un pôle sud magnétiques
orientés, peu ou prou, dans l'axe de rotation de la Terre.
Mais cette configuration dipolaire n'est pas permanente. Elle varie en fonction
des mouvements du noyau liquide terrestre et, dans le passé, il est
arrivé à plusieurs reprises que la position des pôles
magnétiques soit complètement inversée. De tels changements
ont été mis en évidence par les études paléomagnétiques
réalisées sur les basaltes volcaniques anciens. Ces derniers
contiennent en effet des grains magnétiques qui ont conservé
l'orientation et l'intensité du champ magnétique terrestre
de l'époque de leur solidification.
Or une inversion, avant de se produire, est annoncée par une série
d'étapes intermédiaires, qui se manifestent par des anomalies
du champ magnétique. Ce sont peut-être de tels événements
que vient de mettre en évidence l'équipe de l'IPG, dirigée
par Gauthier Hulot. Au terme de son étude, elle conclut que "le
mécanisme mis en uvre dans les variations constatées pourrait
être similaire à celui des inversions magnétiques".
Sans toutefois pouvoir affirmer avec certitude qu'un tel phénomène
est en préparation.
QUATRE GRANDES RÉGIONS
Les chercheurs - parmi lesquels Mioara Mandea, de l'IPGP, et Nils Olsen,
de l'Institut de recherches spatiales danois de Copenhague - ont accumulé
les indices. Ils ont observé l'évolution du champ magnétique
terrestre depuis vingt ans, à partir des mesures prises par le satellite
américain Magsat en 1980 et par le satellite danois Oersted
(qui embarquait des instruments du CNES) en 2000. Le magnétisme terrestre
peut en effet être mesuré soit par des observatoires répartis
à la surface du globe, soit par des satellites. Une telle observation
est possible car le manteau entourant le noyau liquide de la Terre, formé
de silicates, constitue un médiocre conducteur électrique
par rapport au noyau et est donc "transparent" pour le champ magnétique.
Les scientifiques ont constaté des variations du champ magnétique
dans quatre grandes régions du globe. La première, située
sous l'océan Pacifique, dans l'hémisphère Nord, est
sujette à un changement assez faible. C'est aussi "l'endroit
où le champ magnétique terrestre est le plus intense et le
plus proche d'une structure dipolaire", constate Gauthier Hulot.
Les trois autres régions, en revanche, sont le siège de modifications
beaucoup plus importantes. L'une d'elles se trouve dans l'hémisphère
Sud, sous l'Afrique - dans cette zone, "le champ est moins intense
et présente une structure beaucoup plus éloignée de
la structure dipolaire"- et les deux autres sont situées
aux pôles.
Ces variations sont en relation avec les mouvements circulaires, dans un
sens et dans l'autre, qui agitent le fer liquide à la surface du
noyau terrestre. L'observation directe de cette agitation étant impossible,
les chercheurs ont eu recours à des simulations numériques
reconstituant une Terre et un champ fictifs, à partir de modèles
élaborés par l'Institut de géophysique et physique
planétaire de Los Alamos (Nouveau-Mexique) et le département
de sciences planétaires de l'université Johns Hopkins de Baltimore
(Maryland).
Or ces simulations ne font pas apparaître la disparité constatée
entre les deux hémisphères de la Terre, pour ce qui est de
l'ampleur des variations récentes du champ magnétique. Comment
expliquer cette structure asymétrique ? D'après les mesures
effectuées par les observatoires magnétiques terrestres, dont
certains existent depuis trois siècles, l'importante variation notée
dans la zone africaine semble être une caractéristique relativement
jeune du champ magnétique terrestre. Et elle est liée "mathématiquement
au fait que l'intensité du dipôle de la Terre a globalement
diminué depuis deux mille ans", ajoute Gauthier Hulot.
"DES PÔ LES UN PEU PARTOUT"
La structure dipolaire du champ magnétique terrestre s'affaiblit
en effet et l'intensité du champ magnétique terrestre, après
avoir connu un pic il y a 2 000 ans, a décru depuis de
20 % et continue de décroître de façon accélérée.
Si ce processus continue à ce rythme, l'ensemble de la structure
dipolaire est appelé à disparaître, avec pour conséquence
"la disparition de la notion de pôle magnétique",
prédisent les chercheurs. On trouverait alors sur notre planète
"de nombreux pôles sud et des pôles nord un peu partout".
Tous ces indices sont-ils vraiment les signes précurseurs d'une inversion
du champ magnétique terrestre ? Les scientifiques restent prudents.
Un argument pourrait plaider en faveur de la survenue d'un tel phénomène :
il n'y a pas eu d'inversion depuis 780 000 ans, alors que les
études de paléomagnétisme indiquent que, depuis 10 millions
d'années, les inversions arrivent statistiquement tous les 200 000 ans
environ en moyenne. Dans une certaine mesure, "l'époque actuelle
est inhabituellement stable et une inversion ne serait pas aberrante",
estime Gauthier Hulot.
Mais d'autres arguments vont dans le sens contraire. L'intensité
du champ magnétique terrestre, même si elle est actuellement
en décroissance rapide, reste néanmoins élevée
par rapport à celle de périodes passées, et elle pourrait
très bien s'inscrire à nouveau à la hausse. En outre,
il arrive que le champ magnétique terrestre connaisse des "excursions",
sortes d'inversions manquées qui n'arrivent pas à leur terme.
Beaucoup d'observations et d'études seront encore nécessaires
avant que l'on sache si la Terre est, ou non, en train de perdre la boule.
Christiane Galus
------------------------------------------------------------------------
Un phénomène à fréquence variable
Les scientifiques supposaient, depuis le début du XXe siècle,
que le champ magnétique de la Terre s'était inversé
à plusieurs reprises au cours de son histoire. Mais cette hypothèse
n'a pu être confirmée qu'avec la mise au point, dans les années 1960,
de la méthode de datation isotopique potassium-argon utilisant des
spectromètres de masse. Cette technique a permis de dater plusieurs
coulées volcaniques vieilles de 4 millions d'années,
puis d'établir la chronologie des inversions survenues pendant les
5 derniers millions d'années. On sait aujourd'hui que la fréquence
moyenne de ce phénomène évolue considérablement
dans le temps, avec de longues périodes calmes. Les recherches en
paléomagnétisme ont aussi servi à mieux connaître
la tectonique des plaques, grâce à l'étude du magnétisme
ancien de roches de continents différents et de même période.