L'armée française s'attend à devoir rester
plusieurs mois en Côte d'Ivoire

Des combats, samedi 21 décembre, entre des soldats de l'opération « Licorne » et des éléments du Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest ont fait plusieurs morts du côté des rebelles



ABIDJAN
de notre envoyé spécial
L'implication de la France dans le
conflit militaire en Côte d'Ivoire s'accroît.
Samedi 21 décembre, un nouvel
accrochage a eu lieu dans l'ouest
du pays entre les troupes françaises
de l'opération « Licorne » et l'un
des mouvements rebelles hostiles
au régime du président Laurent
Gbagbo.
L'engagement, qui n'a pas fait de
victime côté français, s'est produit à
Duékoué, une petite ville carrefour
sur la route qui débouche sur la
zone productrice de cacao, la principale
richesse du pays. Descendus du
nord, des éléments du Mouvement
populaire ivoirien du Grand Ouest
(Mpigo) - une formation apparue
fin novembre - , après avoir contourné
les forces loyalistes, s'en seraient
pris au détachement français qui
aurait riposté et détruit plusieurs
véhicules rebelles. Les versions
divergent sur le nombre de victimes
côté mutins.


carte publiée dans Le Monde 24 décembre 2002

« éléments incontrôlés »

« Les militaires français ont été
agressés par des éléments incontrôlés
et ont réagi en fonction des ordres qui
leur ont été donnés »
, a commenté,
dimanche 22 décembre à Abidjan,
le chef d'état-major des armées françaises,
le général Henry Bentegeat.
Venu prendre la mesure du dispositif
français - le plus important
déployé dans un pays africain
depuis le début des années 1980 -,
le général, après un entretien avec le
chef de l'Etat, a rappelé la mission
de l'armée française en Côte
d'Ivoire.
Elle s'articule, a-t-il affirmé,
autour d'un triple objectif : assurer
la sécurité des ressortissants étrangers
; faire respecter l'accord de cessez-
le-feu signé à la mi-octobre par
les rebelles du nord et du centre de
la Côte d'Ivoire et entériné par Abidjan
; enfin, stabiliser le pays sachant
qu'« il n'y a pas d'issue militaire.La
solution doit être politique »
.
« Pas question pour nous de partir
à la conquête de la Côte d'Ivoire, de
nous engager dans des opérations
offensives,
a répété le chef d'étatmajor.
Notre mission est [une
mission] de paix, de sécurité, de facilitation
des accords politiques.»
La
feuille de route semble équilibrée.
Elle l'est s'agissant du nord et du
centre de l'ancienne colonie française.
Un accord de cessez-le-feu officiel
lie le Mouvement patriotique de
Côte d'Ivoire (MPCI), qui occupe
cette zone depuis le 19 septembre,
aux forces loyalistes.
Une « ligne de non franchissement
» existe, marquée par une
zone tampon où sont positionnées
des troupes françaises. Si l'une des
deux parties ne respecte plus ses
engagements, a souligné le général
Bentegeat, « la France en tirera les
conséquences.
() Nous ne pouvons
pas accepter qu'il y ait une rupture
() dans un sens ou dans l'autre ».
La position française est plus équivoque
dans l'ouest du pays, plongé
tardivement dans la guerre. En l'absence
de cessez-le-feu, deux mouvements
rebelles et les troupes loyalistes
se disputent le contrôle des villes.
La reprise de l'agglomération de
Man, la semaine passée, est venue
confirmer que les rebelles avaient le
dessus dans la région.
Ils ne pourront l'exploiter plus
avant. L'accrochage de samedi
témoigne que l'armée française a
pour instruction d'interdire aux
rebelles de descendre vers le sud et
de poursuivre leur progression en
direction d'Abidjan, la principale
agglomération du pays. En guise de
justification, le général Bentegeat a
invoqué dimanche, outre la légitime
défense, la « sécurité des ressortissants
étrangers dans la région »
. Elle
était « directement menacée » en cas
d'installation des rebelles dans la
région de Duékoué, a-t-il assuré.
Pourtant, en sens inverse, la France
n'entend pas barrer la route aux
troupes loyalistes si elles tentent de
récupérer le terrain perdu. « C'est un
cadre différent, nous n'interférons
pas.Si les Fanci
[les forces gouvernementales]
s'efforcent de réduire la
rébellion dans cette région, l'armée
française restera en dehors »
, a expliqué
le chef d'état-major.
Cette différence de traitement, ce
« deux poids deux mesures » suscite
la colère parmi les rebelles. Les
troupes françaises ont choisi de
« faire la guerre aux Ivoiriens qui combattent
pour la liberté de leur pays »
,
écrit le Mpigo dans un communiqué
transmis aux agences de presse
après l'accrochage de Duékoué. Le
mouvement annonce qu'il « ripostera
désormais à toute agression française
».« Après avoir tiré sur nos combattants
pour les empêcher de progresser
vers la "boucle du cacao", il
n'est plus à cacher que la France s'est
effectivement engagée pour ses
propres intérêts dans une guerre qui
n'est pas la sienne »
, poursuit le communiqué.

Rencontre entre rebelles

De son côté, le MPCI a qualifié les
troupes françaises de « forces conquérantes
et d'occupation »
. Le calme
revenu dimanche sur le front
militaire, c'est sur le plan politique
qu'une évolution pourrait intervenir
cette semaine. Côté rebelles, les dirigeants
des trois mouvements se réuniront
lundi à Bouaké, la « capitale
» du MPCI, avec à l'ordre du jour
une alliance éventuelle.
Côté pouvoir, on attend dans les
jours à venir le « plan de sortie de crise
»
promis par le président Gbagbo
au sommet de Dakar la semaine dernière.
Son contenu conditionne la
signature d'un accord de paix et l'arrivée
d'un contingent de soldats africains
de la Communauté économique
des Etats d'Afrique de l'Ouest
(Cedeao) pour relayer les militaires
de l'opération « Licorne ».
Ce déploiement interviendra-t-il
un jour ? Le chef d'état-major des
armées françaises n'a pas caché
dimanche que les quelque 2 500 militaires
de l'opération Licorne seront
probablement appelés à rester sur
place plusieurs mois. C'est dire qu'il
ne se berce pas d'illusions sur une
issue politique rapide à la crise ivoirienne.


Jean-Pierre Tuquoi (Le Monde édition du 24 décembre 2002)

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