La guerre atomique a eu lieu


TOUS LES ÉTATS-MAJORS disposant d'armes atomiques ont toujours menti à tout le monde, aux populations civiles comme à leurs propres troupes, sur les circonstances de leur expérimentation et sur les conséquences de leur utilisation. On ne saurait donc accorder le moindre crédit aux démentis d'origine militaire qui minimisent les effets secondaires de la dernière-née de l'arsenal nucléaire, la nouvelle arme tueuse de tanks, déployée pour la première fois pendant la guerre du Golfe et réutilisée au cours de la guerre du Kosovo : la bombe à uranium dit « appauvri ». Si appauvri que la radioactivité des déchets nucléaires à partir desquels cette arme est fabriquée dure quatre milliards d'années...

Ce serait un crime contre l'humanité future d'occulter les informations qui remontent peu à peu des champs de bataille où cette nouvelle saleté a été employée. Le jour où la justice réclamera des comptes à ceux qui l'ont autorisée, elle ne sera pas dupe de la désinformation qu'ils pratiquent pour camoufler leur cynisme. Quand CNN s'autocensure sous prétexte que ces révélations effrayantes servent la propagande de Saddam Hussein et de Slobodan Milosevic, CNN se fait complice d'un nouveau mensonge d'Etat. En revanche, quand Canal+ dispose d'une enquête aussi documentée que celle de Martin Meissonnier, diffusée en crypté, jeudi à 22 h 10, dans sa nouvelle case d'investigation journalistique, on s'étonne que Canal+ ne cherche pas à donner un impact plus large à ce travail de salubrité publique. Car la conclusion de cette enquête est d'une absolue limpidité : au Kosovo, en 1999, comme en Irak, en 1991, les Etats-Unis et leurs alliés, en utilisant l'uranium appauvri pour rendre la guerre plus « propre », ont répandu une saloperie radioactive qui, sous les apparences d'une poussière « fine comme du talc », garantit la mort lente à tous ceux qui l'inhalent.

Les experts du Pentagone contestent évidemment les observations faites par les chercheurs indépendants et les associations de vétérans. Mais s'ils pensent sincèrement qu'il n'y a aucun rapport entre l'exposition à ces radiations et les maux dont souffrent beaucoup des acteurs de la guerre du Golfe, qu'ils soient américains ou irakiens, sans parler de leurs enfants nés monstrueux, nous suggérons à ces savants un moyen bien simple de nous convaincre que cette guerre secrète n'a pas eu lieu : qu'ils aillent faire du trekking, sans combinaison de survie, dans ces sables du Koweït qu'ils ont enrichis avec leur uranium appauvri ! Les parents des enfants morts d'y avoir été « pauvrement » irradiés en jouant leur serviront de guides.

ALAIN ROLLAT
"Le Monde" 26 Février 2000

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