Les entreprises sont-elles prêtes à sauver la planète
?
· LE MONDE · ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 07.06.02
"L'ÉTAT de la planète se dégrade, mais, pour
beaucoup, les affaires continuent comme à l'accoutumée."
Le constat est cinglant. Il figure en exergue du rapport que vient de publier
le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) intitulé
"L'industrie, un partenaire pour le développement durable".
Ce volumineux document est le fruit d'une démarche inédite,
initiée voilà un peu plus d'un an par l'ONU : inviter
les entreprises à faire face à leurs responsabilités
sociales et environnementales. Dix ans après le Sommet de la Terre
à Rio, en 1992, qu'ont-elles fait concrètement pour diminuer
leurs sources de pollution ? Combien d'eau et de matières premières
ont-elles économisées ? Les droits de l'homme au travail
sont-ils respectés dans leurs différentes entités mondiales ?
Et que sont-elles prêtes à faire aujourd'hui pour demain ?
Vingt-deux fédérations industrielles mondiales - représentant
la chimie, l'aviation, l'automobile, la gestion des eaux, la finance... -
ont décidé de jouer le jeu. Mieux : elles ont accepté
de voir leurs rapports sectoriels relus et critiqués par des organisations
non gouvernementales (ONG). Une première. Même si le document
final ressemble quelque peu à un catalogue de bonnes intentions,
sa seule existence est, en soi, une belle avancée. Particulièrement
exposées, les industries pétrolières et chimiques ont
visiblement travaillé sérieusement la question. Il est vrai
que, dans les années 1980 et 1990, elles ont dû faire face
à des catastrophes environnementales et humaines majeures, comme
l'explosion de l'usine Union Carbide à Bhopal en Inde, le naufrage
de l'Exxon-Valdez en Alaska ou encore l'exécution d'opposants
à une implantation de Shell au Nigeria... Les secteurs de l'aluminium,
de l'automobile, de la réfrigération dévoilent leurs
pistes de recherche en matière d'environnement : nouveaux modes
de propulsion pour la voiture ; utilisation accrue d'aluminium recyclé,
qui permet de consommer vingt fois moins d'énergie et de dégager
vingt fois moins de CO2 ; systèmes de réfrigération
utilisant la vapeur...
Les industriels insistent sur les progrès déjà réalisés :
baisse de 80 % des émissions dans l'air sur les vingt dernières
années pour la sidérurgie, diminution des gaz à effet
de serre pour l'aluminium alors que la production a augmenté de 24 %
depuis 1990, réduction de plus de 20 % de la consommation d'eau
chez Danone et chez Nestlé dans les années 1990...
CODES DE BONNE CONDUITE
D'autres, enfin, comme l'aéronautique ou la construction, se contentent
de synthèses extrêmement vagues. Preuve que le fameux développement
durable, très en vogue dans la communication des entreprises, n'en
est qu'à ses balbutiements. Certes, "les bons exemples ne
manquent plus sur la façon dont les entreprises et industries réduisent
leurs déchets, utilisent l'énergie plus efficacement et aident
les communautés pauvres à satisfaire leurs besoins fondamentaux",
commente diplomatiquement, dans la préface du rapport, Klaus Töpfer,
directeur du PNUE.
Mais ces "bons exemples ont parfois pour inconvénient de
masquer la vision d'ensemble". Jacqueline Aloisi de Larderel, responsable
industrie et environnement du PNUE, est plus directe : "Regardons
les 500 entreprises les plus riches du monde. Celles qui publient des
rapports annuels environnementaux et sociaux ne sont qu'une petite minorité (...).
Notre dernier rapport sur l'état mondial de l'environnement 2002
montre clairement que la situation empire." Le trafic aérien
mondial va doubler tous les vingt-deux ans, le nombre de voitures aura augmenté
de 74 % d'ici à 2020, les réserves exploitables de pétrole
commenceront à se tarir à partir de 2040. Derrière
le constat se profile une grande question : comment le système
capitaliste peut-il évoluer ? Le modèle dominant de développement,
après avoir su créer des richesses, sera-t-il capable de préserver
l'avenir ?
"Le rôle de l'entreprise ne se résume pas à
la création d'emplois et de richesses", estime M. Töpfer
dans le rapport du PNUE. En 1999, au sommet de Davos, Koffi Annan, le secrétaire
général de l'ONU, exhortait déjà les chefs d'entreprise
à "contribuer à la construction des piliers sociaux
et environnementaux nécessaires au soutien (...) d'une mondialisation
qui profite au monde entier". Mais, face à des marchés
financiers exigeant des rentabilités à court terme, sont-elles
vraiment prêtes à investir de l'argent pour contribuer au bien-être
de la planète ? Le développement durable ne fait pas
partie des critères d'évaluation qui permettent de déterminer
la valeur boursière d'une entreprise. Dans une pure logique financière,
certaines agences de notation, comme Moody's, estiment même qu'un
investissement environnemental est avant tout un coût supplémentaire.
Cela n'empêche pas les entreprises d'afficher des codes de bonne conduite
sociale et environnementale. Mais les actions tardent. "Les engagements
déclarés sont pour une grande partie de la cosmétique
verte", ironise Georg Furger, vice-président chez Crédit
suisse Asset Management, qui propose à ses clients d'investir dans
un nombre restreint d'entreprises dites éthiques. "De nombreuses
entreprises veulent être dans notre sélection pour une question
d'image. Leur sincérité n'est pas simple à vérifier."
Pour ce financier, "l'engagement concret des entreprises va prendre
beaucoup de temps".
NEUF PRINCIPES
Pour tenter d'accélérer le mouvement, les Nations unies ont
établi, en janvier 1999, le Global Compact, une liste de neuf principes
que les sociétés s'engagent à appliquer : respect
des droits de l'homme, interdiction du travail forcé et du travail
des enfants, développement d'une politique environnementale, recherche
de technologies moins polluantes, etc. "Nous avons besoin du secteur
privé, avait alors martelé M. Annan. Les multinationales
ont été les premières à profiter de la globalisation.
Elles doivent prendre leur part de responsabilité pour en assumer
les conséquences." L'initiative est, pour l'instant, peu
suivie d'effet. Début juin, deux ans et demi après son lancement,
400 grandes entreprises avaient envoyé une lettre au secrétaire
général des Nations unies pour soutenir ces principes. Mais
seulement 80 d'entre elles ont, depuis, démarré concrètement
des actions pour se conforter à ces principes. Les Etats peuvent-ils
jouer un rôle de régulateur ? Plusieurs pays d'Europe
ont déjà légiféré pour obliger les entreprises
à rendre publiques leurs performances environnementales et sociétales.
La création, en France, d'un secrétariat au développement
durable montre une prise de conscience du monde politique, même si,
pour l'instant, rien de concret n'a été avancé. Le
sommet mondial du développement durable, qui se déroulera
fin août à Johannesburg, en Afrique du Sud, va lancer aux entreprises
et aux Etats un défi de taille : s'entendre à l'échelle
internationale sur des valeurs communes qui n'étaient jusqu'à
présent pas prises en compte par le système économique.
Laure Belot
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La Terre en danger
Sorti au mois de mai, le rapport GEO3 (Global Environment Outlook) UNEP
souligne que les choix politiques des trente années à venir
seront déterminants pour l'avenir de la planète. Le rapport
du Programme des Nations unies pour l'environnement décrit un monde
fragilisé : dégradation de l'air, baisse des ressources
en eau, appauvrissement de la biodiversité...
Si les acteurs de la planète ne réagissent pas, 1 130 espèces
de mammifères et 1 183 espèces d'oiseaux sont clairement
menacées. Une dégradation annoncée qui mettrait en
danger des "millions d'humains ainsi que les espèces animales
et végétales".
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