Le Danemark veut dénouer l'imbroglio de l'élargissement de l'Europe


article publié dans LE MONDE le 01 juillet 2002

Copenhague de notre envoyé spécial

Faire passer l'Union européenne de quinze à vingt-cinq Etats membres. C'est la lourde tâche qui incombe au Danemark, qui a pris lundi 1er juillet la présidence tournante de l'Union jusqu'à la fin de l'année. Au sommet de Copenhague, en décembre 2002, les Quinze comptent clore leurs négociations d'adhésion avec la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, les pays baltes, la Slovénie, Chypre et Malte.

"Même un petit délai pourrait conduire à un long report de l'élargissement, prévient le premier ministre danois, Fogh Rasmussen, car, en 2003, l'union va se concentrer sur la Convention, en 2004, il y aura la conférence intergouvernementale et, en 2005-2006, il faudra discuter du cadre financier de l'Union après 2006. Nous avons une fenêtre d'opportunité."


Le référendum irlandais.

L'Union européenne n'est pas à l'abri d'une crise profonde. Le premier risque concerne l'issue du second référendum sur le traité de Nice, que les Irlandais ont rejeté en juin 2001. Un nouveau refus empêcherait l'entrée en vigueur de ce traité jugé indispensable pour permettre l'adhésion de nouveaux membres. Les Danois prétendent ne pas avoir prévu de solution de repli. "Nous n'avons pas de plan B", affirme M. Rasmussen, estimant qu'"un nouveau "non" mettrait en péril tout le processus d'élargissement".

La réforme de la PAC.

Le deuxième dossier que les Quinze doivent régler concerne la politique agricole commune (PAC) et les propositions d'aides financières qui seront faites aux pays candidats. En raison des élections allemandes du 22 septembre et du temps qu'il faudra à Berlin pour avoir un nouveau gouvernement, les Quinze ne se mettront d'accord que dans les premiers jours de novembre.

L'Allemagne, qui ne veut pas payer plus pour l'Europe, souhaite qu'un début de réforme de la PAC soit amorcé, ce à quoi Paris s'oppose. Les délais impartis pour négocier avec les pays candidats seront alors très courts. Une foire d'empoigne n'est pas à exclure sur des sujets techniques mais décisifs, comme l'attribution des quotas laitiers.

Le chef de la diplomatie polonaise, Wlodzimierz Cimoszewicz, s'en agace déjà. "Si l'on nous refuse les conditions normales de négociations, nous demanderons leur prolongation. Nous refuserons le chantage consistant à dire que le train part à 19 h 10. Il partira à 19 h 30, s'il le faut, et il n'y aura pas de malheur", a-t-il déclaré vendredi 28 juin.

Même si les dossiers sont officiellement séparés, un télescopage entre élargissement et réforme de la PAC n'est pas exclu au sommet de Copenhague. En effet, la présidence danoise doit aussi à ce moment-là présenter un rapport sur l'avancée de la réforme de la PAC. "Je ne serais pas prêt à accepter que cette réforme soit une précondition de l'élargissement", explique M. Rasmussen, dont le pays est grand bénéficiaire de la PAC, tout en reconnaissant qu'"en décembre, il peut y avoir des Etats membres qui veuillent qu'on regarde au même moment ces deux dossiers séparés". La présidence danoise rêve de déblayer le terrain dès le sommet européen, qui se tiendra fin octobre à Bruxelles.

Les candidats non retenus.

"Si on avait résolu les problèmes de financement au sommet de Bruxelles, on pourrait se concentrer à Copenhague sur la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie", note Bertel Haarder, ministre des affaires européennes danois. Car le sort des candidats non retenus risque d'être épineux. La Roumanie et la Bulgarie veulent des assurances qu'ils rentreront bien dans l'Union. "Il serait peut-être utile de faire une déclaration politique, précisant que la première vague d'élargissement ne sera pas la dernière", précise M. Rassmussen.

Quant à la Turquie, elle pourrait devenir l'enjeu décisif de Copenhague. L'entrée prévue de Chypre dans l'Union, divisée ou non, risque de provoquer une crise avec Ankara si le dossier n'est pas résolu d'ici là. "Le problème avec Chypre, c'est qu'il n'y a même pas de plan A", plaisante M. Rasmussen.

La défense européenne.

Dans le même temps, les Quinze cherchent à clore les négociations sur la défense européenne entre l'Union et l'OTAN - en réalité entre la Grèce et la Turquie, membres de l'OTAN. Pour déminer ces deux sujets, les diplomates européens pourraient être tentés d'envoyer à Ankara des signaux positifs sur son adhésion. "On a intérêt à garder une Turquie orientée sur une position occidentale", explique M. Rasmussen, qui estime qu'il est "d'un intérêt vital de renforcer la coopération entre l'Union et la Turquie" et que ce pays a le statut de "candidat"à l'entrée dans l'Union.

Mais les négociations ne pourront débuter que si ce pays remplit les critères démocratiques suffisants. Le sujet de l'adhésion rampante de la Turquie à l'Union est explosif dans les opinions publiques européennes. Le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, a mis en garde au sommet de Séville contre le risque de faire de Copenhague un sommet sur la Turquie.


L'enclave russe de Kaliningrad.

Dans ce contexte, le problème de l'enclave de Kaliningrad, qui sera entourée de pays membres de l'Union (Pologne et Lituanie), finit par apparaître secondaire. Les Européens exigent des Russes un visa pour traverser l'Union, ce qui suscite un tollé de Moscou. "Je ne pense pas que le problème de Kaliningrad soit une précondition à l'élargissement", a poursuivi M. Rasmussen. Le premier ministre danois ne désespère pas de résoudre ce problème lors de la rencontre Union européenne-Russie prévue le 11 novembre.

Arnaud Leparmentier
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Copenhague n'a qu'un pied dans l'Union


Le Danemark est pour partie hors de l'Europe. Après avoir dit "non" à Maastricht lors d'un référendum en 1992, les Danois ont fini par ratifier le traité en 1993. Mais ils ont obtenu plusieurs dérogations pour ne participer ni à l'euro, ni à l'Europe de la défense et à une bonne partie de la politique de justice, d'asile et d'immigration. En conséquence, ce n'est pas le Danemark mais la Grèce, prochain pays à exercer la présidence de l'Union, qui préside dès à présent l'eurogroupe.

Toutefois, assure M. Rasmussen, "les dérogations danoises n'auront qu'un impact très limité sur la présidence". Surtout, le premier ministre danois ne sera pas tenté d'utiliser la présidence à des fins nationales, comme son prédécesseur, l'Espagnol José Maria Aznar, soucieux de faire de sa présidence un hymne au libéralisme et à la lutte contre le terrorisme. La priorité qui écrase tout, c'est l'élargissement. "Nous ne recherchons pas d'intérêt particulier. Nous avons un agenda purement européen", assure M. Rasmussen. - (Corresp.)


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