Extraits de l'intervention radiodiffusée et télévisée du Général de Gaulle, lors du putsch des généraux à Alger le 23 avril 1961.

     Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en Algérie par un pronunciamento (1) militaire.

     Les coupables de l'usurpation ont exploité la passion des cadres de certaines unités spécialisées, l'adhésion enflammée d'une partie de la population de souche européenne qu'égarent les craintes et les mythes, l'impuissance des responsables submergés par la conjuration militaire.

     Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite (2). Il a une réalité : un groupe d'officiers, partisans, ambitieux et fanatiques. Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir-faire expéditif et limité. Mais ils ne voient et ne comprennent la nation et le monde que déformés à travers leur frénésie. Leur entreprise conduit tout droit à un désastre national.

     Car l'immense effort de redressement de la France, entamé depuis le fond de l'abîme, le 18 juin 1940, mené ensuite jusqu'à ce qu'en dépit de tout la victoire fût remportée, l'indépendance assurée, la République restaurée ; repris depuis trois ans, afin de refaire l'Etat, de maintenir l'unité nationale, de reconstituer notre puissance, de rétablir notre rang au dehors, de poursuivre notre uvre outre-mer à travers une nécessaire décolonisation, tout cela risque d'être rendu vain, à la veille même de la réussite, par l'aventure odieuse et stupide des insurgés en Algérie. Voici l'Etat bafoué, la nation défiée, notre puissance ébranlée, notre prestige international abaissé, notre place et notre rôle en Afrique compromis. Et par qui ? Hélas ! Hélas ! Par des hommes dont c'était le devoir, l'honneur, la raison d'être, de servir et d'obéir. (...)

     Devant le malheur qui plane sur la patrie et la menace qui pèse sur la République, ayant pris l'avis officiel du Conseil constitutionnel, du Premier ministre, du président du Sénat, du président de l'Assemblée nationale, j'ai décidé de mettre en uvre l'article 16 de notre Constitution. A partir d'aujourd'hui, je prendrai, au besoin directement, les mesures qui me paraîtront exigées par les circonstances. Par là même, je m'affirme, pour aujourd'hui et pour demain, en la légitimité française et républicaine que la nation m'a conférée, que je maintiendrai, quoi qu'il arrive, jusqu'au terme de mon mandat ou jusqu'à ce que me manquent, soit les forces, soit la vie, et dont je prendrai les moyens d'assurer qu'elle demeure après moi.

     Françaises, Français ! Voyez où risque d'aller la France, par rapport à ce qu'elle était en train de redevenir.


     Françaises, Français ! Aidez-moi !

(Source : Message radiotélévisé du chef de l'Etat à la nation, 23 avril 1961.Discours et Messages, tome V.)

 

NOTES :

(1) Pronunciamento : coup d'Etat.

(2) Quarteron : désigne les quatre généraux suivants : Challe, Salan, Zeller et Jouhaud.


 

QUESTIONS

1 - Présenter le document.

2 - Quel est le "pouvoir insurrectionnel" dont parle le général de Gaulle ? Quels en sont les origines et les objectifs ?

3 - Expliquer la formule : "j'ai décidé de mettre en uvre l'article 16 de la Constitution".

4 - Qu'entend le général de Gaulle par l'"immense effort de redressement de la France ?"

 


Corrigé

 

I - ANALYSE DU SUJET

Le document proposé est très classique mais supposait des connaissances sur l'Algérie, le général de Gaulle et les institutions de la Ve République.

II - REPONSES AUX QUESTIONS PROPOSEES

Question 1 : Présentation du document

Le général de Gaulle utilise volontiers la radio pour s'adresser aux Français lors de circonstances graves. Lors du putsch des généraux en avril 1961, c'est à la fois à la télévision et à la radio qu'il parle aux Français. Le général est revenu au pouvoir en 1958 à la faveur des événements d'Algérie, son nom est scandé par la foule le 13 mai. Mais c'est le Président de la République qui le nomme Président du Conseil en juin avec les pleins pouvoirs pour proposer une nouvelle constitution et régler les affaires algériennes. En septembre 1958, la Constitution est ratifiée par référendum et en décembre de Gaulle est élu président pour sept ans.

Laissant d'abord croire aux Pieds-noirs et à l'armée qu'il soutenait l'Algérie française, de Gaulle évolue vers l'idée d'autodétermination suscitant une vive réaction de l'armée d'Algérie et de ses chefs comme Jouhaud, Salan, Zeller et Challe, qui organisent un coup d'Etat.

Question 2 : Le "pouvoir insurrectionnel"

Le pouvoir insurrectionnel est celui d'une partie des cadres de l'armée française en Algérie. Ces militaires victorieux sur le terrain (par exemple, lors de la bataille d'Alger) n'admettent pas l'idée que le règlement du conflit est politique. Ils sont soutenus par les Pieds-noirs et veulent renverser de Gaulle qu'ils accusent de trahison. Depuis 1960, des mouvements insurrectionnels se développent en Algérie pour faire échouer les négociations entreprises par Paris avec le FLN, et conserver l'Algérie française.

Question 3 : L'article 16 de la Constitution

L'article 16 de la Constitution prévoit que le Président de la République peut prendre des mesures spéciales lorsque les institutions de la République ou l'intégrité du territoire national sont menacées. Il doit informer la Nation par un message et consulter le Premier ministre ainsi que les Présidents des Chambres. Cet article n'a été utilisé qu'une fois dans l'histoire de la Ve République, en avril 1961.


Question 4 : Le redressement de la France

Le redressement de la France depuis 1940 peut être présenté sous trois angles :

* Redressement politique avec la Constitution de 1958 qui donne un rôle majeur au Président et assure la stabilité des institutions.

* Redressement économique avec les mesures prises par le gouvernement provisoire et la IVe République qui ont permis à la France d'être une puissance lors des Trente Glorieuses (le PNB augmente de 5 % en moyenne par an).

* Redressement diplomatique. La France joue un rôle actif à l'ONU (siège au Conseil de sécurité) et dans la construction européenne.



le contingent*, par leur refus de suivre les putschistes, jouèrent un rôle important dans l'échec du putsch d'avril 1961 (*le contingent : les appelés c'est à dire les jeunes effectuant leur service militaires en Algérie)