Le pétrole, l'autre enjeu du conflit
· LE MONDE | 19.09.02
"L'Irak est un pays incontournable pour toute société
pétrolière normalement constituée". Ce constat
fait par le stratège d'une grande compagnie européenne résume
la partie industrielle planétaire qui se joue en coulisses pendant,
qu'au Conseil de sécurité, les diplomates tentent de bâtir
un cadre juridique pour mettre le régime irakien hors d'état
de nuire.
112 milliards de barils de réserves prouvées ; 11 %
des réserves mondiales, la deuxième du monde après
celle de l'Arabie saoudite ; et à cela s'ajouteraient, selon
les spécialistes, 220 milliards de barils de ressources probables
et peut-être plus puisque son territoire est relativement inexploré
en raison des années de guerre... L'Irak intéresse depuis
longtemps les majors pétrolières de tous les pays du monde,
et notamment américaines.
Le président et le vice-président américains, George
W. Bush et Dick Cheney, tous deux issus de l'industrie pétrolière
et qui ont conservé de nombreux liens avec ce puissant lobby, savent
ce que pourrait représenter une mainmise américaine sur les
gisements irakiens. Ils savent également que l'augmentation de la
consommation de carburants aux Etats-Unis, combinée à une
baisse de production intérieure, les rend de plus en plus dépendants
de leurs importations de pétrole. Si l'on ajoute que le premier fournisseur
des Etats-Unis est aujourd'hui l'Arabie saoudite avec laquelle les relations
se sont distendues depuis le 11 septembre, tous les ingrédients
sont là pour faire du pétrole un enjeu central d'une guerre
contre l'Irak.
Ce thème est abondamment exploité par Bagdad. "L'administration
américaine, en avançant des prétextes pour lancer une
agression contre l'Irak, cherche à contrôler la région
pour voler ses richesses" a répété le vice-premier
ministre irakien, Tarek Aziz, mercredi 18 septembre, à Bagdad.
Chacun mesure qu'en cas de levée des sanctions par l'ONU sans changement
de régime, les compagnies américaines partiraient avec un
sérieux handicap lorsqu'il s'agira d'exploiter les énormes
champs pétroliers de l'Irak.
Exploiter l'or noir irakien est un objectif que poursuivent les pétroliers
du monde entier depuis longtemps. Le nouvel eldorado décrit en Asie
centrale n'y change rien pour une raison simple : "le coût
de production d'un baril de la mer Caspienne oscille entre 7 et 8 dollars,
le brut irakien coule pour environ 70 cents", explique un
expert. L'intérêt des compagnies pétrolières
pour le sous-sol irakien n'a donc aucune raison de faiblir.
(...)
GRANDES MANOEUVRES
Il n'empêche, les grandes manoeuvres ont commencé. Pour former
une coalition la plus solide possible, l'administration américaine
a évoqué cet enjeu avec certains pays membres du Conseil de
sécurité. L'ancien directeur de la CIA, James Woosley, conseil
de British Airways et défenseur d'une action contre Saddam Hussein,
a traduit ces tractations de façon moins diplomatique. Disons carrément
à la France et à la Russie, soutenez-nous et nous vous serons
reconnaissants lorsque l'heure du partage aura sonné, a-t-il déclaré
en substance.
Washington serait même prêt à un accord "tacite"
ou "explicite" avec la Russie pour que cette dernière
puisse récupérer la créance de près de 10 milliards
de dollars qu'elle détient sur l'Irak.
L'acceptation par l'Irak du retour des inspecteurs retarde un changement
de régime en Irak. Or l'Amérique a un besoin presque vital
de diversifier ses sources d'approvisionnement en pétrole. Le secrétaire
américain à l'énergie, Spencer Abraham, l'a rappelé
mercredi en inaugurant le début de la construction de l'oléoduc
Bakou-Tbilissi-Ceyhan qui permettra de livrer le pétrole de la mer
Caspienne via la Géorgie jusqu'aux côtes turques et d'approvisionner
le reste du monde.
"La politique énergétique définie par le président
Bush exige que les Etats-Unis soutiennent l'augmentation de la production
énergétique dans le monde entier. C'est fondamental pour l'Amérique",
a-t-il déclaré. Après la guerre du Golfe, les Etats-Unis
avaient raflé la majeure partie des contrats de reconstruction du
Koweït. Ils espèrent renouveler l'exploit en Irak, au profit
des compagnies américaines.
Babette Stern
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