Un récit accablant de la genèse de l'invasion de l'Irak


LE JOUR où l'Histoire rendra son jugement sur la responsabilité de George Bush et Tony Blair dans le déclenchement de la guerre d'Irak, quelques pages d'un livre devraient constituer une pièce à conviction essentielle. Ce livre, Lawless World (Un monde sans loi), publié à Londres en 2005, vient de paraître en poche augmenté de deux chapitres qui contiennent des informations capitales sur la genèse de l'invasion de mars 2003.
Son auteur, Philippe Sands, est professeur de droit international à l'University College of London (UCL) et avocat chez Matrix, l'un des prestigieux cabinets de la capitale, celui-là même auquel appartient Cherie Booth, la femme de Tony Blair. Il n'éprouve aucune animosité contre le premier ministre, ni aucune hostilité de principe à l'usage de la force. Ainsi a-t-il soutenu les interventions britanniques en Bosnie, au Kosovo, ou en Sierra Leone. Son propos est de montrer que le couple Bush-Blair a, en la circonstance, profané la loi internationale.
Au coeur de sa démonstration se trouve le mémorandum d'une discussion que Bush et Blair ont eue à la Maison Blanche le 31 janvier 2003. Ce n'est pas un verbatim, mais un résumé de leurs échanges, rédigé par l'un des six conseillers des deux leaders présents à cet entretien. Ce document confirme sans la moindre équivoque que George Bush avait, à cette date, décidé d'attaquer l'Irak.
Qu'une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l'ONU soit ou non votée, annonce le président, " une action militaire suivra de toute façon ". George Bush fixe même au 10 mars la date provisoire du début des bombardements.
Comment réagit Blair ? Non seulement, souligne l'auteur, il n'objecte rien, mais il affirme qu'il est " solidement " avec lui et s'affirme " prêt à faire ce qu'il faudra pour désarmer Saddam ". Conclusion : le premier ministre a, lui aussi, pris sa décision, plus de cinq semaines avant que son conseiller juridique, Lord Goldsmith, ne lui donne, le 7 mars, son premier avis, d'ailleurs ambigu, sur la légalité de la guerre.
Deuxième constat de l'auteur : Bush et Blair ne possèdent à cette date aucune information sur les armes de destruction massive. Blair compare la résolution de l'ONU à une " police d'assurance " de nature à le protéger au cas où les choses tourneraient mal. Bush est si peu sûr de recueillir des preuves qu'il envisage de pousser Saddam Hussein à la faute : il enverrait dans le ciel irakien un avion de reconnaissance U2 peint aux couleurs de l'ONU, en espérant que l'armée de Bagdad tire dessus.
A aucun moment, s'étonne Sands, Bush n'envisage ce qui s'est réellement passé dans l'après-Saddam : une insurrection attisée par Al-Qaida et l'escalade vers la guerre civile. L'hypothèse d'un conflit entre groupes ethniques et religieux lui paraît " improbable ".
L'auteur cite aussi une note du chef du Foreign Office, Jack Straw, à Tony Blair, écrite début janvier. Straw y exprime sa crainte qu'on ne trouve pas " the big smoking gun ", (" le gros fusil fumant "), autrement dit la preuve d'une violation par l'Irak de ses obligations. Il rapporte aussi une conversation qu'il a eue quatre jours plus tôt avec son homologue américain, Colin Powell, dans laquelle ce dernier mettait en avant la difficulté d'un engagement unilatéral des Etats-Unis.
En conclusion, l'auteur reproche à Blair de n'avoir jamais honnêtement expliqué aux Britanniques la genèse de sa décision de participer à une guerre, selon lui, juridiquement illégale et politiquement illégitime.
Jean-Pierre Langellier

Lawless World, de Philippe Sands, Penguin.

publié dans "le Monde des livres" daté du 7 avril 2006

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Mensonges sur l'Irak

LE MONDE | 17.06.04 | 18h43

L'histoire risque de se montrer sévère lorsqu'elle se penchera sur la politique de George W. Bush à l'égard de l'Irak. Peut-être réussira-t-il à pacifier et à stabiliser ce pays, même si, sur le terrain, la situation n'incite guère à l'optimisme. Mais il aura réussi à diviser durablement ses alliés et à ternir l'image de son pays.

Plus grave encore pour sa crédibilité, le rapport intermédiaire rendu public, mercredi 16 juin, par la commission d'enquête paritaire du Sénat a démoli sans appel le second des arguments avec lesquels le président américain avait justifié sa guerre contre Saddam Hussein : sa connivence supposée avec Oussama Ben Laden et Al-Qaida. On se souvient que les affirmations de la Maison Blanche, reprises par ses alliés de l'époque - en premier lieu par Tony Blair - selon lesquelles le régime de Bagdad disposait d'armes de destruction massive et qu'il était prêt à les utiliser n'ont jamais pu être prouvées.

Les conclusions de la commission, qui n'a trouvé "aucune preuve crédible d'une collaboration entre le régime de Saddam Hussein et Al-Qaida pour attaquer les Etats-Unis", ont d'autant plus de poids qu'elles n'auraient pu être adoptées sans l'accord de membres républicains de la commission. Elles s'inscrivent en faux contre les assertions répétées du vice-président Dick Cheney sur de prétendus "liens de longue date" et contre l'argumentation utilisée par M. Bush pour convaincre ses compatriotes de la justesse de cette guerre.

L'argument de la connivence Saddam-Ben Laden apparaît donc pour le moins controuvé. Il avait pourtant eu un immense impact aux Etats-Unis au point d'être cru par près d'un Américain sur deux. Le réveil de l'opinion risque d'être brutal à cinq mois de la prochaine présidentielle. John Kerry, le candidat démocrate, qui avait soutenu la guerre à son début, en a profité pour accuser son rival d'avoir "trompé" le peuple américain. Cela lui suffira-t-il pour l'emporter ?

Les arguments de M. Bush ayant fait la preuve de leur inanité, on est porté à se demander s'il a menti, emporté par une stratégie belliciste contre un Saddam Hussein dont il avait fait son ennemi numéro un avant même d'entrer à la Maison Blanche. Ou bien s'il a enrobé sa politique sous un emballage "vendable" à une opinion traumatisée par les attentats du 11 Septembre. Ce serait plus grave encore si, comme ne l'exclut pas le New York Times, "il savait qu'il ne disait pas la vérité ou s'il avait une capacité à s'auto-illusionner pour des raisons politiques, ce qui serait terrifiant dans le monde de l'après-11 Septembre".

Le résultat de tout cela est une Amérique décrédibilisée et une vague sans précédent de haine dans le monde musulman. Mais surtout, et c'est beaucoup plus inexcusable, cette guerre sans justifications légales ou factuelles a détourné le monde d'une tâche bien plus cruciale : la vraie guerre contre le terrorisme.

Ben Laden court toujours, Al-Qaida a essaimé comme une métastase à travers un univers qui est encore moins sûr aujourd'hui qu'il ne l'était hier.





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