LA LUTTE contre la faim dans le monde est en échec. La famine
menace à nouveau en Afrique australe, huit cents millions de personnes
ont faim tous les jours, et près de deux milliards d'êtres
humains souffrent de carences alimentaires. En 1996, les dirigeants mondiaux
s'étaient engagés à réduire de 22 millions
par an le nombre de personnes sous-alimentées. Le résultat
obtenu n'est que de 6 millions par an, selon les statistiques publiées
à l'occasion du sommet de la FAO (Organisation des Nations unies
pour l'alimentation et l'agriculture) qui vient de se tenir à son
siège de Rome.
L'agriculture des pays du Sud est incapable d'y nourrir les populations.
Les raisons en sont le manque d'eau, les guerres ou les défauts d'organisation
de ces pays, qui, comme le dénonce la FAO, consacrent de moins en
moins de fonds publics à l'agriculture. Mais il est apparu de plus
en plus clairement à Rome que, si ces causes demeuraient, le système
économique mondial déséquilibré entre le Nord
et le Sud portait une responsabilité de plus en plus forte dans la
destruction des cultures du Sud.
Le déséquilibre provient d'un échange inégal :
le Nord demande au Sud d'abolir les frontières pour ses produits
industriels et bancaires mais aussi agricoles et, dans le même temps,
ferme ses propres portes aux exportations du Sud, arrosant ses campagnes
de subventions toujours plus élevées. Ainsi, les fruits ou
céréales du Sud sont privés de débouchés,
mais la viande du Nord arrive sur les marchés de la côte africaine
à des prix "dumping", ruinant les petits éleveurs
locaux.
Les récentes décisions du président George W. Bush
d'augmenter de 190 milliards de dollars sur dix ans, soit de presque
80 %, les subventions versées par Washington aux agriculteurs
américains sont, dans ce contexte, catastrophiques. Contraires à
toutes les promesses faites par les autorités américaines
elles-mêmes lors du sommet de l'OMC à Doha, l'an passé,
elles vont encore renforcer le déséquilibre des marchés
mais, surtout, elles vont briser le petit espoir qu'une prise de conscience
pouvait naître dans les capitales du Nord sur les méfaits du
système agricole mondial. Le message de froid égoïsme
qu'elles portent risque de servir de justificatif dans d'autres pays du
Nord pour renforcer encore leurs propres aides agricoles. Ce peut être
le cas en Europe, où la France de Jacques Chirac bloque toute réforme.
La pauvreté et la faim proviennent beaucoup plus encore de ce libre-échange
faussé que du recul de l'aide au développement. Or le drame
est que les subventions au Nord ne suffisent pas à éviter
que de plus en plus de paysans abandonnent la terre, aux Etats-Unis comme
en Europe. Elles provoquent un affaissement généralisé
des prix agricoles qui ruine les producteurs du Sud comme du Nord. L'échange
doit rester la règle, il est facteur de progrès. C'est au
contraire le protectionnisme qu'il faut dénoncer, mais aussi un système
d'organisation des marchés qui se révèle incapable
de nourrir les producteurs de nourriture.