"Le limogeage du président Henri Konan Bédié par
les militaires de Côte-d'Ivoire (le 24 décembre 1999) rappelle
une fois de plus qu'un coup d'Etat est souvent la conséquence (certes
regrettable) de blocages institutionnels profonds, d'impasses politiques
majeures, d'une illégitimité des dirigeants, d'un échec
des procédures d'alternance, d'une faillite des élites, et,
plus profondément, d'un mauvais gouvernement et d'un service public
en déroute. Tous ces phénomènes sont particulièrement
aigus dans les pays où des coups d'Etat se sont récemment
produits (Niger, Sierra Leone, Comores, et Côte-d'Ivoire, pour ne
parler que de 1999), mais se retrouvent aussi, à plus ou moins grande
échelle, dans l'ensemble des pays officiellement « démocratiques ».
La crise est d'abord institutionnelle : la « démocratisation »
a apporté le multipartisme et une certaine liberté de presse,
mais pas le principe fondamental d'acceptation de l'alternance. Le Bénin
est à ce jour le seul exemple - remarquable - d'alternance véritable
par la voie des urnes. Le plus souvent un président, une fois installé
au pouvoir (parfois lui-même ancien dictateur vaguement reconverti,
mais parfois aussi honorable « démocrate » célébré
par la société internationale), n'entend en aucun cas le céder
par la voie des urnes. Ses troupes font alors ce qu'il faut pour le garder.
Le trucage électoral est massivement pratiqué dans la plupart
des pays - avant, pendant ou après l'élection. Chaque scrutin
tenu dans de telles conditions, au lieu de renforcer la légitimité
de la démocratie, renforce l'illégitimité des gouvernants,
voire discrédite la démocratie elle-même"
JEAN-PIERRE OLIVIER DE SARDAN
Directeur d'étude à l'Ecole des hautes études en sciences
sociales,
directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique.
Le Monde diplomatique février 2000 p 12 et 13