extrait d'un article paru dans Le Monde daté du 8 mai 2004

Irak  : les armées privées de la guerre

Avec une ampleur sans précédent dans son histoire, le Pentagone (Ministère de la guerre à Washington) a recours en Irak à des entreprises privées pour remplir des missions qui relevaient traditionnellement de l'armée américaine. Ce sont des "privés" qui entraînent l'armée dans le désert, protègent l'administration civile de l'Irak et son chef, Paul Bremer, et exercent également des missions aussi sensibles que la collecte du renseignement et l'interrogatoire de milliers de prisonniers. Au total, ils sont quelque 20  000 contractants, soit la deuxième "armée" opérant en Irak.

Deux d'entre ces "privés" font l'objet de soupçons dans l'affaire de la prison d'Abou Ghraib. Pour la première fois, jeudi 6  mai, le président George W.  Bush s'est dit désolé pour les tortures infligées aux détenus. Mais il s'est refusé à envisager la démission de son ministre de la défense, Donald Rumsfeld.


New york de notre correspondant

Des entreprises privées entraînent les troupes américaines dans le désert, gardent nuit et jour des personnalités comme le président afghan Hamid Karzaï, entretiennent et protègent des ambassades et des bases à l'étranger, interrogent des prisonniers et recueillent des renseignements. Les contractants de l'armée américaine ne sont plus cantonnés depuis longtemps à la seule logistique. Mais jamais, dans l'histoire de l'armée américaine, les tâches civiles et militaires n'ont été autant mêlées.

Ce sont des "privés" qui protègent Paul Bremer, l'administrateur civil en Irak, et ce sont des militaires assis au côté des chauffeurs civils des camions de Kellogg Brown &  Root, la filiale de Halliburton, qui protégent les convois assurant l'approvisionnement des troupes américaines. Environ 20  000  contractants seraient aujourd'hui en Irak, deux fois plus que de soldats britanniques.

Washington a justifié le recours croissant à des entreprises privées pour des missions aussi sensibles que le renseignement par la nécessité de trouver, dans l'urgence, après les attaques du 11  septembre 2001, des linguistes, des traducteurs et plus tard des professionnels capables de faire parler les prisonniers en Afghanistan et en Irak.

Pour se faire une idée des besoins du Pentagone, il suffit de consulter les dizaines de sites sur Internet proposant des emplois en Irak aussi bien de debriefers (spécialiste des interrogatoires) que de linguistes, d'interprètes, de spécialistes des crimes de guerre ou d'experts du contre-espionnage.
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Cette fois, deux sociétés, CACI International et Titan, sont soupçonnées d'être impliquées dans les sévices infligés aux détenus irakiens à Abou Ghraib. (...)
Steven Stefanowicz, aurait ordonné les actes de torture. Cet employé de la société CACI International est décrit comme un interrogateur civil assigné à la 205e  brigade de renseignement militaire. CACI International, dont le siège se trouve à Arlington en Virginie, à quelques kilomètres du Pentagone et du quartier général de la CIA, est une société cotée, fondée en 1962. Son principal métier est la réalisation de programmes informatiques sophistiqués "afin de prévaloir dans la nouvelle ère de la défense, du renseignement et du gouvernement électronique". Par exemple, CACI International gère les courriels du département d'Etat et assure le contrôle de la logistique d'une bonne partie de la flotte de surface américaine.
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Les employés de CACI et Titan ont de grandes chances d'échapper à toute sanction. Ils tombent dans un véritable no man's land juridique. Selon la loi militaire, un civil travaillant pour l'armée n'est pas passible de la Cour martiale tant que le Congrès n'a pas déclaré la guerre. Dans le cas irakien, il ne l'a jamais fait.

Eric Leser, correspondant du journal Le Monde à New york

les activités militaires "privées" : un chiffre d'affaires de 100  milliards de dollars par an aux États-Unis


Une présence croissante.

Les fournisseurs privés du Pentagone sont de plus en plus présents. Durant la guerre du Golfe, en 1991, une personne sur 50 autour du champ de bataille était un civil sous contrat. En Bosnie, en 1996, cette proportion était passée à 1 pour 10. Elle pourrait être aujourd'hui de 1 pour 7 en Irak. Ces groupes privés ont été les premiers à débarquer des stocks d'équipements, d'armes et de munitions dans le Golfe pour préparer la guerre en Irak.

Le marché.

Le nombre de privés utilisés par l'armée américaine n'est pas public, pas plus que ne l'est le budget qu'ils représentent. Même les sociétés cotées en Bourse évitent de distinguer leurs activités civiles et militaires. Mais le marché est estimé à plus de 100  milliards de dollars par an.

Les entreprises.

Près de 40  entreprises travaillent en permanence sur le terrain pour le Pentagone. Kellog Brown &  Root, par exemple, a assuré pour 2,2  milliards de dollars la logistique des troupes américaines dans les Balkans.

La filiale de Halliburton assure aujourd'hui le même service en Afghanistan et en Irak pour une somme supérieure à 4  milliards de dollars. MPRI (Military Professionals Resources Inc.) est célèbre pour "avoir plus de généraux -à la retraite- au mètre carré" que le Pentagone lui-même. Cette entreprise compte 900  salariés, pour la plupart des anciens militaires. Ils ont obtenu, au cours des dernières années, plus de 200  contrats différents pour la formation d'unités américaines. Ils ont aussi rédigé bon nombre de manuels militaires. D'autres entreprises tentent d'être moins voyantes, telles DynCorp, Wackenhut, Vinnell (une filiale de TRW), Logicon (du groupe Northrop Grumman), SAIC... (...)


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