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Cette situation exceptionnelle a une explication : la Chine. (...)
En quelques mois, la Chine s'est affirmée comme le premier consommateur
mondial de toutes les grandes matières premières : elle consomme
plus de 40 % de la production mondiale de charbon, 25 % de celle d'acier,
de nickel, 19 % de celle d'aluminium. Cette irruption a bouleversé
tous les équilibres. D'autant que les producteurs, habitués
depuis près de trente ans à vivre avec des prix bradés
et des croissances d'à peine 1 % ou 2 % par an, ont volontairement
limité tous les agrandissements afin de préserver leurs marges.
Aujourd'hui, de nombreux acteurs découvrent les contraintes qui pèsent
sur leurs approvisionnements. Ainsi, les grands pays producteurs de minerai
de fer - Brésil, Afrique du Sud, Australie - n'ont pas de capacités
portuaires susceptibles de faire face à la demande. Les bateaux ne
sont pas assez nombreux pour transporter les marchandises. Le nombre de
mineurs est insuffisant. Dans ce contexte, le moindre accident de train
ou retard de bateau, la moindre inondation de mine font figure de catastrophe.
Ces tensions physiques nourrissent une inflation galopante. Le cours du
platine est à son plus haut niveau depuis vingt-quatre ans, celui
du coke a augmenté de 80 % en un an, celui du nickel de 55 %. Le
coût du fret maritime, lui, a été multiplié par
quatre depuis septembre 2003, et il devient parfois plus élevé
que certaines cargaisons transportées. La spéculation surenchérit
encore les coûts, les fonds d'investissement découvrant l'intérêt
de ces marchés. La chute de 30 % du dollar a permis de limiter les
effets de ces hausses. Mais l'addition reste très lourde.
De l'avis de nombreux intervenants, aucune accalmie n'est prévisible
à court terme. Il faudra au moins dix-huit mois pour construire des
quais de chargement supplémentaires dans les ports, ouvrir de nouvelles
mines, relancer des projets d'exploitation afin d'augmenter l'offre. En
attendant, l'économie mondiale doit s'habituer à vivre avec
des matières premières très chères, des goulets
d'étranglement de production, voire certains risques de pénurie.
LE SOUVENIR DE 1973
Pour tous les producteurs, le choc est rude. Depuis plus de vingt ans, ils
s'étaient accoutumés à vivre avec une offre excédentaire
de matières premières, à des prix bradés. "Il
faut remonter au premier choc pétrolier de 1973, et à la flambée
des matières premières qui l'avait accompagné, pour
retrouver une situation comparable", souligne l'économiste
Philippe Chalmin, auteur du "Cyclope", ouvrage annuel de référence
sur les matières premières.
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Martine Orange
· ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 24.03.04