En 2050, de deux à sept milliards d'humains pourraient manquer
d'eau
L'augmentation de la population mondiale devrait conduire, selon l'Unesco,
à une carence de cette ressource vitale. Pour éviter cela,
les experts, réunis à Kyoto et à Florence, invitent
à lutter contre le gaspillage, à améliorer l'irrigation
et à investir dans des équipements.
A Paris , l'eau coule du robinet sans que l'on y pense. A Tucson (Etats-Unis),
les golfs sont bien arrosés, mais le spectre de la pénurie
d'eau réapparaît tous les étés. A Arada (Guatemala),
les paysans vont chercher l'eau à une source distante d'une heure
de marche du village. A Ouagadougou (Burkina Faso), avoir un puits au milieu
de la "cour" qui rassemble plusieurs maisons de la même
famille est un privilège envié. Ainsi, aux quatre coins du
monde, l'eau est vécue différemment. Toujours indispensable,
elle s'inscrit dans des conditions matérielles et culturelles si
différentes qu'il est difficile de l'appréhender d'une manière
homogène.
Il n'en reste pas moins qu'il existe bien un problème mondial de
l'eau, une préoccupation globale qu'exprime le Forum mondial de l'eau,
qui se tient à Kyoto (Japon) cette semaine. La raison en est simple :
"Les ressources en eau sont en chute libre alors que la demande augmente
de façon dramatique, affirme Koichiro Matsuura, directeur général
de l'Unesco (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la
science et la culture). Au cours des vingt prochaines années,
on s'attend à une diminution d'un tiers, en moyenne, de l'eau disponible
par personne dans le monde".
Globalement, la ressource en eau devrait être suffisante : chaque
année, la planète voit 40 000 km3 ruisseler sur
ses flancs, et les hommes n'en prélèvent que 20 %. Mais
comme cette manne est répartie de manière très différente
selon les régions, et que la densité de population diffère
elle aussi beaucoup, de nombreux pays sont déjà dans une situation
hydrologique tendue.
De plus, la croissance de la population mondiale, qui va passer de 6 milliards
d'individus à 9,3 en 2050, selon la projection des Nations unies,
va faire empirer la situation. Dans son Rapport mondial sur la mise en valeur
des ressources en eau, l'Unesco estime que "vers 2050, 7 milliards
de personnes dans 60 pays (hypothèse pessimiste) et 2 milliards
dans 48 pays (hypothèse optimiste) seront confrontées à
une pénurie d'eau".
Concrètement, cette augmentation de la consommation d'eau s'est en
bonne partie opérée par la multiplication des puits dans les
pays en développement pendant les années 1990. "En
Inde, par exemple, observe Daniel Zimmer, directeur du Conseil mondial
de l'eau, le pompage a été subventionné par un prix
gratuit de l'électricité pour cet usage. La moitié
de la production électrique indienne est ainsi consacrée au
pompage de l'eau."
Le manque d'eau pourrait avoir, si rien ne change, une autre conséquence,
soulignée par l' International Food Policy Research Institute
dans un rapport publié en octobre 2002 : "En 2025,
la pénurie d'eau pourrait causer la perte annuelle globale de 350 millions
de tonnes de production alimentaire - légèrement plus que
la production céréalière des Etats-Unis."
La qualité de l'eau n'est pas un problème moindre que celui
de sa quantité. Dans de très nombreux pays, les déchets
ou les eaux usées sont rejetés sans traitement à la
rivière. Une étude menée sur 116 villes a constaté
que, en Afrique, seuls 18 % des foyers sont raccordés aux égouts
et, en Asie, pas plus de 40 %. Cela a des conséquences sur la
santé - de nombreuses maladies sont transmises par l'eau polluée
­p; et sur la production agricole, sans parler des atteintes aux écosystèmes,
de surcroît blessés par la destruction des zones humides et
le bétonnage des rivières. En outre, l'irrigation entraîne
souvent une remontée des nappes phréatiques, ce qui les condamne
à terme, et la salinisation des sols. (...)
Le consensus se fait sur la nécessité de lutter contre les
gaspillages dus aux habitudes de consommation mais aussi ceux qui proviennent
d'une mauvaise gestion. "Il n'est pas rare de trouver des taux de
50 % de fuite dans les réseaux urbains, observe Jean-Pierre
Tardieu, de Vivendi Environnement :il faut commencer par agir à
ce niveau-là."De même, l'irrigation est extrêmement
inefficace : 60 % de l'eau utilisée y sont gâchés,
selon l'Unesco.
La lutte contre le gaspillage renvoie autant à des changements techniques
que politiques, puisqu'elle suppose une volonté politique claire
et une acceptation par la population d'un certain enchérissement
de l'eau. D'autres solutions techniques émergent, comme le recyclage
des eaux usées ou le dessalement de l'eau saumâtre ou salée.
On promet aussi la renaissance de techniques anciennes mais efficaces, comme
le recueil de l'eau de pluie, qui se développe rapidement en Inde
et ailleurs. Mais la tentation est grande d'entreprendre de grands travaux
hydrauliques : la Chine envisage ainsi de transférer de l'eau
du Yangzi Jiang vers le nord du pays, l'Inde prépare un réseau
de canaux reliant les 37 fleuves du pays, le Tchad rêve de détourner
l'Oubangui pour faire renaître son lac et, partout, les projets de
barrages se multiplient. Solutions "douces" et participatives
contre projets d'ingénieurs et de béton : telle sera
peut-être la vraie bataille de l'eau des prochaines années.
Hervé Kempf article paru dans "Le Monde", édition
datée du 21 mars 2003