ROBERT (Martial), Ivo Malec et son Studio Instrumental, Paris, L'Harmattan, 2005, 21 planches, 366 p.

 

INTRODUCTION

     1986, Lyon, un conservatoire, Ivo Malec invité. Etudiant compositeur m’intéressant déjà aux idées musicales de son « seul et véritable Maître, Pierre Schaeffer »(1), j’avais découvert avec enthousiasme la musique de cet artiste d’origine croate, imprégné de culture française, réalisant le lien musical que j’attendais entre l’instrumental et le studio au point de parler de « studio instrumental »…
     Quelques années plus tôt, après une enfance marquée par l’enseignement musical dans une école de musique de province, je me dirigeais sur les voies du métier d’ingénieur du son… À dix-huit ans, j’étais heureux de quitter –sans soupçonner musicalement ô combien !– une petite ville bourgeoise censurant au public –plus grave à la jeunesse– l’écoute de la musique de concert au delà de Wagner, excepté Stravinsky pour les élèves de l’école de musique. Cette situation existe malheureusement encore dans bien des villes et écoles municipales, voire nationales (!), ancrées dans leurs traditions, sous la poussière des années. À l’époque, je m’en aperçus la même année par trois fissures. La première due à l’Education nationale –rendons-lui justice, pour une fois, dans le domaine de l’enseignement artistique, par elle, si négligé–, la deuxième à la portée insoupçonnée, la dernière accidentelle mais qui devint primordiale. Tout d’abord l’option musique du baccalauréat imposait l’étude de la Sequenza pour voix de femme de Berio et je fus fort enthousiaste d’être interrogé sur cet auteur ; ensuite l’étude d’une pièce contemporaine –Ile de feu de Messiaen– avait été mise pour la première fois au concours de piano grâce au conseil d’un professeur parisien, d’esprit plus ouvert, remplaçant d’expérience, et je fus le seul élève à apprécier le choc ; enfin il y eut le geste du professeur de solfège choisissant les ouvrages de mon prix de fin d’études parmi quelques numéros avant-gardistes de La Revue Musicale. Le directeur du conservatoire avait hérité d’un lot qui l’embarrassait certainement : « Carnets critiques des Journées de musiques contemporaines de Paris » en 1968, 1970 ou 1971, affichant, sans beaucoup d’explications, des noms de musiciens pour moi inconnus, ou mieux, numéros contenant des pages relatives aux expériences de « musique concrète » de Schaeffer, ce qui conduisait le directeur à penser avec certitude que tout ceci n’intéresserait aucun élève du palmarès !
     Il avait donc fallu que les études de physique et de mathématiques m’amènent à partir pour que l’offre vaste et neutre d’une grande ville, Lyon, me révèle les démarches de Varèse et Schaeffer par les livres, et m’ouvre les oreilles par leurs enregistrements, les opéras du XXè siècle –Pelléas en tête bien sûr– et les concerts notamment électroacoustiques. Autres chocs… Les techniques du studio de composition électroacoustique laissaient donc entrevoir une mine de solutions pour sortir la musique de l’impasse de son conformisme ou du moins, par une évolution logique, offraient à cet art, vieux de plus de quarante mille ans paraît-il, outre « le tout sonore », des situations inhabituelles enrichissantes et de nouveaux modes de pensées salvateurs. Mais quels étaient-ils donc ?
     Quatre années d’études me firent découvrirent bien des œuvres. Du côté de l’Université, après un détour vers les sciences exactes, mes premiers travaux de recherche se focalisèrent sur la fusion opérée par l’écriture d’Ivo Malec : je voulais en connaître le secret, et je rencontrais le musicien. Soyons honnête, je fus séduit, autant par son art que par sa personnalité.   
  
    En mars 1986, à la salle Molière de la Capitale des Gaules, je mis en place un concert pour lui rendre hommage, dirigeant ma première œuvre mixte. Nous en parlâmes ensuite au bar de l’Hôtel des Arts. Le compositeur-chef d’orchestre, en bon pédagogue, avait perçu certains détails importants et m’encourageait dans les deux domaines : ce fut ma première leçon ! L’année suivante, je l’interviewais à Paris et sous-titrais « Auras maleciennes » une autre œuvre mixte, traduisant ainsi la portée de son nom croate déjà sonore(2), de son doux accent, de ses gestes, de son être dégageant une certaine volupté. Le personnage présente naturellement une stature « qui a de l’allure » –pour citer une de ses belles expressions constitutives d’un vocabulaire malecien–, impo-sant une certaine noblesse de style. J’eus le bonheur de recevoir une lettre qui était presque un certificat de compositeur : « Composez avant toute chose, vous êtes fait pour cela » ! Plusieurs années durant, les rendez-vous bi-hebdomadaires au Conservatoire de Paris… Quelques-unes de ses phrases retentis-sent toujours en moi : « Ce n’est guère original ! » répondait-il par exemple à un élève débordé ; ou bien : « L’artiste doit se rendre nécessaire »… Indirectement, il enseignait donc aussi des préceptes de Vie.
      Que le lecteur me permette ces quelques confidences afin de comprendre des similitudes modestes mais réelles entre les séismes vécus par le sujet et l’auteur, conduisant aux mêmes découvertes puis intérêts artistiques. Outre le goût d’un rapprochement des sons d’origines diverses pour en construire et écouter de plus complexes, ceci explique cela.
       Il est bon de préciser la position de l’auteur, avant tout soucieux de comprendre, mais aussi de faire connaître un compositeur français majeur du XXè siècle et de susciter l’envie de l’écouter. Et pour cause : le nom d’Ivo Malec est peu connu du grand public, ceux de Varèse et Schaeffer malheureusement également d’ailleurs ! Certains noms de musiciens contemporains sont davantage présents pour plusieurs raisons : soit ils ont su monopoliser les quelques minutes ou lignes disponibles dans les médias sur le sujet de la création musicale, ce qui exige d’être adeptes de la polémique ou de frôler l’engagement dans le débat politique –sans exclusive d’un aspect ou de l’autre– soit ils sont dans la lignée de la tradition pour mélomanes, préférant une écriture néo-classique ou néo-romantique, à une bien novatrice, en un mot en phase avec leur époque.
       Il s’agit, au départ, d’un travail effectué en 1985-1986, qui faisait alors figure de précurseur et aurait nécessité plus de pages encore. À cette date, peu d’écrits existaient vraiment sur le compositeur à part le livret accompagnant l’« exposition acousmatique » qui lui avait été consacrée en 1983. Dans cet objectif, sur le conseil de chercheurs, je fus amené à tenter de publier l’intégralité de mes travaux, alors que, remontant à la source musicale schaefferienne, d’autres commençaient à me captiver. Certains éditeurs furent intéressés, mais faute d’aides suffisantes au financement, il fallut se contenter de quelques pages d’articles. Un projet complet d’édition –biographie avec analyses, premier catalogue– était prématuré malgré l’impact du compositeur et son brillant parcours dans le milieu ; mais la deuxième moitié des années 80 commençait à associer l’économie à la culture… Les années passèrent et puis en 2002 –le monde éditorial est si frileux qu’il appelle des initiatives de création audacieuses–, un magnifique livret de 148 petites pages au format CD vint enfin accompagner la réédition en numérique d’ « Œuvres pour orchestre et formations de chambre »(3)  : livret comportant des notices d’œuvres et des textes analytiques auxquels nous avons modestement participé. De très belles illustrations et photographies, dans une présentation luxueuse, complètent cette édition rare. En 2003, un petit ouvrage(4), fort bien conçu mais de qualité éditoriale moindre, vit le jour. Il comportait des témoignages mais ne pré-sentait pas d’analyse avec extraits de partition à l’appui.
     À ce  propos, les outils employés ne peuvent être que ceux dégagés par le solfège concret mis en évidence par Pierre Schaeffer. La démarche du studio électro-acoustique est par évidence suivie pour en révéler d’autres puisque le Groupe de Recherche Musicale(5), fut la terre d’accueil. Toutes les analyses effectuées ne sont pas rapportées ici pour ne pas alourdir la lecture.
  
  Sur le plan biographique, la partie privée a surtout été récemment mise en lumière par des entretiens en vidéo pour un projet télévisuel non encore abouti. Il s’agit bien entendu de celle qui a un rapport avec le parcours musical et les préoccupations artistiques du compositeur. C’est le seul chapitre qui ait été un peu travaillé avec l’intéressé, lequel, par professionnalisme, est resté en retrait. Une attitude louable. Pour le reste, l’artiste a laissé le rédacteur de ces pages face à ses responsabilités, et celui-ci ne peut que lui en savoir gré. C’est un témoignage de respect. Une interprétation personnelle d’auteur peut donc être pleinement revendiquée.
      Le travail présenté est chronologique. Il mêle à la fois biographie et démarche compositionnelle dans un seul but : trouver, puis tirer petit à petit le fil conducteur qui engendre toute l’œuvre. Une persévérance certaine, due à une admiration autant envers le musicien qu’envers l’homme, a forcément été nécessaire pour, depuis près de vingt ans, mettre à jour les données et analyses, sans lesquelles cet ouvrage n’aurait pu naître. Il paraît en l’année 2005(6), qui offre ce bel anniversaire au compositeur : le 80ème.
    
Comment ne pas remercier alors les universitaires qui ont encouragé cette publication, l’I.N.A.-G.R.M.(7) qui m’a ouvert dès 1985 ses archives sonores et permis de reproduire gracieusement quelques photos de leurs précieux catalogues, les éditeurs du compositeur pour leurs prêts de partitions et leurs autorisations à insérer, ici ou là, quelques extraits, et mon professeur de composition des années 80, Denis Dufour, à l’intelligence musicale et analytique aiguë. Enfin, mais non des moindres bien entendu, Ivo Malec lui-même pour avoir accordé des temps précieux d’interview sans avoir jamais rechigné à éclaircir quelques points qui auraient pu paraître de détail(8). Cette attitude, depuis le premier entretien, révèle une confiance que tente d’égaler ma reconnaissance.

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(1)  Les expressions et propos d’Ivo Malec seront toujours rapportés entre guillemets et en italique.
(2) La prononciation en français donne un aspect qui est autre, mais complémentaire, de celui originel en croate puisque le « c » se prononce « ts » et le « e » est en fait un « è »…
(3) Ivo Malec, œuvres pour orchestre et formations de chambre, Manas, Motus, coll. « Motus-Aujourd’hui », 2002, réf. M299006, dist. Abeille Musique.
(4) Cf. COLLECTIF, Ivo Malec, Paris, Michel de Maule-I.N.A., 2003, 96 p.
(5) À l’époque sans « s » à « recherche » et donc à « musicale ».
(6) Catalogue, discographie et sources sont donc arrêtés à cette date.

(7) En particulier l’administrateur Bernard Bruges-Renard et la documentaliste Solange Barrachina pour leur accueil chaleureux et bien sûr les directeurs successifs François Bayle puis Daniel Terrugi.
(8) Je ne pourrais pas oublier d’avoir également une pensée pour mes relecteurs.

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