ARTISANS-OUVRIERS  

De l'argile, des pierres dures et tendres, de l'ivoire, de l'os, du bois, du métal, les productions artisanales de l'Égypte ancienne marquent d'emblée par leur qualité d'exécution.

 

Dès les hautes époques, céramiques, vases de pierre, statuettes d'argile et d'ivoire, armes de silex et de métal reflètent l'existence d'un groupe d'hommes, soustraits (en partie) aux travaux de subsistance, capables de transmettre des codes, des règles et un savoir-faire. On en donnera pour exemple les belles lames de silex à enlèvements en vagues, qui constituent ce que l'on appelle communément les « couteaux prédynastiques », et dont l'un des plus beaux exemplaires, avec manche d'ivoire orné, est le couteau du Gebel el-Arak, conservé au musée du Louvre. L'élaboration de ces lames de silex exceptionnelles, que l'on a pu récemment reproduire, implique une telle complexité, demande un tel savoir-faire que très peu d'ateliers durent en produire. Des ateliers, des maîtres, des élèves. Seule une société fortement structurée, déjà hiérarchisée pouvait soutenir l'existence de tels groupes, car les artisans de l'Egypte n'étaient pas fondamentalement plus habiles que les autres, ils répondaient à une demande, à des commandes d'aristocrates capables d'élaborer des règles, de monopoliser les produits, d'acheminer les matières premières, de s'attacher les services des meilleurs en leur art. Ce n'est pas un hasard si les plus grandes oeuvres sont issues des ateliers royaux. L'émergence puis l'essor pris par les artisans sont ainsi étroitement liés au pouvoir. Parce qu'ils possédaient la faculté de modeler la matière, parce qu'ils pouvaient élaborer les objets capables de refléter le prestige et le rôle social de ceux qui les avaient commandés, les artisans sont devenus indispensables aux hommes de pouvoir, puis hommes de pouvoir eux-mêmes, comme le montrent, à l'époque pharaonique, les fières inscriptions, gravées dans les tombeaux des maîtres d'oeuvre : architectes, charpentiers, maçons, peintres-décorateurs...

   

Artisans ou artistes ; certains chercheurs ont souligné qu'il n'existait pas d'art égyptien dans l'acception que l'on donne aujourd'hui à ce mot, à savoir une catégorie d'objets développant ses propres motifs, ses formes et ses styles, distincte des pièces émanant de l'artisanat. Il n'y a point de mot égyptien pour désigner l'artiste, qui est englobé dans la catégorie plus générale des scribes - le scribe des contours pour le dessinateur - ou des artisans. Mais l'art ne constitue pas une donnée de base transculturelle, inhérente à la nature humaine. L'objet issu de la main de l'homme ne devient « oeuvre d'art » que par rapport et en fonction du contexte social de celui qui la définit comme telle. Ainsi, l'art est un phénomène social plus qu'individuel et nous regroupons souvent sous ce nom des objets qui ont été perçus et conçus à une époque et dans un lieu dans une tout autre acception. Si l'on se limite au sens restreint que l'Occident donne au mot « art », il n'existe ni en Égypte ni dans aucune société traditionnelle. Cependant, si l'appréciation des formes et modelés, des rythmes et des sons est affaire de personne et d'époque, la notion même d'excellence dans le travail est une qualité remarquée des Égyptiens dans la formule célèbre : « le meilleur en son art », ou « qui n'a pas son pareil », qui peut être attribuée à un artisan, un scribe, un médecin... Mais la maîtrise de la matière (le savoir-faire) est reconnue, établie et honorée, non parce qu'elle produit du beau, mais parce que celui-ci représente le groupe social qui le contrôle. Le clivage pourrait s'opérer à ce niveau : l'artisan produisant des biens de consommation (paniers, pots à cuire, outillage de base), le « spécialiste » étant producteur idéologique. Et la frontière entre les deux, d'inexistante à subtile au départ, s'est dessinée de plus en plus nette au fur et à mesure que prenait son envol une élite politique, qui légitimait et justifiait son pouvoir par la possession de ces objets symboliques.

   

Artisans
Les artisans vivaient souvent dans des communautés proches des grands sites où les monuments étaient édifiés : Guizeh, Lahoun, Amarna et surtout Deir-el-Médineh. A l'ouest de Thèbes, ce village hébergea pendant cinq siècles les artistes et ouvriers qui construisirent et décorèrent les nécropoles thébaines. Les fondations des soixante-dix maisons qui le composaient témoignent encore du passage de plusieurs générations dont les tombes ont été creusées dans les collines environnantes. 

Les paiements se faisaient en nature, les rations allouées aux travailleurs manuels étant plus importantes que celles des employés et des porteurs. Il était distribué du blé et de l'orge assurant le pain et la bière de première nécessité, des légumes, du poisson et du bois comme combustible. A certaines occasions, des gratifications sous forme de sel, de vin, de boissons douces ou autres denrées de luxe, complétaient les salaires. Chaque famille occupait une maison de brique crue élevée sur des fondations en pierre. Les métiers, carriers, maçons, plâtriers, dessinateurs, peintres, sculpteurs, artisans sur cuivre, scribes se transmettaient héréditairement. La plupart des mariages se faisaient à l'intérieur de la communauté. Les habitants disposèrent d'assez de temps libre pour creuser et décorer leurs propres tombeaux, du moins jusqu'au règne de Ramsès II. Leurs descendants se contentèrent d'aménager ceux de leurs ancêtres qui devinrent des caveaux familiaux.  

Ces artisans disposaient d'un nombreux personnel pour assurer les travaux domestiques : couper le bois, puiser l'eau du Nil à près de cinq kilomètres et la rapporter à dos d'âne, laver le linge, moudre le blé. Chaque quartier appointait son propre pêcheur pour lui fournir chaque semaine du poisson frais. Les affaires du village étaient gérées par un Conseil composé des hommes les plus âgés et de leurs épouses aidés d'un scribe. Outre les questions courantes, ce Conseil réglait les querelles et les différends sans conséquence ; il infligeait parfois quelques peines. Les délits graves ressortissaient de la justice du vizir.

Alors qu'il fut si souvent raconté que les monuments égyptiens avaient été édifiés avec la sueur et le sang d'esclaves sacrifiés, il est important de signaler les conditions de travail. La journée était rythmée par quatre heures de labeur le matin suivies d'un repas et d'une sieste. L'après-midi, à une heure variable, le travail reprenait pour quatre autres heures. Il faut aussi signaler que l'absentéisme était courant.  

 

Agriculture

Comme toutes les civilisations anciennes, la civilisation égyptienne est agricole. Comme le fellah d'aujourd'hui, l'Égyptien ancien est un paysan, fortement attaché à une terre miraculeusement fertilisée par la crue annuelle. La vie même du pays dépendait totalement des « respirations » du grand fleuve qui le constitue et dont les débordements, de juillet à octobre, permettaient à la végétation de croître au milieu du désert. De tout temps et en tout point de la planète, les cycles de la nature, très vite liés aux mouvements des astres, ont exercé sur les groupes humains une fascination, située au fondement de toute pensée, de toute science. Mais peut-être ici plus qu'ailleurs, dans cette étroite vallée, au carrefour de l'Asie et de l'Afrique, le renouveau végétal, surgi du limon imbibé du lent retrait des eaux, a marqué plus profondément la représentation que les hommes se sont faite du monde et d'eux-mêmes. Le rôle central du mythe d'Osiris, dieu de la végétation, de l'éternelle naissance, de l'agriculture et du pouvoir royal, est là pour le prouver. Interférer sur les forces naturelles, les détourner en quelque sorte à son profit, ne peut être que l'oeuvre d'un dieu, et Osiris ouvrira aux hommes la voie de la domestication et de la royauté. [...] La domestication des végétaux et des animaux participe de la même mise en ordre que celle des êtres humains, du même équilibre essentiel et précaire.  

L'introduction de l'agriculture en Égypte est relativement tardive, comparée aux régions voisines du Proche-Orient. Les premières pratiques agricoles, dans cette partie du monde, ont été décelées dès 9000 av. J.-C., en Syrie du Nord, sur l'Euphrate, dans la zone d'origine des céréales sauvages : blé amidonnier et orge. Elles se sont développées, avec l'élevage (bovins, caprins, ovins, porcs), dans les nombreux villages agricoles qui se constituent au cours des VIIIe et VIIe millénaires sur la totalité du Levant et en Anatolie du Sud-Est, associant aux céréales des cultures vivrières de plus en plus variées : pois, lentilles, fèves, vesces et pois chiches pour les légumineuses, lin pour les textiles.


Pratiquement tous les habitants d’Égypte participaient à l'agriculture de leur pays, soit comme propriétaires terriens, soit comme paysans. Grâce à leur maîtrise des rythmes du Nil et à d’astucieux systèmes d’irrigation, ils parvenaient à cultiver une large variété de plantes.  

Pendant trois à quatre mois chaque année, les terres arables d’Égypte étaient inondées par les eaux du Nil. Lorsque le fleuve commençait à baisser, laissant alors une couche d’alluvions très riches, le travail commençait. Il fallait labourer la terre deux fois avec des bœufs pour la rendre plus meuble avant de semer puis la faire damer par les animaux.

Les Égyptiens cultivaient le blé, l’orge, le lin ainsi que des fruits et légumes, tels que l’oignon, l’ail, les laitues, les pois, les lentilles et les haricots. Elles étaient irriguées par l’eau provenant de mini-réservoirs alimentés par le Nil grâce à des canaux ainsi que par des chadoufs, c’est-à-dire de seaux équilibrés par des contrepoids servant à transporter l’eau du fleuve dans une rigole aménagée en bordure des champs.

 


La paysannerie représentait la part la plus importante de la population. Comme elle était illettrée, sa voix ne s'est jamais fait entendre mais nous en avons les représentations que nous en ont laissées les riches propriétaires ou les descriptions des scribes. L'année commençait pour elle au début de la crue lorsque les eaux envahissaient les canaux. Les travaux d'irrigation étaient sa plus grande préoccupation et nécessitaient une surveillance et des soins incessants : drainage des berges marécageuses, extension des surfaces cultivées, nettoyage des canaux. Il fallait aussi enlever le sable apporté par le vent sur les champs cultivés et arroser laborieusement à la main les terrasses les plus hautes.

Les paysans vivent en famille dans leurs villages ou, dans le Delta, campent sous des tentes pour garder les troupeaux qui pâturent. Un Conseil de village gère les affaires courantes et l'administration centrale n'intervient qu'en deux occasions : la perception des impôts et les problèmes créés par la crue ou des conditions agricoles difficiles.

La première rencontre des cultivateurs avec l'administration centrale était la venue des contrôleurs pour la perception des impositions. Afin de déterminer les taxes dues, ils arpentaient les champs, mesuraient les récoltes, dénombraient le bétail et les volailles, inspectaient les vergers, les vignes et les palmeraies. Aucune monnaie n'ayant eu cours avant l'occupation perse, les prélèvements étaient effectués en nature. La moitié de toutes les productions était ainsi destinée au trésor et bien souvent l'autre moitié assurait à peine la subsistance familiale.  

La richesse de l'Egypte reposait sur son agriculture. De nombreux corps de métier, tisserands de laine ou de lin, tanneurs, bouchers, brasseurs, vanniers dépendaient directement de ses productions mais, bien que de manière plus lointaine, tout le reste du pays était concerné. Lorsqu'un péril menaçait les récoltes, la corvée réclamait un effort général. Chacun, quelle que soit sa profession, était réquisitionné le temps nécessaire à surmonter les difficultés. Les prêtres eux-mêmes n'étaient pas exemptés et les hauts fonctionnaires se chargeaient de la surveillance et de l'organisation du travail. Il s'agissait le plus souvent de maîtriser les caprices du Nil et d'effectuer les travaux d'endiguement ou d'irrigation nécessités par une crue trop forte ou trop basse.

Parfois il fallait nettoyer les terres ou ramasser et engranger les moissons. Tous les Egyptiens recevaient des pics, des houes, des paniers et se mêlaient aux paysans.  


Le pharaon étant en théorie le seul propriétaire de tout le pays, les ouvriers des ateliers comme des entrepôts étaient en principe les serviteurs du roi. En fait, ils travaillaient soit pour des institutions, soit pour des particuliers, représentants du pouvoir royal. Certaines professions comme les tailleurs de pierre, les coupeurs de bois, les porteurs d'eau étaient recensées et les listes établies servaient lors de l'organisation des corvées. Les serfs et les esclaves constituaient le dernier échelon de cette classe ouvrière. Particulièrement nombreuse à partir de la fin du Moyen Empire et pendant le Nouvel Empire, elle était formée surtout d'asiatiques et de koushites. Ceux-ci étaient d'anciens prisonniers de guerre ou avaient été acquis par vente régulière. L'esclavage fut pratiqué au Proche-Orient dès le milieu du second millénaire av. J.-C. jusqu'à la fin du siècle dernier. Le statut des esclaves ne semble pas avoir été très strict et avoir comporté beaucoup d'interdits. Considérés comme impurs, ils n'étaient pas admis dans l'enceinte des temples et ne pouvaient approcher le dieu local qu'à l'occasion des fêtes où il était solennellement promené à l'extérieur et dépose, çà et là, sur des reposoirs. Trop pauvres pour s'offrir un tombeau, leurs cadavres étaient jetés dans le Nil au mangeur du mort qui, sous la forme d'un crocodile, purifiait le fleuve en les avalant et les restituait aux eaux primordiales.  

Les métiers artisanaux, comme la construction, le travail des métaux, la menuiserie et l’orfèvrerie, jouaient un rôle important dans la civilisation égyptienne.

Les artisans spécialisés dans ces domaines vivaient dans des villages qui leur étaient réservés et où ils jouissaient d’une vie confortable et d’une bonne position sociale.

Les artisans égyptiens travaillaient en collectivité, soit pour des temples ou des palais, soit pour leurs communautés locales.

Ils vivaient parfois dans des villages spécialement bâtis sur le site de grands projets, comme la construction d’un tombeau ou d’un palais. Plusieurs de ces villages d’artisans ont fait l’objet de fouilles, dont Deir el-Medineh près de Thèbes, la demeure des artisans qui ont bâti la Vallée des Rois.

Ces artisans étaient tellement estimés que les meilleurs d’entre eux avaient leurs propres tombes ornées de riches décorations. À Deir el-Medineh, la qualité des peintures et du mobilier de la tombe de Sennedjem témoigne de son talent.