Dans les Émirats

La population s'inquiète des risques de guerre chimique


Dubaï (correspondance). – dans les Émirats, l’ambiance est à la morosité. Depuis près d’une semaine, ce sont les armes chimiques qui constituent le principal sujet de conversation. Très précisément depuis que le président George Bush a révélé que des missiles sol-sol avaient été déployés par les Irakiens au Koweït. Aussitôt, chacun s’est mis à supputer : ces missiles peuvent-ils atteindre Dubaï ? Les plus optimistes insistent sur l’imprécision des fusées irakiennes (ils l’ont lu dans les journaux), les autres s’inquiètent de savoir comment se protéger contre les armes chimiques. Mais tous s’accordent sur un point : M. Saddam Hussein ne reculerait pas devant leur emploi.


Pourtant, si l’inquiétude est présente, nulle part on a signalé de début de panique malgré la diffusion dans certains hôtels de Dubaï, d’Abou Dhabi, de Bahreïn ou de Ryad, de tracts alarmistes, expliquant comment se protéger contre les gaz, signés d’une association d’expatriés anglo-saxons.


En quinze jours, les Arabes du Golfe sont devenus des experts en stratégie. Les journaux n’épargnent à leurs lecteurs aucun détail sur les préparatifs militaires en cours. La télévision diffuse à longueur de bulletins des images de navires de guerre américains, britanniques ou français patrouillant dans le Golfe ou en mer d’Oman. Cette présence ne pose pas de problèmes de conscience aux habitants de la région.


Dans un premier temps, pourtant, ils étaient partagés. Au fond d’eux-mêmes, la plupart souhaitaient une intervention des États-Unis mais ils en redoutaient les conséquences. En fait, c’est M. Saddam Hussein lui-même, par la brutalité de son discours, qui a aidé les citoyens des pétro-monarchies à se libérer de leur ambivalence.


Désormais, c’est la fermeté qui domine : on ne trouve plus personne pour croire encore à un compromis avec le leader irakien. «Je prie pour qu’on nous délivre, confie un étudiant abou-dhabien. Que les Américains bombardent sa maison comme ils l’ont fait avec Kadhafi. Et même si ce sont les Israéliens qui s’en chargent, cela ne me gêne pas car ce que saddam a fait à Koweït, il est prêt à le recommencer avec nous !»


La confiance, certes teintée d’anxiété, est revenue dans les monarchies de la Péninsule arabique. Le poids formidable de la machine de guerre américaine s’est mis à leur service avec, à leurs côtés, les forces égyptiennes dont les Hercules C-130 camouflés couleur sable se posent à l’occasion entre deux avions de ligne sur l’aéroport international de Dubaï. Les techniciens militaires français ne sont pas en reste. Un certain nombre d’entre eux sont arrivés au cours des derniers jours à Abou Dhabi, ainsi que dans d’autres émirats du Golfe pour épauler ceux qui étaient déjà présents. Dans leurs bagages, ils ont emporté des dizaines de milliers de masques à gaz.


Les réfugiés koweïtiens


Dans les Émirats arabes unis, dont l’armée de 50 000 hommes est majoritairement composée d’étrangers –Pakistanais, Yéménites, Mauritaniens – les autorités ont lancé samedi un appel à la conscription des jeunes citoyens, selon le quotidien Al Khaleej.


Le lendemain, 3 000 volontaires s’étaient présentés dans les divers centres de recrutement du pays. Le journal affirme qu’un certain nombre d’expatriés arabes ont fait de même. Il leur a été répondu que cet appel était exclusivement réservé aux jeunes gens ayant la nationalité des Émirats.


Dans le même temps, la presse exalte la «résistance» koweïtienne. Les jeunes Koweïtiens présents à Dubaï et Abou Dhabi se disent prêts à se battre pour libérer leur pays et se sont mis à la disposition de leur ambassade. Dimanche, l’ambassadeur du Koweït à Abou Dhabi a lui-même conduit une manifestation anti-irakienne de réfugiés koweïtiens.


Réfugiés. Le mot sonne étrangement s’agissant de ressortissants de ce qui voici quinze jours à peine était l’Eldorado par excellence. Ils sont pourtant plus de 6 000 à avoir trouvé refuge aux Émirats arabes unis après l’invasion du 2 août, et quelques milliers d’autres dans les monarchies voisines. Quelques-uns ont réussi à fuir le Koweït. La plupart ont interrompu leurs vacances en Asie, en Europe ou aux États-Unis pour se rapprocher de leur patrie avec l’espoir d’y retourner dès que possible.


Mais, du jour au lendemain, ces riches Koweïtiens se sont retrouvés démunis. Le dinar du Koweït ne vaut plus rien et leurs cartes de crédit sont rejetées par les banques : c’est la conséquence du gel des avoirs koweïtiens. Il leur faut donc vivre de «l’hospitalité» du gouvernement des Émirats arabes unis qui leur paie le séjour à l’hôtel et de la générosité des associations caritatives du pays qui se sont mobilisées pour venir à leur secours.


Pour tromper l’ennui de ces longues heures d’attente, nombre d’entre eux tiennent conseil en permanence dans une salle de l’hôtel à l’affût de la moindre nouvelle, échafaudant des scénarios de reconquête.


Les Palestiniens ? «Des ingrats»


S’ils ne montrent guère d’indulgence pour la Ligue arabe et ses tergiversations, ils sont impitoyables pour ceux de leurs frères qui ont fait défaut en ces temps de malheur. «Maintenant au moins, nous savons qui sont nos vrais amis», commente l’un d’eux, désabusé. Ce sont surtout les Jordaniens et les Palestiniens qui sont l’objet de leur colère. Ce sentiment est largement partagé dans l’ensemble des monarchies du Golfe.


«Ces gens sont des ingrats, s’indigne un homme d’affaires de Dubaï. La dynastie Al Sabah s’est montrée très généreuse avec les Palestiniens, et voilà comment Arafat la remercie. Au nom de quoi les Palestiniens qui demandent à juste titre une patrie pour eux-mêmes dénient-ils ce droit aux Koweït ?» Et notre interlocuteur de prédire : «Quand toute cette affaire sera terminée, l’OLP pourra toujours aller mendier après de Djibouti ou de la Mauritanie


Quant aux Jordaniens, ils subissent les conséquences de leur soutien à Bagdad. Selon le Gulf News de Dubaï, l’Arabie Saoudite interdit désormais l’accès de son territoire aux camions immatriculés en Jordanie. Prétexte invoqué : les routes sont fermées au trafic civil en raison des mouvements de troupes. Pour le consommateur des Émirats, cela signifie que le prix des fruits et légumes va flamber : 80 % des importations de légumes des Émirats arabes unis provenaient de Jordanie.

OLIVIER DA LAGE

 

 

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