1991-2003 : transition douloureuse

pour les États du Golfe

Le projet américain de redessiner la région inquiète les pays de la péninsule arabique


Douze ans après la guerre du Koweït, la situation n’a en effet plus rien à voir avec celle qui prévalait en 1990-1991. Certes, les acteurs sont les mêmes, le décor également, mais le scénario est radicalement différent. À l’époque, Saddam Hussein était perçu comme une menace par l’ensemble des monarchies du Golfe – et le Yémen, son alliance de revers. Les pétromonarchies étaient donc plus que désireuses de financer l’effort de guerre contre l’Irak. Aujourd’hui, hormis le Koweït, aucune d’entre elles ne se sent menacée par Saddam Hussein, le Yémen est membre associé du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et des téléthons ont été organisés dans plusieurs émirats au bénéfice du peuple irakien. Les difficultés économiques, autant que les objections politiques, rendent à présent peu plausible un financement d’une nouvelle guerre contre l’Irak par les pays du Golfe, à l’exception du Koweït. Il est vrai que, si l’on considère le revenu par habitant des sept pays de la Péninsule arabique, il est pratiquement le même aujourd’hui (6 175 dollars) qu’en 1991 (6 150 dollars). Mais cette apparente stabilité masque d’importantes disparités ainsi qu’une profonde évolution : en douze ans, la population de cet ensemble est passée de 34 à 48 millions d’habitants, et le rattrapage des revenus n’a été rendu possible que par le spectaculaire redressement des cours du pétrole à partir de 1998.


Autrement dit, de 1991 à 1997, le niveau de vie des États du Golfe a connu une sévère chute, accompagnée d’une montée du chômage, qu’il soit ou non reconnu dans les statistiques (il est souvent estimé à quelque 20 % pour des États comme Bahreïn ou l’Arabie Saoudite) et la déstructuration sociale qui s’en est suivie a entraîné une grave crise politique chez certains d’entre eux dont les conséquences se font sentir jusqu’à ce jour. Ainsi, en Arabie saoudite, l’incapacité de l’économie à absorber les jeunes diplômés des facultés religieuses ajoutée à la présence continue de milliers de soldats américains restés après la libération du Koweït a donné naissance à un vigoureux mouvement de contestation religieuse, dont la manifestation la plus extrême a été la prolifération des partisans d’Oussama ben Laden et qui, sous des formes à peine plus modérées, pénètre la société saoudienne tout entière jusqu’aux strates les plus élevées.


La remise en cause du pacte social des monarchies (l’État garantit le bien-être des sujets en contrepartie de l’absence de libertés politiques) a conduit plusieurs monarques à entreprendre un timide aggiornamento politique. Sous la pression des États-Unis, l’émir du Koweït a rétabli en 1992 le système parlementaire qu’il avait suspendu en 1986 ; le nouvel émir du Qatar, qui a renversé son père, un autocrate conservateur, en juin 1995, a organisé des élections municipales ouvertes aux femmes en 1999 tout en préparant une constitution ouvrant la voie à des élections législatives ; dans la foulée, son homologue du Bahreïn, ayant succédé en 1999 à son père, artisan de la répression anti-chiite, a tenu des élections municipales et législatives en 2002. Jusqu’à l’Arabie Saoudite, dont le roi Fahd a promulgué en 1992 des lois fondamentales instituant un Conseil consultatif, entièrement nommé, mais faisant figure de précurseur d’un futur parlement.


Se serrer la ceinture


Le mouvement de réforme en Arabie a été encouragé par le prince héritier Abdallah qui détient la réalité du pouvoir depuis l’attaque cérébrale qui a frappé fin 1995 le roi Fahd. En décembre 1998, s’exprimant devant les autres souverains du CCG, il a déclaré que la période d’abondance était révolue et que les citoyens du Golfe devaient se serrer la ceinture. Malgré l’opposition d’une partie des princes de la famille Saoud, il est crédité de réelles tentatives de rationaliser l’économie et de limiter la corruption et les prébendes, sans toujours rencontrer le succès. Depuis une vingtaine d’années, l’Arabie Saoudite a cumulé les déficits budgétaires colossaux (12 milliards de dollars en 2002, 10,4 en 2003), à l’exception des années 2000 et 2001. Ces déficits, aggravés par l’achat massif d’armements auprès des États-Unis sous la pression de ces derniers, ont aggravé les tensions économiques et sociales que connaît le royaume depuis la fin de la guerre du Koweït.


La mondialisation de l’économie, à commencer par les répercussions de la crise asiatique de 1997-1998, ne pouvait que toucher de plein fouet les pays du Golfe, dont le pétrole continue de représenter 35 % du PIB, 75 % des recettes budgétaires et 85 % des exportations. D’où l’admission au sein de l’OMC des pétromonarchies, excepté l’Arabie Saoudite où cette perspective suscite une vigoureuse opposition de l’institution religieuse.
La brutale remise en cause de la relation américano-saoudienne après le 11 septembre 2001 a révélé au grand jour l’inadaptation des structures socio-économiques, et notamment du système éducatif du royaume. Les dirigeants du Golfe sont saisis par l’anxiété devant le projet de «redessiner la carte du Moyen-Orient» que l’on prête aux faucons du Pentagone et de la Maison Blanche. Ils seront en tout cas aux premières loges en cas de conflit : Bahreïn est le siège de la Ve flotte de la marine américaine et le Qatar est le quartier général des forces américaines dans la région.

OLIVIER DA LAGE

 

 

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