Arabie Saoudite
Révisions déchirantes pour le pouvoir saoudien
Le royaume a annoncé mercredi la dissolution de lassociation caritative
Al Haramaïn, soupçonnée de financer al Qaïda.
Sous la double pression du terrorisme et des Etats-Unis, lArabie Saoudite met de lordre dans ses affaires. Si, au niveau des intentions, la volonté du gouvernement saoudien de réduire les islamistes armés qui ont juré sa perte ne semble plus faire de doute, le passage à lacte semble à chaque fois un déchirement pour la Maison des Saoud.
Cest que lennemi que combat le pouvoir saoudien est une excroissance
du régime, une partie de lui-même qui le renie désormais,
et quil renie à son tour, qualifiant ces opposants de «déviants».
Mais déviants par rapport à quoi ? Par rapport à une
idéologie partagée, le wahhabisme, cette forme particulièrement
austère et intolérante de lislam sunnite qui est le fondement
du pouvoir saoudien.
Cest pourquoi, lorsque les Américains, entre autres, ont demandé
avec insistance après les attentats du 11 septembre, de reprendre en
mains les institutions religieuses, soupçonnées au mieux de complaisance,
au pire de complicité avec al Qaïda, le gouvernement saoudien a
pris des demi-mesures. Certes, immédiatement, les prêches des imams
ont été placés sous contrôle et plus dun millier
dentre eux ont été retirés des mosquées et
renvoyés en «formation» pour quils cessent de prêcher
la haine des juifs, des chrétiens et des Occidentaux en général.
Mais il a fallu quelques attentats supplémentaires et de nouvelles pressions
internationales (notamment américaines) pour que Ryad se décide
au printemps dernier à rappeler ses «attachés islamiques»,
présents dans de nombreuses ambassades saoudiennes à létranger
pour assurer la liaison avec des organisations musulmanes dobédience
saoudienne et dont beaucoup avaient une attitude pour le moins ambiguë
à légard de la mouvance Ben Laden.
Le pacte fondateur du royaume
Cest que non seulement il ny a aucune séparation entre la religion et lÉtat en Arabie Saoudite, mais la Daawa, la propagation de la foi musulmane dans sa version wahhabite, cela va de soi est au cur du pouvoir et de linfluence du royaume. Cest aussi la garantie que linstitution religieuse, extrêmement puissante, continue dapporter son appui sans réserve aux princes qui gouvernent le pays au profit de la famille et au nom de lislam.
Certes, les chefs religieux (les oulemas) sont dans lensemble très
obéissants à légard du pouvoir politique, qui les
rémunère et leur confère honneurs et pouvoir. Mais à
condition que les autorités ne séloignent pas trop de la
«ligne» politico-religieuse définie au XVIIe siècle
par les pères fondateurs du royaume, le cheikh Mohammed Al Saoud, émir
de Diriya, petite bourgade du Nejd en Arabie centrale, et un obscure prédicateur
chassé de sa ville natale en raison de son intolérance à
lencontre de ses concitoyens, Mohammed ibn Abdelwahhab. Tous deux forgèrent
en 1744 un pacte qui est aujourdhui encore lessence du pouvoir saoudien.
Or, la fondation Al Haramaïn (Al Haramaïn = les deux lieux Saints,
La Mecque et Médine), qui vient dêtre dissoute, était
une institution financière caritative capable de lever 50 millions de
dollars chaque année pour le financement dactivités sociales
et religieuses. Mais par religieuses, il fallait aussi entendre le financement
dorganisations dont certaines recourent à la violence armée.
Pour les autorités américaines et un certain nombre danalyste,
la fondation Al Haramaïn était dailleurs lun des canaux
de financement dal Qaïda.
Aussitôt, les autorités de Ryad ont annoncé la création
dun nouvel organisme destiné à remplacer la fondation dissoute :
la Commission nationale saoudienne pour lassistance et loeuvre caritative
à létranger qui aura pour mission de veiller à ce
que les dons des Saoudiens ne servent pas à financer le terrorisme.
Mais si la fondation Al Haramaïn était lune des plus importantes
institutions saoudiennes à perpétuer le lien ambigu entre le royaume
et al Qaïda, elle nest ni la seule ni la dernière. Reste à
voir si, désormais, les dirigeants saoudiens continueront de sévir
à reculons contre des institutions qui mêlent si étroitement
le pouvoir politico-religieux du royaume et les ennemis mortels qui ont juré
sa destruction, au nom même de lidéologie officiellement
au pouvoir.
OLIVIER DA LAGE
03/06/2004