Arabie Saoudite
Yémen : lautre barrière
Tandis que la Cour internationale de justice de La Haye débat du «mur»
construit par Israël en Cisjordanie, lArabie Saoudite vient de renoncer
à la construction dune barrière à la frontière
yéménite.
On a eu chaud ! Il ny aura pas de «barrière de sécurité»
érigée entre le Yémen et lArabie Saoudite. Ainsi
en ont décidé les dirigeants des deux pays après une visite
à Ryad du président yéménite Ali Abdallah Saleh
entièrement consacrée à ce sujet à la mi-février.
Cest quau Yémen, les esprits commençaient à
séchauffer et dans la région, quand la température
monte entre Ryad et Sanaa, cela devient rapidement explosif.
Tout a commencé par linformation, apparemment anodine, selon laquelle
les autorités saoudiennes auraient décidé de construire
une «barrière de sécurité» sur le modèle
israélien (sans la présenter ainsi naturellement) pour contenir
les infiltrations darmes, de terroristes et de contrebandiers venant du
Yémen. A Ryad, depuis les attentats du 12 mai et du 8 novembre, la lutte
contre le terrorisme est devenue la priorité du pouvoir. Linformation
était donnée par la presse panarabe (Ach Charq al Aoussat, Al
Hayat
), mais à Ryad, tout en confirmant sa véracité,
on sest aussitôt employé à la minimiser : il ne sagissait
pas à proprement parler de mur ou de barrière, mais bien plutôt
de sacs de sable ou dun «pipeline de ciment», pour reprendre
lexpression dun responsable saoudien. En tout cas, les travaux avaient
bel et bien commencé : plusieurs dizaines de kilomètres (42 ou
75, selon les sources) étaient déjà construits. Une paille,
comparé aux quelque 1 500 kilomètres de frontière séparant
la République du Yémen du royaume saoudien ! Mais bien assez pour
raviver les braises de la tension qui couvent sous la cendre depuis laccord
du 12 juin 2000.
Ce jour-là, en effet, le président yéménite et le
prince héritier dArabie signent à Djeddah un traité
mettant fin à près de soixante ans de conflit frontalier. Jusqualors,
en effet, les frontières entre les deux pays étaient régies
par le traité de Taëf, conclu en 1934 après la victoire des
armées du roi Abelaziz (Ibn Saoud) sur lImam dirigeant le Yémen.
Ce dernier, vaincu, neut dautre choix que dentériner
la perte de trois provinces au profit du royaume que venait de créer
Ibn Saoud en lui donnant son nom. Ce traité était renouvelable
tous les vingt ans (lunaires).
Un voisin pauvre et peuplé
Mais au fil des années, le ressentiment yéménite contre la perte de ces trois provinces, parmi les plus riches, na cessé de monter dans la population. Au point que selon une tradition orale que se répètent les Yéménites de père en fils avec une satisfaction non dissimulée, le roi Abdelaziz, sur son lit de mort, aurait confié à ses fils et héritiers : «le bonheur du royaume réside dans le malheur du Yémen !». Vraie ou fausse, lanecdote reflète en tout cas assez bien la nature des rapports entre ces deux voisins. Les choses nont fait quempirer avec lunification du Yémen en 1990 qui a ravivé en Arabie le sentiment de menace provenant de ce voisin pauvre et peuplé.
Symétriquement, le sentiment dinjustice sest accru au Yémen,
accompagné de tentations irrédentistes non dissimulées
pour remettre en cause le traité de Taëf, mais lArabie refusait
purement et simplement sa renégociation. Ce qui explique que lorsque
la guerre civile yéménite a éclaté en mai 1994 entre
sudistes et nordistes, le royaume na pas hésité à
soutenir les séparatistes sudistes, pourtant majoritairement composés
danciens communistes. Un comble ! Mais selon la fable, le bonheur du royaume
était à ce prix, puisque le malheur du Yémen létait
aussi ! Mais la victoire du Nord sur le Sud était aussi la défaite
de lArabie et, fin 1994, une guerre frontalière menaçait
entre les deux pays.
Il sen est fallu dun cheveu quelle néclate pour
de bon, mais in extremis, les dirigeants ont profité du Ramadan pour
renouer les contacts et prendre la décision dentamer de véritables
négociations. Celles-ci ont effectivement démarré, dans
le scepticisme général, pour aboutir finalement à un nouveau
traité frontalier, signé en grande pompe à Djeddah le 12
juin 2000 sans quil soit besoin de recourir à la Cour internationale
de justice de La Haye comme menaçait de le faire le Yémen qui
avait ainsi réussi à mettre fin à un autre litige frontalier,
celui qui lopposait à lErythrée dans laffaire
des Îles Hanish.
Ce que contestait notamment le Yémen, cest que la «barrière»
saoudienne devait serpenter au milieu du no mans land de cinq à
vingt kilomètres de part et dautre de la frontière destiné
à permettre le pâturage des bêtes appartenant aux nombreuses
tribus nomades de cette zone.
LArabie a donc renoncé à sa barrière, en échange
de la garantie que des patrouilles communes traqueraient les infiltrations des
partisans dOussam Ben Laden. Lhonneur est sauf.
OLIVIER DA LAGE
25/02/2004