Arabie Saoudite
Abdallah, messager de la colère arabe
Le prince héritier dArabie, qui est reçu au ranch personnel
de George Bush, arrive porteur de la colère des Arabes, surtout des alliés
arabes de Washington. Abdallah risque dêtre pour «W»
un interlocuteur coriace.
«Je ne suis pas là pour faire dans la nuance, mais pour parler
avec clarté », avait répondu George Bush voici quelques
semaines à un journaliste dont la question laissait entendre que la politique
étrangère du président américain ne prenait pas
en compte toute la complexité du monde. C'était lors d'un point
de presse commun avec Tony Blair, l'un des rares invités de marque avec
Vladimir Poutine que le chef de l'exécutif américain ait reçu
dans son ranch de Crawford, au Texas.
Si George Bush aime la clarté, il a toute chance d'être servi avec
son nouvel hôte, le prince héritier d'Arabie Saoudite, Abdallah,
qu'il accueille dans son ranch à partir de ce jeudi. L'homme fort du
royaume saoudien n'est pas un adepte de la langue de bois, il l'a prouvé
à de nombreuses reprises, tant dans sa gestion des affaires intérieures
du royaume, que dans les rapports avec les autres pays arabes, et surtout, avec
les États-Unis et George Bush risque fort de ne pas aimer ce quAbdallah
va lui dire.
Il avait refusé voici un an une première invitation du nouveau
président américain pour manifester son mécontentement
contre le refus de George Bush de traiter la crise israélo-palestinienne
et de rencontrer personnellement Yasser Arafat. En août dernier, il avait
rappelé in extremis son chef détat-major alors même
quil était déjà à Washington pour la même
raison et avait, dans une lettre dépourvue dambiguïté,
écrit à George Bush que les intérêts stratégiques
entre Ryad et Wahington, pourraient bien être carrément divergents.
A Washington, où lon sest habitué à considérer
un certain nombre de pays comme des États-clients, les dirigeants avaient
complètement sous-estimé la gravité de la colère
saoudienne.
Intervient là-dessus la crise du 11 septembre. Au milieu déchanges
daccusations acrimonieuses entre la presse et les responsables des deux
pays, George Bush et le prince Abdallah ont veillé à préserver
ce qui pouvait lêtre et à recoller les morceaux dune
relation ancienne et gravement fragilisée.
Pour George Bush, qui na cessé de couvrir déloges
le prince héritier dArabie depuis la publication en février
de son plan de paix, adopté par la ligue arabe le mois dernier, lhomme
fort dArabie Saoudite est un atout majeur sil veut sortir par le
haut du bourbier moyen-oriental dans lequel son indécision politique
la plongé. Mais le prince saoudien ne vient pas en demandeur, et
sil a beaucoup à offrir aux États-Unis, ce ne sera pas gratuit.
Depuis plusieurs semaines, ladministration américaine demande aux
dirigeants arabes de dénoncer les attentats-suicide et de faire les gestes
quIsraël attend deux. Mais ce nest pas du tout dans cet
état desprit quAbdallah arrive aux États-Unis.
Une position intenable face à lopinion arabe
Il est porteur de la colère et de la frustration du monde arabe devant
ce qui apparaît comme un soutien inconditionnel de ladministration
Bush à la politique dAriel Sharon, qui, de surcroît, a refusé
de faire les deux seuls gestes que le président américain lui
a demandés, à savoir autoriser Yasser Arafat à se rendre
à Beyrouth pour le sommet arabe, et évacuer immédiatement
les territoires réoccupés depuis un mois. De plus, chaque fois
que George Bush a fait léloge du plan Abdallah, cétait
pour souligner quil reconnaissait le droit à lexistence dIsraël
et lui proposait une normalisation complète en omettant soigneusement
lautre volet de ce plan, à savoir lévacuation par
Israël de tous les territoires occupés depuis 1967. Abdallah devrait
dire sans détour à son hôte ce que Mohammed VI du Maroc,
Abdallah II de Jordanie et Moubarak dÉgypte ont déjà
tenté de lui faire comprendre : le soutien sans réserve apporté
à la politique dAriel Sharon par son parrain américain rend
la position des alliés arabes des États-Unis intenables face à
lopinion publique arabe.
Dans ce contexte, va expliquer Abdallah à George Bush, il ne faut même
pas penser à envisager une opération contre lIrak tant que
le conflit israélo-palestinien naura pas été apaisé,
sous peine de mettre à feu et à sang le Moyen-Orient tout entier.
Les dirigeants américains, qui ont longuement préparé les
entretiens de Crawford, ont de quoi être préoccupés, car
la collaboration, ou tout au moins la neutralité des pays voisins leur
est indispensable pour mener à bien une opération denvergure.
Et le déplacement vers le Koweït et le Qatar dune grande partie
des soldats américains actuellement stationnés en Arabie Saoudite
ne suffira pas au dispositif. LArabie reste nécessaire. Cest
peu dire quà Washington, on na guère apprécié
laccolade que se sont donné fin mars à Beyrouth le prince
Abdallah et le numéro deux du régime irakien Ezzat Ibrahim.
Une fois de plus, George Bush est coincé entre les membres de son équipe,
notamment Colin Powell et, semble-t-il, Condoleeza Rice qui lui conseillent
de faire les gestes nécessaires pour apaiser jusquà un certain
point les Arabes afin de ne pas sacrifier lobjectif essentiel (le renversement
de Saddam Hussein) et les faucons de son administration, notamment Donald Rumsfeld,
la droite républicaine, ainsi que de nombreux membres du Congrès
républicains et démocrates qui ladjurent de ne pas céder
aux Arabes et de tenir bon dans un soutien sans faille à Israël.
OLIVIER DA LAGE
25/04/2002