Arabie Saoudite
Ryad rompt avec les Taliban
L'Arabie Saoudite a annoncé mardi matin qu'elle rompait ses relations
diplomatiques avec les Taliban en raison de leur «soutien au terrorisme».
L'Arabie Saoudite était, avec le Pakistan et les Emirats arabes unis,
l'un des trois seuls pays à reconnaître le régime des Taliban.
Depuis les attentats du 11 septembre, les pressions américaines n'ont
pas manqué pour obtenir des autorités saoudiennes qu'elles mettent
un point final à leurs rapports avec la milice officielle des Taliban,
au pouvoir à Kaboul depuis 1996. Le communiqué officiel publié
ce mardi à Ryad motive la décision saoudienne par le refus des
Taliban de répondre aux « contacts et initiatives entrepris par
l'Arabie Saoudite pour les convaincre de cesser de donner refuge aux terroristes
et de les former ».
Il y a dans ce texte plus de vérité qu'il n'est d'usage dans les
communiqués officiels saoudiens. Car si les pressions américaines
ont compté, il n'en demeure pas moins que les dirigeants saoudiens ont
leurs raisons propres de rompre avec un régime qu'ils sont soutenu à
bout de bras et qui les en a bien mal remerciés. C'est d'ailleurs l'aboutissement
d'une démarche arrêtée à mi-chemin : en septembre
1998, les Saoudiens avaient rappelé leur ambassadeur à Kaboul
et expulsé l'ambassadeur des Taliban à Ryad, conservant les relations
diplomatiques au niveau des chargés d'affaires.
Déjà, la cause de la rupture s'appelait Oussama Ben Laden. Le
moudjahid saoudien, qui avait trouvé l'asile auprès du mollah
Omar, avait lancé en août 1996 une «déclaration de
guerre» appelant au jihad contre les forces étrangères dans
le Golfe et attaquant vigoureusement la famille royale saoudienne. L'attentat
contre un bâtiment de la Garde nationale en novembre 1995 avait déjà
été imputé à Ben Laden. Le refus des Taliban de
le livrer après les attentats d'août 1998 contre les ambassades
américaines de Nairobi et Dar es-Salaam avait causé la fureur
des dirigeants de Ryad.
Le prince Turki Al Fayçal, chef des services secrets saoudiens et ancien
mentor d'Oussama Ben Laden, avait personnellement accompli plusieurs voyages
en Afghanistan pour tenter de convaincre le mollah Omar de lui livrer son protégé.
En vain.
La rupture malgré les affinités
Pour autant, jusqu'à ce jour, Ryad s'était refusé à
aller jusqu'à une rupture complète avec les Taliban. Pour plusieurs
raisons:
-En premier lieu, l'indécision est une caractéristique de la politique
saoudienne. Les dirigeants de Ryad ne détestent rien tant que d'avoir
à prendre une mesure qu'ils pressentent irréversible et tentent
de la différer autant qu'ils le peuvent;
-L'empathie que ressentent les responsables saoudiens avec les Taliban est très,
très forte : leur idéologie basée sur un islam sunnite
austère, intolérant et conquérant puise ses fondements
dans le wahhabisme saoudien. C'est avec l'appui religieux des théologiens
saoudiens, financier des grands du royaume, militaire de ses services secrets
et politique de la diplomatie saoudienne qu'à partir du Pakistan, allié
privilégié de Ryad, les Talibans ont mené à bien
leur conquête de l'Afghanistan. Conquête qui n'est pas sans évoquer
l'épopée guerrière qui a permis à Ibn Saoud de conquérir
la Péninsule arabique et de fonder son royaume au début du XX
e siècle.
-Enfin, si la hiérarchie religieuse répugne sans doute à
promouvoir l'action violente, il ne fait guère de doute que nombre d'oulémas
saoudiens ressentent une communion de pensée avec le régime mis
en place par les maîtres de Kaboul.
Mais le temps des hésitations est passé. Bousculés par
les événements et les pressions américaines, les dirigeants
de Ryad ont désormais acquis la conviction qu'à maintenir leurs
relations avec les Taliban, les inconvénients l'emportaient désormais
sur les avantages.
OLIVIER DA LAGE
25/09/2001